Posté le : 18 déc. 2024 à 18:37:40
21774
Le journal du coraggiosi
Partie I : « Je m’appelle Michele… »
Mon nom est Michele DiResta. Je dirais, si on revient depuis le tout début de mon histoire, que je suis un velsnien tout à fait ordinaire de 26 ans. Et pourtant, rien que le fait que j’ai conscience que je n’atteindrai sans doute pas mon prochain anniversaire rend ce terme de « normal » assez contre-intuitif. Je vous rassure : je ne suis pas atteint d’une maladie incurable, ou quelque chose du genre. Même si ce dont je vais vous parler, arrive à un point tel que l’on pourrait parler de maladie de la poisse. Mais bref, je suis né le 3 mars 1989 dans la cité de Velathri, en Achosie du nord. Déjà vous vous dites : « aie ». Premier faux pas dans la vie. Et je suis de votre avis. C’était un endroit très spécial à vivre, mais j’étais trop jeune pour me souvenir de toutes ces histoires d’AIAN et de terrorisme. Je me souviens juste qu’il fallait éviter de jouer dehors, mais sinon, ça a été une enfance assez normale. Le seul vrai problème, et ça a toujours été le même, c’était la pauvreté.
Mon père était docker, il ne gagnait pas grand-chose. Et une partie du salaire passait dans ce qu’il buvait. Il était pas violent ou un autre truc du genre, j’ai jamais été frappé de toute mon enfance. Il était gentil, et à part ce défaut qui rendait ma mère complètement folle (et ça se comprend), je pense qu’il a toujours essayer de faire au mieux pour moi et mes sœurs. Et qu’il a essayé de nous donner une chance. Ma mère…elle faisait comme elle pouvait. Des petits boulots par-ci par-là… Elle a travaillé dans une conserverie pas loin de la sortie de la ville, puis dans une usine de haute-couture de Falieri… Je pense qu’il n’y a pas un des métiers pénibles d’Achosie du Nord qui existe qu’elle n’a jamais fait. Tout ça pour vous dire que cette situation a peut-être eu une influence sur moi : l’argent a véritablement conditionné ma façon de penser depuis que je suis sorti d’un berceau. En posséder était l’assurance de ne pas mourir de faim, ou de tomber dans la dépendance à autrui.
A l’école, on peut pas dire que j’étais un bon élève. Là encore, ça rendait ma mère folle. Mais même les mauvaises choses ont leur bon côté, puisque ça m’a permis de rencontrer le seul type en qui j’ai toujours fait confiance, et ça, ça changera pas : Paolo Clemenza. On était biien assortis quand on avait 10 ans : j’étais le maigrichon de la classe et lui, c’était le p’tit gros. Et toutes nos conneries, on les faisait ensemble. Il était du même milieu de merde que moi : peu de moyens, peu de débouchés. Et on avait le même rêve : celui d’avoir la belle vie. Les deux doigts de la main, vraiment. Alors il faut pas s’étonner si les premières grosses conneries que j’ai fait, c’était avec lui. On a commencé les larcins à 13 ans. Paolo avait des doigts de fée quand il s’agissait de réparer les choses, et son père bossait dans une usines d’électroménagers. Quant à moi, je suis pas peu fier de dire que j’avais du bagou et un sourire de vendeur de tapis, vous voyez le genre. Alors ce qu’on faisait, c’est qu’on allait au cul des camions devant l’usine où travaillait son paternel, à Velathri. Et on ramassait tout ce qu’il en tombait. Parfois, Paolo trafiquait un peu le monte-charge, et des machines à laver tombaient un peu brusquement. La politique était la suivante dans cette boîte : ce qui se casse, c’est poubelle. Alors je peux vous dire que quand on était là, il y avait beaucoup de casse. On appelait des copains un peu plus âgés que nous pour qu’ils aillent charger la mule, avec parfois jusqu’à dix machines à laver entassées à l’arrière d’une remorque. Et c’est là que j’entrais en action, en allant vendre des machines aux petites mamies du coin. Elles pouvaient rien refuser à un petit gamin aux joues encore toutes roses, et à la langue d’argent.
Mes parents ne comprenaient pas comment leur fiston de 15 ans pouvait se faire autant d’argent. Paolo et moi, après ça, on s’est dit qu’en fait, être honnête ça rapportait pas. Ça a été le déclic pour nous. On aurait jamais de meilleur salaire que nos parents, on était mauvais à l’école…bref, entre travailler à la conserverie et les larcins, on a pas mis longtemps à faire notre choix. Alors on a continué, avec des boulots qui rapportaient de plus en plus gros, et qui impliquaient des dangers de plus en plus sérieux. Voilà qui nous conduit au moment, qui je pense, a changé ma vie.
