21/02/2015
08:03:30
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Grand débat - Anabelle Pottier/Géorgi Marcos - Siège du PEV

Le débat : rendez-vous à la Géode



Le mois de décembre est frais dans le plus important bastion électoral du Parti Eurycommuniste Velsnien. Saliera, depuis plus d’une semaine, vit au rythme de l’arrêt des transports, des défilés devant le Sénat local et les occupations de l’immense site industriel des automobiles Strama en lisière de la ville (HRP : contraction temporelle pour l’évènement de la grève). La cité de Saliera est une anomalie dans le paysage politique velsnien. Seule ville conquise par l’opposition lors des dernières élections sénatoriales, le PEV y administre ses institutions dans une coalition hétéroclite comprenant des partenaires minoritaires sociaux-démocrates du SDB et les communalistes du CCC. Conséquence logique : c’est ici même que le PEV a choisi d’y implanter le siège national du PEV, dans un ancien immeuble servant autrefois de succursale locale d’une entreprise raskenoise ayant plié les cartons durant la guerre civile. Symbole fort de la prise de contrôle de ce bastion électoral par une formation en pleine essor.

Très rapidement, l’administration eurycommuniste s’est distinguée par une politique du logement volontariste, n’hésitant pas à engager des procédures de saisies de maisons et immeubles vides afin d’en loger les réfugiés de la guerre civile, lesquels sont devenus depuis des citoyens à part entière de Saliera. Dans le même temps, Saliera a été la première cité velsnienne à adopter un principe d’imposition proportionnelle sur le revenu en lieu et place de la flat-tax à taux unique en vigueur dans le reste du pays. Depuis le début du mouvement social, l’administration locale a multiplié les marques de soutiens aux manifestants, ce qui a permis aux grévistes des Industries Strama de garder le contrôle de leurs usines occupées sans que la Garde civique n’intervienne pour les en déloger.

C’est dans ce contexte que l’avion de la militante communaliste sylvoise Pottier atterrit à l’aéroport municipal de Saliera, après une rapide escale à Velsna. Très rapidement, au détour des rues qu’elle pouvait observer derrière les vitres de son taxi, elle pouvait constater autre chose que cette architecture leucytalienne aux toits plats et dont le rouge des tuiles ne fait que ressortir davantage sous l’effet du verglas qui parsème la route. Les ponts par lequel elle passa pour se rendre a siège était garni de banderoles dont elle pouvait rapidement en lire des parties non camouflées par la neige : « Réseau ferroviaire Laurenti Alfonso en grève ! ». Elle comprenait pourquoi on lui avait conseillé l’avion davantage que le train pour se rendre ici.
Enfin, elle arrivait devant ce bâtiment moderniste qui détonnait tant avec le paysage d’une capitale provinciale dont le plan urbain du centre-ville n’avait sans doute pas évolué depuis plusieurs siècles. A voir le siège, elle comprenait le surnom : c’était là un immeuble circulaire récent surmonté d’une immense boule de fer et d’acier qui renvoyait de la lumière dans toutes les directions. Les eurycommunistes avaient simplement apposé sous la géode, en lieu et place de l’enseigne raskenoise, le sigle du PEV.

L’accueil au siège fut étonnamment chaleureux pour Anabelle, laquelle avait pourtant eu un échange pour le moins sportif avec son « correspondant étranger ». Partout autour de la sylvoise, les murs ternes étaient ponctués d’affiches du service de propagande du PEV, dont certaines qu’elle avait déjà pu voir. La plus connue trônait derrière l’accueil de la secrétaire, et représentait le fameux « poulpe zélandien de l’OND » tentant d’engloutir une Velsna bien vulnérable. Plusieurs membres du comité central avaient fait le déplacement exprès pour l’évènement, et la plupart étaient déjà d’un certain âge. Piero Lardi fut le premier à sauter le pas, dans une bonhommie qui lui est caractéristique, volontiers à taper l’épaule d’Anabelle :
- Ravi d’enfin vous rencontrer, camarade Pottier ! On m’a beaucoup parlé de vous vous savez ? Venez, je vous en prie, si vous permettez je vais vous faire une petite visite avant qu’on ne se mette aux choses sérieuses. Le camarade Marcos en est encore au dessert avec quelques camarades venus de l’étranger, aussi pour vous voir discourir. En attendant, je vous prie de me suivre. Au fait, préférez vous le tutoiement, je dois bien avouer que le vouvoiement nous met mal à l’aise.

Piero Lardi s’empressa de montrer à l’invitée, non sans une pointe de fierté, quelques-uns des aspects de la vie du parti. En ouvrant une porte, i fit un signe de main sur ce qu’il y avait derrière, un quarantenaire sévère portant ses lunettes sur son nez, et le nez sur son ordinateur :
- Camarade Pottier, je vous présente Sergio Natta directeur de la rédaction de l’Unità. Ne vous fier pas à sa tête de con, il est doux comme un agneau.
Natta ne fit qu’incliner légèrement la tête pour signifier ses salutations tandis que Piero Lardi referma aussitôt la porte :
- Un bourreau de travail cet homme. Si l’Unità a une couverture aussi large aujourd’hui c’est avant tout grâce à lui. Un communiquant de grande classe et un vrai camarade. Venez, je vais vous montrer un autre lieu où la magie s’opère.
Ouvrant une autre porte dans le même couloir, Lardi montre à Pottier une pièce qui se trouve être bardée de postes de travail et d’ordinateurs noyés sous les tracts et des piles d’affiches, assez pour s’y noyer. Par terre, des tracs anti-onédiens ayant servi pour la dernière campagne électorale.
- Et voici l’endroit où la magie de la communication se fait. Là c’est l’heure de la pause-buvette, mais vous verriez les camarades s’affairer comme des fourmis aux heures de pointe…Et laissez-moi vous montrer le clou du spectacle.
En ouvrant une autre porte, Lardi annonce fièrement :
- Et je vous présente le bureau du secrétaire Marcos ! A première vue rien de très spécial n’est-ce pas. Pourtant, beaucoup de décisions se sont prises là, notamment en ce qui concerne la création de l’UICS.

En effet, ce bureau n’avait définitivement rien de spécial, mais il était caractérisé par l’omniprésence de dossiers empilés, à un point tel qu’on ne voyait plus le pupitre du bureau. Derrière ce dernier trônait au mur un portrait du secrétaire général de la Loduarie Communiste.

La Géode

Au terme de cette visite, on accompagnait donc Anabelle au lieu où se tiendrait le débat. Là où les longs et étroits couloirs du bâtiment semblaient bien étroits aux premiers étages, l’atmosphère changeait radicalement au fur et à mesure que l’on montait les escaliers menant à la « Géode ». Car celle-ci était davantage qu’une simple sphère d’acier, c’était également le lieu de réunion de l’instance la plus importance du parti : le Comité central du Parti Eurycommuniste. L’architecture raskenoise donnait au lieu, un grand amphithéâtre, des airs de rétrofuturisme. Définitivement, le PEV était une formation politique dont le financement n’avait pas l’air d’être un problème. Piero Lardi fit un geste de la main en direction de l’estrade qui surmontait l’audience :
- C’est ici qu’aura lieu votre débat, camarade Pottier. Devant non seulement des membres des instances dirigeantes du PEV, mais également devant des responsables politiques velsniens ou de l’UICS. J’espère que vous n’avez pas le traque, je sais à quel point cette position peut être intimidante. Sur ce, je crois qu’il est presque l’heure, les rangs ne vont pas tarder à se remplir. Le camarade Marcos ne va pas tarder.

En effet, il ne fallu guère longtemps pour que la salle du comité central ne se remplisse de monde, parmi lesquels des acteurs importants de l’UICS et du mouvement socialiste international. C’est durant ce temps que le camarade Marcos entra accompagner d’autres membres du comité central. D’une poigne ferme mais chaleureuse, il vint saluer l’invitée sylvoise :
- Camarade Pottier. Un plaisir, vraiment. Vous a-t-on déjà dit comment allait se passer cette entrevue ? Nous vous proposons le format suivant : nous aurons à discuter de six grands thèmes de débat que nous choisirons : trois pour vous, trois pour nous. Ceux-ci seront abordés au tirage au sort. Nous aurons bien tentendu un temps limité pour chacun d‘entre eux puisque je suppose que personne parmi nous n’a envie de passer une semaine entière en ces lieux, bien que la décoration soit fort belle. Etes vous d’accord avec ce principe ? En guise de bonne volonté, nous vous laissons décider des trois sujets de débat la première, nous vous soumettrons notre liste à votre suite.


La Géode
Que des numéros 10 dans ma team

C'est emmitouflé dans une énorme polaire qu'Annabelle sortie de l'avion, frigorifié par l'hiver eurysien. Elle ne connaissait que très rarement des températures en dessous de vingt degrés, essentiellement quand elle allait dans les sommets de Kazannou. Autant dire que la météo nécessaire pour avoir du verglas était des plus inconfortables pour elle.

