21/02/2015
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Le pays des polks (Rencontre Velsna/Polkême)

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Le pays des polks (Rencontre Velsna/Polkême)



Un navire frappe les frappes comme le fouet claque le sol. L’eau est de plusieurs couleurs : verdâtre, rouge rouille et brune. On aurait dit une peinture à l’huile sur laquelle voguait cette petite corvette frappée du lys velsnien. A la proue du navire, loin de l’agitation des marins affairés à la navigation se tenait un Homme, qui sans conteste était à part parmi les siens. Le sénateur Mascola ne tenait pas compte de l’air putride qui se dégageait de la terre ferme, grisâtre et désolée, et continuait de lire encore et encore, un masque sur le nez. Mais la tranquillité prend toujours fin, et le monde des lettres laisse place à celui des mots, les belles formules aux bégaiements gênants et aux hésitations. L’Amiragglio DiSaltis venait le tirer de son repos de l’esprit :
- Confrère Mascola. Je pense que nous pouvons retirer les masques, nous nous éloignons de Drovolski.


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Il y a toujours un zélandien pour en manger un autre...


Mattia leva les yeux vers DiSaltis, ferma son carnet et enleva enfin ce masque étouffant. Il y avait encore des immondices de la tailles de petits icebergs en déshérence et l’air était toujours putride, mais ce la ne constituait plus un danger. Le sénateur connaissait bien cet endroit, il l’avait parcouru encore et encore, du haut de ses quinze années d’exil volontaire de Velsna. Car Mascola était pour le moins un sénateur-ambassadeur atypique. Contrairement à beaucoup, on ne lui prêtait aucune ambition particulière, aucun autre désir que celui de la solitude et ses années de voyage en Eurysie de l’est avaient fait de lui une célébrité sans même qu’il ne s’en rende responsable. Le récit de ses carnets de voyages faisait le tour des salons de l’aristocratie sénatoriale velsnienne en quête de sensations fortes et d’exotisme. Et tous les quatre ans, il se contentait de se faire réélire par ses admirateurs au pays.
- Quelle puanteur…On aurait pu venir en Polkême par avion…Il nous faudra débarquer en Ponantaise avant de faire le reste du trajet sur terre. – se plaignit Disaltis –
- Puis-je te faire une confession chère consœur : l’avion me rend malade bien davantage que Drovolski. Et il ne permet pas de se rendre compte de la richesse des endroits par lesquels on passe. Les nuages sont jolis certes, mais ils n’ont pas d’Histoire.

Si c’était Francesca DiSaltis qui avait fait la demande de cette rencontre, celle-ci avait fait appel à l’ambassadeur attitré dans l’espoir de ne provoquer aucun incident diplomatique, car il était bien le seul sénateur velsnien à s’être aventurer dans ce pays au moins une fois. Et les deux parlementaires, déjà liés par des affaires communes comme au Drovolski, formaient « une bonne équipe » : DiSaltis était une partisane de la première heure de DiGrassi, pragmatique et terre à terre. Et Mascola, sénateur indépendant se mettant systématiquement à l’écart des querelles de palais à Velsna, lui apportait la sagesse dont elle ne disposait pas. La quarantenaire demanda comme souvent, des conseils et des renseignements à son confrère :
- J’ai lu votre « Voyage au pays des polks ». Pensez vous que nous serons bien accueilli ? Je connais à peine cet endroit.
- Imagine Drovolski, consœur. Tu vois ses industries, ses mines, la sensation de vitesse qui se dégage de chaque aspect de la vie de ces gens ? Eh bien, retourne tout et imagine l’exact opposé, et tu auras un bon aperçu du pays des polks. Ils nous accueilleront les bras ouverts car il est dans leur intérêt de le faire, alors sois sans crainte sénatrice. Je n’ai jamais été anxieux en traversant ce pays et en discutant avec ses habitants. C’est une société agraire, les fruits y sont bons et la charrue est encore maîtresse des routes. Mais ne te méprends pas ; ce n’est pas parce qu’ils mènent une vie simple que ce sont des gens simples. Ne les prends pas pour des idiots.
- Et ces histoires de sorcières ? Sont-elles vraies ?