C’était un 5 juin 2013, j’’étais sur mes 24 ans. J’avais ce qu’il me fallait en Achosie du nord : avec Paolo on avait une belle petite affaire de recel. C’était pas grand-chose, mais ça nous permettait de vivre correctement, contrairement à ceux qui bossaient sur les quais ou à la conserverie. Et je partageais un appartement avec ma compagne, que je venais de rencontrer. Bref, les choses allaient bien. Ce jour lç, ce dut l’affaire de trop. On tenait notre boutique de prêts sur gage dans une petite ville à la sortie de Velathri. Vous devinez déjà que la plupart des objets qu’on vendait était issu de notre recel. Apparemment, les flics préfèrent chasser les pauvres types comme nous plutôt que de s’intéresser à nos élites politiques… Il était 18h, et je vois deux types entrer dans la boutique, et d’entrée de jeu, je savais que c’était des flics en civil. Trop bien fringués pour cette ville : soit des malfrats soit des gardes civiques. Ils traînent un peu, ils regardent chaque article. Ça ils étaient consciencieux, pas de doute là-dessus. Ces salopards savaient déjà ce qu’ils cherchaient, quelqu’un nous avait balancé à coup sûr. A ce moment-là, je sais déjà que je suis cuit. Ils se pointent devant la caisse avec une dizaine d’ordinateurs portables, des ordinateurs volés. Ils me montrent une plainte pour vol avec une description des ordinateurs, et ils me disent : « Ces PC, ça vous rappelle quelque chose ? ». Vu que je suis taquin, je leur demande juste s’ils veulent payer les articles en plusieurs fois.
Ça a été la blague la plus chère payée de ma vie. Le soir même, j’étais à la caserne de la Garde civique, au trou. Je reste en garde à vue quelques jours. Au bout d’un moment ils me font sortir de ma cellule, et ils m’envoient dans ce qui était le bureau de recrutement de la garde, mais je m’en suis rendu compte que lorsqu’ils m’ont mis un papier d’engagement sous le nez. Ça a été très rapide. Un instructeur a fait glissé la feuille sur son bureau, vers moi. Je me souviens…il m’a juste dit : « T’as le choix entre dix ans en prison ou un an au service de DiGrassi. ». Ce jour là, j’ai fait la plus grosse connerie de ma vie : j’ai signé. Mais j’avais pas le choix…
Partie II : le pays des velsniens
Si on m’avait dit un jour que je serai soldat, je crois bien que je l’aurais traité de fou. La seule différence qu’il y a entre le métier de flic et celui de soldat, c’est que le soldat touche pas de pots de vins tout en ayant plus de chance de se faire tuer. C’est pas une vie. Et pourtant, j’ai fait le voyage avec l’armée de ce putain de DiGrassi jusqu’à Umbra. On m’avait affecté à une cohorte disciplinaire, remplie de petites frappes comme moi pour la plupart. Mais il y avait aussi di gros bonnet et du dégénéré. Il fallait faire attention à ne pas laisser tomber le savon sous la douche, c’est sûr. Mais je suis grand de taille et je sais me battre, alors on m’a laissé tranquille. Sans compter le fait que j’ai repris mon activité dans le cadre de ma punition pour recel : le recel. J’étais dans les petits papiers des chefs parce que je leur rapportait leur vin grâce aux contacts que je m’étais fait avec mon affaire. « Le cochon truffier » qu’on me surnommait.