"Au moins c'est jolie." Pensa-t-elle intérieurement en contemplant les ruelles velsniennes, qui avait un caractère appréciable... puis elle arriva dans la Géode. L'architecture était certes intéressante mais... elle n'en était pas moins un amalgame de béton et acier des plus dépréciés par les mounakaz, le tout ponctué d'une colorimétrie qui ferait passer la vision d'un escargot pour un carnaval arc-en-ciel.

Une fois arrivée sur place, elle se débarrassa de sa polaire. L'épais tissu donnait l'impression qu'elle était massive... ce qui n'était qu'à moitié faux. C'était une femme au passé d'agricultrice, avec toute la manutention et le travail de bêchage que cela impliquait, ainsi qu'une appréciation un peu trop prononcée pour les gratins de bananes poyo qui lui avaient donné cette solide stature.
Pour autant, elle ne put s'empêcher de se demander "Dans quel guet-apens me suis-je jeté ?" en constatant le déroulé des choses. Primo, on constatait la prédominance masculine de l'assemblée, d'autant plus prononcée dans la "team" de Marcos, symptôme bien trop criant d'un patriarcat intériorisé.
"Calme-toi Annabelle, ce n'est pas parce que tu es la seule femme de ce débat, issue d'un pays avec une histoire coloniale encore marquée, invitée dans un milieu avec un fort héritage conservateur, colonial et patriarcal qui s'exprime toujours aujourd'hui pour l'un comme l'autre, que le milieu te sera systématiquement hostile, tu deviens paranoïaque." se dit elle.

Puis furent énoncées les conditions du débat, à savoir y procéder immédiatement sans préparation préalable, un manquement de méthodologie qu'elle trouvait du plus flagrant. Qu'étaient donc les objectifs de cette discussion ? Tenir une argumentation mutuelle bénéfique pour tirer vers le haut les positions de chacun ? Ou juste évaluer les talents oratoires d'un parti comme de l'autre ? Non, elle perdrait très vite tout espoir dans la pertinence de cette rencontre et se demandait si elle avait intérêt à simplement accepter d'y participer. Il ne restait plus qu'à espérer que si ce débat était publié, qu'il le serait intégralement sans procéder à une sélection d'extraits ne mettant pas en avant la Mounakaz. Quoi qu'il en soit, elle allait devoir se montrer exemplaire et déployer toutes ses ressources, aussi peu efficient que soit le forma de cette rencontre. Il y avait toujours espoir que le débat soit honnête, même si l'amicalité apparente des hôtes ne suffisaient pas en l'état à la convaincre.
Faisant une poignée de main ferme mais respectueuse, sans chercher à écraser la main de qui que ce soit (Marcos aurait pensé avoir affaire à une main d'homme, tant elle était calleuse, s'il avait eu les yeux fermés), elle lui répondit :

-Camarade Marcos, je préfèrerais que l'on se tutoie ici. Et non, j'apprends à l'instant quelle procédure sera adoptée et je ne peux pas en cacher mon désarroi. Probablement ai-je mal compris l'objectif, mais j'ose espérer qu'il n'est pas de nous livrer à une bête joute verbale ? Nous nous y sommes certes pliés à l'écrit, mais avec l'intérêt de pouvoir poser des arguments construits. Mais soit, quels sont les sujets disponibles ?
Pour ma part, je dirais... hmm... la dictature du prolétariat est elle une bonne manière d'atteindre le communisme ? Doit on soutenir un "impérialisme communiste" au nom de la lutte contre le capitalisme ? Et enfin, pourquoi ne pas aborder la question du centralisme démocratique ?

Elle gardait une bouteille de rhum vieux dans sa sacoche, la tradition voulait qu'on évite (à tout prix pour ne pas aggraver le niveau des échanges) de la déboucher avant la fin de la séance. Ce n'est qu'au moment opportun qu'elle déclarera collectivisée cette liqueur.

Femme péruvienne, espérons que le lien tienne parce que j'ai la flemme de c/c sur Imgur
Annabelle Potier (pendant un chagrin d'amour, elle est maintenant plus en chair et avec quelques épaisseurs de tissus en plus pour supporter ce climat euryclown)
Sujet 1: Centralisme démocratique


Autour d'Anabelle, une femme souriante vint ajuster son micro pendant le court temps qu'elle avait de préparation en lui demandant poliment: "Prévenez moi si vous avez des problèmes avec. Ils ont tendance à grésiller.". En face d'elle, Marcos avait l'air relativement serein et plaisantait avec les membres de la direction du parti qui venaient lui échanger quelques feuillets avant le début de l'échange. Il n’échangea pas un regard avec Anabelle. Le débat commençait à afficher salle comble et le brouhaha laissa au bout d'un moment place à un silence respectueux. La femme qui avait fait preuve de courtoisie avec Anabelle s'avança sur l'estrade, signifiant le début de cette discussion:
- Camarades. Je vous souhaite le bienvenue à ce débat organisé par le Parti Eurycommuniste Velsnien, entre le secrétaire Géorgi Marcos et la camarade sylvoise Anabelle Pottier. Je suis Sofia Mancini, membre du comité central du Parti Eurycommuniste et sénatrice PEV, mais aujourd'hui je serai avant tout la modératrice de ce débat. Je crois comprendre que certains d'entre vous dans cette salle viennent de loin. Tant mieux, diront nous - ria t-elle - Au programme d'aujourd'hui nous nos deux intervenants ont prit soit de sélectionner trois sujets de leurs choix, lesquels seront tirés au sort par moi-même afin de déterminer l'ordre dans lequel ils seront abordés. Il est à noter que si sujets proches il y a, nous pourrons les "fusionner" afin d'économiser notre temps. Pour sa part, le camarade Géorgi Marcos a choisit les thèmes suivants:
- Stratégie de conquête du pouvoir: la nécessité d'un bloc commun face au monde libéral.
- La lutte contre les impérialismes: la nécessité de la bonne définition d'un sujet révolutionnaire fondamental.
- Les étapes transitoires du socialisme dans les doctrines eurycommunistes et communalistes.

o
Sofia Mancini

Piero, tu veux bien m'apporter les feuilles s'il te plaît ?


Piero Lardi, qui avait accueillit la militante sylvoise, monte à son tour sur l'estrade afin de choisir l'un des sujets. Il pioche:
- En premier lieu, nous avons...la question du centralisme démocratique.

Marcos, prit la parole en premier lieu et sonna le débat:
- C'est un bon sujet d'entame, et c'est l'un des nombreux sujets qui séparent les familles politiques eurycommunistes et communalistes. En premier lieu, et avant de défendre un quelconque modèle, je tiens à rappeler des bases claires sur tout ce qui est du ressort de l'organisation interne de nos formations politiques. Notre objectif dans cette salle, je pense, est le même: provoquer la rupture historique qui nous amènera de la société actuelle qui est le résultat d'un équilibre entre les trois valeurs fondamentales de l'économie capitaliste: la valeur d'usage, la valeur travail et la valeur d'échange, vers la société socialiste où la valeur d'échange sera éliminée. Autrement dit, le capitalisme.

Tant que ce prérequis est acquis par une formation politique, j'estime que nous avons là affaire à une formation socialiste tout à fait respectable. Maintenant que cette digression est faite, j'en viens à notre sujet qui est le centralisme démocratique dans le cadre du fonctionnement d'une telle formation. Pour ma part, je commencerai en disant que je ne pense pas qu'il existe d'organe de gestion parfait, ni de modèle de gouvernance idéale. Notre organisation interne doit avant tout être le reflet des nécessités qui nous ont poussé à l'adopter, déterminées par la réalité matérielle. Je l'ai déjà répété à plusieurs occasions: il n'existe pas une route unique qui nous mène à la société socialiste. Il en va exactement de même pour nos organisations. Si le PEV a adopté un tel système, c'est avant tout car il évoluait dans des conditions précises, des difficultés que les socialistes sylvois n'ont pas rencontré.

Si ma camarade tient à aborder le sujet, je suppose que c'est avant tout pour s'en faire la critique. Aussi, je répondrais à cela par l'approche suivante: pourquoi le centralisme démocratique pour le PEV, et pas un fonctionnement décentralisé, et organisé en clubs comme en Paltoterra ? Pourquoi avons nous adopté un système dans lequel le débat interne ne peut avoir lieu qu'en amont de la prise de décision, et non en aval ? En premier lieu, pour comprendre cela, comme j'ai dit, il faut revenir sur les conditions de la création du PEV. Nous remontons donc aux années 1970, où être socialiste à Velsna était synonyme de peine de mort, rappelle t-on. Nous sommes donc dans un cadre extrêmement répressif où la survie d'un mouvement est avant tout déterminée par la discipline que ses membres s'administrent eux-même, et où la moindre erreur peut emporter tout le parti. On ignore souvent qu'il y a eu beaucoup de mouvements communalistes à Velsna, mais que tous ont disparût pour la simple raison que leur mode de fonctionnement ne correspondait pas à la réalité matérielle dans laquelle ils existaient. Le PEV a donc été dans l'obligation de rationaliser sa démocratie interne par un crédo que tous les eurycommunistes velsniens connaissent: la liberté dans la discussion, l'unité dans l'action.

