27/03/2015
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Le partage d'Aula - rencontre Velsna/Loduarie

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Le partage d'Aula



Un rideau de neige d'est abattu sur la Grande République, et depuis les cimes de la frontière occidentale du pays, dans les Monts du Zagros où avait déjà eu lieu une rencontre entre les deux égos forts de Velsna et de la Loduarie, on ne distingue au loin que les champs portant un lourd manteau blanc, séparés par le sillon laissé par les routes et les voies ferrées. La plaine d'habitude verdoyante de Velsna a ses charmes en cette saison. Nous sommes donc dans les contreforts de ce Zagros déjà connu du loduarien, mais le monde a bien changé durant les deux années qui ont séparé la première entrevue des deux hommes, et celle qui s'annonce. En premier lieu, si il ne s'agit d'une rencontre gardée par le sceau du secret, ce n'est pas non plus la panacée d'une réception sur les marches du Sénat. En effet, bien que les relations entre Velsna et le secrétaire général de la Loduarie soient cordiales, la nature des deux gouvernements et la réputation du gouvernement loduarien provoque encore l'ire d'un grand nombre de sénateurs, qui pour la quasi totalité ignorent même jusqu’à l'existence du premier traité entre les deux pays. En effet, celui-ci ayant été signé durant une épisode de Triumvirat, il n'a jamais été présenté au Sénat, et il s'agit là de l'un des secrets les mieux gardés du gouvernement communal. On dirait bien que DiGrassi, en invitant cordialement le secrétaire dans la petite cité d'Aula, dans une petite salle annexe du Sénat local, tient à continuer de jouer au nez et à la barbe des autres gouvernements d'Eurysie.

Cette fois-ci, les vins ont été prévus par le personnel du Sénat des magistrats d'Aula, lesquels ont été d'ores et déjà prévenus de déserter les lieux à une heure précise afin de garantir l’intimité de l'entrevue. Le Maître de l'Arsenal de la Grande République se trouve cette fois ci accompagné deux deux hommes particulièrement notables. En premier lieu le doyen du Sénat, son excellence Gabriele Zonta, qui préside le comité électoral de la République ainsi que les sessions sénatoriales. D'une autre part, isolé en bout de table, un jeune greffier sénatorial tapotant sur son ordinateur, et devant consigné ce qui se dira entre ces quatre murs. DiGrassi regarde sa montre à son poignet, l'heure tourne, mais le loduarien n'est pas en retard. Il ne l'avait pas été la dernière fois après tout. Le vieux Zonta profite de ce moment de solitude pour demander à son excellence confrère:
- Je n'ai jamais rencontré le moindre loduarien en 88 ans d'existence, dont 51 en tant que sénateur. Décidément, ce mandat n'est pas comme les autres.
On avait prit soin d'installer au mur, recouvrant des bas reliefs renaissance magnifiques, une gigantesque carte de l'Eurysie, à la demande express de DiGrassi.
- Vue d'ici, Velsna nous paraît si petite et vulnérable...tu ne trouves pas, Gabriele ?
- Tu sais bien que ce n'est pas le casn Matteo..
. - lui répondit le vieil homme -

La délégation velsnienne attendait donc l'arrivée de leur interlocuteur si spécial, qui devait être escorté sous bonne sécurité en ces lieux, ce splendide palais baroque...mais nul doute qu'il ne serait pas sensible à ce détail.
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Aula, hein ? Ils auraient pu nous mettre à un autre endroit. Pas simple de relier la zone en hélicoptère.

Le son du rotor de l'hélicoptère rugissait, tandis que Lorenzo regardait, par la porte ouverte, dans le vide. Réfléchissant. Il fallait, encore une fois, se prêter au jeu. Avancer ses pions. La dernière fois, c'était exactement ce qu'il avait fait en venant au même endroit. Il avait avancé ses pions, et il les avait très bien avancés. Tout avait été une réussite totale, certes il y avait eu des imprévus, mais le plan avait réussi. La situation serait-elle la même ce jour là ? Il n'en savait rien. Au final, il avançait toujours à l'aveuglette.

C'était le jeu.


