Posté le : 04 nov. 2024 à 19:31:38
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La tentative d'attentat qui eut lieu en marge du trajet de la voiture présidentielle perturba le cours des pensées de l'Empereur. Le sang de Louis ne fit qu'un tour lorsqu'il put apercevoir, l'espace d'une fraction de seconde, le visage contorsionné du terroriste. À la remarque rageuse de son homologue, Louis répliqua qu'il était, certes, habitué aux fanatiques dont la seule volonté est de troubler l'ordre national, et qu'il comptait bien appliquer sa courte expérience en la matière chez son allié, etc. En réalité, malgré le parcours semé d'attentats et de deuils familiaux qui l'avait conduit sur le trône clovanien, c'était bien la première fois, en plein cagnard gondolais, que l'on tentait directement de l'assassiner. Louis avait vu passer, ces quatre dernières années, la désolation et le meurtre sous le bras bienveillant de sa mère, de derrière les solides murailles des palais legkibourgeois. Il assistait maintenant à la folie humaine à travers la maigre vitre fumée de la voiture du président, seul avec cet inconnu qui aurait pu passer pour son grand-père si n'était la radicale différence de leurs phénotypes, à des milliers de kilomètres de la Clovanie. Le calme et le silence de Louis contrastaient avec l'animosité de Monsieur Flavier-Bolwou, et on aurait pu croire que le Clovanien était le plus stoïque des deux si une légère fausseté ne s'était dégagée du ton du président afaréen.
Une certaine angoisse planait donc toujours dans l'esprit de l'adolescent lorsque le convoi s'arrêta et que la délégation diplomatique prit la direction de la salle de réception du Président de la République. Une fois installés, les Ministres Impériaux se tournèrent vers le Grand Maréchal Joffrin, dont les Gondolais avait déjà entendu le nom de nombreuses fois. Joffrin était un petit homme replet d'une soixantaine d'années, qu'on aurait pu prendre pour un énième bureaucrate paresseux si le lourd uniforme militaire qu'il portait ne contrastait pas avec les costumes des Ministres. Il faut dire qu'il était auparavant Ministre Impérial de la Guerre et des Armées, titre que Pétroléon V avait changé en Grand Maréchal de Clovanie dans sa volonté de militarisation du pays. Cette volonté sera reprise par le gouvernement de Louis Ier, ce que le lecteur ne tardera pas à constater, mais nous nous avançons ici trop loin dans les événements. Et donc, à nouveau titre, nouveau costume : le torse du Grand Maréchal de Clovanie était parsemé de décorations scintillantes rappelant ses hauts exploits administratifs et les glorieuses batailles de bureau qu'il avait menées, stylo-plume en main, contre la jungle de l'organisation militaire clovanienne.
La forêt tropicale gondolaise, quant à elle, il ne la connaissait que de loin, mais elle avait constitué pour lui un véritable enjeu personnel ces dernières années. Le Gondo était la mission que Pétroléon V lui avait confiée, et il n'était pas question de se décrédibiliser en perdant l'initiative dans la région. Or, le terrain était plus ardu que prévu, et il fallait rebondir vite. Il entama son discours préliminaire par un long et classique rappel des succès de l'Opération Chrysope, logorrhée que l'on connait déjà très bien et qu'il est inutile de retranscrire ici dans son intégralité. Il était question du démantèlement du GALK, de la relance économique locale, du développement de l'école gratuite au sud-Gondo, de l'anéantissement progressif de la barbarie, de la victoire du Bien sur le Mal, et autres gloires de l'alliance clovano-gondolaise. Le Président Flavier-Bolwou faisait mine d'apprécier cette énumération, mais ce qui l'intéressait, c'était bien les réformes que le Grand Maréchal avait emporté dans sa mallette, les nouveautés qui allaient encore une fois bouleverser son pays. Joffrin en vint enfin aux faits.
"Vous connaissez en quelques mots seulement l'ambition que nous souhaitons vous présenter aujourd'hui : construire au Gondo des usines d'armement, de manière à résoudre les problèmes d'approvisionnement militaire auxquels nous avons pu faire face par le passé. En effet, il est regrettable que notre dernier convoi ait subi une tentative d'abordage par les hordes marines communistes du nord du Gondo (HRP : arbitrage en cours). Il est à célébrer qu'un amour si fort lie deux peuples séparés par douze mille kilomètres d'océan, mais toute relation à distance comporte ses risques d'interception... Cette espèce d'événement ne doit plus se reproduire. Pour ce faire, quoi de plus simple que de construire directement les armes utilisées dans le cadre de l'Opération Chrysope sur le sol gondolais ? Nous le savons, cette grande entreprise comporte un grand nombre de conditions, mais l'ambition est le carburant de l'Histoire.
HRP : Je me base ici sur les renseignements qui tu m'as fournis en MP, à savoir que le Gondo dispose de la matière première et de la main d'œuvre nécessaires à la fabrication d'armement.
Les questions qui se posent alors sont : les mines de métaux sont-elles en activité ? Où sont-elles localisées ? Fournissent-elles tous les matériaux nécessaires à la fabrication d'armes basiques (hors aviation, missiles, etc) ?
Il faut d'abord que le Gondo dispose des matières premières nécessaires à la conception d'armes à feu, à savoir essentiellement de métaux comme l'acier ou le bronze, ce dont votre pays regorge. Les matériaux additionnels pourront être importés facilement. Il faut aussi une main d'œuvre prête à travailler à la mise en valeur de ces ressources et à l'assemblage des armes. Voilà une bonne occasion de relancer le marché du travail au Gondo, mais les ouvriers devront travailler dans le cadre d'une haute surveillance militaire. Pour les travaux nécessitant une qualification avancée, nous feront venir au Gondo des ingénieurs et ouvriers spécialisés clovaniens. Une infrastructure de grande ampleur prend forme : il nous faut construire les usines d'armement proches des terrains métallifères, contenant de quoi loger et nourrir les ingénieurs et ouvriers se consacrant à la production d'armement. Il serait également judicieux d'établir ce complexe près d'un port, de manière à faciliter les échanges maritimes avec la Clovanie. Bien entendu, cette ambitieuse construction devra se tenir sous la plus haute surveillance, car le moment du chantier sera celui où nous présenterons notre plus grande vulnérabilité. Nous déploierons donc un contingent d'importance majeure autour du lieu choisi ainsi que de nombreux dispositifs anti-aériens.
Monsieur le Président, quelle serait selon vous le lieu le plus désigné pour un tel projet ?"