Je n’en avais strictement rien à faire de la politique. Bien sûr, il valait mieux pour ma peau que DiGrassi gagne la guerre. Mais je dois avouer que j’avais du mal à savoir pourquoi on se battait. Tout ce qu’on me disait, c’est que Scaela était une énorme merde, et je devais les croire sur parole. Mais j’avais un peu d’admiration pour lui : j’ai toujours du respect pour les gars fûtés, dictateur ou pas. Cette partie de ma vie aurait pu être complètement insignifiante et j’aurais juste pu passer à autre chose après ça, mais c’était sans compter le fait qu’il allait m’arriver une révélation. Je parle pas du fait de manier une arme et de tuer pour la première fois. Moralement c’était dur, mais j’ai supporté . Non…il y a eu ce jour, c’était à Vatluna, je me souviens…
C’était dans les derniers jours de la guerre. Ma compagnie n’avait pas fait grand-chose à Hippo Regia, alors ils ont décidé de nous en faire vraiment baver. On devait prendre Vatluna. Je me souviens que la ville était magnifique soit dit en passant. Il restait à peine quelques centaines de scaeliens qui la tenait, la plupart s’étaient déjà rendus. Mais ce jour là, on est tombés sur un os. Le commandant de la place tenait le Tribunal, où siégeait le Sénat de la ville. C’était une position en hauteur, difficilement prenable, surtout qu’on avait pas de soutien aérien ou d’artillerie. Alors on a fait le siège et on a roté du sang pendant des jours. Parce que les salopards ne se contentaient pas de tenir les murs, ils faisaient des sorties, ils contre-attaquaient, partout et tout le temps. Et on était pas assez nombreux pour encercler totalement le bâtiment. Ça a duré..duré…jusqu’au jour où on a reçu de la visite. C’était un vieil homme dans une voiture noire, chic mais pas indécente. Les gars de ma compagnie qui étaient du coin se sont tous écartés quand ils l’ont vu sortir de sa voiture. Je comprenais pas : c’était qui ce vieux ? Ce vieillard se pointe, prend un haut parleur, et intime aux gars de se rendre. Une demi-heure plus tard, ils étaient tous sortis et s’étaient mis en rang d’oignon en attendant qu’on leur passe les menottes. Ces types qui se battaient comme des lions se sont rendus parce qu’il leur a demandé…vous savez pourquoi ? Parce que c’était un coraggiosi, un homme d’honneur.
C’est là que j’ai compris ce que je voulais vraiment. Je voulais pas seulement de l’argent pour m’en sortir, je voulais qu’on m’écoute comme ce type. Comme un coraggiosi…
Partie III : Les hommes d’honneur
Contrairement à beaucoup d’autres, j’ai survécu à la guerre. Mais ça a été presque un an de perdu. Le butin de guerre qu’on a partagé au sein de notre compagnie était plus maigre que celui des autres, à cause du fait que nous étions un bataillon disciplinaire. C’était injuste, déjà parce que la grande majorité d’entre nous se sont tenus à carreau et ont suivi les ordres comme de bons toutous, moi compris. C’est là que j’ai compris que l’honnêteté ne rapportait pas plus que ma petite affaire que j’avais au pays avec Paolo et ma compagne. Durant toute cette épopée, ce furent les deux seules personnes qui me manquèrent sincèrement.
Perte d’argent et temps gâché mis de côté, j’ai assisté à des évènements que les velsniens n’imaginaient que dans les journaux ou les reportages télé. J’étais en faction lors de la reddition d’Andrea Tomassino à DiGrassi. Je me souviens surtout que ce jour là, on se les pelait d’une force…ça et on logé pendant une semaine chez des particuliers qui tenaient une vignoble. Et ce qu’on peut dire, c’est que le vin de là bas changeait bien de la piquette achosienne. J’aime ma région c’est sûr, mais il y a des limites au chauvinisme, et elles s’arrêtent dans mon verre.
Mais c’est à la fin de mon service que je dois ma dernière révélation. J’ai participé au triomphe de DiGrassi dans les rues de Velsna. Avant ça, je n’avais encore jamais vu la capitale. Quand j’y suis arrivé, cet endroit ne ressemblait à rien de ce que je connaissais au pays. La ville était à la fois immense, mais ses rues étaient celles d’une cité antique où on se demandait à chaque coin de rue ce qu’il y avait derrière. J’ai rarement vu autant de fric au même endroit, ça débordait de partout : des demeures des patriciens jusqu’à la place San Stefano et ses palais gouvernementaux. Tout brillait. A ce moment-là, si on m’avait donné une juste rétribution, toute cette histoire de coraggiosi, je l’aurais oublié, et qui sait, je serais peut-être rentré dans le rang. Mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé. J’ai vu toutes les richesses que l’on tenait éloignées de nous ce jour là. Je me suis dit : « Ces gens là se comportent comme des criminels et ils gardent tout. Pourquoi pas nous ? ».