Tout se passa sans grands accrocs. L'hélicoptère atterrit à Velsna, et Lorenzo se dirigea à l'endroit où on le conviait. Peut-être que venir le chercher n'aurait pas été de trop et une bonne marque de respect, mais il savait à quoi s'en tenir. Enfin il pensait.

Quelle ne fut donc pas sa surprise, quand lorsqu'il rentra dans la pièce de rencontre, paré de son uniforme militaire, il vit non pas une personne, mais trois. Deux de plus de ce à quoi il s'attendait, deux de plus pour mettre en l'air son plan. Tant pis. Il n'allait pas abandonner.

Hé bien, bonjour à vous. Je ne pense pas que nous avons besoin de nous encombrer des formalités d'usage, cela va juste nous faire perdre du temps et nous empêcher d'aller au but. Vous avez souhaité me parler, je suis là pour vous écouter.
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Le secrétaire général de la Loduarie fit son entrée dans la pièce. Il n’avait guère changé. Pourtant beaucoup d’évènements s’étaient déroulés depuis le temps, qui avaient autant affecté la Loduarie que la cité velsnienne. Autant commencer par là, d’autant que DiGrassi avait conscience de la tendance de son interlocuteur à aller rapidement au vif du sujet. Le vieux Zonta se feignit d’un commentaire pour lui-même lorsque ce dernier fit son apparition : « Et ainsi, le loup d’Eurysie vint à nous. », tandis que DiGrassi brisa rapidement la glace:
- Je vous en prie, prenez place, excellence Secrétaire. Prenez du vin à votre soif si vous l’entendez, mais je ne saurais vous conseiller d’entamer la bouteille que je vous ait fait apporté pour la fin de cette discussion. Nous avons un certain nombre de choses desquelles nous aimerions nous entretenir.
Comme vous vous en doutez, bien que la région soit magnifique, ce n’est pas la raison pour laquelle nous vous avons invité en petit comité aujourd’hui. Nos deux gouvernements ont des rapports relativement cordiaux garantis par le traité de l’observatoire. C’est un bon traité, dans le sens où aucun de nos deux parties ne l’ont enfreint, vous ne pensez pas ? Ces deux années ont été particulièrement productives : Velsna s’est sortie de ses atermoiements guerriers et a de nouveau un gouvernement stable. Quant à la Loduarie, j’ai cru comprendre qu’elle se remettait à voir par-delà ses frontières, et entendait à nouveau, en Translavye et en Eurysie centrale, jouer un rôle de gardien de la paix civile entre ses nouveaux « alliés » socialistes et les puissances onédiennes. En d’autres termes, ce traité a été très productif, mais le monde change, et les impératifs géopolitiques changent, eux aussi. C’est pourquoi, nous sommes de nouveau l’un en face de l’autre aujourd’hui, secrétaire général.


DiGrassi se lève, et repose ses mains contre le rebord de la fenêtre de la petite pièce. Il fixe un point dans l’horizon : la plaine velsnienne. Il prend un ton moins formel :
- Je n’ai qu’un ennemi, secrétaire général : celui qui tendra la main assez loin pour s’en prendre aux intérêts du Sénat et de la cité velsnienne, qui mettra en danger notre liberté d’envisager un avenir pour nos deux nations. Et il se trouve qu’encore une fois, c’est une chance pour nous deux que ce potentiel adversaire que nous avons soit le même. L’hégémonie est une plante rampante qui grimpe le long des murs, et qui étouffe toutes les autres sur son passage. Et aujourd’hui, l’hégémonie, ce n’est pas la Loduarie, ce n’est pas Velsna, ce n’est même pas le Liberalintern en train de s’effondrer. L’hégémonie se trouve à quelques centaines de kilomètres à peine de Velsna : elle est dans les couloirs du palais de Manticore, elle est dans des bureaux de bureaucrates tanskiens aux murs blancs et ternes… C’est pourquoi nous nous devons de mettre côtés tous nos autres points de désaccord, tout ce qui peut nous faire croire que l’OND est un problème secondaire. Voilà pourquoi vous êtes ici aujourd’hui.