A cette réflexion, le suave sénateur répondit par des mots énigmatiques :
- Il y a beaucoup de choses en ce monde dont tu serais surprise d’apprendre la véracité, chère consœur.

La corvette quitta les eaux territoriales de Drovolski, au plus grand plaisir des narines de l’équipage avant de passer au large de la Translavye, l’ancienne patrie maudite de l’idéologie au globe aujourd’hui coupée entre deux mondes. Bien que Mascola fut bien plus laconique, ile se fendit de quelque anecdote auprès de l’Amiragglio (toujours avec sa voix suave bien entendue) :
- Dans toutes ces histoires de fascisme, de partage et de guerre idéologique, il convient toujours de rappeler à quel point le peuple translave a été brave…et malchanceux. Ces gens, les onédiens et les loduariens, entendent donner des remèdes universels à des pays entiers sans savoir que chaque nation est un cas propre qui exige des solutions propres. Bref, vous devriez faire signe à vos subordonnés de vous éloigner des côtes, ma consœur. Avec ces patrouilles, des deux camps, il ne fait pas bon être un navire velsnien dans le secteur.

Il fallu deux jours de plus afin d’atteindre les côtés de la Palmontaise, laquelle fut avertie qu’un navire velsnien abritant du personnel diplomatique désirait débarquer afin de finir son chemin jusqu’au pays des polks…quelle sera donc la réaction de ces derniers…
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Sur les berges du havre de blême, se tient couché Port Palid. Ville Blême où flotte le drapeau polk, conquise depuis mille ans, jamais réduite. Qui s’en approche par la mer découvrira les horizons dorés de la Pal ponantaise, ses côtes rocheuses et ses plages de galets blancs. Pour peu qu’on pénètre dans le golfe au matin ou à la nuit tombée, immanquablement un brouillard épais saisit la mer et les bouées qui y flottent sont de petits fantômes, et la lumière des phares de titanesque cyclopes.

De grands cargos chargés croisent dans la passe. De taille impressionnante pour les Polk, ils sont loin de concurrencer les géants des nations thalassocratiques. La Polkême trahit sa non-intégration au commerce mondiale : les navires qui débarquent à Port Palid sont presque tous des aventuriers. Les docks du port apparaissent comme sortis de nulle part. Un instant l’eau clapotant des plages et soudain ce béton froid coulé directement dans la mer, parcouru d’excroissances en bois qui sont autant de pontons de pêche et de baignades pour les habitants. Les plus grands porte-conteneurs s’arrêtent rapidement, le havre n’est pas prévu pour leur permettre de remonter plus en amont. Les Velsniens, eux, progressent dans la rade, vers le vieux port. La cité est bâtarde, cela se sent instinctivement. Hautes et dominantes les tours d’un château polk transpercent le brouillard de la ville. Seuls à les concurrencer, des clochers de cathédrales orthodoxes défient encore l’envahisseur catholan. La ville basse est rouge, dorée, grise, beige et blanche : Blême. C’est cinquante nuances de torchis, des toits en briques, bas pour éviter la chaleur. Ce sont des ruelles sombres à toute heure du jour ou de la nuit, des bâtiments rabougris, condensés, chaleureux. On aperçoit dans les rues des regards curieux et fuyants, des gens vêtus de blanc et de noir, le visage parfois entièrement couvert à la mode transblême, des coiffes hautes qui heurtent les volets des maisons, des barbes longues et fourchues. Ceux qui regardent passer le navire crachent dans la mer, se signent, courent parfois le long des quais jusqu’à le perdre de vue. On dépose un sac lourd pour regarder passer la délégation, on souffle de la fumée par le nez, on échange quelques mots le regard sombre.

Les Blêmes savent que vous ne venez pas pour eux. D’ailleurs vous les dépassez.

