21/02/2015
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Les princes de Margoulie - Médiation Hotsaline/Rasken/Velsna

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Les princes de Margoulie - Médiation Rasken/Hotsaline



" Il fait toujours aussi moche ici ? Je commence à en avoir marre. Vivement que ça se termine ". Bernaba di Albirio et son compère, Benedetto da Molin étaient côte à côte dans les hautes herbes, à quelques dizaines de mètres des clôtures de la base aérienne et les casernements que les raskenois avaient mis à disposition des velsniens. Deux gardes les scrutaient de loin, s’assurant que ces excellences courent aucun danger. Mais les deux se mettent à rire au loin, et on peut entendre la voix de Bernaba tonner : « Hé ! On ne croise pas les effluves on a dit ! ». Au retour, les deux sénateurs contemplèrent les deux soldats en faction, et ceux-ci essuyèrent une réflexion de la part d’un homme qui n’aime point être dorloté :
- Bah quoi ? Qu’est-ce que vous foutez plantés là ? On peut plus pisser tranquille ? Allez dire à son excellence stratège que ces excellences ne sont pas en sucre et qu’à part des fourmis raskenois il n’y a pas eu de pertes notables ce matin.

Les deux hommes retournèrent sur la piste d’atterrissage de la base :
- C’est pas possible ça. On survit à un coup d’état, un massacre au Sénat, une guerre civile et on nous traite comme des gamins. Va falloir que je touche un mot à Matteo sur le dispositif de sécurité, histoire qu’il arrête d’envoyer des gamins qui font la moitié de ma taille pour me protéger quand je pars exprimer mes amitiés pour la terre de Rasken. – se plaint Bernaba – Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que le chancelier Rossmann nous espionne avec des jumelles dans un putain de buisson ?
- C’est le protocole, Albirio. Il y a que neuf sénateurs présents dans cette armée, neuf personnes qui ont la distinction nécessaire pour diriger des troupes. C’est normal qu’on nous couve j’imagine.
– tempère Benedetto –
Les sénateurs se joignirent aux six autres qui attendaient sur le tarmac de la piste d’atterrissage. Il y avait là la fine fleur de la Grande Tribune velsnienne stationnée en Margoulie, car aujourd’hui était un jour particulier. Parmi les sénateurs, on pouvait en entendre un se plaindre du coût grandissant de cette expédition, tandis qu’un autre avait les yeux rivés sur le cours boursier d’Apex. 29 000 velsniens étaient désormais en faction dans ce pays, gardant la frontière d’un envahisseur hypothétique. C’était de loin le plus grand déploiement de troupes en dehors du pays depuis des décennies, preuve en était de l’importance de cette région. Mais aujourd’hui, tous ces hommes et femmes dont la plupart étaient des mobilisés auraient peut-être une opportunité de rentrer chez eux plus rapidement. Ces excellences sénateurs auraient la tâche d’accueillir les invités de cette journée, aux revendications des plus fermes.

Où était donc DiGrassi ? Dans l’un des bureaux de la base, qui avait été aménagé pour l’occasion. Parfois, il se levait pour scruter par la fenêtre l’arrivée de deux avions. La présence velsnienne à Rasken commençait à agacer ces excellences sénateurs, et il en avait conscience. Aussi, cette journée serait importante. La sénatrice Badoer était assise en face de lui, et les deux se fixaient dans le blanc des yeux. Elle laissa échapper une réflexion décourageante:
- Ces gens se détestent, Matteo. A ta place, je n’en attendrais pas beaucoup. Ce serait déjà un miracle qu’il n’y ait pas un mort d’ici la fin de la journée.
DiGrassi fixa le fond de son verre d’eau, et esquissa un début de réponse énigmatique à sa consœur :
- On a besoin que d’une chose, sénatrice. Un « oui » de leur part, et cette situation prendra fin. Tu es pessimiste, nous sommes bien plus proches du but que tu le penses.
- Soit…mais maintenant que tu le dis, j’ai longtemps cru que notre présence ici ne mènerait à rien. J’étais presque partante pour suivre le plan de Bernaba.
- Oui non…on va éviter cela. Du moins pour l’instant.


