« Adolfino, réveille-toi. ». En ouvrant les yeux, Adolfo ne voit que la grosse tête de son frère au-dessus de lui. « On arrive bientôt. Tu devrais essuyer ce filet de bave, ça te donne un charme mais c’est déconseillé devant le beau monde. ». Ignacio s’étire dans son siège et regarde par le hublot : il la voit, cette île brumeuse. L’île celtique, l’Achosie du nord est en vue, ou plutôt la Strombolaine, suivant à qui on s’adresse pour la nommer. Les commentaires de son frère l’agacent, pais il n’y prête pas attention : « ça sent la merde, le poisson pourri et la baleine d’ici. Tu ne trouves pas ? Quel trou à rat…C’est bien parce qu’on est obligés d’y aller… » dit-il, ce à quoi Adolfino a cette réponse laconique, mais qui résume à merveille cette mentalité propre à certains sénateurs : « La Strombolaine c’est Velsna, et Velsna c’est la Strombolaine. ».
Deux hommes d’âge mûr, mais qui paraîtraient jeunes au Sénat des Mille, en comparaison de leurs confrères, s’apprêtent à poser le pied sur le tarmac d’une petite piste à l’extérieur de la cité de Velathri. Pourquoi ? Après tout, rares sont les sénateurs à poser le pied sur ce territoire isolé de la Grande République. Et quand ils le font, c’est que la situation l’exige. Les achosiens du nord, même ceux de langue velsnienne, sont des gens méfiants. Ils n’aiment pas que les gens du continent ne se mêlent de leurs affaires. Et pourtant, même eux sont au rendez vous sur cette piste, accompagnés de Michele Petrola, le sénateur-ambassadeur de Velsna auprès des pays de l’île celtique. Les salutations sont cordiales, mais tout aussi laconiques que les conversations que les deux frères ont ensemble. La poigne de Petrola est chaleureuse, mais ferme :
- Excellences sénateurs Agricola, c’est un honneur de vous recevoir ici. J’ose espérer que le voyage s’est bien passé, et que cette nomination subite ne vous a pas mis dans l’embarras. Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit pareille nomination. D’ailleurs je devrais m’adresser à vous en tant que stratèges-sénateurs désormais…
- En effet – lui répondit Ignacio Agricola, le ton sévère – Non, nous ne sommes pas surpris. Son excellence DiGrassi nous avait déjà informé de son intention il y a de cela plusieurs semaines. Nous ne sommes pas là pour passer des vacances, nous avons conscience. Je vous en prie, sénateur-ambassadeur, ouvrez-nous la marche. Nous avons beaucoup de travail à abattre.
Les frères Agricola. On disait d’eux, ces sénateurs ONDehors, beaucoup de choses au Sénat. Ils faisaient partie de cette nouvelle génération qui s’était distinguée durant la guerre civile pour avoir refusé de ployer le genou devant Dino Scaela. Bien que méfiants de DiGrassi et opposés à lui sur un grand nombre de sujets, ils l’avaient rejoint à son débarquement d’Umbra, attachés à la continuité du système républicain. On les disait insensibles à toute forme de corruption ou de pot de vin, ce qui était rare dans les rangs du Sénar. Ils étaient peu aguerris de la chose militaire, mais avaient la réputation d’être des organisateurs efficaces. Ils s’étaient fait une réputation dans la nouvelle législature en tant que procurateurs de la monnaie, et c’était eux qui avaient organisé les saisies des biens des anciens collaborateurs de Scaela, au moyen de méthodes que l’on pourrait qualifier de peu conventionnelles. Peu aguerris qu’ils étaient, ils le compensaient par une grande curiosité sur un vaste nombre de sujets. Ils s’adressaient à Michele Petrola comme on pose des questions lors d’un interrogatoire :
- Étant un observateur de terrain, que pouvez vous me dire au sujet des activités de l’AIAN ? Quels changements avez-vous pu observer ?
- Des petites choses au premier abord, mais qui en s’accumulant font apparaître une situation des plus délicate, excellence Adolfino. Des signes épars qui forment une immense et inquiétante toile – leur répondit Petrola, tout en comparaison au monde des arts qu’il apprécie tant – Des rassemblements discrets à l’abri des regards qui se multiplient, des publications de journaux clandestins dont les titres se font de plus en plus nombreux, des troubles à l’ordre public qui éclatent de plus en plus régulièrement. Rien de tout cela n’a l’air coordonné pour l’instant mais je puis vous confirmer une chose : c’est à coup sûr la main de l’AIAN.
- N’avons-nous pas en cœur à nous en débarrasser il y a 20 ans ? – reprit, Adolfino, curieux -
- Certes. Je le croyais également, que cet attentat l’an passé n’était qu’un acte isolé. Mais j’avais tort, nous avions tous tort, et les craintes des sénateurs de Velathri et de Strombola semblent plus fondées que nous aurions pu le penser. C’est pourquoi vous êtes là aujourd’hui.
Dans un bureau de la base, qui a l’air de ne pas avoir été occupé depuis un très long moment, les trois sénateurs sont autour de cette table en chêne poussiéreuse. D’un grand revers de main, Ignacio Agricola la retire en faisant voler ces particules à la lumière des lampes.
- Je vous remercie de votre franchise, excellence-ambassadeur – enchaina Ignacio à son compère – Nous avons reçu l’assurance de DiGrassi d’avoir carte blanche sur tous les aspects de cette opération. Nous voulons nous assurer que les sénats de Velathri et de Strombola soient au même diapason que nous, vous serez notre courroie de transmission, Michele. Vous avez toute notre confiance pour gérer les aspects médiatiques de cette opération. Nous prenons le reste en charge.
- Cette opération…son excellence DiGrassi vous a fait don de troupes ? Déjà ?