Que cela signifie t-il ? Qu'il y a un temps pour les débats, et un temps pour appliquer d'une seule et même voix les décisions qu'il en ressort. Que l'on soit en accord ou non avec la décision prise, si la majorité l'emporte, nous devons tous aller dans la même direction. C'est une question de survie dans un contexte où le pouvoir politique en place a pour but d'éradiquer le socialisme. C'est pour cela que dans notre parti, les factions sont strictement interdites: car il ne faut pas oublier que les bourgeois velsniens profiteront de chaque faille pour détruire le parti.

Vois-tu camarade, j'aimerais avoir le luxe d'être communaliste, ce serait pour moi le plus grand des conforts que de vivre au Grand Kah, bien au chaud où le régime vit dans un contexte géopolitique favorable et pacifié qui permet aux règles de démocratie interne d'être assouplies. Mais le problème, c'est que les communalistes oublient souvent qu'il n'y a pas de solution magique et que leur modèle ne peut pas s'appliquer dans toutes les situations, d'où notre opposition que nous avons parfois avec nos camarades kah tanais, qui pensent que c'est une solution d'exporter leur modèle dans des contextes où ceux-ci sont certains d'échouer. Si le PEV avait été communaliste, il n'existerait plus à l'heure qu'il est. Il serait soit dévoyé de l'intérieur par les capitalistes qui en auraient fait une plate-forme sociale démocrate inoffensive, soit aurait été détruit par la répression policière. A bien des égards, le même constat peut s'appliquer à la Loduarie: un pays qui évolue dans un contexte hostile, et qui n'a d'autre choix que d'adopter le principe de centralisme démocratique, comme dans un réflexe de protection.

Le but n'est pas là d'excuser la Loduarie de toutes ses actions, mais de trouver une raison à celles-ci, loin des condamnations faciles que nous pourrions émettre vu de l’extérieur et qui ne font nullement avancer le débat. Une démocratie rationalisée par une séparation stricte entre le temps de débat accordé, qui doit s'arrêter au bout d'un moment afin que tous puissent faire respecter la ligne d'une manière claire et concise. C'est ce que ces derniers appellent la démocratie communiste pour faire court.


a
En train d'expliquer les termes
Ce n'était pas le sujet qui intéressait le plus Annabelle, mais il restait fort intéressant en plus d'aborder certains points pouvant servir de porte d'entrée aux autres sujets :

"En effet, ce n'est pas tant au centralisme démocratique en lui-même que je veux m'attaquer, mais à certains détails auquel il faut porter une certaine attention, certains questionnements tenant compte des dérives que l'on retrouve bien trop dès qu'il s'agit d'appliquer dans le réel nos idéologies relativement inédites sur la scène historique.

Pour ce qui est de la raison même de la mise en place du centralisme démocratique, à savoir des milieux violemment hostile ne laissant que peu de place à des systèmes plus horizontaux et divergents. Et tu fais bien de relever le caractère profondément imparfait de tous les systèmes, qui répondent chacun à des besoins spécifiques.
Là où il serait intéressant s'attarder, c'est sur les implications des imperfections de chaque système et les précautions à prendre pour prévenir les dérives. Comme dit, tous les systèmes sont en théorie parfaits, y compris le libéralisme, capitalisme et même les thèses libertariennes. Mais dès lors qu'on les met en pratique, on connait que trop bien les résultats.

Les points bien trop propices aux dérives que l'on observe dans le centralisme démocratique, observations confortées par divers exemples tel que la Loduarie mais aussi assez surprenamment chez les komunteranos qui sur le papier s'en éloignaient, sont inhérents au centralisme en général. La verticalité, la hiérarchisation et l'entre soit que l'on finit systématiquement par développer dans de tels cadres amènent à de sérieux problèmes organisationnels à terme, ça et l'augmentation des échelons à mesure que le système prend de l'ampleur. Velsna n'a qu'une dizaine de millions d'habitants et peut espérer tenir avec un système vertical (quand bien même l'extrême éclatement de ses colonies laisse présupposer que l'extension d'un système vertical portera des torts) pendant un temps. Mais Sylva avec déjà une trentaine de millions d'habitants pour un demi-million de kilomètres carrés, et le Kah qui a bien le triple en population, ne peut espérer une organisation pyramidale qui s'effondrerait sous son poids.

Concernant l'entre soit, ce que j'entends par là est que la formation d'une élite ouvrière militante dans le cadre d'un parti d'avant-garde, formation assurée par des membres même dudit parti, ensuite chargée de mener le mouvement, tend à constituer un moule. Certes, le principe de liberté dans la discussion complète théoriquement les échanges d'idées et il y a une réalité du terrain à devoir se prémunir de l'entrisme. Mais ladite réalité du terrain exige de tenir compte des dérives auxquelles seront soumises tous les systèmes et qu'on ne constate que trop. Si on ajoute à cela la verticalité et le principe d'unité dans l'action, on peut rapidement déborder sur une élite conformiste réfractaire à toutes formes de changements que ce soit par la formation continue de nouveaux membres dans le même moule, ou d'une volonté paradoxalement réactionnaire sur les idées communistes en symétrie aux idées réactionnaires libérales contre lesquelles nous luttons.

Et c'est là que l'on peut reprendre l'exemple de la Loduarie Communiste puisque vous l'abordez. Ce centralisme extrême et cette hiérarchisation abusive propre à tous les modèles militaristes amène à cet immobilisme idéologique. Si le fonctionnement est théoriquement démocratique avec des contre-pouvoirs en apparence, il se retrouve dans la réalité avec une minorité dotée d'une influence extrême et dictant un dogme à suivre. S'éloigner, tenir un ton critique de ce dogme, revient à de la mise en danger de l'État et la trahison. L'argument principal avancé pour justifier une telle méthode est sa nécessité, dans un environnement profondément hostile. Si les violences en tout genre se multiplient en effet à l'encontre des nations communistes, on ne peut que regretter que la combinaison de cette verticalité et de ce centralisme amène inexorablement à une consolidation de l'État, et surtout, des chefs d'État qui sont membres d'une élite sélectionnée façonné au travers un moule.

J'ajouterais que ce type de fonctionnement s'apparentant (pour formuler ça poliment) s'apparente directement à de l'autocratisme, un modèle profondément dysfonctionnel de par l'absence d'autocritique et contre-pouvoir. Une petite minorité d'individus, voir un unique chef d'État, prend seuls des décisions sans concertation sur seule base de sa formation et expérience. C'est beaucoup trop propice à l'erreur et à la consolidation de stratégies et doctrines dysfonctionnelles. Là encore, je prends pour exemple la Loduarie, principale représentante du centralisme démocratique à un stade avancé, mais le système militariste en place se consolide par lui-même : il adopte les doctrines qu'il connait et, par effet golem, instigue un climat géopolitique avec des réponses hostiles nécessitant un renforcement de ladite doctrine.
Les komunteranos étaient dans une dynamique centrale quand bien même ils étaient loin du centralisme démocratique. Mais on se retrouvait avec l'instauration d'un dogme dont le non-respect revenait à se déclarer fasciste, inhumain, à abattre, le tout avec une classe politique en roue libre qui s'enfonçait dans un enchainement de provocations avec ses voisins.

Mais soit, focalisons-nous sur les résultats et les questionnements historiques. Pourquoi la Loduarie adopte-t-elle ce militarisme et cette hostilité ? Et pourquoi ses voisins font-ils de même ? Cette question, c'est l'œuf ou la poule et le seul élément certain de la réponse est que c'est le serpent qui se mord la queue. On peut supposer que ce système a permis à la Loduarie de survivre là où d'autres n'auraient pas été à la hauteur. Je vous rejoins que l'objectif doit être de sortir des condamnations pour nous tourner vers des avancées, et cela implique de se questionner.
Maintenant que la Loduarie a atteint une relative sécurité, très très relative je conçois, quels sont les axes d'évolutions qu'il nous reste ? Le premier constat amer est que le centralisme démocratique loduarien a débordé sur une dérive militariste autocratique, en faisant une véritable junte. Tel qu'avancé précédemment, on se retrouve avec une impossibilité de remise en question qui constituerait une menace à l'ordre. Le second constat est que ce système a de toute manière confortée une dynamique en spirale dans laquelle est entrainée la Loduarie et son voisinage. Quelles sont dès lors les solutions ? Comment propagerons-nous la révolutions et la rupture du capitalisme à travers le globe si on maintient une telle polarisation guerrière ? Comment pourrons-nous atteindre un cadre favorable à la disparition de la notion de chef d'État puis le dépérissement progressif de l'État lui-même ?

Je conçois parfaitement que le centralisme démocratique se soit imposé par nécessité, mais cela ne nous dispense pas de l'étudier et anticiper les dérives déjà visibles pour atteindre nos objectifs communistes plutôt que rester simplement bloqué dans un conflit perpétuel.

