27/03/2015
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Cronicas de las Vals Fortunadas

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Chroniques des Vallées Fortunées

Livre vermeil de Montserrat

Vivez à travers les chroniques des petits et grands évènements des Vallées Fortunées les 2500 ans d'histoire de la préfecture et d'avant comme si vous y étiez !
Vous y rencontrerez les personnages illustres de naguère, tragiques ou héroïque, qui font le folklore de la Faustinans d'aujourd'hui !

Index :
12 septembre 1454 : le duel de Menegazzo
Juin 1501 : Invention des tortellini
14 juillet 1865 : Première ascension du mont Grand'Bèca
23 septembre 1913 : Première traversée de la mer Leucytalée en aéroplane
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Juin 1501 : Invention des tortellini

Tortellini, représentant le nombril de Lucrèce
Le nombril de Lucrèce, inspiration de la forme des tortellini

Ercole essuyait distraitement quelques gobelets disposés devant lui sur le comptoir. Dans la modeste salle éclairée par quelques bougies finissantes et un feu de cheminé médiocre ne trainaient plus que quelques marchands et routiers. Les premiers cherchaient à conclure quelque affaire avant une bonne nuit de sommeil tandis que les seconds trouvaient un moyen de dépenser leurs rapines, souvent faites aux dépends des premiers, dans un vin lambrusco trop jeune. Une serveuse accorte et plantureuse débarrassait les restes du diner tout en essayant d'esquiver les claques sur la croupe que ne manquaient pas de tenter de lui asséner les soudards imbibés, alors qu'un groupe jouait bruyamment aux cartes dans un coin. La nuit n'était pas encore très avancée et Ercole était plutôt content de sa soirée. Avec les guerres féodales constantes entre les différents seigneurs de guerre de la région, le commerce se faisait rare et la clientèle soucieuse de ses sous, et son bénéfice avait chuté assez fortement par rapport aux années précédentes. Mais ce soir, c'était correct.

Soudain, la porte de l'auberge s'ouvrit à la volée en grand et dévoila une paire de page en grande livrée. Portant les armes de Maltka sur la poitrine, une cité voisine de Silice avec laquelle une paix récente venait d'être signée, et affichant un air altier, presque pédant, ils se dirigèrent vers le tenancier.

Page : Tavernier, notre maitresse Dame Lucrèce est fourbue de son voyage qui doit la conduire à son mariage avec ton seigneur et maitre le Capétan de Storchi. Elle souhaite passer la nuit ici. Fait donc lui préparer ta meilleur chambre séant, et les deux adjacentes pour sa suite.

Ercole : Très bien, gentils seigneurs. Je m'y attèle de ce pas. Néanmoins, une des chambres attenante est déjà occupé par le marchand d'étoffes que vous voyez là-bas attablé. Je serai un bien piètre hôte si je chassais ma clientèle de son lit, seigneur.

Le page, tournant les talons vers le marchand en question, lui adressa deux mots, lui glissa quelques florins d'or dans la paume et d'un signe de la tête indiqua à l'aubergiste que le problème de l'occupation inopportune était réglé. Ercole ne pu s'empêcher de voir une drôle de lueur dans le regard du routier de la table d'à côté qui avait suivi la scène avec attention, et de penser que le marchand ne profiterait probablement que de manière très éphémères de ces monnaies d'or. S'adressant à la petite servante qui l'assistait, il l'envoya préparer les chambres et y préparer un braséro afin de chauffer de l'eau pour un bain. Pendant ce temps, l'autre page était sorti prévenir sa maitresse qu'elle allait pouvoir passer la nuit ici.

Se présentant dans l'embrasure de la porte, Lucrèce de Maltka apparu. Toutes les voix qui braillaient dans l'auberge se turent et les regards se fixèrent sur la femme qui se tenait droite devant eux. Bien malin aurait été celui qui eut été capable de savoir c'était bien la dame de Maltka ou une incarnation de Vénus en personne tellement la femme qu'ils observaient rayonnait de grâce, d'élégance, de beauté angélique et de sensualité. La réputation de la future femme du Capétan n'était plus à faire. Si ses détracteurs, luttant contre l'alliance dynastique que le mariage allait créer, en faisait une catin débauchée et dépravée, il n'en restait pas moins qu'elle était la plus belle femme que tous ici avaient jamais vu et ne verraient jamais, la preuve même que Dieu existait et pouvait toucher de sa grâce divine une pauvre mortelle sur cette terre.