Le Maître de l’Arsenal vint de nouveau prendre place face à Lorenzo :
- Nous devons revoir notre traité afin de nous assurer qu’il n’existe aucune dissension entre nous. Nos ambitions respectives vont en s’accroissant, et il devrait donc en être de même pour le découpage de nos zones « de préséance diplomatique » dont nous avions convenu. De même, il faut également que nous abordions le problème rimaurien. J’ai conscience que les rimauriens vivent sous un régime qui ferait envier à un de leurs citoyens de vivre à Drovolski, mais la Rimaurie doit rester intacte. Tout simplement parce que nous n’avons pas assez de dents contre l’OND pour nous passer d’eux, et que ces derniers entendent rejoindre le pacte de défense mutuel que mon gouvernement à l’intention de signer faire avec un certain nombre d’Etats. Ce faisant, nous voulons évacuer tout de suite toute tension qui pourrait naître entre Velsna et la Loduarie sur ce sujet.

Ainsi, nous pensons nécessaire que la Loduarie fasse taire les canons et les missiles sur ce pays. Bien entendu, nous comprenons l’inconfort que représente notre demande pour vous, aussi, nous sommes prêts à la dédommager par un gage de bonne volonté de notre part : de l’argent, beaucoup d’argent. Velsna s’est pleinement remise de la guerre civile, et peut-être auriez vous envie que nous « mettions en commun » une partie des richesses que ma cité abrite.


Le vieux sénateur aux côtés de DiGrassi énumère la somme avec sa voix chevrotante :
- 40 milliards de florius sur une année, en plusieurs paiements. L’équivalent de 40 000 unités internationales standard. Avec un premier paiement immédiat de 10 000 unités internationales standard.

Il y eu un court silence au cours duquel on ne pouvait entendre que le cliquetis des touches de l’ordinateur du greffier, avant que DiGrassi ne reprenne le fil de ses propositions :
- Mais ce n’est pas tout. Je pense qu’il nous faut procéder à un partage plus clair des zones de « préséance diplomatique » dont nous avions convenu de la délimitation au cours de notre première et fructueuse entrevue. En proposant un élargissement de nos deux zones respectives…

DiGrassi n’avait pas de carte à bonne échelle à portée de main, il venait de s’en rendre compte, et le greffier semblait l’avoir oublié. Il se retourna vers la grande carte de l’Eurysie qui avait été apposée là contre le mur. Le stratège se leva, fit les cent pas devant celle-ci, et jetant un coup d’œil à un sabre décoratif accroché au-dessus de la cheminée, fit signe au greffier de la lui apporter. De la tranche de la lame, il découpa deux grands bouts de la carte, scindant l’Eurysie en deux parties, et fit glisser vers Lorenzo un morceau de celle-ci, posant l’autre devant le sénateur Zonta.
- Voyez. C’est comme une tarte sortie du four, mon ami. La Loduarie gardera son principe de préséance diplomatique sur tous les territoires onédiens eurysiens, excepté Caratrad qui est en île celtique. Mais je vous propose d’y ajouter toute l’Eurysie centrale où vous avez des intérêts notables. Sauf Rasken, l’Hotsaline et la Mahrénie, où nous y avons les nôtres. Cela ne veut pas dire que vous n’avez pas le droit d’agir dans notre sphère et inversement, je vous rassure. Mais en cas de litige entre vos intérêts et les nôtres dans une certaine zone, la parole de l’un d’entre nous aura force de loi. Nous comprenons nous, secrétaire ? Bien entendu, je vous laisse scruter nos zones respectives plus en détail, et vous invite à nous faire savoir si quelque chose coince. Quant à nous, nous disposerons d'une zone qui équivaut peu ou prou aux rivages de la Manche Blanche. Qu’en pensez-vous ?

Le partage
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Ouais. L'OND a de très grandes dents désormais, en plus de leur appétit insatiable. Et dire qu'autrefois, ils n'avaient que l'appétit mais pas les couverts...

Je vous concède le fait que nous devons mettre de côté nos différents pour affronter notre "ennemi". Considérez le comme vous voulez, mais à ce jour, la Loduarie considère chaque pays membre de l'OND comme un ennemi. Nous avons coupé les ponts définitivement, conservant juste ce qu'il faut de relations pour éviter les incidents trop gros. Enfin, pour ce que ça fonctionne. M'enfin, qui sait, prochainement, peut être que nous finirons par totalement nous passer de relations avec l'OND.


