11/05/2017
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Le pays des polks (Rencontre Velsna/Polkême)

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Le pays des polks (Rencontre Velsna/Polkême)



Un navire frappe les frappes comme le fouet claque le sol. L’eau est de plusieurs couleurs : verdâtre, rouge rouille et brune. On aurait dit une peinture à l’huile sur laquelle voguait cette petite corvette frappée du lys velsnien. A la proue du navire, loin de l’agitation des marins affairés à la navigation se tenait un Homme, qui sans conteste était à part parmi les siens. Le sénateur Mascola ne tenait pas compte de l’air putride qui se dégageait de la terre ferme, grisâtre et désolée, et continuait de lire encore et encore, un masque sur le nez. Mais la tranquillité prend toujours fin, et le monde des lettres laisse place à celui des mots, les belles formules aux bégaiements gênants et aux hésitations. L’Amiragglio DiSaltis venait le tirer de son repos de l’esprit :
- Confrère Mascola. Je pense que nous pouvons retirer les masques, nous nous éloignons de Drovolski.


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Il y a toujours un zélandien pour en manger un autre...


Mattia leva les yeux vers DiSaltis, ferma son carnet et enleva enfin ce masque étouffant. Il y avait encore des immondices de la tailles de petits icebergs en déshérence et l’air était toujours putride, mais ce la ne constituait plus un danger. Le sénateur connaissait bien cet endroit, il l’avait parcouru encore et encore, du haut de ses quinze années d’exil volontaire de Velsna. Car Mascola était pour le moins un sénateur-ambassadeur atypique. Contrairement à beaucoup, on ne lui prêtait aucune ambition particulière, aucun autre désir que celui de la solitude et ses années de voyage en Eurysie de l’est avaient fait de lui une célébrité sans même qu’il ne s’en rende responsable. Le récit de ses carnets de voyages faisait le tour des salons de l’aristocratie sénatoriale velsnienne en quête de sensations fortes et d’exotisme. Et tous les quatre ans, il se contentait de se faire réélire par ses admirateurs au pays.
- Quelle puanteur…On aurait pu venir en Polkême par avion…Il nous faudra débarquer en Ponantaise avant de faire le reste du trajet sur terre. – se plaignit Disaltis –
- Puis-je te faire une confession chère consœur : l’avion me rend malade bien davantage que Drovolski. Et il ne permet pas de se rendre compte de la richesse des endroits par lesquels on passe. Les nuages sont jolis certes, mais ils n’ont pas d’Histoire.

Si c’était Francesca DiSaltis qui avait fait la demande de cette rencontre, celle-ci avait fait appel à l’ambassadeur attitré dans l’espoir de ne provoquer aucun incident diplomatique, car il était bien le seul sénateur velsnien à s’être aventurer dans ce pays au moins une fois. Et les deux parlementaires, déjà liés par des affaires communes comme au Drovolski, formaient « une bonne équipe » : DiSaltis était une partisane de la première heure de DiGrassi, pragmatique et terre à terre. Et Mascola, sénateur indépendant se mettant systématiquement à l’écart des querelles de palais à Velsna, lui apportait la sagesse dont elle ne disposait pas. La quarantenaire demanda comme souvent, des conseils et des renseignements à son confrère :
- J’ai lu votre « Voyage au pays des polks ». Pensez vous que nous serons bien accueilli ? Je connais à peine cet endroit.
- Imagine Drovolski, consœur. Tu vois ses industries, ses mines, la sensation de vitesse qui se dégage de chaque aspect de la vie de ces gens ? Eh bien, retourne tout et imagine l’exact opposé, et tu auras un bon aperçu du pays des polks. Ils nous accueilleront les bras ouverts car il est dans leur intérêt de le faire, alors sois sans crainte sénatrice. Je n’ai jamais été anxieux en traversant ce pays et en discutant avec ses habitants. C’est une société agraire, les fruits y sont bons et la charrue est encore maîtresse des routes. Mais ne te méprends pas ; ce n’est pas parce qu’ils mènent une vie simple que ce sont des gens simples. Ne les prends pas pour des idiots.
- Et ces histoires de sorcières ? Sont-elles vraies ?


A cette réflexion, le suave sénateur répondit par des mots énigmatiques :
- Il y a beaucoup de choses en ce monde dont tu serais surprise d’apprendre la véracité, chère consœur.

La corvette quitta les eaux territoriales de Drovolski, au plus grand plaisir des narines de l’équipage avant de passer au large de la Translavye, l’ancienne patrie maudite de l’idéologie au globe aujourd’hui coupée entre deux mondes. Bien que Mascola fut bien plus laconique, ile se fendit de quelque anecdote auprès de l’Amiragglio (toujours avec sa voix suave bien entendue) :
- Dans toutes ces histoires de fascisme, de partage et de guerre idéologique, il convient toujours de rappeler à quel point le peuple translave a été brave…et malchanceux. Ces gens, les onédiens et les loduariens, entendent donner des remèdes universels à des pays entiers sans savoir que chaque nation est un cas propre qui exige des solutions propres. Bref, vous devriez faire signe à vos subordonnés de vous éloigner des côtes, ma consœur. Avec ces patrouilles, des deux camps, il ne fait pas bon être un navire velsnien dans le secteur.

Il fallu deux jours de plus afin d’atteindre les côtés de la Palmontaise, laquelle fut avertie qu’un navire velsnien abritant du personnel diplomatique désirait débarquer afin de finir son chemin jusqu’au pays des polks…quelle sera donc la réaction de ces derniers…
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Première partie : voyage à Volvoda

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Sur les berges du havre de blême, se tient couché Port Palid. Ville Blême où flotte le drapeau polk, conquise depuis mille ans, jamais réduite. Qui s’en approche par la mer découvrira les horizons dorés de la Pal ponantaise, ses côtes rocheuses et ses plages de galets blancs. Pour peu qu’on pénètre dans le golfe au matin ou à la nuit tombée, immanquablement un brouillard épais saisit la mer et les bouées qui y flottent sont de petits fantômes, et la lumière des phares de titanesque cyclopes.

De grands cargos chargés croisent dans la passe. De taille impressionnante pour les Polk, ils sont loin de concurrencer les géants des nations thalassocratiques. La Polkême trahit sa non-intégration au commerce mondiale : les navires qui débarquent à Port Palid sont presque tous des aventuriers. Les docks du port apparaissent comme sortis de nulle part. Un instant l’eau clapotant des plages et soudain ce béton froid coulé directement dans la mer, parcouru d’excroissances en bois qui sont autant de pontons de pêche et de baignades pour les habitants. Les plus grands porte-conteneurs s’arrêtent rapidement, le havre n’est pas prévu pour leur permettre de remonter plus en amont. Les Velsniens, eux, progressent dans la rade, vers le vieux port. La cité est bâtarde, cela se sent instinctivement. Hautes et dominantes les tours d’un château polk transpercent le brouillard de la ville. Seuls à les concurrencer, des clochers de cathédrales orthodoxes défient encore l’envahisseur catholan. La ville basse est rouge, dorée, grise, beige et blanche : Blême. C’est cinquante nuances de torchis, des toits en briques, bas pour éviter la chaleur. Ce sont des ruelles sombres à toute heure du jour ou de la nuit, des bâtiments rabougris, condensés, chaleureux. On aperçoit dans les rues des regards curieux et fuyants, des gens vêtus de blanc et de noir, le visage parfois entièrement couvert à la mode transblême, des coiffes hautes qui heurtent les volets des maisons, des barbes longues et fourchues. Ceux qui regardent passer le navire crachent dans la mer, se signent, courent parfois le long des quais jusqu’à le perdre de vue. On dépose un sac lourd pour regarder passer la délégation, on souffle de la fumée par le nez, on échange quelques mots le regard sombre.

Les Blêmes savent que vous ne venez pas pour eux. D’ailleurs vous les dépassez.

Plus loin, plus haut, attendent les Polk. Ils ont fière allure avec leurs uniformes et leurs poignards, leurs toques touffues qui frémissent au vent. Une rangée de hussards montés encadre le ponton réservé aux invités de marque, ce sont deux lignes de cavaliers présentant d’étranges fusils qui ouvrent sur les ambassadeurs, montés eux aussi. Il y a Pol Vol Kan, député missionné à la Diplomatie, un homme dont seule la noblesse réhausse l’allure. A ses côtés se trouvent Vladimir Vol Veyne en tenue sanguine. Le Régent de Port Ponant ne pouvait accueillir ses hôtes sans faire démonstration de sa puissance. Derrière eux se tient une figure juvénile aux yeux masqués d’un bandeau d’or : c’est le Sire Demitri Vol Mist, le porte-parole de la maison Vol Drek. Il sera leur messager jusqu’à ce qu’on conduise les Velsniens à Volvoda.

Tout, dans la cérémonie d’accueil, vise à faire démonstration de noblesse et de puissance. La richesse de la Polkême est étalée avec un certain goût, mais il aurait fallu repeindre la moitié de la ville pour dissimuler l’archaïsme de la Pal. Port Ponant, unique cité commerçante de tout le royaume, peine seulement à concurrencer le plus petit port zélandien. S’il n’était son château et ses dimensions, la ville pourrait être confondue avec une sordide station balnéaire. La Polkême est riche de culture, mais son PIB dépasse à peine celui des nations arriérées. Elle cherche à faire forte impression avec ses cavaliers en armure, mais ce ne sont là que des hommes sur des chevaux.

Lorsque les Velsiens posent pied, deux-cents sabots battent d’un coup les quais. Cela fait s’envoler les mouettes. Pol Vol Kan met lui aussi pied à terre, suivi de Demitri Vol Mist. Vladimir Vol Veyne, lui, restera à cheval. Il assure ainsi les fonctions d’hôte et de gardien.

C’est le député Pol Vol Kan qui prend le lead, avec toute la distinction d’un baron polk, il accueille chaleureusement les ambassadeurs Velsniens au son d’une trompette lointaine.

C’est un plaisir et un honneur pour nous de vous accueillir, dit-il d’un ton convaincu. « Je vous introduis le sire Demitri Vol Mist, porte-parole de la maison Vol Drek jusqu’à ce que vous atteigniez Volvoda, et le sire Vladimir Vol Veyne, notre hôte, Régent de Port Ponant. »

Ce dernier adresse une révérence à cheval, sans desserrer les dents. Vol Mist se montre davantage courtois.

Sa Majesté Vlastimil Vol Drek et la famille royale dans son ensemble vous assurent de l’immense plaisir qu’ils ont à accueillir en Polkême les émissaires de la splendide Grande République de Velsna. Si Sa Majesté n’a pas pu quitter Volvoda pour vous recevoir, elle s’en excuse et m’a chargé de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour vous conduire jusqu’à elle dans les plus brefs délais. Il est bien entendu que si madame DiSaltis désire, après s’être entendue avec Sa Majesté, visiter davantage la Polkême ou la Pal, nous serons plus qu’heureux de lui mettre à disposition tous les conforts appropriés à une personne de son rang pour voyager.

Pol Vol Kan fait un signe alors que crépitent derrière les chevaux des flash d’appareils photos.

Port Palid est une superbe ville malheureusement comme nous vous en avons signifié, il serait inconvenant de nous y attarder en faisant attendre Sa Majesté. Nous allons prendre le Grand Septentrion.

Je vais vous escorter, déclare le Régent, pas si muet finalement.