L’heure tournait, et un premier avion semblait se dessiner dans l’horizon gris de Rasken…Il y avait un mot à Velsna pour désigner ces personnages puissants qui pouvaient d'un revers de main, être à l'origine d'un renversement complet de l'équilibre politique: les "princes". Les velsniens attendaient donc ces "princes" d'Eurysie centrale avec appréhension.
Le carrosse de la « princesse » hotsalienne vint se poser délicatement sur le tarmac de l'aérodrome raskeno-velsnien. Il s'agissait un simple avion de transport tactique de l'armée de l'air hotsalienne, le petit pays de sept millions d'âmes ne disposant pas vraiment d'appareil mieux adapté au transport de l'un des membres de son gouvernement, malgré un niveau de vie moyen très confortable. À l'ouverture de la porte latérale de l'aéronef, ce n'est pas le dignitaire hotsalien attendu par la délégation velsnienne qui pointa le premier le bout de son nez hors de l'appareil, mais deux canons de fusils d'assaut brandis par des soldats des forces spéciales, qui balayèrent rapidement la zone pour vérifier l'absence d'un comité d'accueil militaire raskenois non prévu par le protocole. Si les services hotsaliens accordaient une confiance et un crédit relatifs à la parole velsnienne, il n'en était rien concernant Rasken, avec qui toute relation diplomatique était rompue depuis deux décennies. Or, c'est bien sur le territoire de l'Empire que Mariya Dovhan avait dû se rendre pour participer à cette rencontre. Dans la mesure où il était jugé préférable d'éviter qu'une vice-présidente du Conseil, ministre du gouvernement et cheffe d'un parti de la majorité représenté au parlement soit prise en otage au cours d'un déplacement qui se voulait secret, certaines précautions avaient été prises pour assurer la sécurité de la représentation hotsalienne. Une fois la zone sécurisée, les deux soldats donnèrent à la ministre le feu vert pour descendre les marches de l'avion.

Si son intention était de faire de cette initiative de médiation velsnienne un succès, le Conseil de Réclamation Nationale n'aurait pas pu faire pire choix que de précipiter Mariya Dovhan pour le représenter. Présidente de la Voix des Exilés, à savoir le parti hotsalien le plus revanchiste et hostile à Rasken qui soit, la Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés avait par ailleurs une histoire personnelle assez lourde vis-à-vis de la monarchie germanique voisine de la Kresetchnie, dont les missiles tirés dans les 90 sur l'Hotsaline avaient touché de plein fouet son domicile familial et massacré la quasi totalité de sa famille proche. En soi, la plupart des membres du Conseil avaient leur propre petite marotte personnelle qui venait volontiers chatouiller le seuil de l'obsession pathologique, que ce soit Elena Vasylenko avec l'ex-président Kravchuk, Mariya Dovhan avec Rasken, ou Boris Slobodyan avec les « pédales » et les Juifs. Toutefois, cette vice-présidente, figurant parmi les rares ministres issus de basse extraction sociale, avait cette petite particularité supplémentaire de laisser facilement tomber le masque de sagesse et de respectabilité qu'arboraient ses collègues du Conseil pour se laisser aller à des démonstrations d'espièglerie qui sortaient des carcans habituels de la communication politique. Elle avait notamment la réputation de se mettre volontiers en scène sur les réseaux sociaux, parfois aux côtés de son pitbull baptisé Stanislav en « hommage » à l'Empereur de Rasken, où elle tenait des propos extrêmement crus à l'encontre des « ennemis de l'Hotsaline ».

La composition de la délégation hotsalienne n'était cependant pas vraiment le signe d'un désintérêt de la présidence du Conseil vis-à-vis de cette rencontre, bien au contraire. Mariya Dovhan n'avait pas vraiment été choisie pour représenter l'Hotsaline au cours de ce sommet : c'est elle qui s'était imposée. Et il était difficile de dire non à l'une des vice-présidentes du Conseil, par ailleurs présidente d'un parti nécessaire au maintien de l'hégémonie de la coalition gouvernementale au sein du parlement, lorsque celle-ci insistait avec autant de verve pour conduire elle-même ces négociations. D'autant que le ministère dont elle avait la responsabilité était le plus à même, par sa seule appellation, de représenter les objectifs primordiaux du Conseil lors de cette rencontre.