Lorenzo regarda autour de lui.

Vous savez, j'ai une très grande estime pour vous, Monsieur DiGrassi, malgré nos idéologies et différences. Une très grande estime. Peut-être parce que tout les deux, nous avons subit la même chose dans la vie. Parce que tous les deux, nous avons vécu la guerre, nous l'avons menée. Et que nous nous sommes retrouvés à mener notre peuple, d'une manière ou d'une autre. Parce que nous ne sommes pas de vulgaires politiciens qui n'ont aucune idée de comment tourne le monde derrière leur porte.

Lorenzo le regarda alors droit dans le yeux.

J'aurais donc apprécié que vous ayez une estime similaire envers moi, Monsieur DiGrassi.
Je ne suis pas un homme qu'on achète, je l'ai jamais été. Le laisser entendre est peut-être la pire insulte qu'on m'ait faite.

Ainsi, je refuse votre argent. Je me bats chaque jour contre la corruption, ce n'est pas pour y céder aujourd'hui.

Mais je comprends néanmoins vos inquiétudes stratégiques. Je ne refuse pas d'y remédier, cela serait idiot de ma part. Mais rendez vous compte que vous me demandez de trahir mes paroles, en me demandant de laisser la Rimaurie tranquille.
Vous me forcez à modifier ma politique extérieur, voici donc ma proposition.

J'ai cru comprendre que ces derniers temps, votre pays subissait un mouvement massif de grèves ouvrières. J'ai un moyen d'y remédier.

Ce moyen, le voici : faites acceptez l'intégralité des revendications demandées par les grévistes à votre sénat. Rien que cela. Les grèves se finiront, et la Rimaurie sera tranquille. Pour toujours. J'accepte de modifier en votre faveur la politique extérieure, vous acceptez de modifier votre politique intérieure. Rien que cela, monsieur DiGrassi. Une concession pour une concession. Pas besoin d'argent, juste des actes.

Oh, et le partage de l'eurysie me convient. Je ne serais pas contre à ce que vous rajoutiez à la Loduarie la péninsule albienne et l'eurysie slave.
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La proposition du secrétaire général avait laissé un froid dans le pièce. DiGrassi s’affaissa dans son siège, ayant une petite latence à synthétiser ce qu'il venait d'entendre. Mais ce n'est pas de lui dont le loduarien entendit la voix s'élever la première. Gabriele Zonta, le doyen du Sénat, vieil homme qu'il est, savait donner de la verve lorsqu'il était nécessaire de la livrer, et prit un ton plus ferme, effaçant la légèreté avec laquelle il prenait la réunion jusque maintenant. Il adopta, comme il le fait de par son privilège de l'âge auprès de ses confrères, le tutoiement. Chose rare avec des étrangers:
- Lorenzo Geraert-Wojtkowiak. Cela fait bientôt 53 ans que je figure parmi ces excellences sénateurs. J'ai assisté à davantage de gouvernements que certains de mes confrères n'ont eu d'anniversaires. J'ai toujours veillé au respect de la discussion, que ce soit entre mes confrères ou avec les étrangers. Alors ne te méprends pas sur nos intentions: les compensations en argent auprès d'étrangers sont rarissimes et marques de respect de tes positions et de ton honneur. Si nous ne t'estimions pas, et n'estimions pas la patrie des loduariens, nous ne serions pas là, et aurions prit cette position vis à vis de la Rimaurie sans te consulter et te proposer une contre-partie plus avantageuse que ta peine. Aussi, sache aussi qu'il est rare que je me déplace pour des étrangers, aussi puissants qu'ils sont, et si bons guerriers que toi ils sont.

Depuis 53 ans que je suis une excellence sénateur, jamais loi n'a été passée sans que nous, représentants de notre cité, ne soyons contraints de l'édicter et de la proclamer sous la pression d'étrangers. Le peuple de notre cité est libre de ses décisions et s'est débarrassé depuis longtemps de tout homme qui s'imagine en être le roi et le tyran, et ne les prendra jamais sous les traits d'une concession ou d'une demande de l’extérieur. Il n'y a point d'ingérence que nous pouvons accepter de la part de qui que ce soit, allié ou ennemi: que ces étrangers soient onédiens, oncéniens ou loduariens. Si les velsniens entendent obtenir ces avantages, alors ils se battront pour que la loi advienne, eux et eux seuls. Ce faisant, nous ne pouvons accepter une telle proposition qui serait marquée du sceau de l'infamie.

