11/05/2017
22:28:27
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[Grand Kah/Wanmiri] Nouvelle Aube

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Il faisait chaud, mais pas trop chaud aux goûts d'Actée. La kah-tanaise avait connus des dizaines de pays et autant de chaleurs, et avait développé le goût prononcé et précis d'une connaisseuse, concernant ce sujet. C'était une chaleur un peu humide. Une chaleur qui promettait la lourdeur d'une nuit d'orage, précédait la tempête. Une chaleur qui laissait le temps aux commerçants de ranger leurs étales, à la foule de se cacher dans les vitrines d'une terrasse. Cette chaleur qu'elle avait déjà pu ressentir en Maronhi, ou en Communaterra. Lui évoquait un sentiment étrangement mélancolique, agréable. Prosaïquement, elle la considérait supportable en ça qu'elle ne la faisait pas suer : son costume impeccable le resterait.

À ses côtés, Arko Acheampong affichait cette espèce d'air vaguement inquiet qui, elle avait appris à l'accepter, caractérisait moins son incertitude que la vitesse prodigieuse à laquelle son esprit analysait l'environnement et tentait d'y trouver un sens. C'était bien entendu perdu d'avance, et elle le savait. Le Chiffre, comme on le surnommait, était un théoricien du "Dragon céleste", c'est à dire qu'il concevait l'économie selon des théories moins matérialistes et plus adaptées aux logiques de marché. Toute recherche de sens était un vœux pieu pour cet homme dont la réalité était flexible, instable. Sa position dans un comité qui avait retravaillé les fondamentaux infrastructurels de l'Union pouvait surprendre, mais il n'avait jamais manqué à ses devoirs de compétence et d'efficacité. Du reste, et cela n'engageait qu'elle, Actée avait appris à l'apprécier. Elle lui sourit sincèrement. Depuis le début de cette rencontre, c’était arrivé à de très nombreuses reprises : elle appréciait le pays, appréciait ses hôtes, et appréciait l’odeur d’une opportunité. Pour elle qui représentait une nation prédatrice, cette odeur était comme celle du sang pour un loup.

Elle secoua la tête. Il n’existait pas d’impérialisme kah-tanais. Ce qui revenait à l’Union revenait à l’Humanité. Il s’agissait de libération, de sauvegarde du droit et de la dignité. Au final, tout servait la roue.

« Camarade, » Le Chiffre lui jeta un regard. « Je crois que nous pouvons passer au contrat.
– C’est une version que l’on peut amander. Je sais que cela peut sembler un peu cavalier, dans les faits nous nous sommes basés sur ce qui se faisait déjà lors de nos investissements précédents, mais la décision de la convention de répondre à tous les appels d’offre de l'Operasi Renaisans n’a été possible qu’à la condition de l’institutionnaliser par un pacte bilatéral.  »

Il fit glisser une copie du contrat sur le bureau, en direction de leur hôte, puis attendit patiemment.

Contrat d’Investissement et de Coopération Économique entre les Communes Unies du Grand Kah et la République du WanmiriContrat d’Investissement et de Coopération Économique entre les Communes Unies du Grand Kah et la République du Wanmiri

Préambule : Ce contrat vise à officialiser et structurer les investissements des Communes Unies du Grand Kah dans divers projets stratégiques de développement et de modernisation de la République du Wanmiri. Cet accord repose sur des valeurs communes de solidarité économique, de respect des droits des travailleurs et de promotion de l’autogestion, tout en visant une coopération accrue dans les domaines économique, universitaire, culturel et marchand entre les deux nations.

Article 1 : Nature et Objectif de l’Investissement

Les Communes Unies du Grand Kah s’engagent à investir dans les projets d’échelle nationale et régionale de la République du Wanmiri pour un montant total de 64 500 devises, couvrant les domaines suivants :

  • Infrastructure ferroviaire, portuaire et de transport urbain.
  • Aménagement d’espaces économiques et commerciaux.
  • Développement de logements sociaux et infrastructures de services publics (écoles, cliniques).
  • Déploiement de réseaux électriques et d’énergie renouvelable.

Les objectifs de ces investissements incluent :

  • La formation et la création d’emplois locaux, en mettant l’accent sur l’autonomie et la dignité des travailleurs.
  • La promotion de pratiques de gestion inclusives et transparentes, en conformité avec le code du travail kah-tanais.
  • Le renforcement des liens économiques, culturels et universitaires entre les Communes Unies du Grand Kah et la République du Wanmiri.