J'ajouterais sur un tout autre domaine que le centralisme fonctionne très mal sur de trop grandes échelles. Comme dit, un fonctionnement pyramidal implique une multiplication des étages à mesure que le système grandit, ce qui augmente le poids de l'administration, de la bureaucratie, dans les processus décisionnels qui sont alors lents et apportent des réponses inadaptées de par un éloignement des réalités du terrain. Les coûts de tels systèmes sont également exponentiels et les vulnérabilités multipliées. Faire tourner un pays de plusieurs dizaines de millions d'habitants, s'étendant sur des centaines de milliers de kilomètres carrés, parfois eux-mêmes dispersés sur l'ensemble du globe, exige une certaine souplesse et réactivité pour s'adapter aux enjeux locaux. Et ça, le centralisme à outrance ne le permet pas. Rien qu'en Kazannou, la simple question de l'énergie reçoit des critiques importantes à ce sujet. Centraliser sa gestion amène à complètement mettre de côté les petites localités. Un planificateur dans le nucléaire ou l'hydroélectrique aura une vision globale et ne se penchera pas plus que ça sur un petit village mounlao perdu aux confins des montagnes. C'est là que s'impose la décentralisation, qu'elle soit totale ou partielle. Des missions peuvent être définies et réparties à une échelle générale par une institution centralisées, mais son application doit très vite être à la charge d'instance décentralisée sur le terrain, pour s'adapter aux contraintes.

Je parle là d'un domaine purement technique quand nous étions sur des questions idéologiques, mais le problème est le même. Les petites communautés d'agriculteurs et mineurs n'ont pas les mêmes problèmes sociaux que les grandes agglomérations, et une vision centralisée tend à éloigner les minorités pour une gestion commune. Mais je me doute bien que sur ce point-là, la vision du centralisme démocratique proposé par le PEV n'est pas absolue et repose sur des intermédiaires disposant d'une certaine autonomie sur le terrain, pour appliquer comme il se doit les programmes et reporter les particularités nécessitant des adaptations."
"Mais ça, c'est, c'est l'affaire des libertaires ces histoires de Communaterra. Ils raisonnent pas comme moi ces gens là !"

Marcos écoutait avec attention les dires de la militante sylvoise, décrochant parfois quelques sourires tout en prenant ses notes. Nonobstant, cette discussion s'avérait plus intéressant qu'il s'y attendait, tant et si bien qu'il se prit lui-même à éprouver un intérêt sincère pour les dires de son interlocutrice, ce qui n'arrivait pas toujours. Il reprit la parole, levant les yeux de se quelques notes qui paraissaient de loin comme un ensemble de gribouillis:
- Je prends acte des conclusions que vous tirez du processus de démocratie communiste. Je ne partage pas votre constat de la situation. Vous semblez croire que le Parti eurycommuniste velsnien, suivant le modèle du centralisme démocratique, serait une sorte de tyrannie dirigée par une direction toute puissante où les militants auraient juste à suivre aveuglément de vagues et lointaines consignes. Pardonnez-moi de vous décevoir, mais c’est une vision que je trouve assez éloignée de la réalité. La démocratie prend toute sa place à l’occasion de chaque congrès du PEV tous les trois ans, à chaque réunion de section. A chaque prise de parole de ma part, je l’mets que parce que les militants ayant voté mon texte d’orientation au congrès me l’y autorise. Mais je pense que le PEV n’est pas la principale source de vos critiques, aussi, permettez-moi d’évoquer par l’exemple la raison pour laquelle le modèle du centralisme démocratique et du concept d’avant-garde est nécessaire dans certaines circonstances, que nous avons pu constater sur le terrain.

Prenons le cas de la Communaterra, qui, semble t-il a marqué les sylvois et à raison. Nous commençons en 2010 avec une révolution menée par un mouvement libertaire, et au départ totalement décentralisé. Dés le début, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait d’une tentative de singer le modèle kah-tanais, vieux de deux siècles et dont le bilan, modèle qui de notre aveu est globalement positif. Mais quel a été le problème qu’ont rencontré les communaterros ? Je vous le dis en deux : les révolutionnaires, sans la moindre base idéologique, sans le moindre pragmatisme devant leur situation (élément important à prendre en compte dans l’idéologie loduariste), ont tenté d’imiter un processus historique qui a pris deux siècles au Grand Kah. Ils ont essayé de le faire en deux ans. Le résultat a été un effondrement économique généralisé et une catastrophe humaine. Pourquoi ? Parce que la Communaterra ne disposait pas d’un parti d’avant-garde capable de faire des choix pragmatiques, parce qu’une masse révolutionnaire, il ne suffit pas de l’agiter mais de la gérer, et de la former, surtout quand il s’agit de remplacer une élite bourgeoise sur le très court terme, qui est détentrice de l’expertise et des savoirs liés à la production. Et c’est exactement ce à quoi sert le centralisme démocratique et le concept d’avant-garde, qui permet de former les prolétaires dans l’optique de remplacer rapidement une élite bourgeoise. On ne transforme pas une société capitaliste en société libertaire en deux ans, n’est pas Grand Kah qui veut et ça, c’est quelque chose que les libertaires ne comprennent pas. A mon sens, vous avez tendance à prendre les choses à rebours et griller les étapes : on ne peut pas établir un système de démocratie directe dans un monde où le mode de pensée bourgeois est dominant, sans quoi vous retournez inexorablement à votre point de départ, non sans des violences épouvantables. C’est pour ces raisons que j’estime que le modèle de l’eurycommunisme, et à fortiori le loduarisme est bien plus adapté à l’Eurysie et aux mouvements évoluant au sein de sociétés capitalistes de manière générale, Sylva comprit.

Le centralisme démocratique ne se résume pas à gérer depuis un point central toutes les parcelles agricoles d’un pays en poliçant les agriculteurs, mais à leur donner la formation politique et professionnelle nécessaire au bon fonctionnement de leur parcelle en toute autonomie. C’est là le modèle qui a été privilégié en Translavye communiste par exemple : le parti envoie les agronomes et les experts afin de donner recommandations et formation appropriée aux ouvriers qui doivent gérer par eux-mêmes leurs parcelles, ce afin de livrer un quota prévu à la fin de l’année avec le meilleur rendement possible.

La Communaterra est un échec du monde libertaire, libre à vous d’en tirer les leçons que vous voulez ou de vous mettre des œillères en associant le concept de centralisme démocratique avec ce pays où du reste, il est difficile de trouver la moindre institution que l’on pourrait lier à cette notion (pour y associer le centralisme démocratique à la Communaterra, encore faut-il que la Communaterra ait été organisée dans le cadre d’un parti politique). Quant à ces histoires de « dynamique centrale », j’ai du mal à savoir de quoi vous me parlez dans ce fatras généralisé et anarchique qu’était devenu ce pays. Cela implique une confusion de votre part entre centralisation en tant que mode d’administration d’un territoire (du reste, la Communaterra n’en était pas dotée non plus) et centralisme démocratique, lesquels sont des concepts très différents. Du reste, l’incapacité de la Communaterra à accepter les mécontentements et à pratiquer une politique de terreur est avant tout le reflet de la rapidité avec laquelle ces révolutionnaires de salon ont voulu imposer leurs changements, et à l’incompétence liée au fait qu’il n’existait aucune organisation politique encadrant la formation de ces gens, formation qui aurait pu leur être garantie dans un cadre eurycommuniste ou loduariste grâce au concept d’avant-garde.

De même que ces histoires de population : la démographie ou la géographie n’a pas un rôle que j’estime important dans les dynamiques historiques qui permettent à un pays de passer du capitalisme à la société socialiste. Encore une fois, je pense que vous confondez la centralisation comme mode d’administration du territoire, et centralisme démocratique comme processus de gouvernance démocratique au sein d’un parti politique. Le centralisme démocratique au PEV se résume de la manière suivante : les militants font partie de sections, lesquelles sont intégrées dans un congrès, qui élit tous les trois ans les membres du comité central ainsi que le secrétaire général, moi. Où est le rapport de hiérarchie abusive ou de domination là-dedans ? Je ne suis pas devant vous en tant que secrétaire général du PEV parce que j’ai forcé quiconque à me soutenir, ce sont eux qui m’ont mis dans ce fauteuil par le vote qu’il avait dans leur enveloppe.


Au sujet de la Loduarie, il me semble que vous partez du point de l’Histoire qu’il vous sied de prendre, et votre jugement a surtout l’air d’être un ensemble de stéréotypes que la société bourgeoise de Sylva vous a inculqué. La Loduarie est-elle seulement l’objet de cette « hiérarchisation » dont vous l’accusez ? Que vous vouliez ou non en parler, la Loduarie est une démocratie communiste pleine et entière, où les débats sont animés par l’Assemblée des décisions politiques et l’Assemblée du peuple loduarien, laquelle je rappelle est formée par des citoyens tirés au sort, délibérant et votant la loi de leur chef, laquelle peut également interpeller le secrétaire général pour invoquer un changement de loi qu’il ne peut refuser. Les régimes sylvois et velsniens peuvent seulement en dire autant ? On peut accuser la Loduarie d’agressivité sur la scène internationale suivant notre point de vue, ou ne pas être en accord avec ses vues il est vrai. Mais de là à accuser le secrétaire général de tyrannie…il y a un monde, et je pense que vous surestimez grandement les pouvoirs dont il dispose dans les faits.