Néanmoins, secrétaire général, tu restes un ami du peuple velsnien, tel que nous t'avons gratifié de cet honneur. Et nous sommes disposés en guise de bonne volonté, à agrandir ta zone de préséance telle que tu nous en fais la demande. Va pour le pays des slaves et les terres d'Albe et des peuples de la mer, ainsi que l'on appelle ces pirates parasites et barbares de l'ancien Pharois. Ces terres en échange du pays des rimauriens. Que penses tu de cette proposition ?



Le vieil homme se reposa dans sa chaise et fit signe au jeune greffier de lui servir un verre de vin. DiGrassi prit de nouveau la parole, comme pour remettre les deux délégations sur les rails d'une négociation de gentilhomme:
- Sans compter que si l'argent vous paraît source de corruption, nous pouvons toujours trouver d'autres moyens de faire valoir notre bonne volonté auprès des loduariens, mon ami. Nous savons qu'en vertu de votre situation géopolitique, l'achat d'armes vous est mécaniquement restreint, sans compter que vous n'y êtes pas favorable de base. Vous êtes un soldat ? Très bien, dans ce cas le gage de notre bonne volonté sera celui d'un soldat. Je vous propose donc un soutien matériel ponctuel en ce qui concerne certains types d'équipement: artillerie et infanterie mécanisée en tête. Ce sera bien entendu un soutien discret, mais dont nous espérons qu'il gagera de notre amitié. Nous sommes également au fait que la flotte loduarienne est depuis récemment en train de revoir ses ambitions à la hausse, en témoigne votre incursion en Manche blanche au large de Caratrad.

Si ce n'est pas un soutien matériel que vous voulez, peut-être voudriez vous que nous vous fournissions l’intégralité des détails de l'enquête que nous entendons faire quant au naufrage de ce même sous marin.

En bref, nous pouvons mettre tout cela sur la table, à vous de voir. Que pensez vous de cela ? Un enquête "gratuite" que vous pouvez effectué à l'encontre de l'OND par notre intermédiaire, que nous pourrons mettre ensuite dans l'embarras. En plus d'un don en matériel militaire, bien entendu. A cela, nous ajouterons également le cadeau diplomatique qu'il vous convient d'avoir. J'ai cru savoir que vous étiez admirateur des belles lames.
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Lorenzo parla d'un ton calme. Très calme.

Et pourtant tu me demande de briser ma parole, Monsieur Zonta. Je veux bien croire que ton pays ne s'est jamais laissé dicter sa conduite jusqu'à ce jour, et que ce ne sera pas non plus le cas dans le futur, aussi proche soit-il. Seulement il en est de même pour moi. Il en est de même pour mon pays. Dit moi. Quelle serait ma crédibilité, ma crédibilité de soldat et de dirigeant, si demain mon pays apprenait que j'ai renoncé à ma parole pour quoi ? Quelques piécettes ? Les beaux yeux d'un pays ? Ou bien encore son matériel militaire, ou juste une lame pour moi même ? Là encore. Votre profonde méconnaissance de ma personne, à tous ici présent, me heurte. J'aurais cru, monsieur DiGrassi, que vous l'auriez cerné. Mais je me trompais.

Maintenant parlons un peu. Très cher monsieur Zonta, tu m'as parlé du combat que ton pays a mené contre les tyrans. Je crois me rappeller que récemment, ton pays en a vu un autre pointer le bout de son nez. Et il a été vaincu. Mais sais-tu comment il a été vaincu ? Monsieur DiGrassi t'a-t-il dit comment et grâce à qui il a été vaincu ?

Grâce à mon pays, tout simplement. Mais pas seulement grâce aux 1000 de mes camarades que j'ai envoyé pour ton pays. Grâce aux opérations de reconnaissance que j'ai fait mener. Grâce à la planification militaire que j'ai ordonné. Grâce aux diversions que j'ai réalisés pour les Teylais. Autant de choses qui ont à elles seules contribués à votre victoire contre un tyran. Autant de choses qui ont amené des conséquences dommageables pour la Loduarie à long et à court terme. Autant de choses que personne n'était foutu de faire sans commettre la moindre foutue erreur.

