Le mois de décembre est frais dans le plus important bastion électoral du Parti Eurycommuniste Velsnien. Saliera, depuis plus d’une semaine, vit au rythme de l’arrêt des transports, des défilés devant le Sénat local et les occupations de l’immense site industriel des automobiles Strama en lisière de la ville (HRP : contraction temporelle pour l’évènement de la grève). La cité de Saliera est une anomalie dans le paysage politique velsnien. Seule ville conquise par l’opposition lors des dernières élections sénatoriales, le PEV y administre ses institutions dans une coalition hétéroclite comprenant des partenaires minoritaires sociaux-démocrates du SDB et les communalistes du CCC. Conséquence logique : c’est ici même que le PEV a choisi d’y implanter le siège national du PEV, dans un ancien immeuble servant autrefois de succursale locale d’une entreprise raskenoise ayant plié les cartons durant la guerre civile. Symbole fort de la prise de contrôle de ce bastion électoral par une formation en pleine essor.
Très rapidement, l’administration eurycommuniste s’est distinguée par une politique du logement volontariste, n’hésitant pas à engager des procédures de saisies de maisons et immeubles vides afin d’en loger les réfugiés de la guerre civile, lesquels sont devenus depuis des citoyens à part entière de Saliera. Dans le même temps, Saliera a été la première cité velsnienne à adopter un principe d’imposition proportionnelle sur le revenu en lieu et place de la flat-tax à taux unique en vigueur dans le reste du pays. Depuis le début du mouvement social, l’administration locale a multiplié les marques de soutiens aux manifestants, ce qui a permis aux grévistes des Industries Strama de garder le contrôle de leurs usines occupées sans que la Garde civique n’intervienne pour les en déloger.
C’est dans ce contexte que l’avion de la militante communaliste sylvoise Pottier atterrit à l’aéroport municipal de Saliera, après une rapide escale à Velsna. Très rapidement, au détour des rues qu’elle pouvait observer derrière les vitres de son taxi, elle pouvait constater autre chose que cette architecture leucytalienne aux toits plats et dont le rouge des tuiles ne fait que ressortir davantage sous l’effet du verglas qui parsème la route. Les ponts par lequel elle passa pour se rendre a siège était garni de banderoles dont elle pouvait rapidement en lire des parties non camouflées par la neige : « Réseau ferroviaire Laurenti Alfonso en grève ! ». Elle comprenait pourquoi on lui avait conseillé l’avion davantage que le train pour se rendre ici.
Enfin, elle arrivait devant ce bâtiment moderniste qui détonnait tant avec le paysage d’une capitale provinciale dont le plan urbain du centre-ville n’avait sans doute pas évolué depuis plusieurs siècles. A voir le siège, elle comprenait le surnom : c’était là un immeuble circulaire récent surmonté d’une immense boule de fer et d’acier qui renvoyait de la lumière dans toutes les directions. Les eurycommunistes avaient simplement apposé sous la géode, en lieu et place de l’enseigne raskenoise, le sigle du PEV.
L’accueil au siège fut étonnamment chaleureux pour Anabelle, laquelle avait pourtant eu un échange pour le moins sportif avec son « correspondant étranger ». Partout autour de la sylvoise, les murs ternes étaient ponctués d’affiches du service de propagande du PEV, dont certaines qu’elle avait déjà pu voir. La plus connue trônait derrière l’accueil de la secrétaire, et représentait le fameux « poulpe zélandien de l’OND » tentant d’engloutir une Velsna bien vulnérable. Plusieurs membres du comité central avaient fait le déplacement exprès pour l’évènement, et la plupart étaient déjà d’un certain âge. Piero Lardi fut le premier à sauter le pas, dans une bonhommie qui lui est caractéristique, volontiers à taper l’épaule d’Anabelle :
- Ravi d’enfin vous rencontrer, camarade Pottier ! On m’a beaucoup parlé de vous vous savez ? Venez, je vous en prie, si vous permettez je vais vous faire une petite visite avant qu’on ne se mette aux choses sérieuses. Le camarade Marcos en est encore au dessert avec quelques camarades venus de l’étranger, aussi pour vous voir discourir. En attendant, je vous prie de me suivre. Au fait, préférez vous le tutoiement, je dois bien avouer que le vouvoiement nous met mal à l’aise.