Vous voulez un exemple de ce fonctionnement démocratique ? C’était le mois dernier, j’ai été en entrevue avec le camarade Lorenzo. Il était comme vous en êtes, devant moi, c’était à l’occasion d’une élaboration de propositions pour le Conseil suprême de l’UICS. Il était rouge d’agacement, et il me parle de toute cette affaire qui a eu lieu au Parlement loduarien, et dont je peux vous fournir des rapports qui sont publics, à savoir l’affaire de vente d’armes de la Loduarie vers l’étranger. Il se trouve que le camarade Lorenzo était en faveur du principe d’exportation d’équipement militaire loduarien à l’étranger. Or, au même moment, l’Assemblée des décisions politiques de Loduarie s’y est vigoureusement opposée. Qu’à fait le secrétaire général loduarien à ce moment ? Vous croyez qui leur a forcé la main ? Qu’il les a forcés à accepter son avis ? Bien sûr que non : l’assemblée a voté contre, affaire classée et on passe à la suite. Voilà la force du centralisme démocratique : une fois la décision prise, qu’on soit dans la direction du parti ou dans une assemblée tirée au sort, celle-ci est définitive. Et on a beau être le camarade Lorenzo, il faut s’y plier. On peut accuser la Loduarie de ne pas être démocratique avec foi et verve, mais comprenez bien qu’il faut en apporter des éléments concrets.

Outre cette réponse, dont j’espère qu’elle vous contentera, je prends note de ce que vous dites de la politique extérieure de la Loduarie qui serait influencée par l’organisation interne du parti communiste loduarien. Je pense toutefois que nous ferions mieux de garder la question de la place de la Loduarie dans la géopolitique internationale pour le sujet que nous prévu à cet effet. A moins que vous ne vouliez que nous l’abordions tout de suite (mais cela nous ferait perdre quelques cartouches). En effet, le centralisme démocratique et le principe d’avant-garde ont avant tout pour effet de garantir la formation libre de la population aux principes du socialisme dans un Etat qui vient juste de sortir d’un modèle capitaliste, ou fasciste dans le cas de la Loduarie, et où les forces de la réaction sont encore fortes. Or je ne pense pas, que les acteurs extérieurs qui interagissent avec la Loduarie n'aient grand-chose à faire de la façon dont les communistes loduariens organisent leur pensée en interne.

(HRP: fais signe quand tu veux passer à un autre sujet)
Annabelle écoutait avec une attention studieuse tout en prenant occasionnellement quelques notes dans un carnet pour organiser sa réponse. Elle avait un regard concentré sur une bonne partie de la discussion avant de hausser un sourcil puis ouvrir de grands yeux ronds. Là, elle répondit une fois que ce fut son tour.

"Il semble que j'ai mal exprimé quelques-uns de mes points, ainsi passerais-je la première partie de ma réponse à y remédier. Déjà, j'indique ne pas tenir de reproches au centralisme démocratique mais aux éventuelles dérives que l'on pourrait retrouver chez lui, de la même façon que l'on peut retrouver des sources de dérives chez d'autres idéologies sur lesquelles il convient de se pencher. Oui, le centralisme démocratique est plus que justifié dans les contextes loduariens et velsniens, plus que le communalisme par exemple, pour autant il y a des faiblesses dans ce modèle organisationnel et c'est ce que je souhaitais relever.
Je vous rassure, je ne considère aucunement le PEV comme une tyrannie, pas encore. Votre importance est encore trop réduite et votre échelle à une échelle suffisamment moindre pour permettre à une forme d'organisation idéologique semblable de fonctionner sans encombre. Avant de reprendre ma critique sur les défaillances auxquelles il convient de répondre, je vais juste balayer une confusion concernant les komunteranos. Je ne dis absolument pas qu'ils appliquaient le centralisme démocratique, au contraire, mais qu'ils en présentaient l'une des déviances malgré un modèle prétendument démocratique.

Ainsi pour revenir au cœur du sujet sur lequel je n'ai pas eu de réponses, la formation d'un parti d'avant-garde et la lutte contre l'entrisme ou les dissensions si chères aux yeux du PEV ne peuvent se faire que sur un spectre avec d'un côté des mesures plus radicales et de l'autre plus légères. Avec l'interdiction des factions et la constitution d'une élite ouvrière formée par ladite élite ouvrière, il y a un risque majeur de conformisme à terme. Certes, vous évoquez la division en sections relativement indépendantes si je comprends bien, et intégrées dans le congrès avec une plutôt bonne liberté d'expression. Mais il est inutile de se voiler la face, ainsi reprendrais-je l'élément de l'exemple komunteranos qui n'a pas été intégré. Nous savons pertinemment qu'il y avait en effet une dynamique idéologique solidement ancrée chez eux. Était-elle cohérente et fonctionnelle ? Non, mais elle existait malgré tout et se manifestait avec une volonté perpétuelle de violence et une gigantesque pression sociale qui condamnait quiconque ne suivait pas cette tendance.

Les raisons sont nombreuses : leur révolution s'est faite brutalement et soudainement contre un régime d'une violence telle que l'ensemble de la population a dû être traumatisé et perdre ses repères avec ladite violence. Cela en était devenu un axe d'action raisonnable, et surtout, le seul qu'ils connaissaient. Et c'est de cette dynamique que je parle : le fait de s'obstiner dans un raisonnement idéologique et politique, qui dirigera systématiquement leur mise en application pratique.
Pourtant, ils prétendaient appliquer une démocratie directe, la seule véritable démocratie, où chacun pouvait s'exprimer dans des comités et voter, où toutes les voix comptaient. Mais ce système en apparence parfait et théoriquement fonctionnel (enfin, théoriquement pour peu que vous soyez komunteranos) a malgré tout dévié

Et c'est pourquoi j'applique ce questionnement au centralisme démocratique.
Le PEV forme son élite ouvrière, interdit les factions et lutte contre les dissensions via un ensemble de manœuvres qui s'étendent sur un spectre. Plus vous prenez des mesures radicales sur ledit spectre, plus vous luttez efficacement contre les divisions et obtenez une cohésion permettant de lutter efficacement, mais plus vous rendez également le raisonnement idéologique rigide avec l'établissement de dogmes. Ainsi, je demande quelles sont les solutions apportées, où le PEV se place-t-il sur ce spectre pour éviter ses dérives tout en répondant à son objectif premier, à savoir l'unité dans l'action ? C'est là que je veux en venir quand je compare les komunteranos au centralisme démocratique, non pas qu'il réponde à ce modèle d'organisation ou disposait d'un parti d'avant-garde, mais que la radicalité avec laquelle ils avaient appliqué le modèle avait inévitablement mis en place un dogme.

Est-ce que les discussions démocratiques, comme les komunteranos le prétendaient, suffiront à assurer une diversité d'idées et d'approches quand l'ensemble de l'élite se forme entre elle selon le même moule et que les factions sont interdites ? Pourra-t-on réellement observer des évolutions de l'idéologie avec un tel contexte ? Et quand le parti prendra de l'ampleur, comment s'assurer qu'il ne se conforte pas dans une dynamique avec les éventuels effets golem qui en résulteront ? Quels éléments permettront d'affirmer avec certitude, lorsque l'on sort des modèles théoriques pour mettre en application pratique ce système, qu'il n'y aura aucune déviance à terme ?

Et là, je vais devoir reprendre l'exemple de la Loduarie et être obligé de poser une certaine question. N'y voyez nulle offense, le débat est actuellement qualitatif et je tiendrais à le préserver comme tel mais, quand vous dites que la Loduarie est démocratique et qu'on surestime le pouvoir du secrétaire Lorenzo, essayez-vous d'imiter ma célèbre provocation qualifiant de communistes les zélandiens (provocation de bas étage je concède) ou êtes-vous sérieux ?
Je veux dire... le secrétaire Lorenzo est littéralement omnipotent et omniprésent dans le dispositif décisionnel et gouvernemental de la Loduarie Communiste. À chaque situation de crise, il n'y a aucun débat et c'est lui qui s'exprime immédiatement sans que ne soit entendu la moindre opposition. Chacune des allocutions est tenue par sa personne. Il n'y a littéralement qu'un seul exemple pratique de démocratie en Loduarie et vous venez de le citer. Pour le reste, essayez de critiquer l'approche militariste de la Loduarie, le Duché a admis l'avoir tenté et le résultat est sans appel : les concernés, ainsi que les rares loduariens ayant osé exprimer leur accord, se sont fait arrêter. On pourrait se poser des questions sur la légitimité d'une telle entreprise, de la moralité de mener des campagnes d'informations dans d'autres pays où ce genre de chose. Nous savons très bien que c'était un acte d'ingérence de Sylva... Mais pouvez-vous malgré tout prétendre que là, si la simple expression d'une volonté de limiter l'interventionnisme amène à des arrestations pour menace à la stabilité, qu'il soit possible de tenir un débat démocratique et de donner une véritable utilité aux assemblées démocratiques ?
C'est là un élément très concret pour critiquer l'autoritarisme et la répression qui empêche toutes formes de démocratie. Et ne répondez pas que c'était justifié par l'ingérence sylvoise, ce serait détourner l'attention d'un problème qui pourra se répéter avec ou sans ingérence et bloquer tout processus démocratique.