Non loin du port se dresse une structure presque aussi impressionnante que le château, quoique plus moderne : c’est la vieille gare. Erigée au XIXème siècle, elle en a les lustres et les stigmates. Une structure de fer forgé à la mode art nouveau, verte d’oxydation, figure des plantes grimpantes envahissantes et entremêlées qui forment un toit où percent des rayons de lumière pâle. Une inscription gigantesque trône à l’entrée d’où partent les trains : Grand Septentrion. Quelques 800km de rails à travers la steppe et la plaine, reliant Volvoda à la côte de blême. Toutes les heures, ce serpent de fer s’élance au milieu des étendues désertes dans un crachat de vapeur, souffle les hautes herbes et effraye les troupeaux de chevaux sauvages. Il faut d’abord poser le pied dans ce pays morbide qu'est la côte de Blême pour rejoindre la plus verdoyante Polkême, car à Port Palid, on ne trouvera aucun artefact du joyeux pays des Polk.
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La délégation velsnienne était modeste, comme d'habitude. Il faut paraître humble, et hormis un seul garde, l'Amiragglio fit signe au reste de l'équipage de bien sagement rester à bord. Mascola prévenu la sénatrice: "Vous feriez mieux d'ordonner aux marins de rester à bord jusqu'à la fin de notre séjour ici. Nous n'avons pas envie d'insulter qui que ce soit. Et dites leur de ranger les croix de Catholagne dans leur chemise si ils en ont autour du cou.". Mattia Mascola et DiSaltis finissent par sortir du bâtiment flottant et naturellement, c'est le voyageur Mascola qui prend la tête de ce petit groupe. L'air était froid et humide. Il rentrait dans les poumons, mais peinait à en sortir. Escortés dans les ruelles jusqu'au point de rendez vous fixé par les polks, DiSaltis fit la découverte étrange d'une société isolationniste qui évoluait à quelques centaines de kilomètres à peine de la base de la Classis III. Preuve en était que les velsniens ne connaissaient finalement que peu la région dans laquelle ils avaient mis les pieds. Défilant à l'ombre des maisons de torchis, elle vint se quérir auprès de Mascola:
- C'est quoi cet endroit ? On dirait que ces gens n'ont jamais vu d'étrangers.
- Ce sont des blêmes. Ne les regardez pas
. - répondit le voyageur, laconique -
- Ils sont maigres...
- Ils sont maltraités par les polks depuis des siècles. Nous ne pouvons rien faire pour eux, reprenez votre chemin, consœur.

Malgré cette injonction, la quarantenaire ne pu s'empêcher de, tout de même, jeter un regard ou deux vers certains visages: ces gens étaient terrorisés.


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"Attention Ménisque ! La pièce se remplit de gaz toxique !"


La délégation des étrangers était bien modeste en comparaison de cette suite de cavaliers qui entouraient ce petit noyau d'individus qui, si ils circulaient parmi les blêmes, les feraient sans doute fuir en courant sur kilomètres. Les deux sénateurs savaient reconnaître une démonstration de puissance, la symbolique politique à Velsna est omniprésente après tout, et cela procurait à ces derniers un sentiment plus familier que le spectacle auquel ils avaient assisté à quai. Le contraste était frappant entre des hussards et des cosaques, grandis par leurs toques, et les velsniens qui étaient venus, contrairement à la puissance prêtée à l'argent velsnien, dans de biens simples appareils. DiSaltis avait pour elle un uniforme d'Amiragglio de la Marineria bien guindé certes, mais Mascola était lui enroulé dans un simple manteau de fourrure peu cher sous lequel il n'y avait qu'une tunique et son sceptre de sénateur, qu'il avait l'habitude de maquiller pour le faire paraître d'une canne. Il maudissait les atours et l’apparat de sa patrie, une perte de temps. Le sénateur s'inclina le premier devant le comité d’accueil de Pol Vol Kan:
- Excellence. C'est un honneur que d'être escorté par votre personne...et de constater que cet endroit a si peu changé depuis mon dernier passage il y a douze ans. Le changement et le mouvement sont parfois inconfortables, aussi il est toujours de mon plaisir de retourner dans votre patrie.

Il va sans dire que je vous porte également les plus sincères salutations de tous mes confrères du Sénat de la Grande République, et il viendra à votre attention que nous apportons à son excellence Vol Veyne des présents dignes de son attention. J'ai...des ouvrages à lui transmettre. J'ai cru comprendre qu'il était homme de lettres et amateur du beau. J'aurais bien fait part à son excellence d'un bouquet des plus belles fleurs que compte le pays velsnien, mais cela fait des années que je n'ai pas mis les pieds dans la cité sur l'eau.

Votre proposition de nous attarder en Polkême est fort aimable de votre part. Je ne sais pas en ce qui concerne ma consœur, mais il était dans mon envie de rester quelques semaines. Cela fait bien longtemps que je n'ai vu de mes yeux les montagnes de Haute Polky. Qu'en pensez vous, sénatrice ?


L'Amiragglio était quelque peu gênée de refuser d'entrée de jeu une amabilité, à laquelle elle répondit par une plaisanterie détournée:
- Oui peut-être que je m'y déposerai mes valises lorsque le Sénat m'aura délivré de mes responsabilités de commandement...tout le monde n'a pas votre temps, excellence Mascola.

Si la jeune femme était déboussolée du spectacle d'une populace fuyant le moindre des étrangers, Mattia Mascola était comme qui dirait chez lui. Il se comportait de la même façon en Polkême qu'au Drovolski: avec adaptabilité. Mais il serait faux de croire qu'il agit par opportunisme. Il n'est certes pas courant que les sénateurs velsniens soient transparents et honnêtes avec leurs interlocuteurs, mais Mascola semblait sincère dans la grande majorité de ses interventions en pays étranger. Son secteur d’ambassade était littéralement garni de ces pays dont les autres sénateurs estimaient qu'il était inutile de communiquer: Polkême, Drovolski, Poetoscovie. Et lorsque celui-ci demandait à ses confrères d'ouvrir un canal de communication avec un pays d'Eurysie de l'est, on lui répondait souvent: "Ces gens sont trop différents de nous.", "Leur langue nous effraie", "Où sont leurs rolex ?", "Ils n'ont pas de pouvoir d'achat."...
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D’aucuns pensent que la stabilité est une vertu, répondit Pol Vol Kan avec politesse. Ou tout du moins qu’elle est la preuve de la résilience d’une nation pensa-t-il par ailleurs en son fort intérieur, mais la remarque aurait été malvenue à destination des ambassadeurs d’un pays tout juste sorti d’une guerre civile. Pol Vol Kan avait assez de jugeotte pour le savoir. « Vous êtes toujours le bienvenue en Polkême Excellence Mascola, j’ai eu plaisir à lire vos ouvrages récemment, ils ont été traduit tardivement, mais les choses arrivent toujours lentement chez nous. »

Dans sa bouche, ce n’était en rien déplorable. La vitesse n’était pas une qualité polk, hormis lorsqu’on courrait la steppe à cheval, et encore : c’était toujours moins rapide qu’en 4x4.

Le sire de Konstantiniepr (Vladimir Vol Veyne) avait avancé son cheval à la mention de son nom, mais toujours sans démonter.

C’est d’une grande amabilité de votre part, sire Mascola, répondit-il d’un ton qui ne laissait rien transparaître d’aimable. « Mes mages seront heureux de ce cadeau, ils vous offriront en retour des bulbes de Polkême.
Ainsi nos nations fleuriront ensemble, abrégea Pol Vol Kan avec diplomatie. Suivez-moi je vous prie. »

L’étalon du Régent grogna et se retourna vivement, ouvrant une brèche au milieu des autres cavaliers. Deux voitures noires, entourés de véhicules militaires attendaient les ambassadeurs pour les conduire à la gare.

Les gardes ne seront pas de trop Pol Vol Kan se fit la réflexion. On nous a tué un Régent dans ces ruelles… Force était de reconnaître que cette fois-ci, la Polkême avait mis le paquet, et sauf à attaquer le convoi au lance-roquettes tout irait bien.
Les voitures se mirent doucement en marche, escortées par les chevaux au trot qui vidaient les ruelles en amont. On ne vit aucun Blême sur le chemin, que des volets fermés et des toques polk.

Arrivés à la gare, Vladimir Vol Veyne exprima de nouveau ses respects aux Velsiens et attendit directement sur le quais que tout le monde ait embarqué pour Volvoda avant de tourner bride pour s’en retourner au château avec sa garnison. Le Grand Septentrion lancé à travers la Pal, le plus dur était derrière eux.

Le train, qui avait été pensé pour accueillir des personnalités d’une grande noblesse, était luxueux comme on l’imagine. Tout boisé et capitonné de velours à l’intérieur, les dorures rénovées formaient autant de liserés d’or aux formes végétales qui donnaient aux wagons quelque chose d’organique. Le train vibrait à peine, la Polkême n’était peut-être pas en avance sur son temps mais elle savait choisir ses combats, et investir dans le ferroviaire en était un.

Les wagons réservés aux personnes de rang noble étaient vides en dehors des serveurs qui se faisaient discrets et de leurs hôtes. Vol Mist n’avait pas quitté son masque et se tenait toujours droit, juvénile et souriant, sans rien dire la plupart du temps. C’était le missionné à la Diplomatie qui faisait la conversation.

Nous arriverons à Volvoda dans un petit peu plus de six heures, je ne peux que vous inviter à vous mettre à l’aise. Un dîner nous attends au Palais mais si vous désirez déjeuner ou boire quelque chose, nous nous tenons bien évidement à votre disposition.

Petits coussins et autres attentions étaient de la partie. Dès que les commodités furent réglées, Pol Vol Kan orienta les discussions vers quelque chose de plus sérieux. Il ne fallait pas s’y tromper : la rencontre avec les Vol Drek était du pain béni pour les médias et le prestige respectif des deux pays, mais le roi n'avait qu'un pouvoir limité. C’était lui, Pol Vol Kan, le représentant des deux chambres, qui était leur interlocuteur principal pour les discussions d’affaire. Et Demitri Vol Mist n’était que les oreilles de la Couronne, laissées traînées là à l’occasion d’une rencontre cruciale.

Puisque nous avons un peu de temps, je vous propose de passer en revu certains points évoqués lors de nos échanges épistolaires.

Pol Vol Kan se tourna vers DiSaltis.

Par votre visite, la Grande République de Velsna s’impose de fait comme un troisième acteur dans l’équilibre régional – et précaire – qui a été remodelé par la chute du régime translave. Si l’OND domine la langue de Rême avec la présence d’enclaves coloniales, le bloc eurycommuniste s’impose lui sur terre en Eurysie de l’est. L’Estalie est une puissance continentale montante, elle peut sans doute compter sur le soutien tacite de la Rosevosky et de la Transgoskovir. L’installation des Loduariens en Translavya parachève l’emprise des communistes sur l’Eurysie de l’est, seule la présence de l’OND et des nations non alignées de Drovolski et de Polkême leur dispute cette suprématie.

Il avait dit cela avec un certain flegme, comme on récite une évidence.

La Polkême ne peut imposer seule ses vues dans cette bataille de léviathan et nos chambres rechignent à tout rapprochement avec l’Empire Constitutionnel de Drovolski, perçu comme une nation aux antipodes de nos valeurs. Mais notre neutralité nous ouvre la possibilité de nous montrer opportunistes, aucun bloc n’a intérêt à se mettre à dos la Polkême, au contraire. D’une certaine manière, si l’un des deux camps venait à l’emporter, cela nous serait in fine dommageable car nous serions satellisés. C’est paradoxale, mais la rivalité qui oppose l’OND et les eurycommunistes nous est profitable : elle nous donne de l’importance.

Il eut une ombre de sourire, qu’il effaça avec nonchalance.

On peut pacifier une situation en étant deux autour de la table. Il suffit que l’un des deux camps prenne l’avantage. A trois, cela est plus difficile, dès lors qu’une des parties s’affaiblit, une autre vient à sa rescousse pour ne pas laisser la troisième s’imposer. Velsna est l’un des rares pays du monde à pouvoir aujourd’hui prétendre constituer un parti à lui seul, aussi nous serions plus qu’heureux de vous voir intégrer la danse régionale qui fait notre prospérité.

Pol Vol Kan décroisa les jambes.

Ceci étant dit, vous comprendrez aisément que rejoindre votre parti nous mettrait immédiatement en danger. Nous vous proposons donc de faciliter votre implantation en Eurysie de l’est, si c’est bien là votre souhait, de sorte à laisser théorique la possibilité d’une forme de vassalisation de votre part. La Polkême conservera sa neutralité tout travaillant à vous assurer par ailleurs le statut d’acteur régional légitime. Il va de soi que nous offrirons par ailleurs des gages au bloc ONDien et eurycommunistes, mais leur implantation locale étant déjà un état de fait, notre contribution sera moindre. En faisant démonstration – votre visite en est déjà un signe – d’un rapprochement entre nos deux nations, nous faisons ainsi monter les enchères auprès des deux autres blocs en laissant indirectement planer la menace de tomber dans votre giron, ce qui n’arrivera pas.

Il eut un petit soupire.

Vous avez désormais un aperçu à peu près fidèle de la pensée stratégique polk, sénatrice. Celle-ci n’a rien de secret, au contraire, plus l’Eurysie de l’est sera au fait de nos intentions et plus la partie sera jouée sereinement. Il n’y a là aucune manigance, juste un bon vieux dilemme du prisonnier dont personne ne souhaite sortir perdant. Je vous retourne à présent la parole, chers amis, dites nous quelles sont les intentions de la Grande République et comment pouvons-nous les faire coïncider avec les nôtres ?