Plus loin, plus haut, attendent les Polk. Ils ont fière allure avec leurs uniformes et leurs poignards, leurs toques touffues qui frémissent au vent. Une rangée de hussards montés encadre le ponton réservé aux invités de marque, ce sont deux lignes de cavaliers présentant d’étranges fusils qui ouvrent sur les ambassadeurs, montés eux aussi. Il y a Pol Vol Kan, député missionné à la Diplomatie, un homme dont seule la noblesse réhausse l’allure. A ses côtés se trouvent Vladimir Vol Veyne en tenue sanguine. Le Régent de Port Ponant ne pouvait accueillir ses hôtes sans faire démonstration de sa puissance. Derrière eux se tient une figure juvénile aux yeux masqués d’un bandeau d’or : c’est le Sire Demitri Vol Mist, le porte-parole de la maison Vol Drek. Il sera leur messager jusqu’à ce qu’on conduise les Velsniens à Volvoda.

Tout, dans la cérémonie d’accueil, vise à faire démonstration de noblesse et de puissance. La richesse de la Polkême est étalée avec un certain goût, mais il aurait fallu repeindre la moitié de la ville pour dissimuler l’archaïsme de la Pal. Port Ponant, unique cité commerçante de tout le royaume, peine seulement à concurrencer le plus petit port zélandien. S’il n’était son château et ses dimensions, la ville pourrait être confondue avec une sordide station balnéaire. La Polkême est riche de culture, mais son PIB dépasse à peine celui des nations arriérées. Elle cherche à faire forte impression avec ses cavaliers en armure, mais ce ne sont là que des hommes sur des chevaux.

Lorsque les Velsiens posent pied, deux-cents sabots battent d’un coup les quais. Cela fait s’envoler les mouettes. Pol Vol Kan met lui aussi pied à terre, suivi de Demitri Vol Mist. Vladimir Vol Veyne, lui, restera à cheval. Il assure ainsi les fonctions d’hôte et de gardien.

C’est le député Pol Vol Kan qui prend le lead, avec toute la distinction d’un baron polk, il accueille chaleureusement les ambassadeurs Velsniens au son d’une trompette lointaine.

C’est un plaisir et un honneur pour nous de vous accueillir, dit-il d’un ton convaincu. « Je vous introduis le sire Demitri Vol Mist, porte-parole de la maison Vol Drek jusqu’à ce que vous atteigniez Volvoda, et le sire Vladimir Vol Veyne, notre hôte, Régent de Port Ponant. »

Ce dernier adresse une révérence à cheval, sans desserrer les dents. Vol Mist se montre davantage courtois.

Sa Majesté Vlastimil Vol Drek et la famille royale dans son ensemble vous assurent de l’immense plaisir qu’ils ont à accueillir en Polkême les émissaires de la splendide Grande République de Velsna. Si Sa Majesté n’a pas pu quitter Volvoda pour vous recevoir, elle s’en excuse et m’a chargé de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour vous conduire jusqu’à elle dans les plus brefs délais. Il est bien entendu que si madame DiSaltis désire, après s’être entendue avec Sa Majesté, visiter davantage la Polkême ou la Pal, nous serons plus qu’heureux de lui mettre à disposition tous les conforts appropriés à une personne de son rang pour voyager.

Pol Vol Kan fait un signe alors que crépitent derrière les chevaux des flash d’appareils photos.

Port Palid est une superbe ville malheureusement comme nous vous en avons signifié, il serait inconvenant de nous y attarder en faisant attendre Sa Majesté. Nous allons prendre le Grand Septentrion.

Je vais vous escorter, déclare le Régent, pas si muet finalement.