Article 2 : Application du Code du Travail Kah-tanais

Dans tous les projets où les Communes Unies du Grand Kah participent en tant qu’investisseur, le code du travail kah-tanais sera appliqué. Ceci inclut :

  • Autogestion et Démocratie des Travailleurs : Les équipes locales seront organisées en comités autogérés, chargés de la prise de décisions opérationnelles au quotidien. Chaque comité aura le droit de faire valoir ses intérêts auprès des représentants syndicaux.
  • Syndicats et Représentation : Les travailleurs seront encouragés à former et rejoindre des syndicats libres et indépendants, garantissant leur représentation dans tous les aspects de la gestion.
  • Rémunération Juste et Équitable : Tous les employés recevront une rémunération conforme aux normes kah-tanaises, assurant un niveau de vie décent, avec une prime d’ancienneté et des augmentations salariales régulières en fonction des résultats et de la durée d’engagement.
  • Assurance Mutuelle et Protection Sociale : Une assurance santé mutuelle sera mise en place pour tous les employés, couvrant les soins médicaux, la protection sociale et des fonds de retraite adaptés. La prévention des accidents de travail et la sécurité seront garanties par des normes strictes.

Article 3 : Emploi et Formation Locale

Les Communes Unies du Grand Kah s’engagent à :

  • Prioriser l’embauche de citoyens de la République du Wanmiri pour l’ensemble des postes créés dans le cadre des projets financés.
  • Offrir des formations continues afin d’améliorer les compétences des travailleurs et d’assurer leur progression professionnelle.
  • Faciliter la mobilité interprofessionnelle des travailleurs entre le Wanmiri et les Communes Unies du Grand Kah pour encourager le partage de savoir-faire technique, culturel et social.

Article 4 : Coopération Économique, Universitaire, Culturelle et Marchande

Dans un esprit de solidarité et de développement commun, les Communes Unies du Grand Kah et la République du Wanmiri souhaitent intensifier leur coopération dans les domaines suivants :

  • Économique : Développement d’un commerce équitable entre les entreprises publiques et coopératives des deux nations, visant une diversification des échanges et l’ouverture de nouveaux marchés.
  • Universitaire : Renforcement des échanges académiques, des partenariats de recherche et des programmes d’échange pour les étudiants et professeurs entre les universités du Wanmiri et celles des Communes Unies du Grand Kah.
  • Culturelle : Soutien aux initiatives culturelles conjointes, tels que des festivals, échanges artistiques et projets patrimoniaux.
  • Marchande : Développement d’infrastructures de transport favorisant le flux de marchandises entre le Wanmiri et le Grand Kah, incluant la réduction des frais douaniers et la simplification des procédures d’exportation et d’importation.

Article 5 : Suivi et Évaluation

Un comité mixte de suivi, composé de représentants des deux parties, sera institué pour évaluer l’avancement des projets et veiller au respect des engagements pris dans le présent contrat. Ce comité se réunira semestriellement pour discuter des progrès réalisés, des ajustements nécessaires et des opportunités futures de coopération.

Article 6 : Dispositions Finales

  • Les Communes Unies du Grand Kah et la République du Wanmiri s’engagent à résoudre à l’amiable toute divergence concernant l’interprétation ou l’application du présent contrat.

En reconnaissance de l’engagement commun des Communes Unies du Grand Kah et de la République du Wanmiri dans une relation de partenariat respectueux et solidaire, fondé sur la dignité, l’autogestion et la prospérité mutuelle.


Quand la lecture fut manifestement terminée, Actée se redressa un peu dans son siège.

« Je suppose que le Daryl aura des choses à redire, c'est bien normal, et il faudra sans doute un peu de temps avant qu'une version pleinement satisfaisante de ce document voit le jour, mais voilà au moins une affaire courante expédiée, si je puis dire.
– L’investissement de plusieurs milliards n'est pas une affaire courante, camarade.
– Hhmhm. » Elle acquiesça sans avoir l'air d'y apporter une grande importance. « Je me faisais une réflexion, vous me direz si vous la trouvez pertinente. La faiblesse des alliances économiques vient de leur nature même. Quand différents pays ont une vision strictement affairiste des affaires mondiales, il se crée au mieux un rapport marchand : un échange que chaque parti considère certes souhaitables et, jusqu’à un certain stade, égal, mais qui n’a pas vocation à aller plus loin. On peut protéger ses bons clients ou ses bons fournisseurs, c’est par exemple ce qui se passait entre le Grand Kah et le Pharois, mais une relation de quo dépendance économique ne peut pas donner naissance à plus que ça.