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Le train était prêt pour les invités. Aux yeux des velsniens, il était neuf et ancien à la fois, mais une fois les intérieurs découverts, nul ne pu remettre en question la bonne volonté affiché des gens de l'est au yeux des habitants de la cité sur l'eau. Si Mascola buvait encore les paroles des polks, plus particulièrement du baron Vol Kan, il sentit le bon moment pour faire un pas en arrière. Son travail était d'introduire l'amiragglio auprès des étrangers et de leurs usages, de même que donner à ces derniers le seul visage familier de Velsna auquel ils pouvaient se raccrocher. Dés que Pol Vol Kan passa du menu des réjouissances à celui de la politique, il s'effaça et s'enfonça dans le creux de son coussin. Malgré son mandat, il fuyait les responsabilités politiques comme la peste, et il n'allait pas faire de différence aujourd'hui. C'était à la jeune amirale de remplir cet office. Elle, la militaire, n'en avait pas l'habitude, mais c'était une violence nécessaire que de parler aux étrangers, surtout en ce moment et en cette Eurysie de l'est chamboulée de toutes parts:
- Votre lecture de la situation est juste, et c'est ce qui m'a poussé à demander cette rencontre. Je dois dire avec franchise, que c'est moi qui ait poussé mes excellences confrères au Sénat afin que cela puisse se faire. Le gouvernement communal considère la région du pays gris (hrp: nom donné par les velsniens à toutes les terres à l'est de Rasken) et de l'extrême Eurysie comme importante il est vrai, ne serait-ce que par la position du détroit du Nazum. Mais j'ai dû me battre pour les convaincre que ce monde ne se résume pas à nos partenaires de Drovolski, et qu'il y a d'autres patries qui évoluent dans cette région, en particulier la vôtre. Mes confrères n'accordent par leur attention à la légère, et sont parfois dans des erreurs de jugement qui les empêchent d'admirer un tableau dans son ensemble.

Vous voyez juste: cet engagement de l'UICS et de l'OND dans ces eaux nous inquiète, premièrement car les flux commerciaux de ces excellences sénateurs passent par le détroit. Les onédiens pourraient être tentés d'intimider les gens du pays désolé (hrp: nom donné spécifiquement à Drovolski) en cas de montée des tensions entre nous. Pour le moment ce n'est pas le cas, mais le destin est souvent hasardeux, Dame Fortune en témoigne, et les choses arrivent. Quant aux eurycommunistes, ils nous procurent autant d'angoisse, et nous sommes anxieux à l'idée de voir un peuple d’illettrés s'en prendre à l'un des deux seuls États qui revendiquent une relative autonomie stratégique dans la région. Concernant la Translavye, nous partons du principe que cette patrie est perdue corps et bien, et que nous avons tout à gagner à ne pas y manifester le moindre intérêt: que les bleus et les rouges se battent, cela nous arrange, et vous aussi je pense. En cela, vous estimez bien l'importance que vous vous accordez, et ces excellences pensent que nous avons également tout à y gagner si cette lutte s'étale dans le temps aussi loin que possible.


Elle se pencha plus en avant vers son interlocuteur, gagnant en confiance au fil des mots:

- Je vous rassure: nous n'avons pas la moindre intention de vous demander de "choisir un camp", nous ne sommes pas là pour ça. Vous dicter une loi ou imposer nos vues n'est pas dans nos intentions. Une base navale en Drovolski suffit amplement à protéger les flux du commerce, les vaisseaux sanguins de notre cité. Nous sommes avant tout là pour faire en sorte que le sang circule mieux. Gardez donc votre neutralité, c'est un luxe que les velsniens voudraient encore se permettre, et il est bien plus précieux qu'on le croit. Pour ce faire, nous sommes disposés vous fournir armes et argent, en échange, bien entendu de quelques matériaux dont nous manifestons le besoin: bois, textile, tout ce qui permet à notre industrie de produire à coût bas en nous adressant à vous plutôt qu'à un pays où la main d’œuvre d'Eurysie occidentale ou d'Aleucie coûte une jambe.

La quarantenaire le savait, cela n'allait pas être suffisant pour impressionner ses confrères à Velsna. Il fallait plus que du bois pour justifier le véritable harcèlement qu'elle avait fait subir au gouvernement communal quant à l’intérêt du pays des polks. Aussi, l'audace la fit sortir de sa réserve avant même que la délégation soit arrivée à destination:
- Mais il y a davantage. Les polks disposent de quelque chose qui dépasse l’intérêt pécuniaire ou militaire. Nous ne somme points vulgaires au point de réduire notre première rencontre à un vulgaire marchandage de meubles en bois et de revolvers. Et d'arme aussi puissante que l'argent ou la chose militaire, vous en avez la disposition par votre simple parole et votre influence locale. Un appui tacite face à deux blocs hégémoniques, voilà ce que nous voulons. En échange duquel vous pourriez profiter de notre appui concernant vos problèmes de nuisibles rouges ou bleus. Que ce soit contre Rosvosky ou contre l’émanation onédienne de la Translavye, nous pourrions vous faire bénéficier de nos relais pour faire entendre votre voix. En échange, nous demandons simplement la même chose de votre part. Mais sur ce point, je crois comprendre que vous avez doublé ma pensée. Cette réponse vous convient t-elle ?


L'Amirale avait davantage l'habitude de s’adresser à des soldats qu'à des diplomates, et son ton, bien que se voulant courtois était...mécanique ? Un automatisme qui la poussait à s'adapter à son interlocuteur, mais sans jamais atteindre son aisance et sa maîtrise. Mattia Mascola avait le verbe pour lui, DiSaltis n'en avait pas la disposition naturelle, pas plus qu'elle l'avait travaillé.

De son côté, le suave Mascola alternait son voyage entre des phases de demi-sommeil et de lecture de son large choix (il se déplace rarement sans un ouvrage quelconque). Pol Vol Kan pouvait juste entrapercevoir le titre de ce vieux livre écorné: Complainte de Dame Fortune à l'endroit des vaincus, un antique récit moral, l'un des rares illustrant une injustice commise par les velsniens. Il est peut-être l'un des quelques sénateurs que l'on peut voir lire ce genre de "choses".

(HRP: déso, ce post est peut-être un peu moins qualitatif que les précédents et un peu plus "mécanique", je suis limité en temps)
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Ni Pol Vol Kan ni Demitri Vol Mist ne parurent choqués d’apprendre que leur pays ne suscitait qu’un intérêt limité auprès des Velsiens. La Polkême avait passé cinquante années dans un anonymat presque absolu, chérissant sa discrétion comme un joyau, il n’y avait rien de blessant de découvrir que cette stratégie avait été efficace.

Si je ne m’abuse, le raisonnement qui s’applique à la Polkême s’applique également aux Translaves : ces-derniers seraient tout aussi enclavés que nous dès lors qu’ils chercheraient conflit au Drovolski, et à vous par la même occasion.

Contre toute attente, Demitri Vol Mist eut un rire fluet :

Les Tatares ne savent pas vivre en paix. Leur guerre durera autant de temps qu’il en restera encore un en vie.

Pol Vol Kan ne semblait pas particulièrement convaincu mais hocha la tête par politesse.

Votre base en Drovolski est en elle-même motif à nous rassurer. L’Empire désolé se prête davantage à ce genre de démonstration de force militaire. Vous obtiendrez en Polkême l’aura d’une diplomatie millénaire et une parole mesurée en tout. Etant donné les fanatismes qui gangrènent ce monde et particulièrement cette région, cela devient une denrée rare.

Il fit ensuite un signe de la main et une jeune homme pâle habillé d’une livrée bleue polk paru sortir de nulle part.

Du thé György. Pour s'humecter la bouche, nous parlons beaucoup.

Puis se retournant vers les Velsniens :

Le travail polk ne coûte pas cher, tant que vous n’exigez pas de nous de trop gros volumes, vous trouverez en notre pays une production de matières premières à un prix tout à fait satisfaisant.

Une lumière d’intérêt ardent venait de traverser le regard du diplomate, qui sut se contenir cependant.

Je ne puis parler au nom de mon Souverain… disant cela il adressa un regard entendu à Vol Mist. « Toutefois j’ai confiance en la sagesse de Sa Majesté Vlastimil Vol Drek pour savoir reconnaître les intérêts de la Polkême lorsqu’ils lui sont présentés. Nous nous augmenterions d’accorder ponctuellement nos voix à celle de la Grande République : pas toujours bien entendu, que la parole des Polk demeure gage de neutralité et ainsi préserve son lustre. Mais si d’aventure une ligne permanente venait à être ouverte entre la mission à la Diplomatie et votre ministère, Votre Excellence, cela profiterait assurément à nos deux nations. Et permettrait une coordination mesurée, et opportune. »

Demitri Vol Mist fut moins subtil que Pol Vol Kan, esquissant un sourire gamin. Au-delà des enjeux internationaux, il était évident que les deux Polk jouaient chacun leurs cartes au sein d’un paysage politique traversé par les contradictions et les luttes intestines. La Couronne d'une part, le parti Modernistes d'autre part, et les grands absents, les Isolationnistes, qui tenaient pourtant la majorité aux deux chambres. Et pourtant, la Polkême avait jusqu'ici su faire bloc face à ses ennemis. Cela faisait mille ans qu'elle était unie pour opprimer les Blêmes, les divisions du XXIème siècle n'étaient en comparaison qu'une maigre échauffourée.
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Le train défilait entre des plaines aux couleurs étranges: parfois mornes, parfois vives. Cet endroit penchait vers l'un ou l'autre tunnel après tunnel, du versant d'une colline à l'autre. Les surprises sont bonnes et mauvaises. Aussi bonnes que les polks semblent sur une même longueur d'onde que leurs invités, mauvaises, car Mattia Mascola entend des choses qui lui font reposer le livre qu'il lit dans son coin sur ses genoux. Non pas que DiSaltis ne s'en sort pas, mais le suave sénateur craint une certaine mollesse née de la surprise quant à certains mots. Aussi, à Dimitri Vol Mist, il prit la peine de le reprendre, le tout dans un usage tout à fait courtois et diplomatique:
- Je ne suis pas d'accord avec vous, excellence. Je ne pense pas que quiconque ne soit poussé par un coup du destin à se réduire à une condition que l'on pourrait penser congénitale. Le déterminisme a bien trop induit notre pays dans son Histoire. Nous avons commis des erreurs, et nous en commettons encore, mais je ne pense pas que cela suffise à définir notre corps civique. Les teylais nous disent décadents, les tanskiens nous disent voleurs et malhonnêtes, les achosiens nous disent faibles et "efféminés"... Moi qui suis devant vous, suis-je tout cela ? De même, les translaves ne sont pas responsables de l'avènement du régime des scientistes "au globe", personne ne mérite d'être déchiré de la sorte en deux patries antagonistes, et je ne pourrais me réjouir de la perte d'un peuple, même issu d'une nation d'ennemis, car l'Histoire peut venir frapper à notre porte comme elle a frappé à la leur.

Il y eu un court silence. L'ammiraglio hésitait à reprendre la parole après l'envolée de son confrère, et celui-ci semblait sur sa lancée. Il fit signe au "valet" de ces excellences étrangères:
- Je prendrai ce thé avec plaisir. Nous sommes sur la même longueur d'onde sur la grande majorité de nos ambitions communes, on dirait, et j'en attendais pas moins de vos excellences. Naturellement, appui diplomatique ne signifie pas que vous deviez vous positionner sur des sujets velsniens, et qui pour vous ne seront que des affaires étrangères de votre intérêt. Un soutien sporadique sur des thématiques communes secouant votre région aura toujours plus de valeur qu'une cacophonie de milliers de pigeons voyageurs. Comme l'a énoncé avec précision ma consœur, il n'est pas là question d'affaire militaire ou de tentation impérialiste de notre part. Un partenaire commercial doit toujours être considéré avec équité. Et une fois votre ambassadeur arrivé à Velsna, je pense que vous souhaits de contact permanent seront exaucés. Pour ce qui est du bois, je laisse ce sujet à ma consœur, qui sera ravie de discuter d’éventuels quotas avec vous. Cela, et j'ai également cru comprendre que son excellence DiSaltis voulait discuter du cas du Rosvosky il me semble. Non ?

