La cour centrale du Palais des Patrices
Les conflits sociaux se sont multipliés sous l'allègement de la chape de plomb de l’oligarchie certes, mais le pire a été évité: l'opposition est contrôlée par un cadre légal. Et déjà, Matteo DiGrassi, penché au dessus du perron de l'entrée sénatoriale du Palais des Patrices, se met à rêver à une retraite bien méritée dans la campagne achosienne de son enfance...une fois assuré que Velsna n'aura plus à subir les caprices de puissances extérieures, bien entendu. Celui qui était à l'origine de cette invitation destinée à des visiteurs pour le moins surprenants s'en allait faire les cent pas dans l'hémicycle du Sénat des Mille, la plus sacrée des institutions dans ce système parlementaire poussé à l'extrême. Derrière le perchoir et les bancs de la présidence trônait éternellement la statue de Dame Fortune, devant laquelle avant chaque début de session, les sénateurs faisaient brûler de l'encens. Pourquoi ? Difficile de savoir. C'était plus par réflexe folklorique qu'autre chose: ce qui était ancien est forcément logique et naturellement bon, non ? Les traces de la parenté de Fortuna étaient partout.
Tout autour du grand hémicycle, dans les niches abritant les statues de grands hommes d'état de jadis, les décorations orentialisantes du règne personnel de Dino Scaela avaient laissé place à la sobriété retrouvée. Piero Balbo, sauveur de la cité à l'époque des guerres achosiennes avait retrouvé sa place, en compagnie du régicide Lorenzino Squillaci, qui avait sauvé le régime de la tyrannie monarchique en assassinant son propre frère qui entendait se faire roi en son temps. Peut-être un jour, on mettra dans les niches vides, des statues des grands personnages d'une guerre civile qui a marqué son temps.
DiGrassi monta les marches du perchoir et s'assit aux pieds de la statue. Il la regardait, de la perspective d'un enfant qui a encore beaucoup de questions. Il restait là, dans le silence...sachant très bien que l'hémicycle avait été temporairement réservé pour cette rencontre, ce qui était tout bonnement exceptionnel: aucun étranger n'y était entré depuis...depuis combien de temps ? Davantage qu'une vie d'Homme. D'ordinaire, on accueillait les étrangers dans des salles de réceptions réservées, garnies de décorations baroques grandiloquentes et de dorures. Une antique loi spécifiait même qu'un zélandien ou un achosien pénétrant en ces lieux était passible de mort, texte pas mis en applications depuis plusieurs siècles, fort heureusement. Mais DiGrassi, ainsi que le doyen du Sénat Zonta usèrent de subterfuge afin de s'approprier la pièce, en spécifiant que la loi interdisait aux "Hommes de l'étranger et du dehors" de demeurer entre ces murs...mais que rien ne stipulait de même pour les femmes. Un vice de procédure du genre de ceux qu'un homme politique de ce pays doit maîtriser à la perfection pour savoir en tirer profit. Mais le mérite revenait sans doute davantage au vieux doyen du Sénat.
Le doyen justement...le voici qui faisait son entrée, arrachant DiGrassi à la solitude. Il arpentait les marches du Sénat depuis plus d'une cinquantaine d'années, du haut de ses 89 ans. Un âge vénérable qui lui permettait de par la loi de tutoyer tous les sénateurs plus jeunes que lui, autant dire tout le monde. Bien trop avaient sous-estimé ce vieux personnage qui présidait les séances du Sénat, qui déambulait ici comme si c'était son chez lui. On part du principe à Velsna, que rester dans cet hémicycle aussi longtemps et traverser autant de crises politiques était le témoignage du caractère exceptionnel de l'Homme. Sa voix chevrotante, raisonne:
- Matteo. Tu es en avance, comme toujours. J'ai ouïe dire que nos invités étaient arrivés il y a peu à l'aéroport international. Les étrangers seront parmi nous sous peu. Permets moi, en revanche, de te faire part de mes réserves concernant tes manœuvres récentes. J'ignore bien si discuter avec ces gens en vaut la peine, même si c'est pour gêner des étrangers aux humeurs plus pressantes à notre encontre. Le reste du gouvernement communal a également de gros doutes, de même que beaucoup de sénateurs, je tiens à te le dire.
- Quand était la dernière où je n'ai pas agit pour le bien de cette assemblée, doyen Zonta ? - reprit-il froidement - Mon frère est mort sur ces marches, juste là, à quelques mètres, parce que j'ai respecté la loi. J'ai fait exilé ma fille, parce que je respecte la loi. J'ai fait tué des hommes parce que je respecte la loi.
