Un navire frappe les frappes comme le fouet claque le sol. L’eau est de plusieurs couleurs : verdâtre, rouge rouille et brune. On aurait dit une peinture à l’huile sur laquelle voguait cette petite corvette frappée du lys velsnien. A la proue du navire, loin de l’agitation des marins affairés à la navigation se tenait un Homme, qui sans conteste était à part parmi les siens. Le sénateur Mascola ne tenait pas compte de l’air putride qui se dégageait de la terre ferme, grisâtre et désolée, et continuait de lire encore et encore, un masque sur le nez. Mais la tranquillité prend toujours fin, et le monde des lettres laisse place à celui des mots, les belles formules aux bégaiements gênants et aux hésitations. L’Amiragglio DiSaltis venait le tirer de son repos de l’esprit :
- Confrère Mascola. Je pense que nous pouvons retirer les masques, nous nous éloignons de Drovolski.
Il y a toujours un zélandien pour en manger un autre...
Mattia leva les yeux vers DiSaltis, ferma son carnet et enleva enfin ce masque étouffant. Il y avait encore des immondices de la tailles de petits icebergs en déshérence et l’air était toujours putride, mais ce la ne constituait plus un danger. Le sénateur connaissait bien cet endroit, il l’avait parcouru encore et encore, du haut de ses quinze années d’exil volontaire de Velsna. Car Mascola était pour le moins un sénateur-ambassadeur atypique. Contrairement à beaucoup, on ne lui prêtait aucune ambition particulière, aucun autre désir que celui de la solitude et ses années de voyage en Eurysie de l’est avaient fait de lui une célébrité sans même qu’il ne s’en rende responsable. Le récit de ses carnets de voyages faisait le tour des salons de l’aristocratie sénatoriale velsnienne en quête de sensations fortes et d’exotisme. Et tous les quatre ans, il se contentait de se faire réélire par ses admirateurs au pays.
- Quelle puanteur…On aurait pu venir en Polkême par avion…Il nous faudra débarquer en Ponantaise avant de faire le reste du trajet sur terre. – se plaignit Disaltis –
- Puis-je te faire une confession chère consœur : l’avion me rend malade bien davantage que Drovolski. Et il ne permet pas de se rendre compte de la richesse des endroits par lesquels on passe. Les nuages sont jolis certes, mais ils n’ont pas d’Histoire.
Si c’était Francesca DiSaltis qui avait fait la demande de cette rencontre, celle-ci avait fait appel à l’ambassadeur attitré dans l’espoir de ne provoquer aucun incident diplomatique, car il était bien le seul sénateur velsnien à s’être aventurer dans ce pays au moins une fois. Et les deux parlementaires, déjà liés par des affaires communes comme au Drovolski, formaient « une bonne équipe » : DiSaltis était une partisane de la première heure de DiGrassi, pragmatique et terre à terre. Et Mascola, sénateur indépendant se mettant systématiquement à l’écart des querelles de palais à Velsna, lui apportait la sagesse dont elle ne disposait pas. La quarantenaire demanda comme souvent, des conseils et des renseignements à son confrère :
- J’ai lu votre « Voyage au pays des polks ». Pensez vous que nous serons bien accueilli ? Je connais à peine cet endroit.
- Imagine Drovolski, consœur. Tu vois ses industries, ses mines, la sensation de vitesse qui se dégage de chaque aspect de la vie de ces gens ? Eh bien, retourne tout et imagine l’exact opposé, et tu auras un bon aperçu du pays des polks. Ils nous accueilleront les bras ouverts car il est dans leur intérêt de le faire, alors sois sans crainte sénatrice. Je n’ai jamais été anxieux en traversant ce pays et en discutant avec ses habitants. C’est une société agraire, les fruits y sont bons et la charrue est encore maîtresse des routes. Mais ne te méprends pas ; ce n’est pas parce qu’ils mènent une vie simple que ce sont des gens simples. Ne les prends pas pour des idiots.
- Et ces histoires de sorcières ? Sont-elles vraies ?
A cette réflexion, le suave sénateur répondit par des mots énigmatiques :
- Il y a beaucoup de choses en ce monde dont tu serais surprise d’apprendre la véracité, chère consœur.
La corvette quitta les eaux territoriales de Drovolski, au plus grand plaisir des narines de l’équipage avant de passer au large de la Translavye, l’ancienne patrie maudite de l’idéologie au globe aujourd’hui coupée entre deux mondes. Bien que Mascola fut bien plus laconique, ile se fendit de quelque anecdote auprès de l’Amiragglio (toujours avec sa voix suave bien entendue) :
- Dans toutes ces histoires de fascisme, de partage et de guerre idéologique, il convient toujours de rappeler à quel point le peuple translave a été brave…et malchanceux. Ces gens, les onédiens et les loduariens, entendent donner des remèdes universels à des pays entiers sans savoir que chaque nation est un cas propre qui exige des solutions propres. Bref, vous devriez faire signe à vos subordonnés de vous éloigner des côtes, ma consœur. Avec ces patrouilles, des deux camps, il ne fait pas bon être un navire velsnien dans le secteur.
Il fallu deux jours de plus afin d’atteindre les côtés de la Palmontaise, laquelle fut avertie qu’un navire velsnien abritant du personnel diplomatique désirait débarquer afin de finir son chemin jusqu’au pays des polks…quelle sera donc la réaction de ces derniers…