Le sénateur se tourna vers l'ammiraglio, qui hésita quelque peu avant de répondre. On l'avait sorti de la discussion pour mieux la ramener par le maillot:
- Euh...oui en effet. Ce sujet est important et il pourrait peser dans nos négociations, mais je tiens à ce que nous en discutions une fois arrivés à destination. De même qu'il faudra bien définir ce que le terme de soutien diplomatique évoque pour vous, avec des limites claires qui pourrait éviter les professions de foi sans lendemain.
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Les deux Polk accueillirent avec un désintérêt aimable la tirade de Mattia Mascola quant à la mansuétude à avoir pour les Translaves. Manifestement, le sort de ceux qu’ils dénommaient « tatares » ne les intéressait pas du tout.

Votre humanisme vous honore, Votre Excellence, répondit poliment Pol Vol Kan avant de changer de sujet et d’écouter Mascola clarifier ses positions diplomatiques. « Nous nous entendons sur ce point Excellence. Il s’agit d’articuler nos prises de paroles au bon moment, et non de manière systématique ce qui vaudrait assurément à nos diplomates d’être accusés de réflexes pavloviens. Il viendra nécessairement un moment où les tatares chercheront à sortir de l’impasse de la guerre civile, comme le Prodnov nous en a donné l’exemple. Déjà des voix s’élèvent en faveur d’une réunification. Si la Translavya se relève, elle pourra s’appuyer sur les restes de son tissu industriel et des investissements communistes et libéraux, elle chercha à réorganiser la région selon ses goûts. Une parole conjointe de la Grande République et du Royaume aura alors d’autant plus de poids qu’elle ne semblera pas préméditée. »

Il entreprit de se tourner vers DiSaltis qui demandait du thé à son tour.

Bien entendu. Si cela vous convient nous mettrons sur la table une première proposition de texte d’ici à la fin de la journée qui servira de base de travail à un futur accord secret. Si Son Excellence Mascola et vous-mêmes souhaitez rester quelques temps parmi nous, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Il hocha la tête et porta son regard en direction de Demitri Vol Mist, lui-même plongé dans la contemplation de la tasse de thé qu’on venait de lui servir.

Il reste plusieurs heures de voyage devant nous. Si vous souhaitez vous reposer, nous vous laissons en paix. Il y a assez de wagons pour que chacun ait son intimité. Bien sûr si vous désirez être entretenus de la Polkême, je me ferai un plaisir de vous parler de notre pays, en ma qualité d’hôte.

Le train allait maintenant à sa vitesse de croisière, au point qu’on n’en sentait presque plus les vibrations de la vitesse. De chaque côté du wagon, à travers les fenêtres, se dessinaient les paysages de la Pal alanguie, toute rousse et dorée en ce début d’après-midi. Les ombres des nuages solitaires s’y détachaient comme des tâches, accompagnant parfois la fuite d’un troupeau de chevaux sauvages effrayés par le train. A deux reprises le train passa au-dessus du grand Pietr, le seul fleuve notable de Pal ponantaise, avec son débit large qu’on ne traversait que sur des ponts de pierre et de fer. On traversa également plusieurs petites villes sans rien faire d’autre que freiner légèrement au moment de passer la gare. Les cités Blêmes étaient construites en pierres brunes et semblaient s’étaler au maximum dans la steppe sans obstacles. Les maisons étaient en partie construites en dessous du sol pour préserver la fraîcheur quand le soleil frappait haut et fort.

La seule ville d’envergure que traversa le Grand Septentrion était Gurapest. Pol Vol Kan se sentit d’ailleurs investi de la mission d’en prévenir les Velsniens lorsqu’on pu commencer à apercevoir la banlieue de la capitale des Blêmes. On ne s’y arrêta pas non plus, mais cette ville là était autrement plus impressionnante que les autres, toute construites en couleurs chaudes et grises, rouge, or, brun, et du blanc, pierres calcaires et argileuses élancées vers le ciel en cathédrales orthodoxes. Des châteaux encore, dans le plus pur style gothique de Blême, des voûtes, des ponts suspendus, des ruelles étroites et sombres, des fenêtres munies de barreaux et partout les silhouettes à demi humaines des gargouilles et des chimères.

Puis Gurapest fut dépassée, on en sortit sans prévenir, sans transition, et c’était la steppe de nouveau, plus peuplée peut-être, avec ses troupeaux et ses cavaliers qui tentaient de rattraper le train et bientôt distancés, les immensités à nouveau.

L’herbe bientôt se fit plus verte, moins rousse, et des vallons apparurent avec leurs lots de forêts némorales en cette saison toutes nues. La Polkême, prévint Pol Vol Kan, et effectivement il semblait bien qu’on avait changé de pays. Tout semblait plus verdoyant, sans qu’on ait pu dire quand et où, la steppe était devenue une plaine et les toits pointus des maisons polk commencèrent à apparaître. Il y avait des champs de fleurs en germe et des verges sans fruits, des rangées de légumes d’hiver : choux, courges et têtes de poireaux. Des forêts aussi, simples bosquets souvent, mais qu’on devinait être comme un avant goûts des bois épais de la Polkême profonde.

« Szentmiklós » précisa Pol Vol Kan lorsque le train traversa la première véritable ville Polk. Elle ne ressemblait en rien à celles des Blêmes et paraissait davantage une campagne étendue qu’une cité. La végétation était partout, elle enveloppait les constructions qui semblaient comme échappées d’un vaste jardin. Châteaux, bâtiments administratifs, plus hauts que les autres, et parfois des murs d’enceintes ou des constructions modernes à demi dissimulées sous les plantes, antennes relais et fils électriques, étaient les seuls indices qu’on ne traversait pas simplement un immense petit village.

La ligne de train continuait de suivre le Pietr à présent, elle dépassa une seconde agglomération appelée Sor-de-voda puis sortit de l’étalement urbain polk pour filer droit vers l’ouest, direction la capitale. La soirée était entamée à présent et le paysage fut un peu plus vide quelques temps avant de pénétrer de nouveau dans la zones d'étalement villageois de Volvoda. Volvoda aux trois ponts, où se rejoignaient les fleuves Venver et Polka, le fleuve des Polks. Cette ville là ressemblait davantage à une ville comme on les imagine, plus dense et ramassée.

Nous entrerons bientôt en gare prévint Pol Vol Kan et de fait, le train freinait à présent. Les Polks se révèlent un peuple moins curieux et moins craintif que les Blêmes. Des personnages vêtus élégamment observaient le train passer. Beaucoup allaient individuellement à cheval mais il y avait également ici et là des voitures qui devaient transporter des cadres ou servir pour des travaux prioritaires. Si la Polkême était pauvre, Volvoda était bourgeoise, opulente et démonstrative. Hommes et femmes allaient avec bijoux et parures et l’on ne semblait pas craindre de se faire arracher ses bagues ou son collier. Au-dessus des badauds, les toques des hussards royaux se détachaient nettement de la foule.

La gare, bâtie dans un pur style victorien, présentait également des éléments d’architecture art nouveau. Du fer forgé à motifs floraux et des entrelacements de colonnes et de voûtes qui évoquaient la ramures des arbres ou des racines entremêlées.

Nous nous attardons pas, précisa Pol Vol Kan, Sa Majesté nous attend au palais. Il sera tout temps de rencontrer des dignitaires dans les prochains jours.

De fait, si la gare n’avait pas été évacuée, leur quai était vide et on pu se rendra jusqu’à des voitures diplomatiques escortés de cavaliers, qui filèrent vers les hauteurs de la ville. La nuit tombait clairement à présent sur Volvoda qui s’illuminait de lampions, guirlandes et lanternes. Le grand château des Vol Drek se détachait nettement sur le ciel bleu assombri. Par bien des aspects, il ressemblait fort aux constructions gothiques des Blêmes, mais il aurait été mesquin de le faire remarquer.

On traversa Volvoda comme dans un songe, l’escorte ouvrant devant eux un passage sans obstacles. Si la ville était plus charpentée, elle était elle aussi envahie de verdure et les maisons se coupaient souvent entre elles par des jardins clos, parfois surélevés par rapport à la route qui passait sous des arches et des ponts.

On passa des douves, pénétra dans une enceinte. La demeure des Vol Drek était dans la continuité de leur capitale : couverte de lierre et d’arbres noueux plantés à même les interstices entre la pierre. Le parc qui l’entourait avait de l’allure, mais on sentait qu’il n’était que l’ombre de ce qu’il devait être au printemps et en été. Formant une allée, des torches électriques éclairaient dans le noir intense de la nuit polk la silhouette biscornue et sinistre d’une demi-douzaine de tours tordues. A cheval eux aussi, devant les portes du château se trouvaient les Vol Drek.

Ils étaient au nombre de quatre, mais plusieurs autres personnalités qui n’étaient, elles, pas montées, les accompagnait. Alors que la délégation de Velsna s’avançait dans l’allée, Pol Vol Kan se mit à murmurer sans bouger les lèvres, répétant ce qu’il avait déjà évoqué de manière abstraite plus tôt dans le train :

Le jeune homme blond à cheval est Sa Majesté Vlastimil Vol Drek, à sa droite se trouve le jeune prince Endre Vol Drek et à leur gauche, le prince Szilveszter Vol Drek, leur oncle. Debout à leurs côtés se tiennent Václav Vol Lage, le président de la chambre nobiliaire et mon pair, baron du Dek, ainsi qu’Albert Poláček, président de la chambre roturière, ce sont les deux membres les plus important du gouvernement.

Sans compter ces hauts personnages, la cour des Vol Drek était composée de serviteurs et de gardes Polk, en grandes tenues d’apparat.
Le cheval pie d’Endre Vol Drek renâcla. Un homme en livrée bleue polk accouru pour lui tenir la bride. Sans doute pour épargner l’embarras à son frère, Vlastimil Vol Drek talonna les flanc de sa propre monture et s’avança par devant les Velsiens. Pol Vol Kan s’inclina avec respect. Demitri Vol Mist, lui, semblait s’être éclipsé.

Bienvenue sur les terres de ma famille, j’espère que vous avez fait bon voyage en Polkême. Vous êtes ici mes hôtes, partageons ensemble un dîner en espérant que vous serez aussi mes amis.

Le garçon parlait d’une voix assurée, rompue à l’exercice, mais qui trahissait sa juvénilité. Ayant terminé de parler, et, comme Pol Vol Kan en avait prévenu les Velsniens conformément au protocole de Polkême, il fit faire demi-tour à son cheval. La cour s’écarta pour le laisser puis passer pénétrer dans le château, toujours monté, suivi de plusieurs valets. Dès qu’il eut disparu le reste de la cour s’avança, prêts à saluer un par un les Velsiens.

Bienvenue en Polkême, dit en premier le petit prince Endre, que son oncle dépassa ensuite pour démonter de son cheval et saluer les Velsiens d’homme à homme.

Les deux représentants des chambres attendirent leur tour, Pol Vol Kan murmura quelque chose à l’oreille du petit prince qui le fit rire, Szilveszter s’excusa de ce que sa sœur, la Reine Consort, ne fut pas présente pour les accueillir mais elle se trouvait dans l’ouest. Albert Poláček assura aux Velsniens qu’on parlerait davantage pendant mais surtout après le dîner et Václav Vol Lage demanda si Pol Vol Kan n’avait pas été de trop mauvaise compagnie.

Tout le monde avait faim, il était plus que temps de dîner.
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A en juger de l'attitude de Mascola, ce pays que le train traversait d'une traite était...intéressant. Les paysages trahissaient un monde agraire que l'on aurait pas sorti de son jus. A bien des égards, c'est ainsi qu'il imaginait la plaine velsnienne un siècle plus tôt. Avec toutefois des particularismes uniques: les maisons polks étaient un témoignage d'une Histoire différente, emplie d'individus aux impératifs sociaux différents de toutes les contraintes qui avaient existé à Velsna par le passé. La maison traditionnelle velsnienne du début du siècle était un logement collectif où coéxistait parfois jusqu'à trois générations d'une même famille dans un foyer. Les toits étaient plats, architecture peu commune au nord de l'Eurysie, mais qui était héritée des contrées leucytaliennes. Là où l'ardoise polk donnait à ces constructions un aspect sombre, les velsniens utilisaient davantage de la pierre aussi blanchie que possible afin que tous puisse admirer ce que le voisin n'avait probablement pas. Le bois, lui aussi était beaucoup plus répandu, autre contrainte à mettre en parallèle avec la densité du paysage forestier qui n'a rien de comparable dans la patrie des invités. Les forêts, les maisons...tous ces élements du paysage ne renvoyaient pas ou peu la lumière du soleil, là où à Velsna, il était courant de tenter d'en capter le moindre rayon. Ces maisons étaient individuelles, séparées les unes des autres, chose impensable dans une société grégaire qu'était Velsna jusqu'au début du XXème siècle, et où l'importance d'un individu était autant déterminée par sa richesse que par ses relations de clientèle. Mascola, lors du trajet, entre deux conversations de ses hôtes et au cœur d'un silence que l'on ne saurait juger s'il est gênant ou reposant, se fendit d'un commentaire, les yeux rivés vers l’extérieur:
- C'est étrange. Je ne saurais dire si ce paysage est incroyablement préservé ou entièrement artificialisé. Excellences, je me demande comment la Polkême organise l'aménagement de son territoire, tout particulièrement de ses espaces sauvages. Cela donne l'impression d'une organisation parfaite, voire d'une nature dressée. Il me tarde de rester afin de revoir les montagnes de Vrcholky. Mon dernier voyage remonte à une dizaine d'années et il me tarde d'y observer les changements.

