3. Régime hydrographiqueL’eau est le principe même de la vie ; en Afarée sahrienne, plus que partout, cette maxime est vraie ; elle l’est en Azur avec une acuité particulière. On l’a vu, dans le régime semi-désertique qui règne sur le Plateau, la vie humaine est tributaire des précipitations orageuses, exhalaisons lointaines de la mousson tropicale ; sans elles, point de végétation, d’agriculture, de société. Dans le sud même, arrosé pendant les trois quart de l’année, l’eau est un enjeu majeur ; un excès noie les plantations, un défaut les fait périr. L’eau n’est pas pour rien un élément à part. Elle se transporte par les airs, s’infiltre dans la terre, s’évapore sous le feu solaire ; principe de vie, et de liberté, sa répartition en surface comme dans le souterrain est le facteur maître qui régule la vie naturelle. En Azur, plus qu’ailleurs, c’est l’eau qui explique tout : l’histoire, l’économie, les mouvements des hommes.
3.1. Bassins endoréiquesL’Azur est essentiellement divisé en deux régions hydrographiques importantes ; le reste du territoire est voué à l’aridité générale, et la présence d’oueds et de ruisseaux n’y est qu’anecdotique – quoique déterminante. Le premier de ces deux bassins est celui qui s’étend des Monts du Tigre à ceux de Daria, et qu’il convient de nommer bassin ou réseau « du Plateau d’Azur ». Il figure sur la carte suivante ; il se déploie, ceinturé de montagnes de divers massifs, et se nourrit d’une multitude de cours d’eau, dont l’immense majorité est temporaire ; ce sont les oueds, nourris d’orages, dont les crues sont aussi dévastatrices qu’éphémères. Ces torrents printaniers alimentent aussi bien les eaux de surface que celles des nappes phréatiques. Elles dévalent les montagnes, et ne se relâchent qu’en touchant au fond de la cuvette des bassins endoréiques.
Carte du réseau hydrographique des principaux bassins endoréiques.Le premier de ces bassins est celui du Shediz, qui accueille le lac du même nom. Cette grande dépression altimétrique, qui trouve son origine géologique dans l’existence d’un rift très ancien, forme une plaine vaste en forme de cuvette, au milieu des plateaux rocheux et des contreforts de montagne. Là s’y déversent deux lits essentiels ; le Syr d’une part, qui coule en permanence des Monts Daria au sud, bien que faible en hiver ; l’Oxa d’autre part, qui dévale les Monts du Tigre et arrive par le nord-ouest. En arrivant dans la plaine, ces deux cours d’eau se perdent dans la plaine d’Al-Ayn ; depuis la Haute Antiquité, canaux et rigoles redirigent leurs eaux vers les champs cultivés. Ce qui n’est pas évaporé – à peine cinquante pour cent des volumes entrant en Al-Ayn – se déverse dans le lac Shediz.
Le niveau du lac Shediz est fameusement variable. Les années de sécheresse, souvent froides, en amenuisent considérablement la taille, et l’on trouve dans l’Histoire les traces de grands cataclysmes causés par cette débâcle hydrique. Au contraire, il arriva des années humides où le débordement continu des fleuves a pu causer des inondations. D’une manière générale, dans le même temps qu’il donnait la vie à la région, le Shediz la reprenait régulièrement, selon son erratique humeur.
On l’a vu, le lac Shediz est alimenté par deux réseaux essentiels ; celui de l’Oxa, et celui du Daria. Le premier vient du Tigre, dans le nord ; il est plus court, plus faible aussi, mais plus prévisible ; il est issu de la fonte des glaces dans les grandes altitudes montagneuses, et bénéficie au printemps de la liquéfaction de la neige. Les orages, ponctuels en Tigrane, nourrissent son débit à la marge. Au contraire, le Syr est le tumulte même. Son approvisionnement est effroyablement complexe ; il résulte de la combinaison des orages de mousson, des pluies modestes mais régulières de la Dariane, de la fonte des neiges. Son cours est très exposé aux crues, raisons pour laquelle c’est historiquement sur son lit qu’ont été bâtis les premiers barrages, et ce dès l’Antiquité. Retenir les eaux de crues, et éviter ainsi la catastrophe d’inondations subites, est toujours l’obsession des Azuréens ; dans la vallée du Syr et du Daria, son affluent homonyme des montagnes où il prend sa source, cette réalité s’observe aujourd’hui encore par l’existence d’immenses ouvrages de retenue destinés autant au contrôle des eaux qu’à la production hydroélectrique.