Dans les jours qui ont suivi, j’ai pris la décision la plus importante de ma vie. Plutôt que de rentrer en Strombolaine, j’ai décidé de rester à Velsna, parce que j’ai compris que c’est là que tout se passait. Si je coulais devenir quelqu’un, c’était le seul endroit qui me permettrait de l’être. La Strombolaine était un trou à côté de ça. Et puis qu’est-ce qu’il me restait là bas ? On avait saisi ma boutique de prêt sur gage, la maison où je vivais avec ma compagne était sous hypothèque, j’avais plus de boulot, plus de revenus… Alors plutôt que de retourner là-bas, j’ai réussi à convaincre ma chérie de faire le grand saut avec moi, et se s’engager dans cette aventure un peu folle. Dans la foulée, j’ai aussi renoué avec Paolo, à qui j’ai demandé de se pointer également. A nous trois, on allait êetre une équipe du feu de dieu, et ces coraggiosi n’auraient pas d’autre choix que de nous remarquer tant on ferait du bruit. Je le pensais sincèrement à ce moment-là. Oui, j’étais un peu con. Je le suis toujours aujourd’hui, mais quand même pas à ce point là.
Ça n’a pas été facile au début. J’avais pas de carnet d’adresses et pas de contacts, contrairement à la maison. Aucun moyen de savoir comment entrer en contact avec les « hommes d’honneur » dont m’avait parlé mon frère d’armes à Valtuna. Alors dans un premier temps, j’ai fait comme à la maison : je me suis engagé dans l’activité du recel, en essayant d’être plus malin que la dernière fois. Désormais, je vérifiais les antécédents de chacun de mes fournisseurs. Hors de question pour moi de retourner au trou ou à l’armée, qui n’était riend ‘autre qu’une prison à ciel ouvert. Je me suis mis à payer les dockers des chantiers navals de la SAV pour avoir des pièces d’électronique et des matériaux pas chers que je revendais sous le manteau. Cette institutions était gangrénée par la corruption, aussi ce fut assez facile de me faire des billets sans que personne ne vienne se plaindre que les navires que ces types construisaient n’avaient pas toutes leurs pièces.
De fil en aiguille, j’ai commencé à me faire connaître des types qui avaient besoin d’un service ou d’un objet en particulier. Ça pouvait être autant des p’tits vieux qui avaient besoin de retrouver l’horloge de grand-mère de leur enfance que des mecs louches qui cherchaient une arme non déclarée. Ma clientèle, c’était pas seulement des malfrats, c’était toute la société velsnienne. Mon nouveau prêt sur gage est rapidement devenu un point de rencontre, un carrefour de personnes qui ne se connaissent pas entre elles, dont j’était en quelque sorte le seul lien. Vous voyez où je vais en venir : ce genre d’endroit allait fatalement attirer l’attention de ces messieurs les coraggiosi. C’est évident que ce genre de trou, ça les intéresse beaucoup. Contrairement à ce que l’on pense, le vrai fond de commerce des coraggiosi velsniens, la base de leur pouvoir, ce n’est pas le trafic de drogue ou d’armes. C’est le lien qu’ils forgent avec une population, souvent oubliée du gouvernement. Les coraggiosi s’arrogent ainsi son rôle, établissent des institutions parallèles et deviennent des intermédiaires avec presque toutes les strates d’une population déshéritée. J’étais leur cible idéale, mais cette situation allait déboucher sur un opportunité : c’était le moment ou jamais d’intégrer ce cerlcle, qui dans mon esprit sonne comme mon salut et mon émancipation. J’allais devenir l’un des leurs. C’était écrit.
Le premier contact avec eux fut des plus rudes, mais je n’ai jamais perdu espoir de tirer quelque chose de tout ça. Ma boutique battait des records, les affaires marchaient bien, et les coraggiosi aiment les affaires qui marchent bien. A ces boutiques, surtout les moins légales comme la mienne, ils offrent volontiers leur « protection », en échange d’une sorte de taxe, qui n’est en réalité rien d’autre que du chantage. Et cette protection…eh bien disons que les seules personnes qui sont un danger pour les « clients » de cette opération sont aussi ceux qui l’offrent. Il était nuit, peur-être 21h. C’était l’heure de fermeture. La plupart du temps, cette heure est réservée aux types louches qui veulent des flingues pour abattre leur bonne femme sans qu’on remonte jusqu’à eux, ou d’autres qui veulent faire ce qu’ils pensent être le braquage du siècle. Mais ce soir-là, c’était trois types bien trop sapés pour ce genre d’endroit qui sont venus me rendre visite. Il y en avait pour plusieurs milliers de florius rien que sur leurs mains, des bagues soirées de partout sorties tout droit de chez les bijoutiers Falieri.