Saluant d'un léger geste de la tête l'aubergiste pour son hospitalité, elle gravit les degrés de l'escalier avec la même grâce irréelle qui avait caractérisé son arrivée et disparue dans sa chambre avec ses demoiselles d'honneur au moment où la pauvre servante, frappée de stupeur face à l'apparition d'une créature dont on pouvait douter qu'elle fut de la même espèce qu'elle, en ressortait après l'avoir préparé. Le reste de la soirée se déroula dans une atmosphère étrange, les discussions animées ayant fait place à un pesant silence où l'on entendait seulement le crépitement du feu et la lourde respiration d'hommes encore sur le choc de l'apparition céleste dont ils venaient d'être témoin. Peu à peu, chacun alla se coucher, qui dans sa chambre, qui dans l'écurie et qui devant l'âtre. Ercole restait accoudé à son comptoir, incapable de penser à autre chose.

Bientôt, ni tenant plus et alors que la suite de Dame Lucrèce s'était retirées dans leurs chambres, il gravit lui aussi l'escalier et rejoint le couloir le long duquel se trouvaient les portes des chambres de son auberge. Marchant jusqu'à celle de Lucrèce, et en violation de toutes les lois morales de son métier, il baissa la tête et colla doucement son œil contre le trou de la serrure de la porte. Au travers de la petite ouverture, il vit alors quelque chose qu'il n'oublierait jamais de sa vie et qui restera le moment le plus érotique de son existence. La, de l'autre côté de la porte, dans le baquet monté pour le bain, il vit le ventre de Lucrèce. Juste le ventre. Et au milieu de ce ventre d'albâtre, il vit son nombril, le plus beau nombril qu'il ait été donné à un homme de contempler.

Retirant vivement la tête, comme frappé par sa propre audace et le côté sacrilège de l'action qu'il venait de commettre, il redescendit dans la salle commune en titubant, la vision de ce nombril imprimé sur ses rétines dansant devant ses yeux. Poussant la porte de sa cuisine, comme hypnotisé parce qu'il venait de voir, il se saisi d'un reste de pâte non-utilisé du repas du soir et l'étala au rouleau afin d'en faire un petit carré de 2mm d’épaisseur. Travaillant en parallèle une farce à base de jambon cru et de fromage de vache, et laissant libre court à la création, il reproduisit le nombril de Lucrèce qui dansait devant ses yeux avec les ingrédients qu'il avait sous la main du mieux qu'il pu. Quelques minutes plus tard, il avait devant lui le premier des tortellini, hommage éternel à la beauté de l'incarnation de Vénus que furent Lucrèce de Malka et son nombril.
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23 septembre 1913 : Première traversée de la mer Leucytalée en aéroplane

Arrivée de Clovis Bleriaz en Afarée à bord de sa machine volante
Arrivée de Clovis Bleriaz en Afarée à bord de sa machine volante

Clovis regardait devant lui avec inquiétude. Au bout du fuselage, moins d'un mètre devant lui, les deux pales de l'hélice qui trainait sa machine volante s'agitaient désespérément afin de le tracter vers sa destination à travers les cieux. Il y a de cela maintenant 18 mois, un important magnat de la presse de Golin avait annoncé offrir un prix de 1 000 £f à quiconque réussirait à traverser avec un aéroplane la mer Leucytalée qui séparait le grand port de Faustinans, en Eurysie, avec le continent Afaréen. Il n'était pas le premier à tenter le challenge, mais il serait le premier à le réussir.

Deux autres concurrents s'étaient élancés avant lui. Le premier n'avait pas dépassé le port de Golin, ayant péniblement volé sur quelques dizaines de mètres avant de finir à la baille. Le second, lui, s'était élancé deux semaines plus tôt et était toujours porté disparu en mer, l'espoir de le retrouver vivant n'existant plus vraiment. Mais il était persuadé que lui pouvait réussir. Il aurait préféré voler avec son modèle H, mais il s'était gravement brulé la jambe quelques jours auparavant lors d'une campagne d'essai qui l'avait abimé, et il avait été contraint de s'élancer avec son modèle G afin de ne pas se faire griller la priorité par un troisième larron. Il avait confiance en la machine, mais son moteur lui causait des soucis.