Mariya Dovhan, Vice-Présidente du Conseil de Réclamation Nationale, Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés de la République d'Hotsaline et Présidente de la Voix des Exilés
Mariya Dovhan
Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés de l'État de Réclamation Nationale d'Hotsaline
Vice-Présidente du Conseil de Réclamation Nationale de la République d'Hotsaline
Présidente de la Voix des Exilés


« C'est vous, DiGrassi ? »

Elle tendit une main blanche et frêle vers le sénateur velsnien.

« Mariya Dovhan, Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés. »

A la sortie de cet avion un brin austère, les hotsaliens de la ministre Dovhan furent accueillis non pas par un, mais par les neuf sénateurs qui assumaient aux côtés du stratège les diverses fonctions de commandement au sein de la Grande Tribune velsnienne en "Margoulie". L’accueil ne fut pas froid certes, mais il était d'une cordialité que l'on adopte souvent lorsqu'on est en présence d'inconnus, une sorte de politesse faite de sourires mécaniques et de beaux mots. Les parlementaires/commandants velsniens étaient d'un naturel fier, et lorsque l'un d'entre eux voyait un autre faire davantage de courbettes et de politesses vis à vis des invités, celui-ci ne pouvait s'empêcher d'en faire un peu plus, et ainsi de suite. Il y avait chez ces gens un profond cynisme: de savoir que ces individus ordonnent le bombardement de la Rache un lundi, et deviennent des diplomates le mardi... Sur ces neuf sénateurs, huit étaient des hommes, dans une moyenne d'âge comprise entre la cinquantaine et la soixantaine d'années. Là où à Velsna, survivre à un tel système politique jusqu'à un âge avancé était synonyme d'excellence, ils contemplaient le débarquement d'une "jeune" femme. Ils étaient peu au fait de cette coutume locale de donner la parole à des "bambins", mais par ordre de DiGrassi lui-même, on leur avait donné l'ordre que leurs pensées soient aussi opaques que possible. Une seule remarque mal placée d'Albirio par exemple, faisait craindre de faire échouer cette rencontre.

Les hotsaliens passaient certes sous les yeux de soldats, des "chasseurs de Strombola" venus tout droit d'Achosie du nord en l’occurrence, mais un effort fut fait entre le sentiment de sécurité et celui de l'oppression, et si militaires il y avait, ils n'abondaient pas en tous sens. On laissa les hotsaliens rejoindre le bureau de fortune du Sénateur-Stratège en compagnie de quatre parlementaires velsniens, les autres restant surveiller l'arrivée des raskenois.


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Un vrai charmeur


La pièce dans laquelle se tiendrait la réunion était définitivement un lieu tenu par un personnage austère, à la fois dans ses mœurs et ses manières. DiGrassi utilisait d'aussi peu de mots pour exprimer ses pensées qu'il n'y avait d'ornements sur les murs et les buffets. Il était déjà assis à sa grande table, et il était posé à ses côtés une montre, un stylo, un carnet et une pile de feuilles. A la main tendue par l'hotsalienne, il répondit par une main tendue. Son regard prit le temps de se promener dans les yeux de son interlocutrice avant de lui répondre:
- En effet. A mon grand regret, il semblerait que je sois "DiGrassi". Installez vous je voue prie, madame la ministre.

Le velsnien ne releva rien des multiples enfreintes au protocole, sous les yeux ébahis et tremblants du sénateur Albirio, lui aussi présent. A ses yeux, Dovhan aurait tout aussi bien pu l'appeler "Matteo", "vieille branche" ou "mon p'tit pote".
- Aujourd'hui en tout cas madame la ministre, vous pouvez au moins vous féliciter d'une victoire contre les raskenois: vous êtes arrivée à l'heure - DiGrassi lui parle en ces termes en fixant la chaise vide assignée au potentiel chef de la délégation des margoulins - C'est quelque chose que j'apprécie et qui se fait rare.