Alors oui, je vous demande une concession. Comme moi vous me demandez une concession. Comme vous me demandez d'annuler des plans préparés depuis plusieurs mois déjà.

Et non, je ne veux pas de compensations qui ne viennent pas de vous. La Loduarie n'a pas besoin de matériel militaire, et de tout manière la Loduarie fait ce qu'elle peut pour rester autonome tout en arrêtant la prolifération des armes dans ce monde. Je n'ai pas besoin de lames que quelqu'un d'autre que vous aura fabriqué pour satisfaire mon égo. Vous avez raison, j'apprécie les lames et couteaux en tout genre. Mais parce que moi, je les fabrique moi même. Un seul d'entre vous peut-il se targuer de l'avoir fait une fois dans sa vie, dans cette pièce ? Pas à ma connaissance.

La balle est dans votre camp. La Rimaurie est en ligne de mire de la Loduarie depuis longtemps déjà. Je veux quelque chose qui vienne de vous-même. Et alors, j'accepterais moi aussi de vous laisser ingérer ma politique extérieure.
Tout simplement.
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DiGrassi faisait tourner son doigt autour de son verre d'eau de plus en plus vite (il ne buvait guère autre chose). L'homme en face de lui...lui en rappelait d'autres qu'il en avait croisé dans l'armée velsnienne. Il était entêté, terriblement entêté, mais cela ne déplaisait pas au Maître de l'Arsenal. Le doyen su Sénat était sur le point de reprendre la parole lorsque DiGrassi le coupa net:
- Camarade secrétaire général. Je vous rassure, il n'y a rien qui n'a été fait durant cette guerre dont notre doyen ne soit pas au courant. Sans quoi il ne serait pas avec nous aujourd'hui. Ces soldats loduariens, je les ai récompensé, déjà, ainsi que votre gouvernement. De concession à ce propos j'ai déjà tenu ma parole de légaliser vos amis du PEV, ce qui était dans les termes de notre accord. J'ai signé un pacte de non-agression avec vous, et je n'ai jamais brisé ma parole, ni tourner les armes contre l'ami du peuple velsnien qu'est votre personne, et je n'ai jamais porté aucun jugement sur la manière dont vous gériez votre politique extérieure, à contrario des trois quarts de l'Eurysie. J'aurais pu me tourner vers l'OND, comme ce Vinola le voulait. Cela aurait été la solution de facilité de rechercher l'approbation de ces chercheurs de gloire, mais j'ai préféré faire en sorte de Velsna demeure une cité libre, et que nos gouvernements aient des rapports plus cordiaux car je crois fermement que la Loduarie a son rôle à jouer dans l'Eurysie de nations libres dont nous avons, je pense, tous les deux la vision. Si je laissais un dirigeant étranger faire la loi en notre domaine, alors il faudrait que je me rende à l'évidence que la guerre que j'ai mené n'aura servi à rien.

Si vous voulez une concession qui ne soit ni de l'argent, ni des armes, un agrandissement de votre zone de préséance, ou des informations précieuses sur vos ennemi, qui au passage seraient d'autant d'outils précieux dans votre lutte, alors je vous ferai une dernière offre, et vous aurez de votre côté, le privilège de choisir ce que vous entendrez avoir le plus besoin, ou de refuser, faute de quoi la Rimaurie restera une épine dans l'un de nos pieds, qui nous causera beaucoup dans notre lutte pour la fin d'une hégémonie onédienne sur ce continent. Une concession sur la scène internationale contre une autre: une déclaration d'amitié publique entre nos deux États, chose que vous recherchiez au vu de la réponse que nous avons reçu de votre part à notre demande d’invitation. Certes, cela ne formaliserait pas une alliance, mais cela signalerait auprès de tous que nos deux puissances sont prêtes à incarner un véritable contrepoids à l'hégémonie des onédiens en Eurysie. Et que nous sommes deux entités avec lesquelles il faut compter sur la scène internationale. Ce serait la fin de l'enclavement politique de la Loduarie, en dehors de votre alliance qu'est l'UICS. Vous vouliez un engagement de notre part qui ne soit pas ce que vous considérez comme étant de la corruption ? Eh bien...voyez cela acté que nous mettons en jeu notre crédibilité à l’international pour vos beaux yeux. J'attends votre réponse, mais si vous voulez du temps pour réfléchir, sachez que nous pouvons parler du détail du partage de nos zones de préséance en attendant.