Le petit 9 cylindres en étoile Anzani de 60ch était sous-dimensionné pour une telle épreuve, mais il n'avait pas les fonds pour en acheter un autre. Or, il commençait maintenant à donner de véritables signes de fatigues après bientôt 6 heures et trente minutes de vol. Alors qu'aucun vent ne s'était levé, la vitesse donné par l'anémomètre diminuait doucement mais régulièrement, et le nombre de tours-moteurs chutaient imperceptiblement mais continuellement alors que la manette des gaz restait à fond. Selon sa navigation, il était à un peu plus des trois quarts du chemin, et s'il tombait en carafe maintenant, il ne pourrait pas rejoindre la terre ferme en planant. Signe de son inquiétude, il commençait à guetter d'éventuels navires à la surface. Après l'accident de la quinzaine passée, quelques navires avaient été disposés le long du parcours au cas où, tant par curiosité de voir une machine volante qu'en cas de pépin.

Clovis Bleriaz : Allez vieille carcasse, me lâche pas maintenant boudiu !

Les machines sont des équipements pleins de possibilités, mais réagir aux supplications de leurs opérateurs ne fait pas parti de leurs possibilités. Le moteur n'était simplement pas assez puissant. Afin de maintenir la vitesse de vol nécessaire, il avait du forcer plus que de raison sur la mécanique, qui était en train de surchauffer. Réduire le régime moteur le conduirait implacablement à décrocher, le régime de croisière, proche du régime maximum, étant à peine suffisant à se maintenir en vol. Soudain, sur sa droite, il identifia à quelques kilomètres un petit cumulus. Ce genre de nuages, annonciateurs de vents soutenus et de pluie était honni et fuit de tous les pilotes de la planète, quel qu'en soit la taille. Mais en l'état, il allait peut-être être salvateur.

Inclinant le manche dans la direction de la masse nuageuse, la trapanelle se dirigea tant bien que mal jusque sous le cumulus. Le régime et la vitesse atteignait un point dangereux quand une belle averse creva alors les cieux et que l'eau se mit à tomber gentiment. Suffisamment gentiment pour ne pas abimer la voilure faite de toile tendue, mais suffisamment abondante pour prendre le relai de l'air et, en balayant les ailettes de refroidissement des cylindres, faire baisser la température de l'ensemble jusqu'à la faire redescendre sous le seuil de fonctionnement nominal de l'engin. Cette petite pluie accompagna Clovis pendant un petit quart d'heure avant de laisser de nouveau place à un soleil de septembre éclatant en ce début d'automne qu'on qualifiant en Aleucie d'été indien.

Bientôt, le moteur recommença à donner des signes de fatigue. Mais cette averse lui avait donné une bonne demi-heure de répit. Et cette fois la terre était en vue. Au loin, sur l'horizon, se découpait la côte Afaréenne et dans quelques dizaines de minutes il se poserait, peut-être en catastrophe, mais il se poserait de l'autre côté de la Leucytalée. Il aurait réussi, et il deviendrait un héros de l'aéronautique naissante en Faustinans. Il savait déjà ce qu'il allait faire des 1000£f : les investir dans un modèle I.
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14 juillet 1865 : Première ascension du mont Grand'Bèca

L’expédition Von Matterhorn au sommet du Gran-Puèi, gravure d'époque
L’expédition Von Matterhorn au sommet du Gran-Puèi, gravure d'époque

Joseph Von Matterhorn se réveilla en sursaut. Une rafale de vent venait de défaire un des auvents de sa tente et le claquement l'avait tiré d'un sommeil agité mais sans rêve. Après quelques secondes de flottement, son esprit s'extirpa des limbes cotonneuses où il se trouvait et il se souvint de où il se trouvait : à mi-pente dans l’ascension du Gran-Puèi, le point culminant de la Préfecture de Faustinans et sommet toujours invaincu. Il qui culminait selon les estimations les plus récentes des géomètres à plus de 4 475m. A ses côtés, trois notables et aventuriers étrangers revenant d'un voyage exploratoire en Nazum. Jospeh ne savait pas exactement de quelle nationalité ils étaient. A l'accent, probablement d'Eurysie Occidentale - Caratrad ? Achos ? Velsna ? Il ne les connaissait que depuis l'avant-veille après tout, via une rencontre tout à fait fortuite alors qu'il commençait à être en proie au désespoir, et il n'avait pas cherché à approfondir le sujet.

