Posté le : 13 nov. 2024 à 12:56:25
7518
Progressivement, le bureau de DiGrassi se garnit des dignitaires étrangers, lesquels sont accompagnés des sénateurs, mais qui ressortent tous dés que ceux-ci se sont assurés que raskenois et hotsaliens étaient réunis. Seuls restent auprès de DiGrassi le sénateur Di Albirio et le jeune greffier du sénateur-stratège qui le suit comme son ombre partout où il va, lui qui était également à la Conférence de Velcal. Tous les participants étant autour de la table, le Sénateur-stratège prit soin de saluer raskenois conformément à son rang avant d'attaquer le vif du sujet, et c'est seulement à ce moment tardif qu'il cessa de consigner ses notes. Il était laconique et tranchant, comme à son habitude lorsqu'il e siège pas au Sénat et qu'il fait face à des interlocuteurs qu'il connait peu, et dont il ne cerne pas encore la personnalité et la susceptibilité:
- Je pense que nous pouvons commencer. Je nous imagine mal trinquer ou nous souhaiter mutuellement bonne chance. Plus tôt cette affaire sera réglée et plus vite nous rentrerons tous chez nous. Inutile de me présenter la nature des différends qui vous lient, j'en ai déjà connaissance. Mon travail n'est pas de déterminer qui de vous est le plus légitime à contrôler quoi que ce soit, mais de vous faire comprendre que cette question doit être réglée urgemment. Aussi, laissez moi vous présenter la situation dans laquelle vous vous trouvez actuellement, et la raison pour laquelle il serait dans votre intérêt de conclure un accord dés aujourd'hui.
Matteo DiGrassi reprend ses notes et tapote son carnet avec son stylo:
- Nous commencerons par vous, excellence raskenoise. Vous êtes depuis 1994 en possession du territoire du Gradenbourg, une bande de terre dont vous faites la revendication et dont l'ancien gouvernement est désormais en exil. Là encore, qui de vous était dans son droit, je me fiche bien de cela. Ce qui m'intéresse est le résultat concret, aujourd'hui, de cette guerre dont le résultat empoisonne encore votre vie politique et qui ne sert aucune de vos parties. Aussi, quel est pour vous, excellence, l'héritage de cette guerre: Rasken est isolée sur le plan diplomatique et il n'y a guère de monde pour défendre votre cause. Votre revendication sur le Gradenbourg est toujours douteuse aux yeux du reste du monde, vous avez à votre porte un État qui s'arme et qui s'entraîne avec vous, dans une escalade qui si elle éclate, mettra en danger les intérêts commerciaux qui vous lie au gouvernement que je représente, et ce pour des gains territoriaux très modestes et une région dont la mise en valeur est, vous le pardonnerez, négligeable. Vous vous êtes mis en porte à faux avec plus de gouvernements qu'il m'est permis de l'imaginer. Si il n'y avait que la Confédération dans la balance, je dirais que vous auriez encore toutes vos chances de pérenniser votre présence au Gradenbourg. Mais dans le contexte actuel, vous êtes au prises directes ou indirectes avec quatre entités: la Confédération, l'OND qui a déjà fait acte de protection de cette dernière, Fortuna qui est un autre problème dont nous allons reparler, et la Mahrénie.
Dans ce contexte, vous comprendrez que vous êtes en position difficile dans cette négociation, et qu'il vous faudra lâcher du lest. Et je suis dans le regret de vous annoncer qu'il n'y a aucun scénario, malgré l'amitié historique qui lie nos deux nations, où je conçois que vous pourriez garder la souveraineté du Gradenbourg à long terme. Le Sénat est également très inquiet que vos pertes ne se limitent pas au Gradenbourg en cas de conflit. En effet, chaque minute que vous passez avec la Confédération à vous disputer ce territoire attire les corbeaux et les charognards. La Mahrénie vous a d'ores et déjà menacé d'un ultimatum vous intimant de vous retirer, et je vous invite ainsi à considérer cette réunion pour une porte de sortie honorable qui vous permettra de sortir la tête haute et avec des compensations de cette mauvaise passe, et qui seront préférables au diktat de communalistes qui veulent la perte d'Apex Energy.