Les alliances basées sur des accords idéologiques sont un peu plus puissantes, car on peut s’accorder sur une vision du monde qui, jusqu’à un certain stade, permet de conduire une ligne commune contre d’éventuels ennemis naturels. Bien entendu cela tient jusqu’au moment de l’inévitable cission. Quel communisme eurysien est le plus pur ? Existe-t-il une bonne ou une mauvaise façon pour les démocraties représentatives de s’asservir au capitalisme ?

Certes il n’y a pas d’amis en géopolitiques. Que des intérêts. Encore que c’est une phrase voulut et pensée par les ordolibéralistes. Mais on peut au moins le reconnaître un sens précis de leurs intérêts : effectivement, une nation est en mieux en droit d’attendre à des alliances d’intérêt commun.

Cela étant nous sommes ici entre révolutionnaires ; C’est-à-dire que notre expérience humaine et nos convictions propres dépassent le cadre du principe marchand, et bien entendu, la nature froide de la théorie dépersonnalisée. Nous incarnons cette théorie. Nous nous comprenons parce que nous sommes, dans le grand ordre des choses, faites d'une chair similaire.

Donc c’est en tant que telle que je dois m’adresser à vous et vous qualifier de camarade. Le Grand Kah va couvrir votre pays d’argent, et moi, je vais vous poser le plus naturellement possible la question qui, il me semble, est celle autour de laquelle nous tournions à l’écrit et lors de cette charmante cérémonie que vous aviez organisée pour notre accueil.
»

Elle croisa les jambes et pencha la tête sur le côté, affichant un sourire parfaitement calculé.

« Tu es une révolutionnaire, je suis une révolutionnaire. Mon ami ici présent est un révolutionnaire. Qu’est-ce que nous pouvons faire pour t'aider à aller au bout de tes objectifs ? Tu connais ton pays, ton continent, et pour notre part, nous savons nous mettre au service de nos frères et sœurs en humanité. »
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Eddonna accueillit les représentants kah-tanais à l'aéroport de Sivagundi lors d'une petite cérémonie, puis les mena sur la route, cahoteuse, qui reliait ledit aéroport au Hall des Ambassades. En arrivant au Palais de la Concorde, qui abritait la plupart des institutions, elle se hâta de pénétrer au sein de l'enceinte rassurante - et rafraîchissante, n'oublions pas cette chaleur atroce qui régnait sur la ville en pleine saison des pluies - du bâtiment, entraînant ses invités jusqu'à son bureau. Tout du long, elle leur tint la conversation, discutant de sujets et d'autres, la plupart sans importance car il ne fallait pas oublier que de nombreuses oreilles traînaient au Hall des Ambassade.

Une fois dans son bureau, elle les installa dans le petit salon attenant où elle accueillait les dignitaires, diplomates et ambassadeurs étrangers. Aujourd'hui, ce serait le temps des kah-tanais. Puis elle retourna à la porte, qu'elle verrouilla consciencieusement, et s'assura que personne ne pouvait les épier ; Actée et Arko se regardèrent en échangeant quelques mots, semblant comprendre la situation, mais elle préféra tout de même leur apporter un élément d'explication.

« Il est de nombreuses oreilles ici qui écoutent aux portes. Beaucoup de gens mal-élevés... un vrai jeu de cour. »

Puis elle s'assit en face de ses interlocuteurs, dans un fauteuil moelleux. « Parfois, cela me chagrine que, après la guerre, nous ne parvenions pas ici à nous faire assez confiance. Ces pratiques ressemblent furieusement à celles qui existaient sous l'Empire entre les courtisans... et cela n'est en aucun cas une bonne comparaison. » Entre elle et eux, une petite table basse, sur laquelle étaient disposés une carafe d'eau fraîche, des verres, quelques biscuits et pâtes de fruits, une bouteille de rhum sylvois - qu'elle avait oublié de ranger depuis le passage d'Ambre Alienov dans la matinée - et de quoi écrire.