Des citoyens tirés au sort dans une assemblée n'ont aucun impact s'ils se font arrêter dès lors qu'ils s'attaquent à un problème de la Loduarie. Oui, on répondra que c'est nécessaire, et c'est là qu'on peut revenir au sujet du débat sur comment éviter qu'on arrive à un tel contexte via le centralisme démocratique. Nous constatons très clairement que cette dynamique dans le fonctionnement interne de la Loduarie, que ce dogmatisme, est issu d'une verticalité dans l'idéologie avec une élite qui se conforte dans son positionnement politique. Et par élite, nous pourrions simplement mentionner le secrétaire Lorenzo comme chef d'État écrasant quand le but de la dictature du prolétariat est d'avoir un État sans chef d'État mais dirigé par une élite ouvrière.
Vous prenez d'ailleurs l'exemple de Sylva et Velsna. Même en Sylva, modèle profondément antidémocratique, oligarchique et monarchique, l'opposition pouvait et peut toujours s'exprimer avec véhémence. Peut-on observer la même chose en Loduarie ? Prétendrez-vous que nous n'observons aucune contestation sur des sujets autres que l'exportation d'armes parce que tous les loduariens sans exception sont d'accords ?

Ainsi, je vous répète ma question d'origine sur laquelle je n'ai reçu aucune réponse : comment éviterez-vous de développer un parti d'avant-garde conformiste ainsi qu'un ensemble de dogmes à force de former dans un moule par l'élite ouvrière les futurs composants de ladite élite ouvrière tout en interdisant les factions ? Espérez-vous que les discussions démocratiques pendant les congrès suffiront, dans un tel contexte d'homogénéisation des pensées et de l'idéologie, à assurer une évolution d'un modèle qui cherche systématiquement à se consolider dans une direction ? Quels éléments permettront de contrer ces dynamiques que l'on observe en Loduarie Communiste ?

Une fois ce sujet abordé, je serais ravie de reprendre les questionnements avancés sur les points suivants, mais pas avant que je n'ai une image claire sur comment vous comptez éviter les dérives évoquées."
Marcos, éternellement goguenard, affichait un grand sourire. Il avait l'air d'être fier de sa digression sur la situation du débat public en Loduarie Communiste, et il semblait avoir prévu de choquer son interlocutrice. Il se tortillait parfois dans son fauteuil, pas tant par nervosité que parce qu’il ne pouvait que rarement rester en place durant les discours et les démonstrations rhétoriques. Il ne coupa pas une fois la parole de son interlocutrice, et enchaîna à sa suite :
- Je ne n’ignore pas qu’il existe de faiblesses à tout système, le notre y compris. C’était le premier point de notre débat, j’aimerais ne point y revenir si nous voulons avancer. Evidemment, le modèle est plus rigide que celui de ses compères communalistes, et ce pour les raisons que j’ai déjà évoquées qui sont davantage du ressort de la contrainte que d’un choix. Aussi, je vais vous résumer notre position, une bonne fois pour toute au sujet de vos inquiétudes quant à ce modèle d’organisation interne.

Il ne faut jamais perdre de vue que l’une des clés de voûte du loduarisme en tant qu’idéologie est le pragmatisme politique. Nous ne voyons pas le PEV comme une construction politique qui se veut éternelle, et tous les chemins bons à prendre vers la société socialiste doivent être pris, qu’ils soient dans le logiciel politique classique de l’eurycommuniste ou le communalisme, voire l’anarchisme. Si un jour, comme par magie, les forces de la réaction et les libéraux d’Eurysie ouvraient les portes du pouvoir politique aux ouvriers, et qu’il n’y aurait plus aucune résistance à une rupture dans l’Histoire, alors nous considérerons avec sérieux les théories anarchistes et communalistes, car nous pensons que celles-ci peuvent être tout à fait envisageable dans un cadre où toute résistance politique à l’avènement du socialisme a disparue. Prenez le Grand Kah : c’est un exemple parfait. Le pays est prospère, il y a une floraison artistique et économique qui nous fait envie, mais cette situation est avant tout le fruit de plus de deux siècles d’hégémonie politique des thèses socialistes, le tout ponctué par quelques « remous de l’Histoire » impliquant les restes d’une aristocratie dégénérée. La pression sociale autour du régime n’a plus cours tout simplement parce qu’il n’y a plus d’utilité à cela, et ce depuis longtemps. Mais il ne faut pas penser qu’elle n’a jamais existé.

En Eurysie, nous n’avons jamais eu ce privilège. Et dans ce cadre, je suis dans le regret de vous dire que je considère votre position quant au phénomène de pression sociale relève d’un certain idéalisme. La pression sociale est inhérente à n’importe quelle formation politique : il y a des effets de masse évidents, mais le PEV n’est pas plus victime de ce phénomène que d’autres partis politiques velsniens. Les militants du parti ont tous les droits de voter contre nos textes d’orientation, ils ont tous les droits de faire durer le débat, encore et encore avant les votes dans l’espoir de faire évoluer les positions de leurs camarades. C’est pour cette raison qu’il n’est pas rare de discuter de nos textes d’orientation pendant des périodes parfois extrêmement longues. Et nous ne tenons pas rigueur des critiques, au contraire, nous encourageons ces prises de position qui peuvent nous faire réfléchir plus en avant sur les grands sujets. Preuve en est de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Laissez-moi vous citer un autre exemple de la manière dont fonctionne un contre-pouvoir qui, au sein du PEV, permet de faire vivre la démocratie interne : le phénomène des compagnons de route du parti. Comme vous l’avez dit vous-même, le parti d’avant-garde est supposé participer à l’élévation intellectuelle d’une classe ouvrière éduquée afin de remplacer les cadres bourgeois de notre société actuelle (un concept qui au demeurant, aurait été très utile chez les kommunaterros). Mais pour ce faire, nous avons besoin au préalable de cadres éduqués afin de garantir cette formation, des cadres que nous trouvons à l’extérieur du parti, et qui viennent enrichir le corpus d’idées que nos militants sont ensuite libres d’adopter ou d’en faire la critique. A l’heure actuelle, il existe une cinquantaine de ces compagnons, qui sans être adhérents au PEV, gravitent autour de notre formation. Tout cela pour dire que non, le conformisme n’est pas une valeur inculquée à nos militants, c’est même tout le contraire. Aujourd'hui, la plupart des intellectuels de gauche à Velsna sont liés de près ou de loin à nos rangs, que ce soit en tant que militants ou en tant qu'indépendants tels que vous qui gravitent autour.


A propos de la Communaterra, votre raisonnement est intéressant, mais je pense qu’il faut mettre des mots justes sur ce que nous avons eu devant nos yeux. Les komunaterros étaient avant tout des idéalistes, au sens philosophique du terme. Dans le sens où selon eux, les idées précédaient la matière, sans prendre compte du contexte politique et économique dans lequel ils situaient leur action. C’est sans doute ce dont vous voulez parler lorsque vous mentionnez l’omniprésence « d’un raisonnement idéologique ». Et c’était là une grave erreur des kommunaterros, qui n’existe pas au PEV. En principe par exemple, notre formation milite pour une nationalisation de grands pans de l’économie, mais ce n’est pas pour autant que nous devons oublier le pragmatisme avec lequel nous devons analyser une situation. C’est ce que le régime translave est en train de faire par exemple : il est impossible dans leur contexte de reconstruction, de passer d’une société fasciste à une société communiste en un clin d’œil. Il faut donc agir par étapes, en laissant libre cours au marché privé de petite envergure pour un temps par exemple, afin que la thérapie de choc ne provoque pas une autre catastrophe économique et humaine.

Mais pour revenir aux kommunaterros, selon eux, les habitants allaient naturellement adhérer à leur régime sans au préalable opéré à un investissement dans la formation de leurs militants, et sans non plus s’investir dans un aspect capital de notre action : un processus d’hégémonie culturelle qui permet une adhésion véritable des masses, tels que le Grand Kah ou la Loduarie ont mis des années à appliquer, non sans contrainte sociale de leur côté également. Les épisodes révolutionnaires au Grand Kah n’ont pas été sans violence dans le passé, tout comme en Loduarie, et c’est là le propre d’une rupture révolutionnaire. Mais comme je vous le disais, les kommunaterros ont prit les choses à rebours et cela n'a fait que faire tourner ce processus déjà emprunt d'une violence intrinsèque, à quelque chose d'une violence inouïe, abominable à certains égards.

Tout cela pour vous dire que les kommunaterros n’avaient pas de véritable processus démocratique, sans parler de discussion ou de pensée construite: il ne suffit pas de mettre trois chèvres ensemble et les écouter beugler pour créer un processus démocratique. Pour ce faire, il faut avant tout une éducation politique en amont qui permet cela, ce que les eurycommunistes s’efforcent de faire. Du moins, le PEV encourage vivement tous les eurycommunistes à le faire. Sans quoi, nous revivrons la catastrophe qu’a été la Communaterra encore et encore.