Il y a encore de ça deux jours, cela faisait alors 3 semaines qu'il croupissait à Moustiers, petit village d'une centaine d'âme au pied de la montagne, côté nord. A l'origine envoyé ici par un riche mécène peindre la majesté de la montagne au début du mois de mai, il avait fini par se piquer d'alpinisme, et après sa mission terminée, avait passé le mois de juin à s'entrainer. Avec en tête un immense défi : devenir le premier homme à atteindre le sommet du Gran-Puèi. Pour cela, il avait engagé Jean-Antoine Carrel, un guide et alpiniste gallo-roman originaire de la vallée de Couard-de-Vincent de grand renom, jusqu'au 12 juillet. Les deux hommes ne s'étaient pas entendus du tout, mais ils avaient un objectif commun. Mais le sort s'était acharné et chacune de leur tentative s'était soldée par un cuisant échec à mi-chemin. Puis, le 12, alors qu'il était parti exploré la face ouest afin de repérer leur prochaine approche, Joseph croisa Jean-Antoine avec une demi-douzaine d'autres personnes. Le club d'Alpinisme de Couard-de-Vincent, nouvellement créé, voulait marquer le coup et assoir sa prépondérance sur la discipline naissance. Pour cela, il leur fallait conquérir le Gran-Puèi, sommet étant situé sur la frontière entre les deux zones linguistiques et prévoyait de lancer une expédition par la face ouest dès le lendemain. Cela avait ulcéré Joseph qui la veille encore comptait sur son dorénavant rival pour parvenir à faire l'ascension.

Revenu d'humeur massacrante à Moustiers, il buvait un mauvais fendant de dépit quand ces trois aventuriers, Francis, Charles et Douglas l'avaient abordé. Joseph s'était alors épanché sur le défi qu'il s'était fixé, la "trahison" de Jean-Antoine et sa volonté de partir grimper dès le lendemain le Gran-Puèi, par la face Est réputée impossible. Piqué au vif par le défis, ils avaient proposé à Joseph de l'accompagner dans son expédition. Ils avaient avec eu un guide local, Miquel Crau. Joseph et ses compagnons de circonstances passèrent alors le reste de la journée à planifier leur expédition suicide et dénicher deux porteurs. Le lendemain 13 juillet, ils partirent à l'assaut de la montagne par la face est. La première journée d'ascension s'était passée sans réels problèmes et ils avaient pu monter un bivouac à 3 400m d'altitude assez tôt dans l'après-midi afin de ne pas être surpris par un éventuel blizzard et de pouvoir se reposer avant le grimpée fatidique du lendemain.

Et ils étaient maintenant ce lendemain de vérité. Joseph enfila ses bottes et son équipement et sorti de la tente. L'aube commencer à pointer le bout palot de sa figure, et il alla réveiller le guide Crau et les deux porteurs afin qu'ils préparassent la collation matinale. Il jeta alors un oeil vers le sommet de la montagne, à la fois si proche et si menaçant. Puis, revenu dans la tente, il réveilla alors ses compagnons. Après un casse-dalle copieux et rapidement englouti, ils empaquetèrent en vitesse leur barda et repartirent à l'ascension, aux alentours de 5h30 du matin. Ils suivirent la ligne de crête de la face est jusqu'à 9h avant de devoir bifurquer et attaquer la face nord directement : un véritable mur vertical. La difficulté commençant à sérieusement s'élever, la progression ralentie alors considérablement. En particulier, Douglas semblait particulièrement chahuté par la montagne, et il requerrait maintenant une assistance continue de la part de Crau. Puis enfin, vers 11h alors que l'altitude atteignait plus de 4 200m, la pente commença doucement à s'adoucir et la progression se fit de nouveau un peu plus simple. Ils étaient maintenant en vue du sommet au bout d'un dernier sérac, et Joseph respira un peu plus calmement. Après avoir guetté avec anxiété la présence d'une éventuelle cordée déjà présente au sommet, Joseph réalisa qu'il avait réussi. Lui et Crau, qui avaient commencer à tisser des liens d'amitiés, coururent pour atteindre le sommet ensemble et vainquirent la terrible montagne ex aequo. C'est une fois au sommet, en regardant vers l'ouest, que sous leurs yeux, quelques 200m plus bas, ils virent la cordée de Jean-Antoine en train de monter par l'autre face. Joseph et Crau, tout heureux, leurs firent de grands signes des bras. Jean-Antoine Carrel, alerté par le bruit, leva alors le nez et les aperçus. Les deux hommes l'entendirent jurer et, probablement dégouté, fit alors demi-tour sans même chercher à finir son ascension.