Un silence s'installa. Matteo DiGrassi...n'était pas un grand animateur de conversation, du moins lorsqu'il n'était pas au Sénat. Mais il se fit violence pour rebondir sur un sujet quelconque en prenant quelques notes (Dovhan, si elle se redressait quelque peu, aurait pu voir que ce dernier nota l'heure d'arrivée de la jeune femme):
- Dites moi. Tous les politiciens hotsaliens utilisent les "réseaux sociaux" pour mettre en valeur leurs propos ? Pardonnez moi, mais ce n'est pas une habitude par chez nous, même les sessions du Sénat sont à huit-clos et le concept d'interview nous est relativement curieux. Mon épouse m'a dit un jour que je devrais faire des..."réelles" pour me donner une bonne image, mais je crois qu'elle se moquait de moi.
Le sénateur Albirio reprend à demi-mots le stratège:
- Des "reels" plutôt non ?
- Mais bref, peu importe...c'était un très beau chien nonobstant.

Albirio en rajouta une couche:
- Il était mignon oui, on aurait dit le vrai. Le coup de la mèche était audacieux.
DiGrassi jeta un regard réprobateur en direction de son confrère et subordonné, et celui-ci se tut.
Ce jour est... comment dire... particulier : deux nations ennemies, qui sous la menace d’une Mährenie de plus en plus menaçante, se réunissent pour négocier. Cette négociation s'annonce tendue à bien des égards. D’un côté, les Hotsaliens, qui détestent les Raskenois et souhaitent récupérer les terres de l'empire germanique; de l’autre, les Raskenois, voulant simplement défendre leurs citoyens. Difficulté supplémentaire pour cette réunion : la représentante hotsalienne semble encore plus anti-Raskenoise que la moyenne, pour des raisons qui restent floues.

Aux alentours de 10 heures du matin, l’avion hotsalien entra dans l’espace aérien Raskenois et, quelques secondes plus tard, fut rejoint par deux avions de chasse de l’armée de l’air, chargés de l’escorter jusqu’à la base de Münchberg. Cette escorte d’une dizaine de minutes se transforma rapidement en théâtre d'insultes quasi permanentes entre les deux parties. Dix minutes plus tard, l’avion se posa sur la piste de la base militaire. Quelques minutes après, ce fut au tour de l’avion Raskenois d’atterrir. Le premier à en sortir fut Sa Majesté Stanislav Schützenberger. Après avoir salué les militaires Raskenois, menés par le général Ian Strobl et le sénateur Velsnien, il se dirigea vers le camp de base de Digrassi, où l'attendaient le sénateur et la représentante hotsalienne. Il salua d’abord Digrassi avant de se tourner vers la représentante hotsalienne, Mariya Dovhan, et de lui tendre la main, sans grande conviction qu’elle la lui serrerait en retour.


Stanislav Schützenberger – Comment allez-vous, madame Dovhan ? Le voyage s'est bien passé ?
Progressivement, le bureau de DiGrassi se garnit des dignitaires étrangers, lesquels sont accompagnés des sénateurs, mais qui ressortent tous dés que ceux-ci se sont assurés que raskenois et hotsaliens étaient réunis. Seuls restent auprès de DiGrassi le sénateur Di Albirio et le jeune greffier du sénateur-stratège qui le suit comme son ombre partout où il va, lui qui était également à la Conférence de Velcal. Tous les participants étant autour de la table, le Sénateur-stratège prit soin de saluer raskenois conformément à son rang avant d'attaquer le vif du sujet, et c'est seulement à ce moment tardif qu'il cessa de consigner ses notes. Il était laconique et tranchant, comme à son habitude lorsqu'il e siège pas au Sénat et qu'il fait face à des interlocuteurs qu'il connait peu, et dont il ne cerne pas encore la personnalité et la susceptibilité:
- Je pense que nous pouvons commencer. Je nous imagine mal trinquer ou nous souhaiter mutuellement bonne chance. Plus tôt cette affaire sera réglée et plus vite nous rentrerons tous chez nous. Inutile de me présenter la nature des différends qui vous lient, j'en ai déjà connaissance. Mon travail n'est pas de déterminer qui de vous est le plus légitime à contrôler quoi que ce soit, mais de vous faire comprendre que cette question doit être réglée urgemment. Aussi, laissez moi vous présenter la situation dans laquelle vous vous trouvez actuellement, et la raison pour laquelle il serait dans votre intérêt de conclure un accord dés aujourd'hui.

