Posté le : 01 oct. 2024 à 01:44:29
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Pendant l'opération hotsalienne à l'encontre de la Rache, en début juin 2014
L'Archimoine Ludwig Hauschka montait les dernières marches d'un pas lourd. L'escalier était raide et long mais fort heureusement le soleil se levait à peine et sa lueur se dessinait sur les massifs. En cette matinée de juin, il faisait encore bien frais mais la chaleur n'allait pas tarder à monter.
-Vous allez bien mon père ?
D'un geste de la main, l'Archimoine chassa le moinillon qui l'accompagnait :
-Très bien ! Parfaitement ! Dépêchons-nous, je tiens à arriver avant les autres !
Aussi pressé fut-il, la réalité était que les jambes de l'Archimoine ne pouvait que difficilement tenir un rythme supérieur, quelle qu'en fut sa motivation. Mais son objectif était atteint et aucune autre délégation de moines n'étaient arrivés avant lui.
Il faut dire qu'il était huit heures tapante et que la rencontre ne commençait formellement qu'à dix heures, soit midi dans les faits. Le retard traditionnel des moines n'était que d'une heure, mais dans le cas du Monastère du Pic, on passait à deux lorsque la condition physique générale des moines laissaient à désirer.
11h48, l'ensemble des représentants monastiques de tout Bergrun étaient arrivés, accompagnés des maires des plus grandes villes ayant pris la peine de se déplacer à l'occasion. Tout ce beau monde était sur une terrasse surplombant la vallée, avec une jolie table de bois massifs agrémentée d'un d’autant plus joli festin : liqueur, charcuterie, fromage, pain, tout ce qu'il fallait pour initier la rencontre, ce que Ludwig fit :
"Mes frères, mes fils, le sujet de cette séance concerne les actualités récentes concernant la Rache, odieux brigands qui parsèment la Kresetchnie aux endroits de l'Hotsaline et Altarie. Nos deux nations consœurs ont initié des opérations armées pour réprimer ces occupations avec ce qui s'annonce un succès admirable, mais nous constatons l'implication croissante de puissances étrangères et malvenues, à savoir l'Impérialiste Raskenois et la Grande Ripoublique de Velsna."
"En effet, c'est l'occasion de constater la conciliance de l'Altarie avec l'Impérialiste, une chose inquiétante que nous ne constatons que trop." Répondit Luka Wehausen, moine présent aux Assemblées Permanentes de Krésetchnie "Nous avons pu le constater dernièrement et cela ne peut s'expliquer que par deux choses selon moi : de la naïveté ou des intérêts douteux."
"Si les rat-skenois viennent, c'est qu'il y a des ressources fossiles à exploiter ! Ils ne prendraient pas la peine d'investir des moyens si ce n'était pour étendre leur influence impérialiste. Et nos confrères de l'Altarie en sont sûrement bien conscients et désireux d'en obtenir des bénéfices ! Probablement sont-ils corrompus par des lobbyistes du Rat-sken !"
"Cela expose tout de même une grosse faiblesse de la Krésetchnie et plus précisément de Bregrun." Reprit l'Archimoine "Nous ne disposons que de moyens militaires limités alors que nous sommes entourés de rapaces auxquels s'ajoute la Ripoublique ! Et nous bergrosish sommes en partie responsable avec une absence flagrante d'effort. Nous devons affronter l'avenir, qui est incertain. La Krésetchnie est de plus en plus décentralisée et compte sur l'autonomie de ses membres. Si nous tenons à nous affirmer contre la prédation de nos voisins, nous allons devoir acquérir les moyens de nos ambitions !
Mes frères, je suis heureux que nos pensées convergent. Nous allons pouvoir aborder plus en détail une question importante : comment nous organiser ? Nous allons devoir recruter, équiper, former, loger, et surtout, superviser. Jusqu'à présent, la police est à la charge des mairies et a pour seule responsabilité l'ordre civil des villes. Nous parlons là de constituer un corps armé avec des fonctions bien élargies et un lot de contraintes."
Là un très gros moine, avec une voix caverneuse et un nez dont la combinaison de l'ampleur et de la teinte dispensait d'un éthylotest pour savoir son état les trois quarts du temps, prit la parole tout en reposant le verre de sa main et mâchouillant du sauciflard :
"Mes frères, je vous rejoins tout à fait. Nous voyons bien que nous ne pouvons pas compter sur les altariens et devons tout faire nous-mêmes ! Je recommande hic que nous levions de petites troupes dans l'ensemble des villages et que nous les organisions autour des monastères, comme toujours ! Il faut que nos ordres reprennent leurs responsabilités ancestrales !"