Piero Lardi s’empressa de montrer à l’invitée, non sans une pointe de fierté, quelques-uns des aspects de la vie du parti. En ouvrant une porte, i fit un signe de main sur ce qu’il y avait derrière, un quarantenaire sévère portant ses lunettes sur son nez, et le nez sur son ordinateur :
- Camarade Pottier, je vous présente Sergio Natta directeur de la rédaction de l’Unità. Ne vous fier pas à sa tête de con, il est doux comme un agneau.
Natta ne fit qu’incliner légèrement la tête pour signifier ses salutations tandis que Piero Lardi referma aussitôt la porte :
- Un bourreau de travail cet homme. Si l’Unità a une couverture aussi large aujourd’hui c’est avant tout grâce à lui. Un communiquant de grande classe et un vrai camarade. Venez, je vais vous montrer un autre lieu où la magie s’opère.
Ouvrant une autre porte dans le même couloir, Lardi montre à Pottier une pièce qui se trouve être bardée de postes de travail et d’ordinateurs noyés sous les tracts et des piles d’affiches, assez pour s’y noyer. Par terre, des tracs anti-onédiens ayant servi pour la dernière campagne électorale.
- Et voici l’endroit où la magie de la communication se fait. Là c’est l’heure de la pause-buvette, mais vous verriez les camarades s’affairer comme des fourmis aux heures de pointe…Et laissez-moi vous montrer le clou du spectacle.
En ouvrant une autre porte, Lardi annonce fièrement :
- Et je vous présente le bureau du secrétaire Marcos ! A première vue rien de très spécial n’est-ce pas. Pourtant, beaucoup de décisions se sont prises là, notamment en ce qui concerne la création de l’UICS.
En effet, ce bureau n’avait définitivement rien de spécial, mais il était caractérisé par l’omniprésence de dossiers empilés, à un point tel qu’on ne voyait plus le pupitre du bureau. Derrière ce dernier trônait au mur un portrait du secrétaire général de la Loduarie Communiste.
Au terme de cette visite, on accompagnait donc Anabelle au lieu où se tiendrait le débat. Là où les longs et étroits couloirs du bâtiment semblaient bien étroits aux premiers étages, l’atmosphère changeait radicalement au fur et à mesure que l’on montait les escaliers menant à la « Géode ». Car celle-ci était davantage qu’une simple sphère d’acier, c’était également le lieu de réunion de l’instance la plus importance du parti : le Comité central du Parti Eurycommuniste. L’architecture raskenoise donnait au lieu, un grand amphithéâtre, des airs de rétrofuturisme. Définitivement, le PEV était une formation politique dont le financement n’avait pas l’air d’être un problème. Piero Lardi fit un geste de la main en direction de l’estrade qui surmontait l’audience :
- C’est ici qu’aura lieu votre débat, camarade Pottier. Devant non seulement des membres des instances dirigeantes du PEV, mais également devant des responsables politiques velsniens ou de l’UICS. J’espère que vous n’avez pas le traque, je sais à quel point cette position peut être intimidante. Sur ce, je crois qu’il est presque l’heure, les rangs ne vont pas tarder à se remplir. Le camarade Marcos ne va pas tarder.
En effet, il ne fallu guère longtemps pour que la salle du comité central ne se remplisse de monde, parmi lesquels des acteurs importants de l’UICS et du mouvement socialiste international. C’est durant ce temps que le camarade Marcos entra accompagner d’autres membres du comité central. D’une poigne ferme mais chaleureuse, il vint saluer l’invitée sylvoise :
- Camarade Pottier. Un plaisir, vraiment. Vous a-t-on déjà dit comment allait se passer cette entrevue ? Nous vous proposons le format suivant : nous aurons à discuter de six grands thèmes de débat que nous choisirons : trois pour vous, trois pour nous. Ceux-ci seront abordés au tirage au sort. Nous aurons bien tentendu un temps limité pour chacun d‘entre eux puisque je suppose que personne parmi nous n’a envie de passer une semaine entière en ces lieux, bien que la décoration soit fort belle. Etes vous d’accord avec ce principe ? En guise de bonne volonté, nous vous laissons décider des trois sujets de débat la première, nous vous soumettrons notre liste à votre suite.