Du reste du viyage, les velsniens alternèrent ainsi entre le silence et des moments de questionnement portant sur tout ce qui les entourait. Si bien que le voyage paru relativement court. La vibration des traverses de la voix ferrée était une mélodie qui aspirait au repos.

Volvoda, elle aussi, attira les commentaires des invités. Mais ceux ci restèrent confinés à la pensée, car il aurait été malvenu de faire une comparaison entre la patrie des blêmes dans laquelle ils avaient débarqué, à l'apparence si pauvre et dont la population paraissait terrorisée à la vue des polks, et cette agglomération bien plus lumineuse, et dont l'opulence transparaissait physiquement sur ses occupants. L'Amirraglio DiSaltis cru même voir un groupe de personnes bien gras faire sa balade nocturne...

Le "palais" de ces altesses de Polkême rappelait à Mascola certaines constructions d'Eurysie du nord. Mais c'était là une comme une comparaison malvenue. En cause, c'était bien les pays où il avait pu observer ces penchants gothiques qui étaient de bien mauvaise réputation: à Velsna, on associait souvent cela aux patries du nord comme Kolisburg. Nul doute qu'il fallait faire abstraction et ne pas juger cet endroit à la valeur de ces gens. DiSaltis s'était elle réveillée: il y avait là des standards de confort qui étaient plus à son goût. Là où à l'approche de sa majesté, DiSaltis tendit son oreille à Pol Vol Kan afin de s'assurer de ne faire aucune erreur, Mascola était lui bien plus confiant. Et si son Vol Kan a pu retenir son attention avec ses conseils, son corps de ce diplomate avec une vingtaine d'années de voyages et d'ambassade au compteur ne le laissa pas transparaître.

DiSaltis avait l'appréhension de rencontrer un jeune chef d'état, mais lorsqu'elle se retrouva en face de ces deux jeunes hommes, elle eu un instant de confusions. Les velsniens ne connaissaient de Vol Drek que la copie d'un tableau officiel très flatteur, vantant par l'image les passions littéraires d'un individu sensible aux arts et aux lettres. Aussi, celle-ci ne s'attendait certainement pas à tomber en face...d'un twink. Un peu décevant. Mascola interrompit ce moment de flottement en tapant discrètement l'épaule de sa comparse, alors qu'il s'apprêtait à s'incliner tout en légèreté face aux deux polks:
- Majesté Vlastimil. C'est un honneur que de vous apercevoir enfin. Le voyage fut long, mais gratifiant. En effet, la Polkême me paraît toujours aussi avenante. Je vois que vous êtes bon cavalier. Je peux voir ces choses là: mon propre père était un chasseur de Strombola. Je me permets de vous présenter l'Amirraglio et sénatrice DiSaltis, qui dirige la Classis IV en poste au Drovolski.

La sénatrice s’avança à son tout. Sa révérence était moins délicate que celle de Mascola. Cette vétérane de la guerre civile velsnienne se retrouvait mettre un genoux en terre devant un enfant à l'autre bout du monde. Et la convenance n'était pas chose aisée pour elle:

- Majesté. Mon confrère ici présent m'a beaucoup parlé de la Polkême. Aussi, c'est moi qui vous ait mandé rencontre. Nous emboîtons votre pas, excellence. Le voyage fut beau, comme l'a dit mon confrère sénateur-amabassadeur, mais indéniablement harassant.
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Deuxième partie : le dîner

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Le protocole polk avait la bizarrerie d’être à la fois contraignant et chaleureux. Vlastimil Vol Drek avait filé en amont, laissant les ambassadeurs aux soins de sa cour et de ses diplomates, et on ne l’avait retrouvé qu’en pénétrant dans la grande salle à manger du château de Volvoda, siégeant en bout de table où il s’était levé pour les inviter à prendre place. Stratégiquement – ou pour leur permettre de discuter avec plus de personnes au cour du dîner – les Velsniens avaient été séparés. A droite du jeune roi avait été placé son frère et héritier, Andre Vol Drek, et à sa gauche son oncle. A gauche de l’oncle, l’ambassadeur Mascola, encerclé par Pol Vol Kan, le délégué à la diplomatie. A droite du prince Andre se tenait Václav Vol Lage, le président de la chambre haute, à sa droite la sénatrice DiSaltis et à sa droite encore Albert Poláček, président de la chambre basse. Demitri Vol Mist refit son apparition comme si de rien n’était et vint se placer à droite de Poláček, de sorte que la famille royale avait des oreilles de chaque côté de la table.

On échangea de nouveau quelques politesses formelles, chacun vantant les mérites du pays de l’autre, mais tout cela fut rapidement interrompu grâce à l’entrée du repas, à base de fruits et de fromage.

Très vite, DiSlatis fut prise à parti par Lage et Poláček.

― Sénatrice, commença ce-dernier, nous nous réjouissons que vous restiez longtemps en Polkême. Les sujets dont nos assemblées veulent vous entretenir sont nombreux. L’économie est une chose, la guerre une autre. Nous savons que l’Adélie et la Rosevosky travaillent en ce moment même à se rapprocher de l’UICS, renforçant d’autant plus l’emprise des communistes sur la région. La Polkême est de fait l’unique rempart contre l’enclavement totale de la République translavique et l’hégémonie des socialistes sur le pourtour blêmien. L’OND tient la langue de Rême, mais leur légitimité y est médiocre, ce sont des colonies, des comptoirs voués à être relâchés par leurs métropoles tôt ou tard. Nous prévoyons que si les communistes augmentent leur emprise sur la région, en déloger définitivement les colonisateurs sera d’autant plus simple que les mouvements décoloniaux rêmiens pourront s’appuyer sur leur aide. Il faut donner à la Polkême les moyens de contrebalancer cette hégémonie… ! Cela vaut aussi pour la Translavya, les peuples aspirent à la paix et à la stabilité, entre l'isolement de l'OND et les promesses d'intégration dans une grande alliance rouge, ils n'hésiteront pas. La Polkême peut être une voie alternative.

Václav Vol Lage eut un geste élégant pour signifier à son camarade de ne pas trop s’emballer.

― Allons, nous n’y sommes pas encore. Mais il est vrai qu’il faut penser à longs termes. La langue rêmienne n’a pas vocation à rester éternellement colonisée, ni la Translavya fracturée. Maintenant que la Polkême s’est rouverte au monde, il serait bon d’envisager dès maintenant la préparation d’une solution décoloniale alternative en intégrant ces territoires à des espaces géographiques installés. Je pense à la Cémétie au sud, et la Polkême au nord. Si nous ne sommes pas en mesure d’offrir à ces territoires des portes de sorties alternatives au communisme, tout cela finira mal.

De l’autre côté de la table, Szilveszter Vol Drek faisait la conversation à Mascola sous l’oreille curieuse de Pol Vol Kan.

― Avez-vous déjà convenu d’un itinéraire pour votre visite ? Contrairement aux dictatures, toute la Polkême est visitable, de ses plus hauts sommets à ses plus profondes mines. Vous avez dit aimer le cheval ? J’ai toujours pensé qu’on ne la visite que mieux à cheval, cela laisse le temps d’apprécier l’air pur de la région. Nos campagnes sont un écrin préservé de la corruption moderne, on n’en retrouve pas d’équivalent ailleurs dans le monde.

― Sinon peut-être dans les déserts ou les régions arriérées, ironisa Pol Vol Kan sans avoir l’air d’y toucher.

Vlastimil Vol Drek profita de ce que son oncle adressait un regard noir au baron de la Brann du nord pour attirer l’attention de l’ambassadeur.

― Parlez-nous un peu de Velsna votre Excellence ? Mon frère n’a de cesse de me poser des questions et je ne sais pas toujours y répondre.

Andre Vol Drek hocha la tête avec énergie, pas timide pour deux sous.

― On dit que vous descendez des Fortunéens ? Vous aussi vous hébergez des vampires ?

Szilveszter Vol Drek toussota.

― Mon prince, ce n’est pas le lieu pour ce genre de rumeurs, vous allez fâcher notre hôte.

Il n’en jeta pas moins un œil en coin à Mascola pour juger sa réaction.
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La sénatrice DiSaltis, tout en écoutant ses interlocuteurs entamer vivement la conversation au beau milieu d'un repas, se cambrait légèrement en arrière pour apercevoir son confrère, particulièrement à l'aise avec les Vol Drek et le baron qui les avait accueillit. Il avait l'air de bien s'en sortir, comme toujours. Il avait l'air de rire à une remarque que lui avait fait le jeune garçon. Elle, avait davantage eu l'impression de subir une agression de la part des deux polks qui s'étaient rués sur le fond du sujet beaucoup plus rapidement qu'elle l'aurait pensé. Le travail au corps dans une conversation, était définitivement plus important à Velsna que dans le pays des polks. Mais elle ravala tout ce qu'elle pu de sentiments mitigés en même temps que ces fruits et ces fromages, quui au demeurant étaient excellents, et valaient tout ce qu'elle avait pu goûter à la table des gens de Drovolski, par exemple.

Mattia Mascola était comme un poisson dans l'eau. On lui posait des questions sur des histoires de folklore, de superstitions désuètes et d'Histoire. C'était là le cadre idéal de son expression. Il n'y croyait pas pour un sou, mais la véracité de ces histoires importe peu au fond... Il jouait d'une certaine naïveté dont la question du jeune prince était porteuse pour rebondir dessus avec plaisanterie, et tact:
- Chut voyons jeune excellence, ne répétez ce secret à personne ! - riait-il avant de s'assagir - Il y a beaucoup d'histoires sur les fortunéens, et par conséquent sur nous. Mais c'est un trait d'honneur: c'est une marque de différenciation parmi les étrangers. Nous sommes une curiosité, alors ils inventent des fables et des histoires, car ils ont peur de ce qui est différent d'eux. Nonobstant, c'est sont là deux très bonnes questions que vous me posez tous deux, excellences.

Le suave sénateur essaya de rendre le propos ludique et disposa trois verres remplis d'eau devant lui

Oui jeune excellence, vous avez tout à fait raison...ce sont des commerçants fortunéens qui ont fondé notre cité, à l'instar de beaucoup d'autres. Un ancien philosophe que j'admire beaucoup a dit un jour que les fortunéens les velsniens se regroupent sur le pourtour de l'océan comme les grenouilles barbotent autour d'un étang. Lorsqu'elles sont trop nombreuses à un endroit, que le commerce est moins bon et que la pêche est pauvre, l'une d'entre elles saute sur une autre fougère flottant sur l'eau, et elle fonde une nouvelle cité. Parce que la pêche y est meilleure, d'autres la rejoigne, et parfois même elles demandent à des étrangers de se joindre à elles... jusqu'à ce que la fougère sur laquelle elles sont n'ait également plus de place, et le processus se répète. C'est ce qui a donné Velsna.

Mais c'est là une erreur de penser que Fortuna est la seule responsable de l'existence des velsniens, jeune excellence, car il se passe beaucoup de choses lorsqu'on laisse une grenouille barboter seule trop longtemps... On coutume de dire que Velsna est un poème qui a été clamé par trois fois. Une première fois par les fortunéens qui l'ont fondé et lui ont apporté l'idéal d'autonomie et de liberté, une deuxième fois par les achosiens, qui par la guerre ont forcé notre cité à accorder la citoyenneté à tous les autochtones occitans sur son territoire pour la sauver, et une dernière fois par les landrins fuyant la fin de leur patrie, qui nous ont apporté la boussole, la littérature et le beau.