Non loin du port se dresse une structure presque aussi impressionnante que le château, quoique plus moderne : c’est la vieille gare. Erigée au XIXème siècle, elle en a les lustres et les stigmates. Une structure de fer forgé à la mode art nouveau, verte d’oxydation, figure des plantes grimpantes envahissantes et entremêlées qui forment un toit où percent des rayons de lumière pâle. Une inscription gigantesque trône à l’entrée d’où partent les trains : Grand Septentrion. Quelques 800km de rails à travers la steppe et la plaine, reliant Volvoda à la côte de blême. Toutes les heures, ce serpent de fer s’élance au milieu des étendues désertes dans un crachat de vapeur, souffle les hautes herbes et effraye les troupeaux de chevaux sauvages. Il faut d’abord poser le pied dans ce pays morbide qu'est la côte de Blême pour rejoindre la plus verdoyante Polkême, car à Port Palid, on ne trouvera aucun artefact du joyeux pays des Polk.
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La délégation velsnienne était modeste, comme d'habitude. Il faut paraître humble, et hormis un seul garde, l'Amiragglio fit signe au reste de l'équipage de bien sagement rester à bord. Mascola prévenu la sénatrice: "Vous feriez mieux d'ordonner aux marins de rester à bord jusqu'à la fin de notre séjour ici. Nous n'avons pas envie d'insulter qui que ce soit. Et dites leur de ranger les croix de Catholagne dans leur chemise si ils en ont autour du cou.". Mattia Mascola et DiSaltis finissent par sortir du bâtiment flottant et naturellement, c'est le voyageur Mascola qui prend la tête de ce petit groupe. L'air était froid et humide. Il rentrait dans les poumons, mais peinait à en sortir. Escortés dans les ruelles jusqu'au point de rendez vous fixé par les polks, DiSaltis fit la découverte étrange d'une société isolationniste qui évoluait à quelques centaines de kilomètres à peine de la base de la Classis III. Preuve en était que les velsniens ne connaissaient finalement que peu la région dans laquelle ils avaient mis les pieds. Défilant à l'ombre des maisons de torchis, elle vint se quérir auprès de Mascola:
- C'est quoi cet endroit ? On dirait que ces gens n'ont jamais vu d'étrangers.
- Ce sont des blêmes. Ne les regardez pas
. - répondit le voyageur, laconique -
- Ils sont maigres...
- Ils sont maltraités par les polks depuis des siècles. Nous ne pouvons rien faire pour eux, reprenez votre chemin, consœur.

Malgré cette injonction, la quarantenaire ne pu s'empêcher de, tout de même, jeter un regard ou deux vers certains visages: ces gens étaient terrorisés.


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"Attention Ménisque ! La pièce se remplit de gaz toxique !"


La délégation des étrangers était bien modeste en comparaison de cette suite de cavaliers qui entouraient ce petit noyau d'individus qui, si ils circulaient parmi les blêmes, les feraient sans doute fuir en courant sur kilomètres. Les deux sénateurs savaient reconnaître une démonstration de puissance, la symbolique politique à Velsna est omniprésente après tout, et cela procurait à ces derniers un sentiment plus familier que le spectacle auquel ils avaient assisté à quai. Le contraste était frappant entre des hussards et des cosaques, grandis par leurs toques, et les velsniens qui étaient venus, contrairement à la puissance prêtée à l'argent velsnien, dans de biens simples appareils. DiSaltis avait pour elle un uniforme d'Amiragglio de la Marineria bien guindé certes, mais Mascola était lui enroulé dans un simple manteau de fourrure peu cher sous lequel il n'y avait qu'une tunique et son sceptre de sénateur, qu'il avait l'habitude de maquiller pour le faire paraître d'une canne. Il maudissait les atours et l’apparat de sa patrie, une perte de temps. Le sénateur s'inclina le premier devant le comité d’accueil de Pol Vol Kan:
- Excellence. C'est un honneur que d'être escorté par votre personne...et de constater que cet endroit a si peu changé depuis mon dernier passage il y a douze ans. Le changement et le mouvement sont parfois inconfortables, aussi il est toujours de mon plaisir de retourner dans votre patrie.

