03/10/2015
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Activités étrangères à la Cité du Désert

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Activités étrangères à la Cité du Désert

Ce topic est ouvert à tous les joueurs possédant un pays validé. Vous pouvez publier ici les RP concernant les activités menées par vos ressortissants à la Cité du Désert. Ceux-ci vous permettront d’accroître l'influence potentielle de votre pays sur les territoires locaux. Veillez toutefois à ce que vos écrits restent conformes au background développé par le joueur de la Cité du Désert, sinon quoi ils pourraient être invalidés.
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Là-bas, derrière la dune

grand erg occidental

Elle soufflait du silence, découpant les formes du monde, rétrécissant les silhouettes et estompant les reliefs. La nuit était tombée. L'obscurité grandissait comme une lente inondation noire, emplissant comme de l'encre la page d'une journée ébouriffée de chaleur sèche et rocailleuse. Absence du soleil, elle apportait de minuscules étoiles et un grand voile d'ombre, dans lequel la réalité de l'horizon venait de disparaître.

Tariq laissait les braises s'éteindre en contemplant le Grand Erg Occidental miroiter dans l'obscurité. Il voyait ce mastodonte de sables évasifs s'allonger voluptueusement sous la voûte nocturne. Il en recevait l'haleine mystérieuse qui soufflait sur son visage. Il aurait été inutile de l'interroger ; la dune demeurerait éternellement silencieuse.

L'homme se leva pour ramener autour de la tente principale les affaires de thé à présent froides et vides qu'il venait d'utiliser. Même à voix basse, les conciliabules ricochaient autour des parois de la roche, ce grès abrasé par la morsure incessante du vent et du sable, de l'air chargé de particules minérales, sec, brûlant et mortel. Il passa la main sur le poil des chameaux, dont le troupeau docile était agenouillé autour de la minuscule guelta. Un panneau indiquait le nom de la localité, nichée au creux de l'affleurement gréseux qui émergeait des sables, formant un dédale miraculeux où se conservait une mare, hier puits pour les caravanes, aujourd'hui préfecture administrative du canton frontalier. Al-Taghant.

Quelques bâtiments vétustes des années quatre-vingt se dressaient, agglutinés les uns contre les autres, pour héberger le bureau du préfet, abritant des quads et quelques fusils pour le contrôle de la frontière, ainsi qu'un héliport dérisoire, dont la peinture disparaissait. Dans l'une des cases, la mélodie d'une radio faisait un air nostalgique au microscopique village, habité seulement de quelques troupes monotones qui veillaient à la frontière. Tariq l'entendit, malgré la distance, qui se frayait un chemin au-dessus des chameaux agglutinés pour le sommeil et des tentes de Bédouins dressées pour la nuit. La musique s'échappait pour être rendue à l'immense et invisible silence.

Comme lui, quelques autres bergers étaient venus de Tass-na-Ghalta jusqu'à Al-Taghant pour prospecter les abords parfois herbeux de cette localité d'altitude, pour y réaliser le chamelage des femelles, et y vendre quelques peaux et des fromages aux jeunes conscrits venus des grandes villes, qui y épuisaient un service militaire traditionnel.

Tariq vérifia que tous ses animaux étaient bien serrés les uns contre les autres, tâtant anxieusement le ventre des vieilles chamelles, dont la gestation touchait à son treizième et dernier mois. Chaque fausse couche était un drame à lui seul. La période de la mise bas était la plus sensible ; les chamelons devraient bien vite ingurgiter le précieux colostrum de leur mère, apprendre à déambuler sans fatigue, à goûter l'eau rare quand elle se présente, et à respecter les ordres paternels du chef de troupeau.

Les dromadaires étaient la vraie richesse de Tariq, du père de Tariq, et du père de son père avant lui. Certains de ses frères avaient quitté la tente familiale pour vendre leurs bras aux industries extractives, ou pour faire carrière dans l'armée. Qu'est-ce que cela avait-il pu apporter ? Dans l'immensité désertique, les billets froissés des grandes villes ne sont d'aucun secours. La vie du désert a son rythme, faite de trajectoires lentes et permanentes à gravir les dunes et les plateaux rocailleux dans la fournaise infernale, à somnoler comme la fumée d'un camp, à errer de guelta en oasis, glanant l'eau, l'herbe, l'ombre et les buissons, tirant le mieux qu'on peut d'animaux fidèles et beaux qui partagent votre vie de nomade. Les anciens les appelaient navires du désert, à l'époque où d'immenses troupeaux de chameaux au pied léger assuraient le permanent va-et-vient des hommes et des marchandises le long de la Route de l'Encens, de la Soie, de l'Or ou de l'Ivoire, fréquentée autant par les marchands que par les pèlerins, les éleveurs, et les armées des conquérants. De cette époque ne restaient que les fragments épars d'une immense histoire : traditions orales, contes, chansons, toponymes des dunes et des falaises dont l'origine commençait à être oubliée ; les souvenirs s'étiolaient et se perdaient dans les étoiles.

Les camions de la relève démarrèrent peu après la totale obscurité. Les hommes avaient bu et mangé, joyeux dans la petite caserne, et c'est bien tard qu'ils prirent la piste vers Tass-na-Ghalta pour y retrouver la route nationale. Leurs phares jaunes et rouges éclaboussaient le paysage noir, disparaissant dans un grondement lointain. Les jeunes soldats quittaient enfin le désert morne et éprouvant, s'en retournaient à la ville.

Tariq suivit le convoi des yeux jusqu'à ce que les camions se fussent transformés en points lumineux aussi fragiles et fuyants que des flammèches de lampe à huile. Dans le silence de son épouse assommée par le sommeil, il se glissa doucement auprès d'elle, gardant un oeil sur le troupeau paisible. La journée cuisante tomba sur lui comme une masse et il n'eut qu'à fermer les yeux pour s'endormir.

En traitant le travail de la journée, son cerveau fit défiler le long de ses neurones des images et des sons qu'il avait en mémoire. De ces rêves il ne garderait au matin qu'un vague souvenir ; visages de chameaux, crêtes dunaires, surfaces rocheuses polies par la cryoclastie, formes étranges allongées par le déclin du soleil, projetée sur le tableau du désert. Les paroles rares échangées avec sa femme. L'autorisation de paître et d'abreuver dans la guelta délivrée par le militaire en chemise brune. La rumeur imperceptible et permanente du sable, au loin, plein de murmures et de douces folies, du genre de celles qui, comme son petit frère Hakim, suggéraient de franchir le désert pour tenter sa chance au loin, là-bas, derrière la dune, dans cette miraculeuse et inconnue Cité du Désert où paraît-il la richesse abonde.
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