Mon pays est donc la combinaison parfois conflictuelle de toutes ces migrations et de tout ce qu'elles nous ont apporté. Et ce sont tous ces apports d'idées qui sont à la fois l'origine de tous nos problèmes et de toutes nos solutions.


Mascola avait tenté d'élargir les perspectives du jeune homme, et accessoirement de Vlastimil non seulement par convenance, mais parce que les revendications des origines mythiques de Velsna étaient au pays, l'apanage de l'ancienne faction du désormais exilé Dino Scaela. Un discours particulièrement éloigné du mode de pensée de ce sénateur qui avait tout fait pour éviter ce conflit (sans oublier qu'il avait fait le voyage aux côtés d'une femme qui elle, avait pris les armes contre ces mêmes "scaeliens").



L'Amirraglio quant à elle, s'en sortait comme elle pouvait de son côté sur un sujet pour lequel elle était venue. Autant dire qu'elle aurait été beaucoup plus mal à l'aise que son compère sur les sujets qu'il abordait avec ses jeunes auditeurs:
- Je comprends vos appréhensions, excellence Poláček. Bien que des différences de taille existent, nos deux pays sont dans une situation géopolitique qui compte ses similarités. L'Eurysie est animée par de grands blocs et des pôles de puissance, il est compréhensible que la Polkême craint de se retrouver encerclée de tous côtés par des nations ayant des modèles politiques profondément incompatibles avec le vôtre. Aussi, je vais tout d'abord vous faire part de ce que la plupart de mes confrères pensent de acteurs dont vous vous faites du soucis, et également de la nature de la mission qui incombe à ma classis (flotte) dans le détroit du Nazum.

Elle prend une inspiration, elle n'a pas l'habitude d'endosser ce rôle d'ambassadrice qui n'a jamais été sa fonction. Mais la politique polk ne devait pas être très différente de la politique velsnienne dans la manière de l'aborder...

Concernant l'Adélie et le Rosevosky, ils devraient être les cas les plus faciles à traiter si vous les considérez comme une menace. Le Rosevosky est un État croupion n'ayant aucune appartenance internationale et dont les contacts avec l’extérieur sont limités. J'ai ouie dire qu'ils avaient une maigre flotte, certes, mais peut-être que la flotte que j'ai sous mon commandement pourrait vous assister en ce sens en cas de tentative d'intimidation de leur part. Voire...détruire leur flotte de manière préventive pourrait être une option, mais cela requiert l'aval du Sénat velsnien que je ne suis pas certaine d'obtenir. Ensuite, à votre bon vouloir de les traiter comme bon vous semble.

Cela est une première option, brutale, que nous vous proposons en cas de nécessité extrême. Mais il y a également une deuxième solution vers laquelle vous semblez vous diriger, et qui consiste à faire peser les armes de Dame Fortune du côté des communistes, qui en comparaison des onédiens, sont faméliques. Les États sur place sont faibles, la Loduarie est trop loin pour être efficace...Seule l'Estalie pourrait faire quelque chose, mais elle est isolée et semble avoir d'autres préoccupations qu'une nation comme le Rosevosky que pas grand monde parmi les rouges considèrent comme faisant part intégrante de leur famille politique. Bref...c'est moins un problème qu'un atout à garder dans une manche.

L'OND, quant à elle, dispose d'une capacité de projection et d'une organisation que ne possède pas l'UICS, sans parler d'une cohérence à l'échelle diplomatique internationale aussi troublante que fascinante. Là où dans l'UICS, l'Estalie, le Kah et la Loduarie suivent chacun une partition propre, les onédiens agissent tout le temps de concert, et jamais seuls. Ils peuvent bien prendre une initiative individuelle, mais ils seront systématiquement soutenus par leurs pairs. Et le pays qui fait les frais de l'ombrage d'un seul d'entre eux aura toujours tort. En vertu de tous ces facteurs, je pense que vous sous-estimez grandement les volontés émancipatrices des territoires colonisés. Je vous encourage grandement à persévérer pour l’autonomie des peuples sur base d'opérations de subversion, sur ce point nous sommes sur la même longueur d'onde , mais cela ne suffira pas. Les services de renseignements de quatre, voire cinq ou six pays vous tomberont dessus immédiatement. Aussi, nous sommes prêts à vous donner le concours de la Segreda velsnienne dans le cadre de ce type d'entreprise. Mais il va sans dire que vous devriez également rechercher d'autres appuis en plus du nôtre. Le Kah, aussi rouges soient-ils, ont de bons renseignements. Drovolski pourrait vous aider également, même si j'ai cru comprendre que ce n'était pas le grand amour entre vous. Reste des nations comme Fortuna qui ont énormément d’intérêts sur la langue de Rhême. Nous sommes en pleine phase de rapprochement avec ces derniers. Et j'ai ouïe dire que l’Impératrice de Lykaron, qui est une amie du peuple velsnien, avait de grands projets pour Théodosine. Je vous conseille donc de vous renseigner également de ce côté-ci si vous voulez peser à l'échelle régionale contre ces grands blocs.

Une autre solution pour sécuriser votre territoire serait de vous céder de l'armement. Certes, cela ne suffirait pas, seul, à instaurer une balance qui soit profitable au commerce, ce pourquoi nous sommes à votre table après tout. Mais cela aura le mérite de faire passer à vos voisins, communistes ou onédiens le message suivant: une invasion du pays des Polks ne se fera pas sans pertes. En dernier lieu, Velsna peut vous faire la proposition d'un partenariat naval officieux afin de vous permettre de développer vos forces dans une seule direction, et éviter de disperser vos forces dans le terrestre, le naval et l'aérien simultanément. Nous nous chargerions d'exercices navals communs dans le but de former une marine polk à long terme, avec à la clé des dons sporadiques de navires. Pas les meilleurs certes, mais qui vous permettrons d'avoir une présence navale. Qui garantit donc un poids politique accru.


Ce discours fut long, et il ressemblait beaucoup à une proposition similaire que les velsniens avaient fait à Drovolski il y a quelques semaines de cela: à savoir une assistance aux nations de la région afin de leur garantir une plus grande autonomie stratégique, ce qui va dans le sens d'un contexte multipolaire que le Sénat cherchait à imposer depuis deux ans en Eurysie. Un contexte favorable au bon écoulement du commerce. Finalement, la quarantenaire résuma:

Voilà donc la liste de nos propositions suivants vos besoins. Vous êtes libres de les accepter, de n'en prendre que certaines ou de les refuser. En échange...nous voulons...rien, excepté le bois dont j'avais parlé au baron Vol Kan. Cela pourrait vous surprendre mais nous estimons après coup, que le renforcement du pays des polks constituerait de toute manière un évènement plus que bienvenue et dont cette région a besoin.



Si DiSaltis était pleinement absorbée par les hautes affaires d'état pour lesquelles les velsniens étaient venus, Mascola, toujours sourire aux lèvres, était en vive discussion avec le Barol Vol Kan:
- Comme j'en avais déjà fait part, je compte bien retourner dans les montagnes de haute Polky sous peu. Évidemment, je ne compte pas le faire autrement qu'à cheval, même si dans l'idéal, j'aime marcher, bien entendu. Logé ou à la belle étoile. J'ai tenté la même expérience au Drovolski récemment, mais on m'a fortement déconseillé de le faire pour cause...de radiations. Il faudra donc que je me rattrape de cette déconvenue.
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Le petit prince Andre – qu’on connaissait au château et dans la presse comme un garçon joyeux et enthousiaste – buvait les paroles de Mascola, au point que son frère dû discrètement lui tapoter le rebord de l’assiette sans quoi il n’aurait pas touché à son entrée. Le gamin se jeta sur le fromage aux fruits, mais sans quitter trop longtemps du regard le sénateur vers qui il revenait sans cesse.

― Il y a beaucoup de grenouilles en Polkême, crut-il pertinent de répondre à la métaphore amphibienne de Mascola.

Szilveszter Vol Drek hocha la tête poliment.

― Il est vrai que l’immigration peut avoir du bon, à condition de savoir la maîtriser et de s’adresser à des gens de bonne volonté. Les Brann sont complètement confondus avec le peuple Polk et cela fait la force de notre Royaume, n’est-ce pas Pol Vol Kan ?

L’intéressé avala la cerise confite qu’il suçotait, se tamponna les lèvres et acquiesça.

― Il n’est pas un seul habitant de ma Brann du nord qui ne se félicite de la sveta zaveza*.

*alliance de sang = désigne en Polk le traité d’unification de la Brann et des Polky, fait écho à l’alliance historique des deux peuples pour repousser les envahisseurs de l’est.
Le prince Andre parut plus chagrin.

― Les Blêmes sont de mauvaise volonté…
― C’est le sang tatare qui rend fou, expliqua Szilveszter, les Polky et la Brann sont d’agréables régions à visiter Excellence Mascola mais n’allez pas vous aventurer seul en Pal ponantaise, les Blêmes sont particulièrement agités en ce moment, ils nous ont tué un Régent il y a six mois. Si daventure vous souhaitiez y passer, je vous ferai donner une escorte.

Cette fois, ce fut Vlastimil Vol Drek, resté silencieux, qui répondit.

― La faute au Grand-Duc, pas à leur sang. C’est accepter leur rhétorique de penser que les Blêmes ont un sang différent du nôtre. La Transblêmie est une menace pour le monde entier parce qu’elle créé de la division là où il ne devrait pas y en avoir, elle est bien trop sous-estimée par les Eurysiens de l’ouest.

Son oncle acquiesça roidement.

― Il y a sans doute un peu de tout cela à la fois, Majesté, mais la Transblêmie ne parle qu’à ceux qui, par manque de jugeote, tendent l’oreille pour écouter. N’est-ce pas Pol Vol Kan ?

Pour la seconde fois le missionné à la diplomatie avala en vitesse ce qu’il avait dans la bouche et répondit.

― Économiquement le Grand-Duché est un tigre de papier qui multiplie les horreurs pour nous faire croire qu’il a de l’influence en dehors de ses frontières. Il n’y a rien à craindre je vous l’assure Votre Majesté. D’ailleurs s’il venait à s’en prendre à la Grande République de Velsna, celle-ci n’aurait aucun mal à l’isoler et à l’anéantir. Qu’on bloque ses ports et prennent Port Palid et le régime tomberait en trois mois. Si la Transblêmie cherche à intimider la Polkême c’est parce qu’elle sait que nous n’avons pas de force de projection…

Il eut un regard entendu pour Mascola.

― De nouvelles alliances dissiperont bien vite cette ombre qui rentrera se terrer dans ses montagnes.

De l’autre côté de la table, les deux présidents des chambres semblaient fort peu intéressés par le sujet transblême. Si l’aristocratique Vaclav Vol Lage, Baron du Dek, se retenait pour ne pas sembler impoli à DiSaltis, son homologue Poláček semblait parti dans sa lancée, hochant vigoureusement la tête aux propres de la sénatrice, tout prêt à y répondre point par point.

― Un Etat peut passer de croupion à menace dès lors qu’une puissance décide de le transformer en Proxy. Que la Loduarie, le Kah ou l’Estalie décide d’y décharger quelques tonnes de matériel et voilà ce pays de fous furieux avec la puissance de frappe d’une nation de l’OND.

― Pour parler franc sénatrice, reprit Vaclav Vol Lage, je pense que nos lectures diffèrent légèrement sur le point que vous évoquiez à l’instant. Bien que nous observions évidement avec attention les manœuvres de l’OND sur le pourtour de Blême, cette organisation s’est montrée relativement peu hostile envers les nations démocratiques non alignées. En tant monarchie, nous craignons beaucoup plus l’hostilité des socialistes et communistes que celles de démocrates libéraux certes un peu entreprenant mais sans réelles intentions messianiques. D’ailleurs leurs possessions arrachées à l’ancien empire rêmien sont autant de portes avions couteux en mer Blême que d’épines enfoncées dans leurs pieds car la présence socialiste dans la région les menace autant que nous. Comme vous l’avez dit… un rapprochement opportuniste avec certains libérateurs libertaires suffirait à faire peser sur eux une épée de Damoclès et les clouer en mer Blême, vous laissant par ailleurs les mains libres.

Il s’éclaircit la gorge.

― Nous comprenons cependant très bien l’agendas Velsnien qui voit dans chacun des blocs une menace équivalente. Si nous devons être des alliés officieux, nous sommes prêts à le prendre au sérieux. Avec le bois que vous a accordé Pol Vol Kan, cela participera à équilibrer un peu la balance.

