L’industrie pharoise se transforme, mais il faut lire la presse spécialisée pour s’en rendre compte. Baladez-vous dans sur les quais et vous ne remarquerez rien, les marins sont des vieilles dames réfractaires au changement. C’est dans les terres que la transformation se fait, à l’abri des regards. Albi est un pays clandestin, isolé sur sa péninsule, isolé du monde, entourée de pirates. Le pouvoir va avec le secret, dit le Prince, et nous voilà de nouveau, comme du temps des premières républiques pirates, à nous reconfiner dans l’ombre de nos falaises et de nos marais gelés.
La piraterie est une économie en voix d’extinction. Nous le savons, vous le savez. Maintenue sous respiration artificielle par des investissements colossaux dans la flotte noire, le Pharois ne pourra pas éternellement mener seul le grand jeu de l’hégémonie. Déjà notre économie ralentie, notre population, artificiellement grandie par ceux qui nous ont rejoint en route, ne peut à elle-seule pourvoir l’armée, l’industrie, et assurer à tous et à toutes un confort de vie suffisant pour faire de nous un pays enviable et prospère. La piraterie rue pour mieux dissimuler qu’elle va mal, ses chefs de guerre se sont emparés du pouvoir pour n’en rien faire, jusqu’à céder face aux réalités colossales de l’économie. Le Pharois ne peut exister éternellement contre le reste du monde et ceux qui déjà, il y a des années, anticipaient que nous ne saurions gagner cette course, nous préparaient un autre chemin. Une porte de secours.
Qui suit l’actualité pharoise sait de quoi nous parlons lorsque nous prononçons le mot « implant ». Dans les sillons tracés par Carnavale la noire, Albigärk a lancé ses propres programmes de recherche. Journaux de niches, revues savantes, discussions de passionnés où se côtoient scientifiques et membres des services secrets, la recherche et développement en matière de transhumanisme est restée longtemps tabou. Hier encore nos assemblées devaient composer avec les partis réactionnaires, hostiles à tout ce qui s’oppose au mode de vie traditionnel et à la religion abyssale. Aujourd’hui le temps les a fait taire, le Pharois a embrassé sans complexe le post-humain.
L’avantage comparatif est un élément décisif de la pensée pharoise et albienne. Petit pays pauvre, nous n’avons jamais prospéré que dans les angles morts où nous avons arraché l’hégémonie. La piraterie en est l’exemple le plus splendide : alors que le reste du monde se conchiait dans la mondialisation et la souveraineté, nous grandissions sur leur dos. Là où d’autres impérialismes se disputaient les marchés juteux de la mondialisation, le Pharois occupait seul le marché noir où il ne souffrait d’aucune concurrence. Le post-humain est notre piraterie, c’est ce qui assurera à Albi sa place dans le grand concert des nations, un marché que nous seuls occupons.
Depuis dix ans déjà dans nos laboratoires gelés, sous les banquises du nord, caché dans les complexes de grottes sous-marines, à l’abri dans nos manoirs dans les marécages, sur nos plates-formes solitaires protégées par les tempêtes, le Pharois anticipait la fin de la piraterie. Un coup d’avance, à la conquête de la prochaine hégémonie. Un plan. Implants.