"Nos responsabilités ancestrales ?" Demanda un moine famélique mais avec un nez tout aussi empreint du terroir "Voyons, qu'est-ce qu'on ne doit pas entendre ! Nous ne pouvons quand même pas évoquer la période coloniale kaulthe et le rôle qu'avaient nos prédécesseurs à l'époque inquisitoriale ?!"
"Bah écoute le cure-dent..."
"Mais je ne te permets pas !"
"Je parle juste de hic rester dans la tradition des monastères d'organiser la vie à Bergrun, pas de faire une descente chez ta grand-mère parce qu'elle a mis une effigie de Belenos à côté de la croix du petit Jésus !
Bah là simplement, les mairies constitueraient les petits groupes d'hommes en arme, et on s'occuperait de centraliser leur formation et les opérations ! C'est pas difficile à comprendre !"
Le ton monta pendant une bonne demi-douzaine de minutes avant de s'apaiser sous la médiation de Ludwig (qui menaçait simplement de balancer tout le monde de la terrasse à coup de douze). Pour faire la paix, on célébrait durant trois quarts d’heures le généreux buffet (déjà bien entamé mais fort heureusement ravitaillé à rythme régulier).
"Délicieux ce fromage de brebis."
"Ah, pas de brebis mais ça commence par la même lettre !"
Les deux moines éclatèrent d'un rire gras avant que l'Archimoine ne les reprenne.
"Mes frères, concentrons-nous ! Nous sommes d'accord pour que les monastères administrent la formation des groupes armés. Mais quid de leur équipement ?"
"Nous avons déjà des ateliers d'armes de chasse en Bergrun et je suis sûr que nous pourrions les développer pour produire des armes performantes. Mais la question du financement demeure."
"Il faudra faire des quêtes ! Si les mairies pourront gérer avec leurs impôts le recrutement et équipements des soldats, tout ce qui concerne la centralisation devra aussi être financé."
"On devrait peut-être également tirer dans nos caisses monastiques, la vente de bière marche plutôt bien en ce moment."
Succession de contestation, chaque moine se plaignant de ses maigres récoltes, accidents de production et faible attractivité, même si le principal problème qui plombait les ventes était l'évaporation de l'alcool quand on le laisse à côté de moines ma foi fort chaleureux. Mais l'Archimoine était catégorique :
"Mes frères, nous n'avons pas le choix et devrons concilier quête et caisse ! Vous savez que les bergrosish sont radins et ne donneront pas assez, car nous aussi, nous allons devoir constituer des forces monastiques en plus !"
Là prit la parole un moine carré, presque littéralement si on plissait les yeux d'un peu loin. Il était extrêmement trapu avec de véritables jambons faisant office de bras à force de couper des bûches. C'était un moine charpentier mais aussi un chasseur, un maçon, un agriculteur et, plus encore, un moine dévoué : Patrik Proch. De sa mâchoire, elle aussi très carrée, il s'exprima avec vivacité :
"Mes frères, ce serait un plaisir que le Monastère Mayenburg constituerait un ordre de moine guerrier pour servir de noyaux durs aux futures forces de Bergrun ! Nous comptons déjà un nombre appréciable de chasseurs bien formés à la discipline des armes à feu, un savoir que nous pourrions parfaire en collaboration avec nos confrères hotsaliens.
D'ailleurs vous avez goûté au pâté de sanglier que j'ai ramené ?"
Exclamation générale d'approbation ! Il faut dire que ledit pâté était fort bon et, bien que sacrément corsé (le sanglier en question avait sûrement beaucoup couru dans sa vie), débordait de saveur. Il était d'autant plus délicieux quand on le savourait sur une grosse tranche de pain. Une demi-heure supplémentaire fut perdue à apprécier le troisième service du buffet et, bien qu'on commençait à avoir mal aux cheveux, se dessinaient déjà les décisions suivantes :
-Laisser les mairies organiser un ensemble d'unités de combat dont elles auront la charge du recrutement, formation et équipement.
-Centraliser la supervision desdites unités au Monastère de Mayenburg qui reprendra la tradition des moines guerriers.
-Organiser des entraînements conjoints avec l'Hotsaline pour monter en niveau dans l'armée bergrosish.
-Distribuer quelques missives insultantes aux impérialistes, ripoublicains et altariendutout.