Il va sans dire que je vous porte également les plus sincères salutations de tous mes confrères du Sénat de la Grande République, et il viendra à votre attention que nous apportons à son excellence Vol Veyne des présents dignes de son attention. J'ai...des ouvrages à lui transmettre. J'ai cru comprendre qu'il était homme de lettres et amateur du beau. J'aurais bien fait part à son excellence d'un bouquet des plus belles fleurs que compte le pays velsnien, mais cela fait des années que je n'ai pas mis les pieds dans la cité sur l'eau.

Votre proposition de nous attarder en Polkême est fort aimable de votre part. Je ne sais pas en ce qui concerne ma consœur, mais il était dans mon envie de rester quelques semaines. Cela fait bien longtemps que je n'ai vu de mes yeux les montagnes de Haute Polky. Qu'en pensez vous, sénatrice ?


L'Amiragglio était quelque peu gênée de refuser d'entrée de jeu une amabilité, à laquelle elle répondit par une plaisanterie détournée:
- Oui peut-être que je m'y déposerai mes valises lorsque le Sénat m'aura délivré de mes responsabilités de commandement...tout le monde n'a pas votre temps, excellence Mascola.

Si la jeune femme était déboussolée du spectacle d'une populace fuyant le moindre des étrangers, Mattia Mascola était comme qui dirait chez lui. Il se comportait de la même façon en Polkême qu'au Drovolski: avec adaptabilité. Mais il serait faux de croire qu'il agit par opportunisme. Il n'est certes pas courant que les sénateurs velsniens soient transparents et honnêtes avec leurs interlocuteurs, mais Mascola semblait sincère dans la grande majorité de ses interventions en pays étranger. Son secteur d’ambassade était littéralement garni de ces pays dont les autres sénateurs estimaient qu'il était inutile de communiquer: Polkême, Drovolski, Poetoscovie. Et lorsque celui-ci demandait à ses confrères d'ouvrir un canal de communication avec un pays d'Eurysie de l'est, on lui répondait souvent: "Ces gens sont trop différents de nous.", "Leur langue nous effraie", "Où sont leurs rolex ?", "Ils n'ont pas de pouvoir d'achat."...
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D’aucuns pensent que la stabilité est une vertu, répondit Pol Vol Kan avec politesse. Ou tout du moins qu’elle est la preuve de la résilience d’une nation pensa-t-il par ailleurs en son fort intérieur, mais la remarque aurait été malvenue à destination des ambassadeurs d’un pays tout juste sorti d’une guerre civile. Pol Vol Kan avait assez de jugeotte pour le savoir. « Vous êtes toujours le bienvenue en Polkême Excellence Mascola, j’ai eu plaisir à lire vos ouvrages récemment, ils ont été traduit tardivement, mais les choses arrivent toujours lentement chez nous. »

Dans sa bouche, ce n’était en rien déplorable. La vitesse n’était pas une qualité polk, hormis lorsqu’on courrait la steppe à cheval, et encore : c’était toujours moins rapide qu’en 4x4.

Le sire de Konstantiniepr (Vladimir Vol Veyne) avait avancé son cheval à la mention de son nom, mais toujours sans démonter.

C’est d’une grande amabilité de votre part, sire Mascola, répondit-il d’un ton qui ne laissait rien transparaître d’aimable. « Mes mages seront heureux de ce cadeau, ils vous offriront en retour des bulbes de Polkême.
Ainsi nos nations fleuriront ensemble, abrégea Pol Vol Kan avec diplomatie. Suivez-moi je vous prie. »

L’étalon du Régent grogna et se retourna vivement, ouvrant une brèche au milieu des autres cavaliers. Deux voitures noires, entourés de véhicules militaires attendaient les ambassadeurs pour les conduire à la gare.

Les gardes ne seront pas de trop Pol Vol Kan se fit la réflexion. On nous a tué un Régent dans ces ruelles… Force était de reconnaître que cette fois-ci, la Polkême avait mis le paquet, et sauf à attaquer le convoi au lance-roquettes tout irait bien.
Les voitures se mirent doucement en marche, escortées par les chevaux au trot qui vidaient les ruelles en amont. On ne vit aucun Blême sur le chemin, que des volets fermés et des toques polk.