Matteo DiGrassi reprend ses notes et tapote son carnet avec son stylo:

- Nous commencerons par vous, excellence raskenoise. Vous êtes depuis 1994 en possession du territoire du Gradenbourg, une bande de terre dont vous faites la revendication et dont l'ancien gouvernement est désormais en exil. Là encore, qui de vous était dans son droit, je me fiche bien de cela. Ce qui m'intéresse est le résultat concret, aujourd'hui, de cette guerre dont le résultat empoisonne encore votre vie politique et qui ne sert aucune de vos parties. Aussi, quel est pour vous, excellence, l'héritage de cette guerre: Rasken est isolée sur le plan diplomatique et il n'y a guère de monde pour défendre votre cause. Votre revendication sur le Gradenbourg est toujours douteuse aux yeux du reste du monde, vous avez à votre porte un État qui s'arme et qui s'entraîne avec vous, dans une escalade qui si elle éclate, mettra en danger les intérêts commerciaux qui vous lie au gouvernement que je représente, et ce pour des gains territoriaux très modestes et une région dont la mise en valeur est, vous le pardonnerez, négligeable. Vous vous êtes mis en porte à faux avec plus de gouvernements qu'il m'est permis de l'imaginer. Si il n'y avait que la Confédération dans la balance, je dirais que vous auriez encore toutes vos chances de pérenniser votre présence au Gradenbourg. Mais dans le contexte actuel, vous êtes au prises directes ou indirectes avec quatre entités: la Confédération, l'OND qui a déjà fait acte de protection de cette dernière, Fortuna qui est un autre problème dont nous allons reparler, et la Mahrénie.

Dans ce contexte, vous comprendrez que vous êtes en position difficile dans cette négociation, et qu'il vous faudra lâcher du lest. Et je suis dans le regret de vous annoncer qu'il n'y a aucun scénario, malgré l'amitié historique qui lie nos deux nations, où je conçois que vous pourriez garder la souveraineté du Gradenbourg à long terme. Le Sénat est également très inquiet que vos pertes ne se limitent pas au Gradenbourg en cas de conflit. En effet, chaque minute que vous passez avec la Confédération à vous disputer ce territoire attire les corbeaux et les charognards. La Mahrénie vous a d'ores et déjà menacé d'un ultimatum vous intimant de vous retirer, et je vous invite ainsi à considérer cette réunion pour une porte de sortie honorable qui vous permettra de sortir la tête haute et avec des compensations de cette mauvaise passe, et qui seront préférables au diktat de communalistes qui veulent la perte d'Apex Energy.

Comme vous le savez, mon gouvernement s'est engagé à défendre l'intégrité territoriale de Rasken, et pour nous, cela ne comprend pas le Gradenbourg. Aussi, vous serez seul contre la Mahrénie et la Confédération en cas de guerre. J'espère que vous avez conscience que la Mahrénie a un autre but derrière la rétrocession du Gradenbourg, et que leur but à long terme est le démantèlement de votre industrie pétrolière qui fait pour 30% de votre PIB annuel brut. Je vous laisse imaginer la catastrophe que cela constituerait. En plus de cette mise en danger des actifs d'Apex, je me permets également de vous rappeler que vous êtes le seule producteur d'armement d'importance en Eurysie qui maintient une politique de non alignement relative, en plus d'être l'un de nos fournisseurs favoris. Or, nous pensons que l'escalade entre vous et la Confédération ne fait que ralentir votre industrie, qui doit se focaliser sur une menace permanente et réduit ainsi vos marges d'exportation. Et Velsna s'inquiète là encore pour le partenaire commercial que vous êtes.

Aussi, si vous négociez avec la Mahrénie plutôt qu'avec nous, j'ai bien peur que vous ne perdiez beaucoup plus qu'une bande de terre. N'êtes vous pas d'accord ? Considérez ici que mon but n'est pas de vous voler, mais de vous sauver. Si nous nous sommes engagés à vous défendre des mahréniens, mes troupes ne vont pas rester ici éternellement. Et si votre situation auprès de vos voisins ne s'est pas régularisée à mon départ, je puis affirmer que vous ferez face à de graves problèmes.