Arko ne perdit pas son temps : il glissa aussitôt sur la table basse un document, un traité sans doute préparé de longue date, et attendit patiemment qu'Eddonna ait finit de le lire. Celle-ci, au fur et à mesure de sa lecture, semblait avoir de plus en plus de difficultés à maintenir une apparence calme et tranquille. Elle remuait sur son siège, commençant à se mordiller la lèvre inférieure, retrouvant un réflexe de jeunesse qu'elle croyait avoir perdu depuis longtemps. Elle se reprit sitôt qu'elle s'en rendit compte, mais sans doute trop tard pour que les yeux aguerris du Chiffre ou d'Actée n'aient pas remarqués son manège. Quoiqu'ils semblaient plutôt absorbés par l'observation de la décoration de la pièce, qui si elle était relativement sobre, présentait avec son bardage bois, ses quelques peintures et plantes en pot, un aspect douillet et cosy, propre à mettre à l'aise les individus et à les mettre dans les meilleures conditions possibles pour une discussion apaisée.

« Je suppose que le Daryl aura des choses à redire, c'est bien normal, et il faudra sans doute un peu de temps avant qu'une version pleinement satisfaisante de ce document voit le jour, mais voilà au moins une affaire courante expédiée, si je puis dire.
– L’investissement de plusieurs milliards n'est pas une affaire courante, camarade. »


S'ensuivit un long monologue d'Actée sur la question des alliances économiques, idéologiques, et entre révolutionnaires. Eddonna, évidemment, approuvait la vision d'Actée : elle-même était, et ce depuis longtemps et c'était ce qui avait motivé l'entreprise titanesque qu'avait été la mise en place de la révolution au Wanmiri, une amoureuse du Kah. Une amoureuse, oui, une rêveuse et une idéaliste, sans aucun doute, mais cela ne la rendait pas aveugle pour autant. Elle avait une longue carrière de négociatrice derrière elle, et elle savait pertinemment que ce que proposait sa camarade révolutionnaire serait refusé d'entrée de jeu par le Daryl. Et que, elle, en tant que Première Ambassadrice, ne pouvait pas se permettre de signer ce texte en connaissance de cause, et ne pouvait pas non plus le signer en tant que présidente du Partai Sosialis Wanmiria affaiblirait trop l'image du parti auprès des autres formations politiques. Notamment auprès du principal parti dont ils avaient besoin du soutien : celui de son frère.

« Camarade, je t'arrête aussitôt. Oui, je suis une révolutionnaire, oui, tu l'es aussi, et nous le sommes tous dans cette pièce. Et oui, nous partageons un objectif commun, et même plusieurs objectifs, pour ne pas dire tous. Cependant, ces objectifs ne sont pas partagés par tous ceux qui sont en dehors de cette pièce, aussi nous y reviendrons dans quelques temps, si cela ne te dérange pas. Ma priorité, nôtre priorité, est de garantir que le texte que tu me proposes sera accepté. Or, et je peux te le dire en toute honnêteté et connaissance de cause : en l'état actuel, il sera rejeté. Peut-être pas de beaucoup, mais il sera rejeté.

L'article un, dans l'ensemble, ne devrait pas poser trop de difficultés. Il me demandera sans doute un peu de gymnastique oratoire, cela nécessitera sans doute que je revois quelques classiques velsniens pour l'occasion, mais je devrais arriver à leur faire gober la pilule sans que le texte en pâtisse trop. Je serais tout de même favorable au retrait de la mention "en conformité avec le code du travail kah-tanais", qui risquerait de faire inutilement crisser des dents un certain nombre de députés, même au sein de nos soutiens, car cela serait perçu comme une perte de souveraineté. Or, tu le sais et cela me désole, les députés du Daryl privilégient la pseudo-souveraineté avant le développement du pays et l'amélioration des conditions de vie du peuple. On a bien vu combien de temps le lancement de l'Operasi Renaisans a pris... Ne me force pas à perdre inutilement du sommeil en nuits blanches et de la salive en discours pour quelques mots qui seront à coup sûrs retirés, et qui risqueraient de les faire regarder ce texte sous un autre oeil, moins favorable, quand nous pouvons le retirer dès maintenant. Pour ce qui est de l'application pratique, pas d'inquiétude, il nous suffira d'engager des entreprises kah-tanaises ou d'amadouer des élus locaux directement sur le terrain pour nous assurer du respect de ces quelques mots, sans qu'ils aient pourtant été inscrits. Nous arrivons ici sur le sujet des autres choses que vous pouvez faire pour moi, mais encore une fois, je remets ceci à plus tard.