Sans gêne , vraiment, ils commencent à ziotter vite fait la marchandise, mais ils prennent rien. Le plus grand d’entre eux vient se coller à mon comptoir et me sifle comme si j’étais son clébard. Ni une ni deux il commence à me sortir le speech du chevalier protecteur : « Le quartier est dangereux tu sais…on est une association de commerçants qui font dans l’autodéfense…du coup si tu pourrais contribuer à hauteur de tes moyens…blablabla… ». J’étais pas dupe, je savais qui ils étaient, alors j’ai tenté ma chance. C’est vraiment sorti tout seul, comme si ça venait du fond des tripes, et que j’avais ça pour moi toute ma vie : « Je veux être de la partie. », que je leur ai dit. Ils étaient un peu sur le cul, ils n’avaient peut-être pas prévu ça, et on me dira par la suite que c’est la première fois qu’on leur avait fait un truc pareil. Le poulet qu’on déplume qui veut les rejoindre…
Ils commencent à rire et se foutre de ma gueule et bizarrement, ça a détendu l’atmosphère ce petit coup de folie de ma part. Ils m’ont demandé pourquoi ils auraient besoin d’un gringalet comme moi. Je leur ai juste répondu : « Donnez moi un flingue et une cible, et je vous montre pourquoi. ». j’étais confiant : quelques mois avant ça, j’étais encore dans la Garde civique après tout. Leur chef m’a pointé du doigt l’un des flingues dans la vitrine, et s’est retourné vers le rayon des bouteilles de vin. Il se bouge, déplace une table entre moi et le rayon, et pose cinq bouteilles. Il me dit : « Je te regarde, prends un de tes flingues et tire. ». Je me fais pas prier. J’enchaîne les cinq en un clin d’œil. Il se passe un truc là, et de fil en aiguille, je les mets dans ma poche comme ça. Pour conclure le tout, je leur offre pas seulement la taxe qu’ils demandent, mais je leur donne pour quatre fois leur prix….en échange de mon premier boulot pour eux. Mais ils ont juste refusé, et n’ont même pas pris la somme qu’ils voulaient me tirer au départ.
Le lendemain, ils étaient revenus avec à leurs côtés un type qui allait façonner les deux années qui allaient suivre. Un coraggiosi, un vrai…
Partie IV : la famille
Sal Alvarino. C’était un nom que j’entendais par-ci par là à Velsna. Chez nous, il y a deux catégories de gens : ceux qui réussissent à devenir les clients de grands responsables politiques et de sénateurs, et ceux qui sont contraints et n’ont pas d’autre choix que de devenir les obligés de malfrats comme les coraggiosi. Mais parmi eux, Alvarino avait une bonne réputation. C’était un vrai de la vieille école : il ne faisait que dans l’extorsion et quelques petits trafics comme le mien. Il était aimé des gens du quartier parce qu’il faisait le travail que les élus politiques devaient faire à la base. Mais l’Etat étant ce qu’il est à Velsna, ça allait tout simplement plus vite d’aller le voir. Le ramassage des ordures n’est pas assuré dans votre rue ? Appelez Alvarino, il règlera le problème. Un type vous a cambriolé ? Appelez Alvarino, il retrouvera votre homme. Votre fils s’est fait cassé la gueule par les voyous du coin ? Alvarino règlera leurs comptes à ces types. Les coraggiosi comme Alvarino, ils étaient utiles, et dieu sait que ce type avait le bras long. Je suis persuadé qu’il aurait pu devenir sénateur s’il en avait eu l’envie. D’autant qu’il pouvait pas trop s’entendre avec le pouvoir scaelien, ce qu’il l’a mis à l’abri quand DiGrassi a rétablit le gouvernement communal.
C’est cet homme pour qui les types qui étaient venus me voir travaillaient ce soir là. Bien évidemment je ne le savais pas sur le coup, alors je vous raconte pas ma surprise quand je l’ai vu franchir le pas de ma porte le lendemain matin, accompagné des mecs qui avaient essayé de me tirer la caisse. J’étais terrorisé, et j’avais bien cru au début qu’ils étaient revenus pour retourner ma boutique, ou pire. Mais c’était rien de tout ça. Ses types lui avaient raconté l’incident, et mon attitude. Et il était donc venu voir de ses yeux le type qui proposait ses services à sa personne, et qui avait eu le cran de répondre à ses hommes de main. Il se plante devant moi, si j’essaie de m’enfuir je sais que je suis cuit. Et pourtant, dieu sait que j’étais tenté de le faire. J’étais à deux doigts de me chier dessus. Il se dresse un peu sur ses talons pour voir mes mains qui sont sur la caisse enregistreuse, et il me dit simplement :
- On achète pas sa place parmi nous contre de l’argent, jeune homme. Il faut la mériter, et se montrer utile. Mais si tu joues bien tes cartes je t’aiderai à t’en sortir. Tu as une belle boutique, et elle est très utile pour écouler de la marchandise que l’on aurait peur de tracer. Et en plus, tu sais tirer. Tu as l’air honnête, et tu as été courageux. J’aurais peut-être besoin d’une personne comme toi.