"La Loduarie est une démocratie pleine et entière"


Enfin, si je puis me permettre à propos de la situation loduarienne, je vais m’exprimer plus en détail sur ce sujet. Ces dernières années en effet, nous avons en effet assisté à une campagne médiatique venant du bloc libéral et qui est, à mon avis totalement délirant. On essaie d’accréditer au fond, qu’on reviendrait en Loduarie, à une forme de dictature. Je dis…très clairement : si tel était le cas, le PEV se dresserait face à une telle situation…mais nous n’avons pas le sentiment qu’il en est ainsi. En effet, il semble que des efforts sont accomplis, comme il a précédemment été évoqué par le dernier congrès du Parti communiste loduarien et de l’Assemblée des décisions politiques de Loduarie, dans la voie de la démocratie socialiste. La publication de la nouvelle constitution de la Loduarie en est un exemple, de cette bonne volonté affichée, et témoigne clairement d’une grande amélioration du modèle loduarien, et que le PEV salue. Malheureusement, il semblerait, comme beaucoup de choses, que les journalistes du monde capitaliste n’ont pas cru bon de relayer ces évènements qui ne vont pas dans le sens de la doxa libérale. Je ne dis pas que le gouvernement loduarien est parfait, il est perfectible, et c’est clairement ce que montre les tendances récentes en interne : un assouplissement général du poids des institutions, tout simplement car la Révolution de 2001 s’éloigne de nous dans le temps et que la société socialiste loduarienne est maintenant pleinement établie.

Pardonne-moi camarade, mais des exemples dans le processus législatif loduarien, il en existe davantage que tu ne veux bien le penser. Si le camarade Lorenzo était omnipotent, comment se fait-il qu’il ait échouer à diminuer les dotations du budget de la culture loduarien au profit des impératifs militaires du pays ? Tout simplement parce que les deux assemblées ont refusé de soutenir ce projet. Dans ce cadre, je ne vois pas où se situe la verticalité du processus décisionnel du gouvernement loduarien. Et des exemples comme celui-là, je peux t’en faire toute une liste.

Concernant cette affaire d’arrestation de manifestants, je tiens à attendre des sources plus fiables à ce sujet, et surtout plus nombreuses. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le PEV ne s’est pas encore exprimé sur la question: notre formation politique a une vocation informationnelle et c'est une responsabilité que nous ne prenons pas à la légère. Toutefois, nous pouvons déjà tirer plusieurs constats de cette histoire : en premier lieu, il convient de noter que les organisateurs, clairement financés par l’étranger ont été relativement bien traités, en comparaison à d’autres exemples de pays traitant leurs affaires internes avec d’autant plus de brutalité. On peut penser à l’affaire du groupe libertarien qui avait importuné votre gouvernement et les citoyens sylvois, et dont le résultat a été de plusieurs centaines de morts. D’autre part, nous pouvons relever que cette manifestation n’a eu aucune suite : les loduariens ont été totalement insensibles à cette campagne de contestation. Pire : l’opinion publique a eu une réception très négative de ce mouvement, et s’y est opposée fermement. Cela signifie deux choses : en premier lieu que les revendications soulevées par ce mouvement n’étaient pas le reflet des attentes du reste de la population, et d’autre part que le soutien au gouvernement loduarien a été d’autant plus massif après cette affaire. Cela n'enlève rien à la pertinence des revendications de ces personnes malgré l'ingérence manifeste du gouvernement sylvois, mais en prenant un exemple aussi isolé, on ne fait qu'essayer de lire la situation politique loduarienne avec une loupe en prenant cela pour argent comptant. Et ce n'est pas notre but car en tant que socialistes, nous nous devons d'être capables d'analyser une situation dans son ensemble.

Ce faisant, j’espère t'avoir apporter satisfaction avec cette réponse. Il semblerait que nous soyons en désaccord sur ce sujet, mais il n'est pas dans mon but de te convaincre du contraire.


(HRP : message sur discord pour me demander de passer à un autre sujet)
L'expression faciale d'Annabelle ne laissait que peu de doute sur son opinion. Les arguments de Marcos ne faisaient pas mouche, c'était certain, et pire, ils ne provoquaient même pas de dissonance cognitive chez la Mounakaz qui aurait pu lui faire méditer sur tout cela.

"En effet, les visions diamétralement opposées que nous avons ne pourront pas être conciliées aujourd'hui, et je n'ai que peu à ajouter. Sans spécifiquement poursuivre le débat, préférant plutôt aborder d'autres sujets où nous n'avons pas déjà fait le tour, j'ai tout de même quelques remarques à faire.
Le premier concerne les libertariens, au-delà de l'énième détournement d'attention que cela représente, bien que je comprenne la volonté de comparaison, c'est surtout inapproprié au possible. Ils avaient un char, des mines et des armes lourdes d'infanterie. On ne parle pas de manifestants qui lancent des pavés, mais d'individus en armes qui provoquaient des troubles et ont essayé de bruler un phalanstère kah-tanais. Quelque fut l'échec du Duché à traiter cette question sans violence, c'est particulièrement insultant pour les gens qui ont été victimes de ces terroristes, de comparer ces derniers à des agents désarmés. Je n'excuse pas le Duché ni pour le carnage de Pointe Mogan ni pour la tentative de subversion, loin de là. Mais se réduire à prendre en exemple le traitement de terroristes est odieux.

Vient un autre point de critique que je porterais à ta méthodologie, camarade Marcos, et qui remet en question la pertinence de l'ensemble de ta rhétorique. Tu as une notion douteuse des sources : ce qui est capitaliste est systématiquement faux, ce qui est communiste est systématiquement vrais. Ce que disent les journaux sylvois (qui sont nombreux et de tout bords, par ailleurs) relève forcément de la propagande, et ce que dit l'unique journal loduarien connu tient forcément de la vérité. Refuser ainsi de considérer un article dans son intégralité, ou de considérer les biais d'un autre article pour le prendre dans son intégralité comme argent comptant, est un processus douteux.
Évidemment, je ne ferais pas la défense des journaux à la solde du système aristocratique ni condamnerait de fait de mensonge le Libéré Loduarien, mais la lecture simpliste que tu tiens de ces sources d'informations ne peut que biaiser ton approche des actualités.

J'aimerais relever un autre point où tes sources font défauts... comment suis-je censé te croire quand tu dis que le camarade Lorenzo était furieux et opposé aux votes sur la vente d'armes ? Les rapports publics dont tu me parles, je les ai lus, et ils mentionnaient uniquement l'opposition..." Elle consulta ses notes. "... Du Parti de la Gloire Loduarienne et du Parti de la République. Rien sur l'opinion du camarade secrétaire général. Comprendras-tu que je ne peux accorder aucun crédit à cet exemple-ci.
De même, tu m'évoques la gestion du budget culturel, là encore je n'ai que ta parole à croire, rien pour l'appuyer. De même pour les agents sylvois, tu m'indiques qu'ils sont bien traités ? Qu'as-tu pour avancer ça ? Même les rapports des renseignements sylvois indiquent uniquement que le contact a été perdu avec eux ?
Pareil pour l'absence de retentissement des propos tenus par les agents sylvois. On a d'un côté un rapport des renseignements sylvois indiquant des observations d'arrestations aussi bien d'agents que d'individus sensibles au discours, et de l'autre ta déclaration disant que les idées n'ont pas pris. C'était la même chose sur le sujet de l'Okaristan, j'ai bien entendu ton argumentaire sur la question, mais là encore, tu avais balayé les sources journalistiques que j'avais évoqué sous prétexte qu'elles étaient à la solde du capitalisme, pour appuyer tes affirmations sur de la pure théorie.

Ainsi camarade Marcos, je t'invite à profondément revoir ta méthodologie argumentative, autrement ce débat ne sera qu'une succession de développement théorique sans aucune accroche sur la réalité, chose fort dommageable quand tu vantes le pragmatisme du PEV.

Mais en reconnaissance de ta bonne foi, je veux bien te proposer une affaire. De par ta proximité de la Loduarie Communiste et du camarade secrétaire, je souhaiterais que tu plaides pour une cause inédite : l'établissement de journaux Mounakaz avec des journalistes collectiviste et communistes en Loduarie. Il ne faudrait que peu de temps pour que ces individus ne s'intègrent et s'imprègnent de la démocratie loduarienne, et puisse pleinement la constater. Alors, nous aurons une multiplication des sources qui confirmera ce que tu défends, et là alors par croisement des données, je passerais d'une observation simplement basée sur l'opposition de journaux sylvois et loduarien, à une plus large batterie de journaux avec également des journaux sylvois du côté loduarien. Là, je serais totalement raisonnée.

Ce sera tout pour moi, nous pouvons tirer au sort le prochain sujet."
Marcos esquissait encore un sourire. Peut-être la provocation était-elle volontaire, peut-être n'était-elle en rien malveillante et que le quiproco relevait avant tout du fossé idéologique qui séparait les deux personnes. Dans tous les cas, il semblait que Marcos prenait plaisir à débattre, et que ce dernier s'avérait plus intéressant que prévu:
- J'en conviens camarade, et je m'excuse si j'ai pu te heurter au sujet de ces libertariens. Nous avons les même chez nous et nous savons très bien de quoi ils sont capables. Argument du même type que tes dires sur le modèle socialiste zélandien il va sans dire... Le point où je voulais en venir, camarade n'était pas tant sur l'identité des auteurs de ces méfaits respectifs que sur les problèmes de méthodologie en matière de sécurité que chaque pays peut avoir. Aurait-on laisser prospérer de la sorte une bande d'hurluberlus se promenant avec un char en Loduarie ou dans n’importe quel autre pays eurycommuniste ? Peut-être pas. Mais nous nous éloignons du sujet. Évacuons donc la Communaterra et l'organisation interne des partis eurycommunistes, étant donné que mes arguments n'ont pas trouvé réponse, sans doute un témoignage de mon "manque flagrant" de méthodologie argumentative, et penchons nous sur tes dires concernant l'expression et la presse dans un pays eurycommuniste et dans le monde capitaliste.