DiGrassi se tourna alors vers la jeune ministre nationaliste, et fit de même qu'avec Stanislav: une analyse de la situation que DiGrassi estime être honnête et franche:
- Madame la ministre. Si la situation raskenoise telle que je l'ai décrite peut paraître précaire, mais cela ne signifie pas que la votre est confortable. Loin de là. La Confédération est dans une situation problématique: en premier lieu, il convient de mentionner que l'une des composantes de cette dernière, l'Altarie, ne semble pas partager votre haine de Rasken. Au contraire, nous avons aboutit à la situation ubuesque où une partie de votre pays a pactisé avec ces derniers. Mais si ce n'était que ça... Certes, j'estime, en cas de conflit ouvert avec les raskenois, que vous pourriez vous appuyer sur d'autres entités pour vous emparer du Gradenbourg. Mais malheureusement, je n'en vois aucune qui ne vous ferait pas tomber dans la dépendance de l'un de ces pays. C'est un comble pour un gouvernement qui compte des éléments "nationalistes" tels que vous, que de laisser accès libre à votre territoire à des hordes armées étrangères pour garantir votre sécurité. La lutte contre les raskenois vous pousse à faire ces choix contre-nature et paradoxalement, font de votre souveraineté une notion de plus en plus ténue.

En second lieu, vous pourriez en théorie également vous appuyer sur la Mahrénie pour récupérer par la force le Gradenbourg. Mais là encore, à quel prix ? Il convient de rappeler qu'avoir une puissance communaliste à ses portes est rarement un bon signe pour un État d'une obédience politique telle que la votre. Bien souvent, un accord avec le Grand Kah ou l'un de ses vassaux est le premier signe d'une dépendance économique et d'un entrisme agaçant qui je suis sûr, ne sont pas la direction qu'entend prendre votre nation. La Grande République vous donne ainsi l'opportunité de régler ce différend sans un seul coup de fusil, et sans faire appel au concours de puissances étrangères, dont le but n'est que d'exploiter les opportunités que permettent votre faiblesse. Une fois cette affaire réglée et la Mahrénie n'ayant plus d’intérêt à s’immiscer dans une dispute territoriale qui n'existera plus, l'armée velsnienne se retirera complètement de la région et disparaîtra de votre vue. Le tout sans aucune demande: pas de compensation financière, pas de concession économique, pas de concession politique excepté une seule que j'évoquerai le moment venu et qui n'est en rien contraignante. En bref, j'estime que Velsna est votre seule et unique chance de ne pas troquer un conflit territorial pour une dépendance. Et celle-ci ne se représentera pas deux fois: je n'ouvre pas ma porte deux fois.



Lorsque le velsnien eut terminé son exposé, il ferma son carnet en prenant le soin d'y laisser un marque-page. Il releva la tête, fixa à nouveau ses interlocuteurs et conclu:
- Libres à vous de contredire ou de souligner une faiblesse dans mon analyse. Mais reste est qu'il s'agit du fruit de mon observation, et nous ne pourrons pas arriver à un accord aujourd'hui si vous ne pouvez pas reconnaître mutuellement la précarité de votre situation. Il me tarde de vous faire savoir ma proposition afin qu'aucune de vos parties ne se sente perdante aujourd'hui. Car je pense que c'est tout à fait possible, et souhaitable pour vous.

Un large sourire de contentement illumina le visage de Mariya Dovhan à l'écoute de la remarque de DiGrassi quant à sa ponctualité. Si l'évocation de cette première « victoire » de la vice-présidente hotsalienne sur Rasken n'était sans doute nul autre qu'une plaisanterie légère de la part du sénateur velsnien, la ministre la comprenait au premier degré et en tirait une réelle fierté. Pareillement, la parenthèse de DiGrassi sur la valeur qu'il accordait à la ponctualité lui fit croire avec une candeur certaine que, par ce seul fait, elle venait déjà de se mettre son arbitre velsnien dans la poche, ce dont elle ne doutait pas qu'il allait grandement faciliter les négociations à venir. Si elle n'était qu'illusion naïve, cette perspective avait le mérite de mettre l'Hotsalienne de très bonne humeur avant l'arrivée de son interlocuteur raskenois.

Quand commencèrent à fuser les commentaires sur la promptitude que la « jeune » femme avait à s'afficher sur les réseaux sociaux, notamment avec son pitbull, Mariya Dovhan ne remarqua pas l'agacement pourtant ostensible de DiGrassi face aux égarements de son subordonné, rétorquant au contraire sur un ton enjoué.