C’est comme ça que tout a commencé. Bien sûr au début, j’étais juste une sorte d’auxiliaire pour quelques boulots. J’ai fait les choses par étape : j’ai commencé à arrondir grassement mes fins de mois en devenant chauffeur pour certaines courses des types d’Alvarino. Ce poste, il m’a été utile, déjà parce que ça m’a permis de connaître pas mal de monde de l’entourage d’Alvarino. Le vieux avait une bonne centaine de personnes dans son « clan », et la plupart voyageaient sur ma banquette arrière. Parfois, il m’arrivait aussi de faire d’autres petits boulots : il fallait à la fin de chaque mois récolter le tribut dont tous les commerçants devaient s’acquitter pour leur « protection ». Il m’est arrivé de casser une ou deux figures, mais j’ai mis longtemps à utiliser une vraie arme. Cette occasion allait se présenter le 13 aout 2014.
C’était un petit matin, et on m’avait dit de me pointer au Bar de Torio, qui servait de point de chute à pas mal d’hommes d’Alvarino. Jusque-là, rien d’inhabituel, j’avais fait des dizaines de journées comme celle-là. Mais sur la banquette arrière, ce fut le vieux Alvarino en personne qui s’installa à l’arrière de ma voiture. Jusque-là, rien d’inhabituel, j’avais fait des dizaines de journées comme celle-là. Mais sur la banquette arrière, ce fut le vieux Alvarino en personne qui s’installa à l’arrière de ma voiture. Il monte, et me file un billet de 500 florius, par pure politesse. Alvarino faisait ça souvent : des pourliches à ses propres hommes, c’était vraiment une ambiance bon enfant…surprenant de dire ça en évoquant la bande de malfrats qu’ont étaient. Mais j’ai juste envie de dire qu’à bien des égards, Alvarino était plus honnête que la plupart des politiciens que je voyais à la télé. Il payait toujours rubis sur l’ongle, et si il avait assez d’argent pour nous faire comprendre qu’on était que des merdes, il ne l’a jamais fait. Non. Quand il me disait bonjour le matin, il se mettait toujours au jus de comment ça allait à la maison : comment allait Frederica, ma compagne, quand est-ce qu’on comptait sauter le pas pour les histoires de bébés….Je ne l’ai jamais vu jurer ou hausser le ton face à ses hommes. Vraiment, c’était à se demander comment un type aussi posé et courtois était devenu un bandit.
Donc, il me file ce billet, et me dit de filer vers le quartier de l’Arsenal, en périphérie de la ville. Ça faisait tout de même un quart d’heure de route, assez pour imaginer qu’on puisse essayer de faire une folie. Et inutile de vous dire qu’Alvarino avait autant d’amis que d’ennemis. Je suis prudent, et je range donc mon revolver dans la boîte à gants. Le chemin se déroule comme à l’habitude dans un premier temps. J’ai l’habitude de prendre cette route, c’est la détente donc. Mais dans mon rétro, je vois des choses suspectes : une voiture nous suit, et nous lâche pas d’un pouce. Ce manège dure pendant quelques minutes, peut-être une bonne moitié du chemin. Je préviens Don Alvarino : il reste remarquablement calme et me dit simplement qu’il me fait confiance. Sous-entendu que je vais devoir jouer avec mon instinct pour prendre la bonne décision au bon moment. Le Don aimait bien tester ses gars comme ça.
C’est à ce moment là que je me suis mis à penser : où est-ce que ces types pourraient tendre une embuscade… La voiture nous collait, et je savais qu’on devrait passer par une de ces ruelles étroites de merde d’un moment à l’autre. Cet endroit était parfait pour eux. Si on s’engageait dans cette rue, je savais nous n’en ressortirions jamais. J’arrête de réfléchir, et je pile comme un sauvage avant de m’engager dans une autre rue. Nul doute que j’ai énervé ces types à ce moment là. Ils embrayent derrière moi, et me suivent au cul. Les choses deviennent sérieuses : un projectile casse la vitre arrière de la voiture.
à suivre