Pour ce qui est de l'article deux, tu t'en doutes, il s'agit de la même situation. Si je suis évidemment favorable au code du travail kah-tanais, sais-tu pourquoi il n'est toujours pas appliqué au Wanmiri ? Pourquoi nous n'avons tout simplement aucune législation du travail ? Car les oppositions sont fortes sur le sujet, et les dissensions au sein même des partis tout autant. Cet article, à mon sens, doit être retiré, sinon quoi l'ensemble du traité sera rejeté par le Daryl. Il vaudra mieux, comme je te l'ai dit, engager des entreprises kah-tanaises ou, mieux encore, créer des entreprises spécialement pour l'occasion qui rempliront cette mission pour nous, tout en ayant une façade wanmirienne. J'en discutais justement avec une amie qui m'est chère ce matin et...
elle aperçut la bouteille de rhum, et je n'ai pas rangé mes affaires. Elle prit la bouteille et se leva pour aller la replacer dans un placard. Et donc nous avons discuté, et elle s'est dite prête à participer à des opérations du genre. Elle dirige, je pense que vous la connaissez, il s'agit d'Ambre Alienov, le Consortium Helia Alienov Tellary. Le groupe est vaste, et possède tellement d'entreprises dans des domaines divers et variés que personne ne sera choqué si des entreprises du consortium se proposent pour réaliser les missions que vous leur confierez, ou plutôt que le Daryl leur confiera en apparence. Et, je n'en doute pas, elle arrivera sans aucun doute à faire appliquer la législation kah-tanaise sur le terrain, sans que cela ait pourtant été approuvé par le Daryl. Elle se servit un verre (d'eau). Ici, tu vois, c'est l'avantage qu'il y a à vivre dans un pays comme le Wanmiri, c'est que si la loi ne veut pas que nous fassions quelque chose, on peut se permettre de la contourner discrètement sans que quiconque y trouve à y redire. Après tout, nous ne faisons qu'offrir de meilleurs conditions de vie aux travailleurs, c'est notre droit, même si la loi ne nous y oblige pas. Elle leur souriait en coin, un clin d’œil venant accompagner ses propos.

Les articles trois à six, quant à eux, ne poseront pas de difficulté non plus : peu d'engagements à prendre pour le Wanmiri, beaucoup de responsabilités pour le Kah... tout semble ici à l'avantage du Wanmiri, cela flattera les plus souverainistes et nationalistes d'entre nous. Voilà, j'en ai fini pour ce qui est de ce traité qui, du reste et en dehors des points que j'ai soulevé, ne devrait pas poser de difficultés dans son adoption.

Pour ce qui est des façons dont vous pouvez m'aider... et bien, déjà, en retirant du traité les articles ou mentions dont je vous ai parlé, cela m'aidera déjà grandement, et aussi des façons que j'ai évoqué, à savoir le recours au CHAT pour faire appliquer le code du travail kah-tanais. Et puis il y a d'autres possibilités... vois-tu, il se trouve que la région d'Ilryd,
elle marqua une pause, sais-tu où est Ilryd ? Avant de dérouler une carte - ancienne - du Wanmiri, où l'on pouvait encore discerner des traits de crayon qui semblaient indiquer les détails d'une opération militaire. Ne fais pas attention aux annotations, la carte date de la guerre. Voilà, là c'est Ilryd, là c'est toute la région sous son influence. Ilryd a, durant la guerre, longtemps soutenu l'Empire. En fait, ce fut la dernière cité que nous avons libéré ; elle ne s'est rendue qu'après l'annonce de la mort de l'empereur, et parce qu'après plusieurs mois de siège, leurs réserves étaient au plus bas. Mais ce n'est pas le sujet. Ilryd, donc, nous a longtemps posé problème, pour une raison simple : la population n'y était, et n'y est toujours pas, touchée par nos idées. La révolution n'a pas pris là-bas, et il s'agit d'un foyer contre-révolutionnaire que je surveille de très près.