Je n'ai jamais dit qu'une source provenant d'un monde libéral n'avait aucune valeur, camarade, mais le problème se pose lorsque les seules sources que reprennent les communalistes sylvois sont issues du gouvernement contre lequel ces derniers prétendent fonder un contre-modèle alternatif. Prends bien compte que je n'ai jamais remis en doute la véracité du fait divers dont tu penses qu'il agit comme force de loi en Loduarie. Au contraire, je viens te dire blanc sur noir que j'appuie l'existence de ce document sylvois que tu me transmets. Tout peut être potentiellement considéré comme de la propagande dans la bouche de la personne qui énonce des faits qui seront modifiés et déformés, mais comprends bien qu'il est tout à fait naturel de prendre du recul et un peu d'analyse concernant des documents émis par un gouvernement fondamentalement hostile à la Loduarie, qui a orchestré des opérations de subversion et de déstabilisation du pays comme énoncé, et l'inverse est tout aussi vrai. Nous ne sommes pas là pour voir blanc ou noir et je pense que par bien des aspects, ton obsession pour la Loduarie t'empêche de construire une critique qui servira à mieux cerner ton ennemi de classe qu'est le système aristocratique que tu dénonces, et contre lequel nous te soutiendrons si tu daignes un jour tourner tes argumentaires contre lui. Et c'est là qu'il y a une différence entre nos deux mouvements: les communalistes refuseront toujours une autre voie au socialisme que la leur tandis que les eurycommunistes t'aideront toujours à atteindre ton but, car nous sommes sur le terrain des actes, en plus de celui des idées. Ton inversion accusatoire est tout à fait remarquable nonobstant, et je prends ton accusation méthodologique avec humour et bon esprit.

Tu mets en doute les données que je viens apporter à ton moulin ? Très bien, c'est pour cela que nous sommes ici. Si des rapports rendant public le mécontentement et l'activité d'une opposition démocratique ne sont pas suffisants à tes yeux, je suis sensible à ta demande. Aussi, toi qui me dis vouloir publier des numéros de ton journal en Loduarie, tu peux en faire la demande au gouvernement loduarien et je ferai en sorte d'appuyer ta décision par le biais de l'UICS. Peut-être dans cette circonstance accepteras tu de revoir ton jugement au sujet de ce qui se passe en Loduarie, étant donné que tu sembles fortement affectée par l'arrestation de quelque espions et de manifestants. Le gouvernement loduarien ne te mangera pas si tu leur demandes ce qui advient des uns et des autres. Sur ce, si tu le permets, je pense que nous pouvons passer à une autre sujet.



Géorgi Marcos s’affaissa quelque peu dans son fauteuil, prenant le temps de demander à l'un de ses camarades un verre de vin et une bouteille d'eau. La sénatrice et camarade Mancini vint de nouveau se porter sur l'estrade afin de tirer au sort le sujet suivant. Sa voix se fit entendre au travers de son micro grésillant: "La lutte contre les impérialismes: la nécessité de la bonne définition d'un sujet révolutionnaire fondamental". Marcos se pencha alors vers son interlocutrice et lui fit signe:
- Camarade. Étant donné que j'ai pris le premier tour de parole au sujet précédent, je vous laisse l'honneur de commencer celui-là.
Passant outre les dernières remarques de Marcos pour se concentrer au sujet suivant, Annabelle prit le temps de rassembler ses idées avant de s'exprimer. Le débat venait de commencer avec un seul sujet sur six, cela promettait d'être long et éreintant :

"La première chose que je relève dans cette question est le pluriel. Les impérialismes, car il n’en existe pas qu'un seul. Ce détail me rappelle qu'on a tendance à dévier les débats lorsque l'on parle de la Loduarie ou du LiberalIntern pour les accuser d'impérialisme. L'impérialisme intègre l'ensemble des actions visant à l'instauration d'un Empire, qui peut être militaire, mais aussi idéologique. Or, dès lors qu'il y a intervention étrangère, on se retrouve rapidement à dévier vers l'instauration d'une des formes des Empires : la simple volonté de mettre en place un bloc idéologique socialiste tend déjà à aller dans le sens de l'impérialisme, ce qui explique que le LiberalIntern ou la Loduarie Communiste puisse se livrer à de tels actes.

La question n'est conséquemment pas de savoir si nous devons lutter contre les impérialismes, mais contre quels impérialismes ? Un impérialisme capitaliste ou fasciste visant à l'établissement de sociétés hiérarchisées avec des rapports de domination et une distinction entre exploitant et exploités est définitivement une forme contre laquelle nous nous entendrons pour lutter. Et réciproquement, un impérialisme socialiste visant à renverser ou contrecarrer l'impérialisme précédemment cité pour établir un modèle égalitaire qui mettra en place les bases d'une société pouvant alors déboucher vers le communisme.

Un point qui contredirait la définition est la nécessité d'un empire d'intégrer ledit rapport de domination. Est-ce que la lutte active pour renverser des modèles capitalistes et arriver à un modèle justement sans rapport de domination intègre-t-il réellement la définition de l'impérialisme ? Ce serait, j'ai envie de dire, de la sémantique et ne représente pas le cœur du sujet qui est de définir contre quels impérialismes nous devons lutter. Nous pourrions ainsi lui proposer la définition suivante : la lutte révolutionnaire passe par une lutte active contre l'ensemble des processus visant à l'établissement et le maintien de blocs avec des rapports de dominations pour atteindre un modèle socialiste permettant d'évoluer vers un modèle communiste.
Et cette lutte active pourrait passer par des moyens violents et directs tels que les interventions armées visant à renverser des régimes autoritaires réprimant leurs populations, tout comme ils pourraient être plus indirects tels que des campagnes médiatiques et éducatives plus ou moins clandestines pour former les populations prolétaires au socialisme et les encourager progressivement à prendre le contrôle des moyens de production.
Quant aux rapports de domination dont nous parlons, cela peut simplement être l'exploitation de la classe prolétaire par une classe bourgeoise, tout comme ça peut être une véritable hiérarchisation d'une nation par une autre sur les plans économiques par exemple. On peut notamment parler du colonialisme ou néo-colonialisme selon les formes que prend cette domination.

Cette définition proposée pourrait poser à question sur le discours que je tiens et les raisons qui me poussent à condamner les interventions de pays aux prétentions louables. Pourquoi m'opposer aux interventions armées constituant un rapport contre l'impérialisme et contre la domination ? Hé bien comprendrez-vous que malgré toutes nos riches discussions précédentes, j'ai du mal à considérer une junte militaire comme un modèle de lutte contre la domination et d'avènement du communisme. Un modèle militariste est fondamentalement vertical et hiérarchisé, avec une propension à se consolider dans sa forme rigide et autocratique. C'est autrement dit l'exact opposé d'un système permettant d'arriver au communisme sans chef d'État quand ce sont des hauts gradés qui ont littéralement les commandes.

Je sais très bien que nos visions dévient à ce niveau, inutile de relancer les discussions. Ton point de vu, camarade Marcos, est pertinent dès lors que l'on considère que la Loduarie est démocratique comme tes exemples personnels (l'unique exemple d'une opposition sur un débat quand elle est entièrement absente sur tous les autres sujets ne constituant qu'un élément de preuve assez réduit) tout comme mon opposition à l'impérialisme loduarien est logique dès lors que l'on ne se contente pas d'un exemple unique et de témoignages personnels et invérifiables. Mais je suis certaine que l'établissement d'un journal sylvois en Loduarie Communiste apportera tous les éléments pour me contredire et consolider ta position.

Pour en revenir sur le sujet de la lutte des impérialismes, c'est la raison pour laquelle je ne saurais cautionner l'interventionnisme loduarien qui n'est qu'un impérialisme contre un autre, un impérialisme visant à troquer un rapport de domination pour un autre. Là encore, j'attends de voir le cas de la DCT me donner tort avec l'établissement d'un véritable modèle démocratique communiste et non un énième modèle vertical et immobiliste, mais la constitution en place me donne déjà de très gros doutes malheureusement.

Hormis pour savoir si la Loduarie correspond en effet à la définition de l'impérialisme, puisque nous ne pouvons nous entendre pour dire si oui ou non, elle est démocratique, je pense que nous serons malgré tout d'accord pour ce qui est de définir la lutte contre les impérialismes elle-même et ne nous éterniserons pas plus que ça sur ce sujet-ci. Je serais toutefois curieuse de savoir en quoi les méthodes du LiberalIntern déviaient vers de l'impérialisme ?"
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