Albert Poláček semblait pris d’une intense méditation et on vint lui retirer son fromage aux fruits sans qu’il y ait seulement touché.

― Détruire la flotte de la Rosevosky… c’est tentant mais brutal. Dans la mesure du possible la Polkême ne souhaite pas engager les hostilités, Sa Majesté y tient.

L’oreille accrochée par son titre, Vlastimil Vol Drek se tourna vers eux pour écouter la conversation. Poláček poursuivit.

― Multiplier les rapprochements, oui, c’était dans les plans de Pol Vol Kan, cela a été validé aux chambres, hm, pour ce qui est d’aider à l’armée, cela passera difficilement inaperçu…

Vaclac Vol Lage intervint :

― Géza Kiss (le ministre de la guerre ndlt) a de toute façon écarté à courts et moyens termes que la Polkême se doterait d’une marine de combat. Nous pouvons être une force de soutien mais pas plus.
― Vrai vrai, mais en matière d’aviation, on ne forme pas des pilotes du jour au lendemain… ni ne conçoit des appareils efficaces. Là, un partenariat avec Velsna serait stratégique.

Pol Vol Kan s’invita dans la conversation depuis l’autre côté de la table.

― Si je puis me permettre d’être plus explicite que mes amis du parti isolationniste, la Polkême achève encore de mettre en place les institutions et les savoir-faire qui lui permettront, dans les prochaines années, de peser dans l’équilibre régional en Eurysie de l’est. Nous sommes néanmoins contraints de faire des choix de matière de priorités. Albert Poláček a raison de souligner que là où Velsna peut nous venir en aide, c’est en suppléant les domaines où nous sommes faibles pour nous permettre de nous investir complètement dans ceux où sommes forts. Le député Géza Kiss vise à constituer une puissante infanterie motorisée. Soit, laissons à Velsna le soin de nous aider en matière d’aviation. Quant à la marine, nous pouvons nous contenter d’une flotte côtière et, le cas échéant, de soutien logistique pour d’éventuelles manœuvres alliées dans la région. En vérité il n’y a là rien de bien compliqué, souffler le chaud et le froid sur tous nos voisins est l’affaire d’une diplomatie dynamique, rien de plus, et si ces-derniers ne sont pas les derniers des fous ils devraient nous laisser tranquille. D’autant plus que, pardonnez-moi Votre Majesté, la Polkême est un beau pays mais assez peu stratégique à soumettre. Nous n'avons pas d'industrie à conquérir, les ressources naturelles de la région sont communes et nos mœurs... atypiques ? nous rendent assez imperméables à une forme de soumission idéologique.

Un silence régnait autour de la table à présent, seulement perturbé par les frottements du pantalon du prince Andre qui battait des jambes et commençait à s’ennuyer.

― Ce que nous avons besoin de savoir, sénatrice DiSaltis, c’est dans quelle mesure la Polkême pourrait compter sur le soutien de Velsna si elle se montrait davantage proactive à l’encontre de ses voisins. Ou pour le formuler à la manière d’une tractation marchande, si nous faisons le travail de déstabilisation de vos ennemis ici en mer Blême, concentrant de fait leur attention sur la région, pouvons-nous attendre de votre part l’aide qui nous déliera les mains face aux représailles aisées d’une potentielle contre-attaque.

Vlastimil Vol Drek fronça les sourcils, Pol Vol Kan le rassura d’un sourire entendu.

― Diplomatique Votre Majesté. Contre-attaque diplomatique. Sans allié puissant, la Polkême ne fera rien. Enfin si : le dos rond et des courbettes pour plaire à tout le monde. Mais si nous obtenons des garanties de vous, nous pouvons agir plus audacieusement.

Sur ces mots, on apporta le plat principal : de l'agneau à la crème et aux fines herbes.
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Mascola était au fait des paroles de ses hôtes polks, ce qui ne l'empêchait pas de jeter des regards furtifs à ce qui se déroulait du côté de la sénatrice DiSaltis. Les regards de ces deux là se croisèrent plusieurs fois, de même que s'échangèrent des sourires qui se dessinaient et s'effaçaient bien rapidement. La patricienne velsnienne voyait le jeune garçon à l'écoute du voyageur. Mattia Mascola était un bon conteur, mais l'enfant...il lui en rappelait d'autres au pays. Andre était jeune, presque du même âge que son propre fils. Les murs de cette pièce s'étaient subitement rapproché, il faisait chaud, très chaud, et la poitrine de la quarantenaire était resserrée dans un étau. Des diners comme celui-ci, elle les évitait comme la peste depuis la guerre civile. Le passé remontait par intermittence comme les marées. Ces regards suspicieux, cette avalanche de questions...elle répondait machinalement à Poláček, un homme qui lui rappelait l'insistance désagréable d'autres sénateurs velsniens. Elle se disait que, peut-être, elle n'aurait pas dû venir et laisser faire Mascola...elle répondit machinalement à ses analyses, à tel point que l'on aurait pu penser qu'elle était sortie de son corps pour se contempler elle-même:
- Il est bien normal que votre optique diffère de la notre, excellence. Je n'en attendais pas tant. Rares sont les hommes et femmes de ce monde qui possèdent les mêmes objectifs. Il est évident que d'un point de vue idéologique, les nations socialistes n'ont une tolérance que très relative de votre existence. Comme je vous l'ai dit, parmi ces pays, je pense que seule l'Estalie possède des perspectives de développement d’intérêts à long terme dans la région. De ceux là, vous devriez vous méfier en effet, car je pense qu'ils disposeront bientôt de capacités de nuisance que la Loduarie ne possède pas de toute manière. Face à cette menace et si d'aventure un "proxy" rosevoskien ou translave venait à émerger, que ce soit aux mains d'un marionnettiste loduarien, estalien ou kah-tanais, le Sénat pense qu'un soutien matériel et politique devrait suffire à vous défendre, celui-là même dont je vous ai fait la mention. Et vous serez bien satisfaits d'apprendre que ce soutien s'appliquerait même si, en cas de conflit avec ces deux pays, vous seriez le parti attaquant. Il en irait de même pour pour le potentat onédien de Translavye. Vous nous couvrez, nous vous couvrons, tel est le marché.

La vision de la jeune femme s'était quelque peu rétractée depuis quelques minutes, mais elle pu suivre les gestes du baron Vol Kan, déblatérer sur "les sangs", ses lèvres remuant dans le vide. Il s'adressait à Mascola. Elle l'entendit à peine, mais ces mouvements sur cette bouche...DiSaltis les lisait...les blêmes. Elle ajouta aux polks:
- Bien entendu, ce soutien politique, entendons nous bien qu'il serait avant tout motivé par des questions "locales". Nous pouvons appuyer vos décisions en Eurysie de l'est, tout comme nous comptons sur le fait que le pays des polks fasse de même. Concernant le pays des blêmes (hrp Transblêmie), c'est là un sujet un peu plus lointain et notre soutien sur cette sera conditionné à la bonne entente que nous avons avec le Jashuria, qui à coup sûr est une force avec laquelle il faut compter au pays des nazumi. Là encore, au même titre que le Grand Kah, il serait sage, excellence Vol Kan, que vous vous assuriez de leurs faveurs comme vous le faites actuellement à notre égard.

Après avoir réussi l'exploit d’énumérer son propos, la sénatrice vida plus vida son verre par réflexe, d'une traite. Il était pourtant à moitié plein...Ses mots devinrent plus vagues. Le petit Andre...que fait-il là au milieu des grands...il devrait se consacrer à des jeux d'enfant.

Lorsque je me suis exilée de Velsna après le massacre du 2 mai, et que je me suis réfugiée en Afarée, le sénateur Matteo Di Grassi m'a dit... qu'il était toujours plus confortable d'avoir des ennemis nous voulant du mal qu'avoir des amis étant en capacité de le faire. C'est une leçon que j'ai apprise trop tard. Ne sous-estimez pas l'importance de conserver un équilibre dans les relations que vous entretenez, même lorsqu'on vous tend des fleurs...

Fleurs...Il y en avait beaucoup sur la terrasse du palazzo en mai...Il faisait un grand soleil... L'étau dans la poitrine de Di Saltis l'empêchait de respirer...

Excusez moi excellences, je me permets de prendre congé de vous un court instant. Y-a t-il un endroit où il serait possible de prendre l'air ? Je reviens sous peu.

Mascola vit au dessus de la tignasse blonde du prince Vostimil, la sénatrice prendre ses jambes à son cou, la démarche étourdie. Aussitôt, il eu à cœur de rassurer l'assistance:
- Son excellence Di Saltis a sans doute le mal du voyage...veuillez m'excuser un court instant mes jeunes princes. Si tôt je serai de retour, je vous conterai l'histoire de mes pérégrinations dans la contrée des Xin.

Le suave sénateur aux cheveux longs (hrp: toujours Qui Gon Jin) s'empressa d'emboîter le pas de sa consœur, de prime abord pour s'assurer de sa santé, mais il était tout aussi bien d'éviter d'entendre ces débats sur le pureté ou non des sangs tatar et blême. L'amirraglio s'était trouvé un balcon d'où l'air frais pourrait lui redonner des couleurs. Elle appuyait ses mains sur la rambarde, ses doigts l'agrippait de sorte qu'il aurait fallu la force de dix achosiens pour lui faire lâcher prise. Elle haletait à n'en plus compter les respirations. Mascola vint se pencher à côté d'elle, d'abord sans un mot. Il lui tendit un mouchoir, elle transpirait à grosses gouttes.
- Excellence DiSaltis. Je sais reconnaître une crise de panique lorsque j'en vois une. Inspirez profondément.
Les yeux de Di Saltis se vissèrent sur Mascola. Pas ses yeux, un point précis entre deux boutons de sa chemise.
- Le garçon. Il lui ressemble.
- Toutes mes condoléances, excellence. J'ai entendu parler de cette histoire, et je n'ose imaginer l'horreur que ce fut. Je n'avais osé vous aborder sur ce sujet, par pure politesse. Voulez vous que je prenne le relais ? Je peux occuper les polks avec quelque aventure.
- Non. Il ne sera pas nécessaire excellence.
- coupa la quarantenaire, avant de se redresser - Allons y.

Alors que DiSaltis s'apprêtait à descendre les marches dans l'autre sens, le voyageur la retint encore un instant:
- Excellence. Je devais offrir au jeune prince des ouvrages mais...voudriez vous le faire vous-même ? Je me charge du reste de nos hôtes ma foi très prenants...

C'était là une bonne intention du sénateur Mascola, qui servirait autant la délégation que cela servait DiSaltis. Le suave sénateur s'en alla donc, énergique, rejoindre la table auprès de Vol Kan et des autres membres de cette curieuse cour:
- Excellences. J'espère que j'ai rien manqué. Nous discutions donc de la possibilité d'un accord diplomatique en sous-main, le marché proposé par ma consœur vous convient-il ?

Pendant ce temps, la sénatrice interpella les princes Andre et Vostimil, avec de lourds ouvrages dans les bras:
- Excellences. Nous tenions, à l'occasion de ce repas, à vous faire part de ceci: l'intégrale du récit des guerres celtiques, par Luigi Di Canossa. C'est un monument, à la fois littéraire et historique qui se déguste, aussi bien pour les gouvernants en devenir, prince Vostimil, que pour les futurs aventuriers comme vous, prince Andre.

D'abord gênée, elle jeta un regard à Mascola, qui lui rendit par un encouragement discret de la main, et s'effaça derrière le récit, dans un enthousiasme qui contrastait grandement d'avec la personne qu'elle était quelques instants auparavant:
- Jeune prince. J'ai ouïe dire de la part de mon excellence Mascola que tu étais un aventurier dans l'âme ? Tu connais l'histoire d'Erwys Gwyndel ? C'était pas un vampire certes, mais il n'avait rien à leur envier ! C'était l'achosien le plus effrayant qui n'ait jamais exister, et dieu sait que ce n'est pas rien ! Il était grand comme la moitié d'un chêne et fort comme un éléphant. On dit qu'il pouvait traverser une rivières sans se mouiller les cuisses. On dit qu'il ne pouvait pas survivre sans dévorer trois enfants velsniens par jour. Et ces livres te raconteront son histoire, et celle du sénateur Balbo, qui l'a battu.

Le moment de faiblesse sembla passer comme il finit par s'évanouir à chaque fois...
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Poláček sembla se satisfaire de la réponse de la sénatrice, se contentant de rebondir d’un ton aigre.