En addition du Shediz, quelques autres bassins endoréiques plus modestes participent à semer dans la terre rocailleuse de l’Azur des îlots de verdure. A l’ouest, Zerzura donne à voir une oasis presque parfaite ; l’oued qui l’alimente, capricieux et stérile, se voit compensé par la résurgence d’un immense aquifère dont la formation remonte au Quaternaire. L’eau à Zerzura est des plus pures, au milieu d’une région connue pour sa salinité, faisant de l’oasis un joyau vert dans le désert. De même, Ectabane jouit d’une accumulation hydrique moins due aux pluies orageuses qu’au reliquat phréatique d’un climat anciennement humide. Plus à l’ouest, il faut mentionner Sijilmassa, cité caravanière bâtie au pied du Mont Dadès (alt. 4201), dont elle se nourrit des eaux de fonte qui s’accumulent à ses pieds. Enfin, au sud, l’oued Hadraousha vient se perdre dans la dépression du même nom, où ne subsiste plus qu’un lac de sel. En Azur le soleil règne en maître ; la plupart des anciennes oasis, soumises depuis des lustres à l’évaporation constante, sont en lutte permanente contre la salinité.
Les bassins endoréiques du Plateau ne sont pas par hasard les endroits où se concentrent les hommes et les activités ; là où se trouve l’eau, se trouvent la vie, la richesse. Au contraire, l’immense majorité du pays environnant est aussi dénuée d’hommes qu’elle l’est de végétation. En Syrane surtout, où la géologie calcaire fait disparaître les eaux de pluie dans des rivières souterraines, la surface se voit particulièrement asséchée. Rares sont les pâturages suffisant à des sédentaires ; le Plateau se voit donc hanté par des nomades.
3.2. Bassin du MirobansarLa configuration géophysique du Mirobansar diffère radicalement de celle du Plateau. La plaine recueille les eaux de sources multiples, qui s’unifient au fur et à mesure de leur lente et indolente traversée. Le fleuve Mirobansar se nourrit donc d’un grand nombre d’affluents, dont les plus importants sont le Bharat, l’Andhra et le Tamour ; à son estuaire, il déverse dans l’Océan des Perles des millions de mètres cubes d’eau douce qui se mélangent aux flots du rivage, charriant les limons érodés. Le Mirobansar se nourrit essentiellement de pluies. Voie de communication, être divinisé, ce fleuve n’en est pas moins sujet aux variations climatiques, et s’est vu appliquer le même traitement que ses homologues du Plateau ; depuis 1983, l’immense Barrage du Sycomore régule son cours, coupant le flot du vieux dieu-fleuve en deux, et créant le grand lac du Sycomore.
A son estuaire, le Mirobansar, gonflé de toutes les eaux de son bassin, se divise ; chacun de ses bras a le débit d'une seule rivière.3.3. Eléments hydrogéologiques sur les Barrages en AzurOn l’aura remarqué, la conformation de son réseau hydrographique a, de tout temps, poussé les Hommes en Azur à maîtriser le destin de l’eau. Afin d’en contrôler la violence et d’en faire la réserve, de nombreux barrages ont été construits au cours de l’histoire, mais aucun n’a eu réellement la capacité d’influer sur le régime même des eaux. Depuis le début de la période moderne, les programmes de construction de barrages, dont les objectifs mélangent considérations hydrologiques, industrielles et politiques, impactent considérablement le paysage hydrique de l’Azur. Aménagés aux fins de l’approvisionnement des villes, ils détournent les eaux des milieux naturels, en causant le dépérissement accéléré. Par endroits, les lacs de retenue se situent au-dessus de roches perméables, et se vident donc lentement dans les nappes souterraines : on observe alors, sous un climat aride, la recharge des nappes ! Ailleurs, le détournement artificiel des oueds conduit à l’asséchement rapide d’eaux souterraines, ce qui met en péril les activités humaines liées aux puits qui en dépendent. La chose est vraie au Mirobansar aussi : depuis la construction du Barrage du Sycomore, en plus des conséquences sociales d’une telle modification du paysage, la régulation du débit du fleuve a entraîné un retrait de son niveau, ainsi qu’un changement dans sa qualité ; moins riche en limons et en matières organiques, l’eau d’irrigation a vu sa valeur changée. Certes, les épisodes de crues, d’inondations, ou au contraire de manque d’eau, peuvent à présent être gérés par l’Etat ; mais il serait malvenu de croire que l’Azur n’en paiera pas le prix à long terme.