Arrivés à la gare, Vladimir Vol Veyne exprima de nouveau ses respects aux Velsiens et attendit directement sur le quais que tout le monde ait embarqué pour Volvoda avant de tourner bride pour s’en retourner au château avec sa garnison. Le Grand Septentrion lancé à travers la Pal, le plus dur était derrière eux.

Le train, qui avait été pensé pour accueillir des personnalités d’une grande noblesse, était luxueux comme on l’imagine. Tout boisé et capitonné de velours à l’intérieur, les dorures rénovées formaient autant de liserés d’or aux formes végétales qui donnaient aux wagons quelque chose d’organique. Le train vibrait à peine, la Polkême n’était peut-être pas en avance sur son temps mais elle savait choisir ses combats, et investir dans le ferroviaire en était un.

Les wagons réservés aux personnes de rang noble étaient vides en dehors des serveurs qui se faisaient discrets et de leurs hôtes. Vol Mist n’avait pas quitté son masque et se tenait toujours droit, juvénile et souriant, sans rien dire la plupart du temps. C’était le missionné à la Diplomatie qui faisait la conversation.

Nous arriverons à Volvoda dans un petit peu plus de six heures, je ne peux que vous inviter à vous mettre à l’aise. Un dîner nous attends au Palais mais si vous désirez déjeuner ou boire quelque chose, nous nous tenons bien évidement à votre disposition.

Petits coussins et autres attentions étaient de la partie. Dès que les commodités furent réglées, Pol Vol Kan orienta les discussions vers quelque chose de plus sérieux. Il ne fallait pas s’y tromper : la rencontre avec les Vol Drek était du pain béni pour les médias et le prestige respectif des deux pays, mais le roi n'avait qu'un pouvoir limité. C’était lui, Pol Vol Kan, le représentant des deux chambres, qui était leur interlocuteur principal pour les discussions d’affaire. Et Demitri Vol Mist n’était que les oreilles de la Couronne, laissées traînées là à l’occasion d’une rencontre cruciale.

Puisque nous avons un peu de temps, je vous propose de passer en revu certains points évoqués lors de nos échanges épistolaires.

Pol Vol Kan se tourna vers DiSaltis.

Par votre visite, la Grande République de Velsna s’impose de fait comme un troisième acteur dans l’équilibre régional – et précaire – qui a été remodelé par la chute du régime translave. Si l’OND domine la langue de Rême avec la présence d’enclaves coloniales, le bloc eurycommuniste s’impose lui sur terre en Eurysie de l’est. L’Estalie est une puissance continentale montante, elle peut sans doute compter sur le soutien tacite de la Rosevosky et de la Transgoskovir. L’installation des Loduariens en Translavya parachève l’emprise des communistes sur l’Eurysie de l’est, seule la présence de l’OND et des nations non alignées de Drovolski et de Polkême leur dispute cette suprématie.

Il avait dit cela avec un certain flegme, comme on récite une évidence.

La Polkême ne peut imposer seule ses vues dans cette bataille de léviathan et nos chambres rechignent à tout rapprochement avec l’Empire Constitutionnel de Drovolski, perçu comme une nation aux antipodes de nos valeurs. Mais notre neutralité nous ouvre la possibilité de nous montrer opportunistes, aucun bloc n’a intérêt à se mettre à dos la Polkême, au contraire. D’une certaine manière, si l’un des deux camps venait à l’emporter, cela nous serait in fine dommageable car nous serions satellisés. C’est paradoxale, mais la rivalité qui oppose l’OND et les eurycommunistes nous est profitable : elle nous donne de l’importance.

Il eut une ombre de sourire, qu’il effaça avec nonchalance.

On peut pacifier une situation en étant deux autour de la table. Il suffit que l’un des deux camps prenne l’avantage. A trois, cela est plus difficile, dès lors qu’une des parties s’affaiblit, une autre vient à sa rescousse pour ne pas laisser la troisième s’imposer. Velsna est l’un des rares pays du monde à pouvoir aujourd’hui prétendre constituer un parti à lui seul, aussi nous serions plus qu’heureux de vous voir intégrer la danse régionale qui fait notre prospérité.