― L’Estalie est un ogre insatiable qui non content d’avoir causé l’effondrement de deux de ses voisins se tournera bientôt vers l’est, à n’en pas douter. Mais elle trouvera en Polkême plus de résistance qu’elle ne le pense… Le soutien de la Grande République est un soulagement immense.

Et Vaclav Vol Lage d’acquiescer.

― Cela nous délie les mains et ouvre des perspectives nouvelles, nous vous remercions Sénatrice.

Pol Vol Kan ne se montra pas plus compliqué, hochant à son tour la tête après avoir (enfin) réussi à avaler la bouchée de son plat qui commençait à refroidir à force d’être interrompu.

― Contacter le Grand-Kah fait en effet parti de nos plans, ainsi que le Jashuria si Sa Majesté souhaite faire de la Transblêmie une de ses piorités… (il tourna le regard vers Vlastimil Vol Drek)

Ce-dernier serra les poings.

― Comme je l’ai exprimé, je crains en effet que nos inquiétudes eurysienne ne nous fassent quitter des yeux le Grand-Duché au moment même où celui-ci semble se renforcer. Il s’agit peut-être d’une menace militaire triviale, mais son pouvoir de nuisance ne doit pas être sous-estimé.

― Assurément Votre Majesté. Nous ferons comme vous le désirerez.

De son côté, le petit prince Andre semblait s’ennuyer de ces discussions « de grands » et de ce que Mascola s’y consacrait maintenant davantage qu’à lui raconter des histoires. Il s’était mis à faire légèrement grincer son couteau dans le fond de son assiette et il fallut que son frère lui fasse les gros yeux pour qu’il cesse en gonflant les joues.

La cour paru légèrement surprise lorsque la sénatrice demanda à s’isoler un court instant mais, fort poliment, ne s’en offusqua pas. Albert Poláček se proposa même de lui montrer le chemin mais se résolu finalement à laisser faire les serviteurs. Que ce soit la faute à un véritable malaise ou pour s’entretenir entre eux secrètement, on guida les Velsniens vers un vaste balcon. La nuit était très noire dehors mais Volvoda toute illuminée de guirlandes et de lanternes, même endormie, semblait toujours en fête.

Quand ils furent sortis, Vaclav Vol Lage se tourna vers Pol Vol Kan d’un air narquois.

― Je suis heureux de constater que vous ne leur avez point trop farci l’esprit d’insanités, messire. Pour un moderniste, vous vous êtes montré plus que sensé.

Le baron de la Brann du nord ne paru pas du tout offusqué des mots de son pair.

― A ce propos, j’ai mis sur la table un peu de notre bois, cela semblait les intéresser, il faudra voir cela avec votre confrère de l’économie.

Vaclav Vol Lage haussa un sourcil.

― Du bois contre un soutien militaire presque inconditionnel, c’est un bon deal… Je m’attendais à plus de ruse de ces marchands. Ils vous ont presque jetés dans les bras de leurs concurrents du Kah, je ne pensais pas Velsna en lien avec les communalistes ?
― Gage qu’ils font feu de tout ce qui fragilise les hégémonies naissantes, comme le Pharois avant eux. C’est une aubaine dont nous devons tirer profit. Ne les pensez pas nos alliés pour autant, la Transblêmie a intégré la ligue de Velcal.

Vlastimil Vol Drek se rembrunit.

― Je n’imaginais pas les Transblêmes signer un accord avec qui que ce soit…
― Ils ne l’ont pas fait, Votre Majesté, répondit Pol Vol Kan, mais en tant que vassaux des Hushong ils s’alignent sur la politique de leur maître.

Le Prince Andre releva le nez de son assiette d’un air malheureux.

― Ce sont des méchants.
― Non, le rassura son frère, mais la générosité sans contrepartie n’existe pas hors de la Polkême. Le monde est vaste et avare.
― C’est bien dit, rebondit Vaclav Vol Lage, encore que je peine à bien cerner les intérêts des Velsniens à nous soutenir si inconditionnellement. S’il ne s’agit que d’envoyer un message aux puissances socialistes et libérales, notre situation demeure précaire car nous sommes un pion qu’ils abandonneront en cas de réchauffement des relations.
― En cela vous voyez juste acquiesça Pol Vol Kan, il m’a semblé assez clair en discutant avec la Sénatrice que l’intérêt de chacun est que la Translavya demeure divisée et que personne ne prenne l’ascendant dans la région. Paradoxalement, l’instabilité nous est profitable, assurons nous de la maintenir assez pour nous renforcer, il sera toujours temps de trouver des alternatives aux Velsniens plus tard, une urgence après l’autre.
― Et comment comptez-vous maintenir la région en ébullition messire Vol Kan ? Je vous rappelle que nous n’avons pas les moyens de supporter une guerre ouverte.
― De cela je vous entretiendrai tout à l’heure messire Vol Lage, terminons d’abord ce dîner.

Chacun sembla se contenter de cette déclaration et on attendit que les Velsniens reviennent en servant le dessert.

Lorsque DiSaltis et Mascola reparurent, leur fut présenté une part gâteau glacé au citron accompagné d’agrumes de saison.

Les Polk reprirent immédiatement la conversation là où ils l’avaient interrompu.

― Le marché nous convient, répondit Vlastimil Vol Drek, je charge le baron Pol Vol Kan, sous l’œil de mon porte-parole messire Demitri Vol Mist d’en poser les termes sur papier que je signerai et que nous dissimulerons.

Le baron de la Brann du nord hocha la tête.

― Dans les prochains mois nous initierons divers rapprochements avec les forces socialistes et libérales, ce sera l’occasion de mettre en exercice cette diplomatie de l’ombre.

Pendant que Pol Vol Kan négociait les détails, le roi et son frère s’intéressèrent aux ouvrages apportés par Di Saltis. Le petit garçon sembla ravi, son éducation lui ayant très tôt inculqué la valeur des livres, et Vlastimil remercia la sénatrice avec une grande politesse.

― C’est fort généreux de votre part, nous les lirons consciencieusement d’autant plus s’ils renferment un peu de la sagesse de votre nation et éclairent ses succès.

Le petit Prince semblait très content qu’on s’intéresse à lui et, tout en battant des jambes sous la table d’excitation, écoutait la sénatrice les yeux brillants.

― Un géant… ? murmura-t-il impressionné. Il n’y a pas de géants en Polkême.

Puis se tournant vers son frère :

― Qui gagnerait entre un géant et un vampire ?

Celui-ci haussa les épaules avec un sourire pour la sénatrice.

― Lis le livre, tu le sauras peut-être et tu nous diras si je dois en recruter dans mon armée.
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DiSaltis sourit. Ce n'était pas arrivé depuis le début de la visite. Elle avait l'impression de lire à nouveau ces histoires qu'elle avait entendu enfant, et qu'elle avait à son tour transmis à son propre fils. L'espace d'un instant, elle avait oublié les raisons de sa venue, pour le mieux. Elle n'était pas une diplomate, elle en avait conscience, et elle avait supplié le Maître de l'Arsenal Di Grassi, quelques semaines avant cette visite, de ne pas s'y rendre et d'y envoyer quelqu'un d'autre. Tout comme il lui avait signifier de prendre un poste en orient, loin de Velsna. Non pas par mépris, car il était de notoriété commune que Di Saltis l'avait suivi au cœur de la guerre civile dans toutes ses décisions, et qu'elle était fidèle parmi les fidèles. Mais peut-être ce voyage avait un autre sens qu'une simple visite chez des étrangers dans une contrée ignorée. Après tout, ce fut le Maître de l'Arsenal qui avait lui-même choisi les ouvrages dont les velsniens avaient fait cadeau aux enfants. Il ne paraissait pas étonnant que ce trublion de Mascola était de mèche avec lui depuis le début du voyage. Peut-être ces cadeaux étaient tout autant adressés à elle qu'aux polks, comme un rappel des conversations que les deux sénateurs se partageaient dans leur exil en Afarée. Les trois quarts de l'historiographie velsnienne étaient un mélange de foutaises, d'exagérations et de conjectures. Mais ces histoires avaient une signification, et Di Grassi le connaissait sur le bout des doigts, autant que Di Saltis. Passé le vernis de xénophobie caractéristique d'un écrit vieux de huit siècles, il y avait là des mots sur la résilience et le deuil. Le garçon posait des questions, la velsnienne lui répondait avec une aisance de plus en plus affirmée. La résilience...encore et toujours...
- Eh bien. Je dois bien vous avouer, petit prince, que je ne suis pas une spécialiste en vampires...mais en géants en revanche...je suis la meilleure. De ce que je sais, je puis te dire que les géants et les vampires ont un point commun: ils ne sont guidés que par des besoins, et par l'envie. Ce qui n'est jamais un très bon choix de recrutement dans une armée.

Elle tourna rapidement son regard vers le frère aîné du "petit prince".
- Erwys Gwyndel était un géant capable de soulever les montagnes, mais il ne se battait pas pour les bonnes raisons. Les Hommes justes sont guidés par de bons sentiments, et en général c'est pour cela qu'ils se battent bien. Le géant Gwyndel faisait comme tous les achosiens: il se battait par envie, par appât de l'argent et par vengeance, comme lorsque tu manges des bonbons et que tu en veux toujours plus. Il ne pouvait pas s'arrêter, comme un vampire, ou un vulgaire animal. On dit de lui que lorsqu'il eut massacré les velsniens dans les plaines de Velcal, il se rendit sur les berges de la baie de Velsna. Il regarda la ville au loin sur la lagune, et il trempa sa main dans l'eau, rien que pour penser à la froideur que ressentaient ses habitants en la touchant, et s'imaginer marcher dans nos rues parmi nos cadavres. Et il revenait tous les soirs pour tremper sa main. L'envie est un moteur puissant chez les monstres, mais on peut toujours les battre en étant plus rusé et surtout, en étant résilient. Pietro Balbo et le vieil Idilmo étaient des sénateurs menus de taille et pas bien forts, mais il ont comprit que l'on se fatigue rapidement lorsqu'on est uniquement guidé par les sentiments des achosiens. Il ont demandé aux autres sénateurs de faire fondre tous les objets en fer des églises et des chapelles pour en faire des armes, il ont fait fondre tous les objets en or et en bronze pour s'en procurer d'autres, et ils ont demandé à toutes les femmes de la cité de couper leurs cheveux pour s'en faire cordages pour fabriquer des bateaux et des catapultes...


Le fil de la soirée reprit avec les desserts. Mattia Mascola n'avait pas l'air pressé de signer ce traité, et les deux velsniens s'imaginaient en discuter le lendemain. Le temps passait vite, et le suave sénateur était reparti de plus belle dans ses conversations avec les polks. Et dans ses mots, la politique avait moins de place que les plaisirs de la vie dont il se faisait une joie de transmettre. Il jonglait d'anecdote en anecdote au sujet des différents pays qu'il avait visité, toutes séparées par des culs-secs qui ne paraissaient pourtant beaucoup l'affecter, si ce n'est en faisant un peu plus rayonner son humeur:
- Mes amis. Vous ai-je déjà raconté mon périple dans l'Empire des Xin ? Et ma rencontre avec l'enfant qui se pense le fils du ciel ? Lorsqu'on arrive devant lui, il faut se mettre à genoux et ramper jusqu'au trône, sur deux bonnes dizaines de mètres. Et ce trône est une sorte de siège avec un mécanisme hydraulique qui descend à notre niveau, et qui fait chantonner des oiseaux dorés qui sont perchés au dessus de lui. On ne peut lui adresser la parole, et il communique avec nous par le biais d'un serviteur à qui il susurre à l'oreille. Si nos cadeaux ne lui plaisent pas, il peut nous renvoyer d'où l'on vient sans même qu'il n'ait prononcé un mot à son souffleur. Ses vêtements sont tellement bardés d'or qu'il faut que des serviteurs viennent lui porter sa robe. (...)

(...) Et vous avez entendu parler de l'Aulos ? C'est un instrument de musique qu n'est joué que dans les terres des grecs. Une sorte de double flûte, avec deux hanches attachées l'une à l'autre qu'ils jouent dans des occasions particulières. Et qu'il faut jouer à plusieurs car sinon, cela donne l'un des sons les plus affreux que j'ai entendu. (...)


HRP: je n'ai plus rien à ajouter pour le repas, je suis prêt pour des négociations et la rédaction d'un traité le lendemain
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