- Que Dame Fortune soit aussi bonne avec eux qu'elle l'est avec notre cité.
- Dame Fortune...bref...
- Ne le prends pas mes mots ainsi, Matteo. Nous avons tous conscience parmi nous que tu as sauvé une fois notre assemblée, mais prends garde à ne pas te faire mordre par d'autres animaux que Scaela, des animaux dont la gueule est grand ouverte dés qu'il s'agit de prendre notre pouvoir d'achat. En ce moment, certes il s'agit des onédiens. Mais demain, ce seront peut-être les kah-tanais, ou les loduariens, les océniens ou quelque barbare de l'autre bout du monde. Traite les tous à égalité, Matteo, sans quoi tu feras courir un risque à nos voies commerciales. Et ces voies, ce sont nos vaisseaux sanguins.
- Si nous pouvions nous passer d'inviter ces gens, je le ferai volontiers, doyen. Mais vous vous trompez sur une chose: si nous traitions nos partenaires et ennemis avec égalité, il y aurait déjà une superpuissance hégémonique en ce beau monde. Vous sous-entendez donc que je joues avec le feu auprès des barbares ? Je note votre remarque, mais je préfères traiter les gens avec équité qu'avec égalité. Quand deux hommes qui viennent te voir, l'un sans l'usage d'une jambe et l'autre sans l'usage des deux, tu ne fabriques pas la même canne pour ces pauvres gens, tu fabriques une canne à l'un et un fauteuil roulant à l'autre. C'est exactement ce que je fais en ce moment.
- Certes. Nous verrons ce que la Fortune pensera de tes observations...
Le voyage était à présent terminé pour les délégués kah-tanais, et après une fin de trajet jusqu'à l'îlot de la vieille cité, le Palais des Patrices s'ouvrait à présent à eux, avec son cortège de pratiques aussi symboliques qu’obsolètes. Toujours, les membres du gouvernement communal devaient demander l’autorisation des sénateurs pour laisser entrer les émissaires dans le Palais..et pour pouvoir entrer eux même, de la même façon qu'Actée avait été témoin trois années auparavant, du fait que Matteo DiGrassi lui-même avait dû demander la permission aux parlementaires de Cerveteri afin qu'ils le laisse entrer en leur sein.
Sénateurs et gardes wanmiriens scrutent donc l'entrée des gens "du pays des pyramides". Les portes s'ouvrent devant leur passage, dévoilant à chaque fois une nouvelle pièce, une nouvelle galerie aux décors baroques flmaboyants, les greffiers et domestiques du Sénat pour seuls indicateurs du chemin à prendre, et vieux sénateurs pour seuls observateurs méfiants...
Galerie typique du Palais des Patrices, endroit sympa pour conspirer
Enfin, la délégation parvient dans le cœur d'un pouvoir qui n'est pas connu pour ouvrir ses portes à tout le monde...l’hémicycle. Le Maître de l'Arsenal, assit à sa place dédiée dans hémicycle, se retourne au bruit battant des grandes portes chargées d'or. Il se lève, et se porte tout naturellement à leur rencontre. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas rencontré cette femme, qu'il avait l'impression d'avoir croisé il y a vingt ans. Mais le temps passe plus lentement lorsqu'on est engagé dans une guerre civile et que l'on a un gouvernement à intégrer. Il tend sa main:
- Excellence. Bienvenue à Velsna. J'ose espérer que mes confrères sénateurs vous ont traité avec amabilité et retenue. Venez avec moi, nous avons beaucoup à dire. J'ai proposé à ces excellences que nous nous réservions cet endroit afin de mener nos propos à leur terme. La bonne nouvelle étant pour vous que vous ne serez pas obligé de me voir fumer cette fois-ci: c'est interdit en ces lieux... Il s'est passé beaucoup de choses depuis notre dernière rencontrer. A l'époque, les gens du Kah étaient encore occupés à débattre de la manière de traiter la Communaterra. Aujourd'hui, il n'en reste qu'un terrain vague à reconstruire. Depuis, j'ai gagné une guerre civile, et le peuple de notre cité a rebâtit ses richesses. Le monde change vite, bien trop vite, et c'est pour cela que nous sommes ici. Je tiens à vous remercier d'avoir répondu à mon offre, excellence...
(HRP: je te laisse du temps pour écrire un post d'intro à ta guise avant les négociations)