Une fois les autres arrivés au sommet, ils restèrent une bonne heure à la cime du pays, à profiter de leur victoire avant de commencer le plus périlleux, la descente. Alors qu'ils attaquaient de nouveau la partie la plus technique de la paroi à peine une heure après le départ du sommet, la progression était devenue véritablement lente, un seul homme se déplaçant à la fois et Douglas nécessitant une assistance à chaque pas. Miquel Crau, en tête de cordée, passait le premier puis se retournait et plaçait littéralement les pieds et mains d'un Douglas en perdition dans les prises avant de reprendre sa progression, pendant que les autres suivaient péniblement derrière. Soudain, alors que Crau venait de se retourner pour avancer après avoir assisté Douglas, ce dernier glissa et tomba de tout son poids sur le guide qui perdit l'équilibre. Joseph l'entendit grogner "impossible" avant de basculer dans la pente, Douglas à sa suite. Les 5 autres personnes se cramponnèrent à ce qu'ils purent au mieux de leur capacité et de leurs forces déclinantes après cette journée harassante. Le poids des deux hommes dévalant la pente fut cependant trop important pour qu'ils résistent, et les deux hommes arrachèrent littéralement Charles à ses prises qui vola à leur suite. Puis ce fut au tour de Francis de basculer, emporté par la corde qui devait les sauver et qui allait au final tous les tuer. Alors que le sort de Joseph, qui était le suivant, semblait scellé, la corde rompu sec. Joseph et les deux porteurs virent alors leurs 4 compagnons glisser vers leur mort, cherchant désespérément à se raccrocher à la vie, qui à une saillie, qui à un escarpement, avant de basculer et disparaitre un à un dans le vide, comme par un tour de magie morbide. Les trois survivant restèrent quelques instants sous le choc à contempler le gouffre dans lequel avec disparu les compagnons avec lesquels ils avaient fêté leur victoire moins de deux heures plus tôt. Mais le temps n'était pas au deuil. Le jour déclinait déjà, le froid revenait et ils devaient impérativement rejoindre le bivouac avant la tombée du jour.

Dès le lendemain, après une très mauvaise nuit et une deuxième descente sans rien à signaler, ils rejoignirent Moustiers et essayèrent de monter une expédition de secours afin de chercher de potentiels survivants. Celle-ci ne pu partir qu'au premières lueurs de l'aube du surlendemain, le curée de Moustiers promettant l'excommunication aux paroissiens manquant l'office du dimanche. Une fois la messe dite, une vingtaine d'hommes partirent à la recherche d'éventuels survivants, miraculeusement sauvé par la neige. Il n'en fut rien. Vers la quinze heure, le corps des trois étrangers furent retrouvés, complètement brisés et désarticulés telle des poupées de chiffon par une chute de plus de 1 000m. Du corps de Miquel Crau, lui, ne fut jamais retrouvé qu'une botte et une paire de gants, le reste étant probablement resté coincé dans la pente et conservé à jamais par le glacier. Les dépouilles furent alors enterrées sur place, sous le regard de la montagne qui leur avait tout donné puis tout pris. Le Gran-Puèi avait été vaincu, mais il avait vendu chèrement sa peau.
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12 septembre 1454 : le duel de Menegazzo

Reconstitution de la légendaire partie lors du palio annuel
Reconstitution de la légendaire partie lors du palio annuel