Je souhaiterais, ou plutôt nous souhaiterions, car il s'agit d'un projet qui mûrit depuis un certain temps avec des... partenaires, que cela ne soit pas un obstacle à nos ambitions. Pour cela, nous avons prévu ce que nous appelons l'opération "Good Citizens", dont les objectifs sont multiples mais qui, dans l'ensemble, vise à limiter l'influence d'Ilryd et des contre-révolutionnaires lors des prochaines élections, en 2016, et d'y faire augmenter l'influence du Partai Sosialis ainsi que des autres partis alliés, comme le Partai Ekosiae
(note hrp : parti communaliste). Je ne vous en dit pas plus, une note vous sera transmise si vous souhaitez en connaître les détails. Nous aurions besoin, dans l'idée de renforcer l'impact à long terme de cette opération, d'un certain... soutien kah-tanais. J'entends par là des investissements conséquents, pour redorer notre image, et puis des actions d'influence, de... je déteste ce mot : de propagande, bref, tout ce qui permettra de retourner l'esprit des ilrydes pour qu'il nous soit plus favorable, ou du moins qu'il cesse d'alimenter l'électorat des oppositions et des factions impériales.

Nous prévoyons également une seconde vague à l'Operasi Renaisans, qui devrait arriver d'ici 2016, peut-être en 2017 s'il faut encore convaincre les députés du bien-fondé de la chose. Je vous tiendrai au courant... mais il est possible et même probable que nous nous arrangions pour faire passer prioritairement les investissements kah-tanais, au titre de "partenaire économique", et qu'ainsi notre influence s'en accroisse d'autant, il nous faudrait donc que vous vous prépariez à investir massivement une seconde fois et commencer à orienter en ce sens le Daryl en faisant apparaitre le Kah comme un allié.

Voilà pour les projets généraux qui visent à accroître notre influence et notre électorat au sein même du Wanmiri... »


Elle se laissa retomber dans son fauteuil, se rendant compte seulement à ce moment précis qu'elle s'était levée, emportée par ce qu'elle disait.

« Un avis, camarades ? »

Et elle siffla d'une traité son verre, auquel elle n'avait pas touché jusqu'ici.
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Les deux kah-tanais avaient fait en sorte de cordialement ignorer le malaise que le traité avait très manifestement provoqué chez « leur femme à Sivagundi ». Actée se faisait assez peu d’illusion à ce sujet : oui, ce texte était comme un pavé jeté dans la mare. Déjà par sa taille, ensuite par son implication, et elle avait toujours trouvé que ses camarades partaient un peu trop gagnant à son sujet. Le Wanmiri avait besoin d’investissements, oui, mais savait diversifier ses sources, et était en grande partie sous l’influence de puissances libérales qui verraient d’un mauvais œil une telle OPA. En fait, cela ne faisait aucun doute, la situation du pays risquait de se polariser à moins qu’un camp ne l’emporte clairement dans un avenir proche. Il existait clairement un Wanmiri libéral et occidental, et un autre, alter-mondialiste et socialiste. Ils existaient dans le même espace, partageaient des souvenirs, du sang, une histoire commune, mais chaque jour les séparait un peu plus. Il fallait, pour les dirigeants du pays, préserver la stabilité en jouant l’union sacrée. Et ensuite ?

Lorsqu’Eddonna entama sa réponse, la représentante en cheffe du Grand Kah estima que cette dernière pourrait durer un moment, et donna une petite tape à son collègue.

« Arko ?
– Actée ?
– Prends des notes. »

L’homme ouvrit un calepin et commença donc à noter. Retirer ceci, amender cela, prendre en considération telle ou telle situation. Actée, elle, se concentrait sur son interlocutrice, développant déjà la réponse à lui apporter.

« Citoyenne tu sais mieux que moi, mieux que le Chiffre, mieux que n’importe quel kah-tanais ce qui est bon pour ton pays. Et par là je veux dire, comment faire pour le pousser dans la bonne direction et pour rendre possible ce qui doit l’être. Oui ce texte représente un idéal. Il est par conséquent inatteignable et si je suis heureuse que tu m’apprennes à mieux comprendre la situation politique, tu n’as pas à craindre que nous ne te croyions pas sur parole quand tu nous dis "ces mots sont de trop". »

Elle se tut pour observer le trajet de la bouteille, et se redressa un peu. Son air se détendit et elle prit un ton moins sévère, se rappelant peut-être qu’elle n’était pas ici à l’estrade de la Convention, devant une foule que l’éloquence pouvait convaincre, mais devant une authentique camarade révolutionnaire. Une Sœur en Humanité.