- En effet, voyez vous-même.
Ignacio avança sur la table une fiche avec beaucoup de nombres… Petrola ouvra grand les yeux, écarquillés, illuminés comme des lanternes. Il n’eut qu’une réaction :
- Eh bien…je crois que Velsna n’a jamais levé une telle armée…du moins pas depuis des siècles. Et DiGrassi a bien voulu vous faire don de tout ça ? J’ai du mal à lui demander des nouveaux stylos à l’ambassade d’Achos vous savez…sans parler du Sénat. Une telle levée va nécessiter un vote en haut lieu de ces excellences.
- L’AIAN se réveille en masse, on les tuera en masse. - assène Adolfino – Ignacio, donne-moi une carte, n’importe laquelle. Ne vous en faites pas pour le Sénat excellence, je pense que l’annonce de l’AIAN à Menkelt aura tôt fait de convaincre nos excellences de l’urgence de la situation.
Le cadet de la fratrie déploie sur la table une carte de l’Achosie du Nord devant son frère et l’ambassadeur Pétrola. Adolfino tapote du doigt sur le fond de carte :
- La couverture du terrain est la clé d’une lutte anti-terroriste efficace. Voyez ça comme des braqueurs dans une banque : leur priorité est de s’assurer qu’il n’y a pas de caméras pour les regarder et les écouter. Notre priorité est que ces caméras restent allumées et entretenues en permanence, qu’il n’y ait aucun angle mort. Nous les ferons courir jusqu’à l’épuisement. Où que l’AIAN puisse se cacher, nous devrons toujours les avoir à l’œil. Et pour cela il faut quadriller le territoire, que ce soit sur le plan administratif ou militaire. Les habitants doivent ressentir le fait que notre cité se soucie d’eux en haut lieu, ainsi que de leur sécurité. Pour cela je recommande que nos troupes soient le moins visibles possible de la part de la population citadine, juste assez pour donner l’illusion que la vie poursuit son cours normalement, sinon ce sera la porte ouverte pour que les 30% d’achosiens vivant dans nos cités rejoignent les terroristes.
En revanche, nous pulluleront dans les campagnes. Il faut nous focaliser sur les éléments suivants :
. Premièrement, la surveillance constante de tous les axes routiers, y compris les axes secondaires. S’il fait mettre des patrouilles sur des sentiers de forêt, nous le ferons et nous aurons carte blanche.
. Ensuite, la reconstruction des cantonnements que nous avons délaissé depuis la fin des troubles. Nous allons en remettre en état une dizaine sur tout le territoire, tous sous le commandement d’un capitano qui aura la charge de la surveillance d’un secteur défini autour de sa base, mais il faut s’assurer que ces patrouilles soient à intervalles irrégulières, sans quoi les terroristes comprendront le dispositif et ses rotations.
. Le bouclage préventif de la frontière achosiennes, qui devra toutefois se faire avec peu de troupes afin de ne pas contrarier nos voisins. Vous savez comme ils sont susceptibles… Nous allons là également remettre en état les checkpoints sur les principaux axes routiers qui passent la frontière. Cela évitera les catastrophes comme celle que nous avons pu connaître l’an dernier.
. Enfin, le bouclage systématique des côtes de l’Achosie du Nord par la Marineria. On m’a d’ores et déjà assuré de la disponibilité de la Classis I pour effectuer des itinéraires de patrouille.
Ignacio, excellence Petrola, qu’est-ce que vous en pensez ?
Son frère se pencha sur la carte, et prit le temps de réfléchir à ses prochains mots. Petrola, lui, paraissait avoir décroché et en était encore à rationaliser toutes les informations qu’il venait de recevoir :
- Tu veux étouffer l’AIAN… c’est astucieux mon frère, mais tu sais qu’il faudra plus que ça pour les débusquer. La meilleure défense, c’est une bonne offensive.
- Je sais, Ignacio, ce n’est là que la première partie du plan : il faut nous déployer, occuper le terrain, sympathiser avec la population. Une fois que l’AIAN sera isolée, nous n’aurons plus qu’à la traquer. Et cette fois il n’y aura pas d’autre manche…
Adolfino, vient tapoter les épaules de son frère et de l’ambassadeur Petrola :
- Mes excellences sénateurs : je peux vous promettre que dans six mois nous serons à nouveau réunis sur la place San Stefano sur le même char, et que nous aurons le droit au même triomphe que celui qu’a eu DiGrassi lorsque les enfants Scaela se sont retrouvés en pleine baignade.
Les trois hommes sortirent de la pièce, laissant cette note sur la table. Les premiers effectifs déployés en Achosie du Nord d’ici à quelques jours :
Trois grandes tribunes de 10 000 hommes chacune, divisée en 10 régiments de 1000 hommes déployés comme suit:
Infanterie :
900 mitrailleuses lourdes de niveau 7 et 1 500 lvl 6,
1000 mortiers légers de niveau 7
1000 lance-roquettes de niveau 7
500 lance-missiles antichar de niveau 5, 400 lvl 6
1000 lance-missiles antichar de niveau 7
Transport et véhicules de combat :
100 transports de troupe de niveau 10
100 véhicules de combat d'infanterie de niveau 10
40 chars d'assaut de niveau 4
40 chars légers de niveau 4
Artillerie :
50 mortiers tractés de niveau 5
30 lance roquettes multiples de niveau 4
Logistique :
200 camions citernes de niveau 6
Génie :
3 pont-mobile de niveau 8
10 chars de dépannage niveau 10
Commandement :
5 véhicules radar de niveau 10
Avions et transport aérien :
Une cinquantaine d'avions de chasse de divers niveaux (sera explicité en cas de problème)
3 drones de niveau 5 (redéploiement depuis Raskenà
Renforts à venir en cas de problème...