Vieri da Vallonara jeta un œil inquiet vers la tribune. Installée en largueur devant la formidable rocca de Menegazzo, celle-ci était située à 25 mètres de sa chair. Dans cette estrade se trouvait la douce, la belle Lionora. Elle était encadré de son père le Seigneur Taddeo Parisio, de sa mère et de ses dames de compagnies. Mon Dieu, qu'elle était belle Lionora, dans sa robe de mousseline blanche, un léger voile décoré de perles d'or sur les cheveux, le teint de lait, des yeux couleurs de glace et les lèvres carmin. Belle à mourir, véritablement. Vieri en était tombé éperdument amoureux depuis la première fois qu'il l'avait vu, il y a de ça plusieurs années lorsqu'il était venu présenter ses hommages de féal sujet à son père. Il ne pouvait aller rêver de lui demander sa main, et il s'était engagé comme condottierre dans les armées de la République maritime de Golin afin d'amasser suffisamment de gloire et de fortune pour être digne de lui faire sa demander et requérir de son paire sa douce main d'albâtre.

Il avait bravé la mort pour elle à de nombreuses reprises, tant sur terre que sur mer. Il avait pourfendu des pirates barbaresques, des mercenaires slaves et des guerres barbares avec toujours cet objectif. Et il aurait pourfendu sans ciller un instant ce cuistre de Rinaldo d'Angarano qui courtisait la belle. Ce dernier n'était pas un mauvais bougre, et certainement était-il amoureux de la belle également, car qui ne saurait l'être ? Mais c'était de lui qu'elle était amoureuse, et l'amour devait triompher nous enseignait les chansons courtoises des trobars. Il avait défié Rinaldo en duel pour la main de Lionora. Par l'épée ou la lance, il l'aurait vaincu. Mais son suzerain, le seigneur Parisio, ne l'entendait pas de cette oreille. Il ne souhaitait pas perdre deux gentilshommes qu'il estimait de grande qualité par le sort des armes. S'il estimait les prouesses au combat, il appréciait plus encore l'intelligence stratégique et la vivacité d'esprit. Aussi, il avait imposé une nouvelle pour se duel : le destin de la main de Lionora se jouerait aux échecs.

Ainsi, les 25 mètres qui séparait la tribunes de la famille Parisio de leurs chairs respectives au centre desquelles se trouvaient leur partie avait été aménagé en un immense échiquier de 16 mètres de côté. 2 mètres par case, et sur chaque case un soldat représentant la pièce adéquate. Déjà les pions étaient richement vêtus de brocard, mais que dire alors des pièces maitresses ? De véritables petites tours en bois gardées de deux soldats avaient été construites pour l'occasion, flanquée de cavaliers en armure carapaçonnée, eux-mêmes épaulés par des évêques mitrés d'or. Et bien entendu, au contre se trouvait le roi et la reine en grande majesté. Sur chaque côté de l'échiquier, fermant la place, se tenaient deux immenses tribunes où s'étaient massés des milliers de curieux venu assister à ce duel d'un nouveau genre, ce duel qui faisait prévaloir l'esprit sur la force brute. On y parlait, rigolait, mangeait, jonglait, le tout était une véritable fête qui avait attiré tous les manants, bourgeois et nobles des alentours et même d'ailleurs. Le seigneur Parisio n'était pas idiot et quoi qu'ait couté cette mise en place, les péages et la foire organisée pour l'occasion le rembourseraient au centuple. A chaque coup d'un joueur, un héraut à l'aide d'un porte-voix annonçait à tue-tête le mouvement, et la pièce correspondante se déplaçait sur l'échiquier, afin que chacun puisse suivre, commenter et conjecturer. Parier aussi. Beaucoup.