« Camarade, je t’entends. Et je ne suis pas venue ici pour te dicter ce qui doit être fait, mais bien pour t’aider à obtenir ce qui est nécessaire. Si cela signifie amender le texte pour s’assurer qu’il passe, alors nous le ferons. Nous ne sommes pas dogmatiques, et nous avons appris à travailler avec la matière humaine telle qu’elle est, et non telle qu’on aimerait qu’elle soit. »

Elle jeta un regard à Arko, qui acquiesça imperceptiblement.

« Concernant l’article un, il est évident que la mention du code du travail kah-tanais peut être retirée si elle risque d’entraver l’adhésion du Daryl. Nous savons que l’application de ces principes dépendra plus des réalités du terrain que d’une signature sur un document officiel. Nous savons aussi comment faire en sorte que nos standards soient respectés, peu importe ce qui est écrit dans la loi. L’expérience nous a appris qu’il vaut parfois mieux travailler en périphérie qu’en frontal. »

Un silence, puis elle reprit.

« Quant à l’article deux, je ne suis pas surprise non plus. La législation du travail est toujours un sujet de tension dans les jeunes républiques révolutionnaires, et nous savons que les forces réactionnaires se crispent dès qu’il s’agit d’encadrer le capital. Retirer cet article est une concession que nous pouvons faire, tant que nous savons que les réalités sur le terrain iront dans la direction que nous souhaitons. Si cela implique de renforcer le rôle du CHAT et de structurer notre présence économique à travers des entreprises aux façades locales, alors nous nous y adapterons. Nous avons l’habitude d’opérer ainsi dans des contextes plus hostiles que celui-ci. »

Elle prit une gorgée d’eau avant de poser le verre avec douceur sur la table basse.

« Le traité sera modifié. Nous n’avons pas bâclé le travail, mais il est clair que nous n’avons pas bien compris la réalité du terrain.
– On pourrait même nous taxer d’avoir eu une vision un peu impérialiste des choses.
– Nous ferons notre autocritique plus tard, Arko ; qu’en dis-tu ?
– J’en dis que toi, Edonna, et tes amies, êtes les plus à-même de retravailler ce document. Nous avons les moyens de flatter les nationalistes, et après tout qu’est-ce qu’un investissement dans une société autochtone, sinon l’objectif initial de nos planificateurs. Pas vrai ? »

Il y eut un moment de silence, et Actée secoua la tête.

« Non la vérité c’est que les gens du commissariat d’Axis Mundis subissent un stress remarquable. Ils ont peur de voir le Nazum basculer dans les mains de l’OND ou du Jashuria. Ils se précipitent. Tu as raison de nous rappeler à l’ordre. »

Elle se redressa pour observer la carte militaire, contenant un peu sa surprise. Cette carte devait avoir une certaine valeur émotionnelle, pour celle qui avait risqué sa vie pour faire chuter l’Empire. Voilà bien une chose dont ni Actée ni Arko ne pouvaient se vanter. Le temps des miliciens au Comité était terminé depuis plus d’une décennie, restait le sang neuf, les théoriciens et la politique.

Elle fronça les sourcils et se tourna vers Arko. Celui-là souriait d’un air amusé.

« Quel est l’avis de la diplomatie kah-tanaise, Actée ?
– Qu’elle serait curieuse de lire cette note. Et qu’en pensent nos finances publiques ?
– Qu’elles ont les moyens. »

Actée acquiesça d’un air approbateur.

« Nous sommes venus pour te soutenir, c’est ce que nous allons faire. Tu auras tout l’appareil de communication de l’Union à ton service, et nous ferons en sorte d’êtres… Prêts à investir au moment opportun. »

Elle jeta un regard rapide à Arko, qui hocha la tête avec ce petit rictus satisfait qui lui était familier.

« Il y aura un plan d’investissement structuré. Nous allons mettre en place des infrastructures qui serviront directement la population, pas seulement les intérêts de quelques notables. Des logements, des écoles, des coopératives, et bien sûr, des entreprises capables de porter ce développement tout en garantissant qu’il bénéficie aux travailleurs plutôt qu’à ceux qui voudraient le détourner. Nous savons comment faire. Nous l’avons fait ailleurs. Nous le ferons ici. Tu n'auras qu'à guider notre main, si je puis dire. »
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