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Il s'arrêta tout simplement. Gardant le silence. Non de merde, c'était quoi cette proposition ? Cela devait faire des années qu'il n'avait pas entendu une telle chose. Une telle proposition, c'était beaucoup à gagner. Énormément. Les pions se placeraient solidement. Tout était au vert. Tout. Alors, oui ?

Non.

Lorenzo parla peut-être un peu brutalement. Mais cela ne dura pas, et il reprit la voix qu'il avait juste avant.

Non. Je décline cette offre également. Il y a des choses que la Loduarie ne peut pas accepter ainsi face au monde entier. Il y a des choses que la nouvelle Loduarie ne peut pas faire. Pensez juste un peu au retentissement d'une telle entreprise. Aussi bien pour la Loduarie que pour Velsna. La crédibilité de nos deux pays partirait en miettes. Tout simplement. Les états du monde entier se poseront des questions. Certains commenceront à regarder, et d'autres parleront. Et tout ce qui est relatif à la guerre civile ressortira au grand jour. Beaucoup de pensées seront émises, beaucoup de mots seront prononcés. Et je ne veux pas voir un seul de ces mots exister.
Non. Je crois que nous sommes dans une impasse concernant la Rimaurie. À la limite, la Loduarie est disposé à ne pas mettre en place de représailles militaires. Mais tôt ou tard, les représailles arriveront quand même. Non pas militaires, certes. Mais elles arriveront.
C'est tout ce que j'ai à dire. Je ne crois pas que nous ayons à discuter bien longtemps pour bosser zones de préséance respectives, par ailleurs.
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DiGrassi paraissait déçu, mais il n'était pas surpris. Cette proposition était audacieuse, et elle avait une but précis, dont le Maître de l'Arsenal ne se cacha guère devant son interlocuteur:
- Mon ami. J'ai toujours pensé que la franchise et l’honnêteté devaient être les pierres angulaires d'une relation diplomatique saine et cordiale. Aussi, vous avez bien conscience que je n'ai que peu d'attirance pour votre modèle politique, tout comme je sais très bien votre détestation du Sénat que je représente. Dans la même ligne, je tiens donc à dire que cette proposition, même si vous la refusé, était sincère et qu'une porte sera toujours ouverte pour que vous puissiez l'accepter. Qui sait...dans un autre contexte, cela sera possible. Mais j'espère avoir fait valoir ma détermination à ne pas vous considérer comme un simple calcul politique. Pas plus que ne l'étaient nos autres propositions.

Nous ne sommes pas d'accord sur le sort de la Rimaurie. Soit. Très bien. Cela restera une pomme de discorde entre nous, mais nous espérons simplement qu'un Etat croupion fasciste ne soit pas une entrave à ma vision plus générale que nous avons partagé avec vous aujourd'hui. Un monde dans lequel ni la Loduarie ni ma cité n'auront à craindre le danger. Vous êtes dur en affaires, et je n'en attendais pas moins de vous, je ne suis donc point déçu. Voilà la consolation que l'honnêteté apporte, ainsi que notre honneur. Nous confirmons donc notre partage en retirant la Rimaurie du traité, et en ajoutant les pays d'Albe en signe de bonne volonté de notre part. Cela vous convient t-il ? Je vous enverrai une mise à jour de notre traité par le biais de notre ambassade.



Le sénateur-stratège se leva de la table et tendit sa main à Lorenzo. Une main légèrement inclinée, les doigts fermés et la paume fière.
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Nous avons un accord, donc.

Il sera là main qu'on lui tendait.

De toute manière, et je le sais, vous serez obligés d'abandonner la Rimaurie un jour ou l'autre. D'une manière ou d'une autre, ou bien vous serez obligé de tomber avec elle. Je vous le prédit.
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