Il n'y eut ni accueil solennel, ni cérémonie officielle, ni caméras pour immortaliser l'événement. Ce fut une rencontre des plus discrètes, à peine formelle, organisée dans une aile du ministère des Affaires étrangères, situé dans le quartier Jiji, sur la 21ème grande rue de Sokshō. Le ministre Yoshi Suzuki, toujours en poste malgré la défaite de son parti lors des dernières élections, incarne la stabilité au sein de l'État du Fujiwa. Il occupe son siège depuis près de sept ans, et c’est sous sa houlette que la diplomatie nationale a pris forme. Aujourd'hui, dans une atmosphère empreinte de secret, le ministre reçoit un invité particulier, venu tout droit de Ramchourie. Quand on parle de Ramchourie, il est facile de se perdre parmi les multiples factions qui la composent. En l'occurrence, le Fujiwa attendait la venue du président temporaire du Gualintang, Minh-Aû-Choh. Cependant, celui-ci, trop préoccupé par l'organisation de la défense de son territoire à l'est des terres ramchoures, a jugé bon de déléguer cette mission à un de ses fidèles conseillers, Taï-dû-boua.
Cet émissaire fut donc accueilli avec la simplicité de mise. Le ministère ne cherchait pas à dissimuler à tout prix la visite d'un représentant d'une faction dissidente du pouvoir central ramchour, car en réalité, les représailles de l'État central ramchourien ne pesaient guère dans la balance. Néanmoins, le Fujiwa préférait sonder le terrain avant de formuler toute ambition théorisée à l'égard de la Ramchourie, bien que le choix de la faction du Gualintang apparût comme le plus légitime aux yeux des autorités fujiwanes. En attendant cette rencontre, aucune prise de position publique ne serait adoptée par le nouveau Premier ministre Shimura. D'ailleurs, il convient de noter qu'il s'agit de la première fois qu'une entité diplomatique étrangère foule le sol fujiwan depuis l'élection du nouveau Premier ministre, figure de proue de cette droite conservatrice déterminée à mener une politique en accord avec les volontés de l'Empereur. Cependant, puisque cette rencontre se déroule dans une certaine confidentialité, Taï-dû-boua ne sera pas, officiellement du moins, le premier invité du Fujiwa sous l'ère Shimura.
Installés autour d'une table dans une ambiance feutrée, les présentations sont faites entre le ministre Suzuki, accompagné de deux de ses conseillers, et monsieur Taï-dû-boua. L'entrevue pouvait enfin commencer.
« Mes salutations, monsieur Taï-dû-boua. J'espère que votre voyage s'est bien déroulé. J'imagine que vous n'avez pas eu trop de mal à vous repérer au Fujiwa pour trouver jusqu'ici. Vous ne vous êtes pas égaré, et l'on vous a bien conduit au bon bureau, » dit-il avec une pointe d'humour. Le ministre laissa ensuite son invité prendre place, tandis qu'un domestique, discret, se présenta pour lui proposer une boisson, selon son souhait.
Sans perdre de temps, monsieur Suzuki reprit la parole: « Je suis enchanté de pouvoir rencontrer un représentant du Gualintang aussi rapidement. Les événements se sont enchaînés à un rythme soutenu, et c'est un plaisir de constater l'ouverture de votre faction aux autres nations. Permettez-moi de commencer simplement en vous demandant de me faire un état des lieux de la situation du Gualintang, du président Minh-Aû-Choh, ainsi que de vos ambitions, non pas personnelles, mais celles de votre faction. ». Il conclut en posant ses deux mains jointes sur la table.