Mais de tout ça Vieri n'en avait rien à faire. Il était concentré sur la partie, et par extension les lèvres de Lionora. Malheureusement, les choses semblaient mal embouchées pour lui. Rinaldo, qui s'il n'avait pas eu cette saugrenue et détestable idée d'être amoureux de la même demoiselle que celle qu'avait élu son cœur aurait été un compagnon des plus sympathiques, était un joueur des plus compétent et déterminé. Les positions de son adversaire étaient solides, avec un cavalier et une tour bien implantés au milieu, menaçant en permanence ses flancs et le bridant dans ses actions offensives. D'ailleurs, le public ne s'y trompait pas : à chaque action de Rinaldo, une clameur montrait que la foule avait conscience qu'inexorablement la sentence se rapprochait. A chacun de ses coups, le murmure entendu de la fin qui approche se faisait entendre, de moins en moins discret. Rinaldo n'avait pas un jeu flamboyant, il ne prenait pas de risques. Pas de grands coups surprenant, mais simplement une progression lente, continuelle et inarrêtable. La définition de l'endurance. Vieri ne savait comment se sortir de l'ornière où l'avait conduit la fougue de ses attaques en début de partie. Il avait deux pièces mineurs de moins que son adversaires. Rien d'énorme et pourtant tellement important ! Il leva de nouveau les yeux sur Lionora : il était hors de question de perdre la seule partie qui importait dans sa vie. Il décida d'appâter dans un quitte ou double dramatiquement risqué. A travers une série de mouvement, il affaibli encore plus ses positions sans laisser apparaitre cette manoeuvre comme autre chose que de la fatigue, jusqu'à proposer une ouverture dans la ligne de défense de son roc qu'il serait impossible pour Rinaldo de ne pas saisir. Ce qu'il fit. Se faisant, il se découvrit pour la première fois. Première, mais déjà une fois de trop. Projetant son fou puis sa dame, découvrant dramatiquement son roi mais contraignant Rinaldo à réagir à une situation qu'il n'avait pas anticipé, Vieri réussi finalement en quelques mouvements à coincer le roi adverse à travers la seule ouverture faite par Rinaldo entre ses pions devenus inutiles.

Echec et mat, lâcha-t-il d'une voix abasourdie, comme s'il ne réalisait pas encore ce qu'il venait de se passer.

La foule en délire se leva comme un seul homme. Elle exultait du retournement de situation, toujours friande de spectacle de ce genre. Rinaldo, d'abord incrédule face à ce qui venait de se passer, finit par d'un geste lent du poignet faire tomber son roi pour signifier qu'il acceptait sa défaite. Il se leva et donna l'accolade à son adversaire. Vieri le salua alors humblement, et couru vers la tribune seigneuriale afin de demander la main de Lionora sur le champ. Mettant un genoux à terre, il renouvela son vœu à l'adresse du seigneur Taddeo, qui leva alors mains pour réclamer le silence :

Seigneur Taddeo Parisio : Peuple de Menegazzo, vous venez comme moi d'assister à la plus formidable démonstration d'intelligence et de malice qu'il m'ait été donné de voir. Ces deux gentilshommes que voilà ont fait preuve de toutes les qualités auxquelles un homme puisse aspirer : malice, patience, valeur et générosité, et sont tous deux véritablement dignes de devenir mes gendres et l'époux de ma très chère fille Lionora. Un soupçon d'audace aura voulu que ce soit vous, seigneur Da Vallonara, qui emportiez la main de ma fille, ce qui par ailleurs sembler lui seoir à merveille à en juger par son sourire et son teint lumineu. Je vous l'accorde bien volontiers et je vous accueille avec grand plaisir dans ma famille. Seigneur D'Angarano, votre réaction suite à votre défaite vous honore et illustre vos qualités humaines, et je ne vois pas d'homme en ce pays capable de vous battre aux échecs, si ce n'est le Seigneur Da Vallonara. Aussi, vous êtes également tout ce que j'attends d'un gendre, et si vous le souhaitez, je vous accorde bien volontiers la main de ma fille cadette Oldrada. N'aillez crainte, elle sera aussi belle que sa sœur avec l'âge. Elle tienne cela de ma chère épouse. Après une telle démonstration, rien ne me ferait plus plaisir que de célébrer de telles unions pour mes enfants.

La foule, suspendue à la surprise - et la réponse - de Rinaldo, explosa littéralement en délire lorsque ce dernier mis un genoux en terre pour demander la main d'Oldrada, bien que personne ne sache si ce qu'elle acclamait était une fin doublement heureuse à cet évènement exceptionnel ou bien la perspective de nouvelles libéralités de leur seigneur lors de ces futures deux futures noces.
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