Pol Vol Kan décroisa les jambes.

Ceci étant dit, vous comprendrez aisément que rejoindre votre parti nous mettrait immédiatement en danger. Nous vous proposons donc de faciliter votre implantation en Eurysie de l’est, si c’est bien là votre souhait, de sorte à laisser théorique la possibilité d’une forme de vassalisation de votre part. La Polkême conservera sa neutralité tout travaillant à vous assurer par ailleurs le statut d’acteur régional légitime. Il va de soi que nous offrirons par ailleurs des gages au bloc ONDien et eurycommunistes, mais leur implantation locale étant déjà un état de fait, notre contribution sera moindre. En faisant démonstration – votre visite en est déjà un signe – d’un rapprochement entre nos deux nations, nous faisons ainsi monter les enchères auprès des deux autres blocs en laissant indirectement planer la menace de tomber dans votre giron, ce qui n’arrivera pas.

Il eut un petit soupire.

Vous avez désormais un aperçu à peu près fidèle de la pensée stratégique polk, sénatrice. Celle-ci n’a rien de secret, au contraire, plus l’Eurysie de l’est sera au fait de nos intentions et plus la partie sera jouée sereinement. Il n’y a là aucune manigance, juste un bon vieux dilemme du prisonnier dont personne ne souhaite sortir perdant. Je vous retourne à présent la parole, chers amis, dites nous quelles sont les intentions de la Grande République et comment pouvons-nous les faire coïncider avec les nôtres ?

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Le train était prêt pour les invités. Aux yeux des velsniens, il était neuf et ancien à la fois, mais une fois les intérieurs découverts, nul ne pu remettre en question la bonne volonté affiché des gens de l'est au yeux des habitants de la cité sur l'eau. Si Mascola buvait encore les paroles des polks, plus particulièrement du baron Vol Kan, il sentit le bon moment pour faire un pas en arrière. Son travail était d'introduire l'amiragglio auprès des étrangers et de leurs usages, de même que donner à ces derniers le seul visage familier de Velsna auquel ils pouvaient se raccrocher. Dés que Pol Vol Kan passa du menu des réjouissances à celui de la politique, il s'effaça et s'enfonça dans le creux de son coussin. Malgré son mandat, il fuyait les responsabilités politiques comme la peste, et il n'allait pas faire de différence aujourd'hui. C'était à la jeune amirale de remplir cet office. Elle, la militaire, n'en avait pas l'habitude, mais c'était une violence nécessaire que de parler aux étrangers, surtout en ce moment et en cette Eurysie de l'est chamboulée de toutes parts:
- Votre lecture de la situation est juste, et c'est ce qui m'a poussé à demander cette rencontre. Je dois dire avec franchise, que c'est moi qui ait poussé mes excellences confrères au Sénat afin que cela puisse se faire. Le gouvernement communal considère la région du pays gris (hrp: nom donné par les velsniens à toutes les terres à l'est de Rasken) et de l'extrême Eurysie comme importante il est vrai, ne serait-ce que par la position du détroit du Nazum. Mais j'ai dû me battre pour les convaincre que ce monde ne se résume pas à nos partenaires de Drovolski, et qu'il y a d'autres patries qui évoluent dans cette région, en particulier la vôtre. Mes confrères n'accordent par leur attention à la légère, et sont parfois dans des erreurs de jugement qui les empêchent d'admirer un tableau dans son ensemble.