Mariya Dovhan, Vice-Présidente du Conseil de Réclamation Nationale, Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés de la République d'Hotsaline et Présidente de la Voix des Exilés
Mariya Dovhan
Ministre de la Réintégration des Territoires Occupés de l'État de Réclamation Nationale d'Hotsaline
Vice-Présidente du Conseil de Réclamation Nationale de la République d'Hotsaline
Présidente de la Voix des Exilés


« Ce n'est pas la seule ressemblance qu'il partage avec le vrai, vous savez. J'ai été obligée de le faire castrer. Ce n'est pas le plus futé des chiens, mais il est vraiment très agressif. »

À l'arrivée du monarque raskenois, le sourire qui irradiait jusqu'alors le visage de Mariya Dovhan, expression d'une joie réelle, ne devint plus qu'une façade dissimulant sa répulsion.

« Tiens ! Quand on parle du loup... »

Elle consentit à saluer l'Empereur Stanislav, mais du bout des doigts et en arborant un rictus d'une fausseté flagrante et assumée.

« C'est amusant que vous posiez la question. Peu après que nous ayons franchi la frontière de Rasken, une odeur nauséabonde a envahi l'avion. J'ai cru que l'un des moteurs était en train de brûler, mais le chef de bord m'a assuré que ces relents devaient provenir de l'air extérieur. Étrange, non ? »

Elle se garda bien de s'intéresser davantage à son interlocuteur ou de lui retourner ses questions. Une fois la « poignée de mains » terminée, elle abaissa son bras pour s'essuyer les doigts sur le côté de son pantalon. Un geste qu'elle effectua sans ostension, mais sans non plus d'effort particulier pour le dissimuler aux regards des autres personnes présentes. Cela n'empêcha guère DiGrassi de mettre un terme à ces « amabilités » pour entrer directement dans le sujet du jour, en entamant un long exposé sur les raisons pour lesquelles, selon lui, Rasken et l'Hotsaline avaient tout intérêt à trouver un accord dès aujourd'hui sur la question gradenbourgeoise. Alors que le Stratège énumérait la situation « précaire », selon ses propres termes, dans laquelle se trouvait l'Empire Raskenois, le sourire de Mariya Dovhan allait grandissant à mesure que le sénateur énumérait les faits. Finissant complètement aux anges à la fin du petit exposé du Velsnien, au cours duquel elle n'avait pas manqué de lâcher quelques gloussements étouffés dans sa main, la ministre hotsalienne sentit ses muscles zygomatiques se relâcher rapidement lorsque DiGrassi commença à évoquer le cas hotsalien.

Dans un premier temps concentrée sur le discours de son hôte, qui lui fit lever brièvement les yeux au ciel à l'évocation du nom de l'Altarie, l'attention de Mariya Dovhan se dissipait à mesure que son interlocuteur déroulait son propos, pour venir se fixer sur quelque chose d'autrement plus intéressant. Il lui semblait bien que, avec ses talons, elle était plus grande que l'Empereur de Rasken ! Elle scruta Stanislav, tentant de jauger sa hauteur, et commença même à porter sa main vers le haut de sa tête pour mesurer leur écart. À ce moment, elle avait totalement oublié DiGrassi, qui continuait de lire ses notes sous le regard toujours attentif du monarque local. Alors qu'elle déplaçait lentement sa main horizontalement en direction de Stanislav depuis son propre front, elle remarqua le silence qui régnait désormais dans la pièce depuis une demi dizaine de secondes : le Velsnien avait fini son discours.

Mariya Dovhan rabattit vivement son bras le long de son corps et tourna à nouveau son regard vers DiGrassi, avant de lui répondre :


« Je pense que nous sommes tous au fait de la situation, ici. Pourquoi ne pas nous donner directement votre proposition, Matteo ? On gagnerait tous du temps, je pense. Je saurai rapidement vous dire si elle est acceptable pour le Conseil, et surtout pour les Hotsaliens. »

Elle l'avait appelé « Matteo » par habitude. Au sein du Conseil des ministres hotsalien comme parmi les cadres de son propre parti, tous s'appelaient par leurs prénoms. Elle n'envisageait même pas qu'il puisse en être autrement dans un autre contexte ou un autre pays.

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