Comme vous le savez, mon gouvernement s'est engagé à défendre l'intégrité territoriale de Rasken, et pour nous, cela ne comprend pas le Gradenbourg. Aussi, vous serez seul contre la Mahrénie et la Confédération en cas de guerre. J'espère que vous avez conscience que la Mahrénie a un autre but derrière la rétrocession du Gradenbourg, et que leur but à long terme est le démantèlement de votre industrie pétrolière qui fait pour 30% de votre PIB annuel brut. Je vous laisse imaginer la catastrophe que cela constituerait. En plus de cette mise en danger des actifs d'Apex, je me permets également de vous rappeler que vous êtes le seule producteur d'armement d'importance en Eurysie qui maintient une politique de non alignement relative, en plus d'être l'un de nos fournisseurs favoris. Or, nous pensons que l'escalade entre vous et la Confédération ne fait que ralentir votre industrie, qui doit se focaliser sur une menace permanente et réduit ainsi vos marges d'exportation. Et Velsna s'inquiète là encore pour le partenaire commercial que vous êtes.
Aussi, si vous négociez avec la Mahrénie plutôt qu'avec nous, j'ai bien peur que vous ne perdiez beaucoup plus qu'une bande de terre. N'êtes vous pas d'accord ? Considérez ici que mon but n'est pas de vous voler, mais de vous sauver. Si nous nous sommes engagés à vous défendre des mahréniens, mes troupes ne vont pas rester ici éternellement. Et si votre situation auprès de vos voisins ne s'est pas régularisée à mon départ, je puis affirmer que vous ferez face à de graves problèmes.
DiGrassi se tourna alors vers la jeune ministre nationaliste, et fit de même qu'avec Stanislav: une analyse de la situation que DiGrassi estime être honnête et franche:
- Madame la ministre. Si la situation raskenoise telle que je l'ai décrite peut paraître précaire, mais cela ne signifie pas que la votre est confortable. Loin de là. La Confédération est dans une situation problématique: en premier lieu, il convient de mentionner que l'une des composantes de cette dernière, l'Altarie, ne semble pas partager votre haine de Rasken. Au contraire, nous avons aboutit à la situation ubuesque où une partie de votre pays a pactisé avec ces derniers. Mais si ce n'était que ça... Certes, j'estime, en cas de conflit ouvert avec les raskenois, que vous pourriez vous appuyer sur d'autres entités pour vous emparer du Gradenbourg. Mais malheureusement, je n'en vois aucune qui ne vous ferait pas tomber dans la dépendance de l'un de ces pays. C'est un comble pour un gouvernement qui compte des éléments "nationalistes" tels que vous, que de laisser accès libre à votre territoire à des hordes armées étrangères pour garantir votre sécurité. La lutte contre les raskenois vous pousse à faire ces choix contre-nature et paradoxalement, font de votre souveraineté une notion de plus en plus ténue.
En second lieu, vous pourriez en théorie également vous appuyer sur la Mahrénie pour récupérer par la force le Gradenbourg. Mais là encore, à quel prix ? Il convient de rappeler qu'avoir une puissance communaliste à ses portes est rarement un bon signe pour un État d'une obédience politique telle que la votre. Bien souvent, un accord avec le Grand Kah ou l'un de ses vassaux est le premier signe d'une dépendance économique et d'un entrisme agaçant qui je suis sûr, ne sont pas la direction qu'entend prendre votre nation. La Grande République vous donne ainsi l'opportunité de régler ce différend sans un seul coup de fusil, et sans faire appel au concours de puissances étrangères, dont le but n'est que d'exploiter les opportunités que permettent votre faiblesse. Une fois cette affaire réglée et la Mahrénie n'ayant plus d’intérêt à s’immiscer dans une dispute territoriale qui n'existera plus, l'armée velsnienne se retirera complètement de la région et disparaîtra de votre vue. Le tout sans aucune demande: pas de compensation financière, pas de concession économique, pas de concession politique excepté une seule que j'évoquerai le moment venu et qui n'est en rien contraignante. En bref, j'estime que Velsna est votre seule et unique chance de ne pas troquer un conflit territorial pour une dépendance. Et celle-ci ne se représentera pas deux fois: je n'ouvre pas ma porte deux fois.
Lorsque le velsnien eut terminé son exposé, il ferma son carnet en prenant le soin d'y laisser un marque-page. Il releva la tête, fixa à nouveau ses interlocuteurs et conclu:
- Libres à vous de contredire ou de souligner une faiblesse dans mon analyse. Mais reste est qu'il s'agit du fruit de mon observation, et nous ne pourrons pas arriver à un accord aujourd'hui si vous ne pouvez pas reconnaître mutuellement la précarité de votre situation. Il me tarde de vous faire savoir ma proposition afin qu'aucune de vos parties ne se sente perdante aujourd'hui. Car je pense que c'est tout à fait possible, et souhaitable pour vous.