Vous voyez juste: cet engagement de l'UICS et de l'OND dans ces eaux nous inquiète, premièrement car les flux commerciaux de ces excellences sénateurs passent par le détroit. Les onédiens pourraient être tentés d'intimider les gens du pays désolé (hrp: nom donné spécifiquement à Drovolski) en cas de montée des tensions entre nous. Pour le moment ce n'est pas le cas, mais le destin est souvent hasardeux, Dame Fortune en témoigne, et les choses arrivent. Quant aux eurycommunistes, ils nous procurent autant d'angoisse, et nous sommes anxieux à l'idée de voir un peuple d’illettrés s'en prendre à l'un des deux seuls États qui revendiquent une relative autonomie stratégique dans la région. Concernant la Translavye, nous partons du principe que cette patrie est perdue corps et bien, et que nous avons tout à gagner à ne pas y manifester le moindre intérêt: que les bleus et les rouges se battent, cela nous arrange, et vous aussi je pense. En cela, vous estimez bien l'importance que vous vous accordez, et ces excellences pensent que nous avons également tout à y gagner si cette lutte s'étale dans le temps aussi loin que possible.


Elle se pencha plus en avant vers son interlocuteur, gagnant en confiance au fil des mots:

- Je vous rassure: nous n'avons pas la moindre intention de vous demander de "choisir un camp", nous ne sommes pas là pour ça. Vous dicter une loi ou imposer nos vues n'est pas dans nos intentions. Une base navale en Drovolski suffit amplement à protéger les flux du commerce, les vaisseaux sanguins de notre cité. Nous sommes avant tout là pour faire en sorte que le sang circule mieux. Gardez donc votre neutralité, c'est un luxe que les velsniens voudraient encore se permettre, et il est bien plus précieux qu'on le croit. Pour ce faire, nous sommes disposés vous fournir armes et argent, en échange, bien entendu de quelques matériaux dont nous manifestons le besoin: bois, textile, tout ce qui permet à notre industrie de produire à coût bas en nous adressant à vous plutôt qu'à un pays où la main d’œuvre d'Eurysie occidentale ou d'Aleucie coûte une jambe.

La quarantenaire le savait, cela n'allait pas être suffisant pour impressionner ses confrères à Velsna. Il fallait plus que du bois pour justifier le véritable harcèlement qu'elle avait fait subir au gouvernement communal quant à l’intérêt du pays des polks. Aussi, l'audace la fit sortir de sa réserve avant même que la délégation soit arrivée à destination:
- Mais il y a davantage. Les polks disposent de quelque chose qui dépasse l’intérêt pécuniaire ou militaire. Nous ne somme points vulgaires au point de réduire notre première rencontre à un vulgaire marchandage de meubles en bois et de revolvers. Et d'arme aussi puissante que l'argent ou la chose militaire, vous en avez la disposition par votre simple parole et votre influence locale. Un appui tacite face à deux blocs hégémoniques, voilà ce que nous voulons. En échange duquel vous pourriez profiter de notre appui concernant vos problèmes de nuisibles rouges ou bleus. Que ce soit contre Rosvosky ou contre l’émanation onédienne de la Translavye, nous pourrions vous faire bénéficier de nos relais pour faire entendre votre voix. En échange, nous demandons simplement la même chose de votre part. Mais sur ce point, je crois comprendre que vous avez doublé ma pensée. Cette réponse vous convient t-elle ?


L'Amirale avait davantage l'habitude de s’adresser à des soldats qu'à des diplomates, et son ton, bien que se voulant courtois était...mécanique ? Un automatisme qui la poussait à s'adapter à son interlocuteur, mais sans jamais atteindre son aisance et sa maîtrise. Mattia Mascola avait le verbe pour lui, DiSaltis n'en avait pas la disposition naturelle, pas plus qu'elle l'avait travaillé.

De son côté, le suave Mascola alternait son voyage entre des phases de demi-sommeil et de lecture de son large choix (il se déplace rarement sans un ouvrage quelconque). Pol Vol Kan pouvait juste entrapercevoir le titre de ce vieux livre écorné: Complainte de Dame Fortune à l'endroit des vaincus, un antique récit moral, l'un des rares illustrant une injustice commise par les velsniens. Il est peut-être l'un des quelques sénateurs que l'on peut voir lire ce genre de "choses".

(HRP: déso, ce post est peut-être un peu moins qualitatif que les précédents et un peu plus "mécanique", je suis limité en temps)
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