C'est dans son quartier natal de Kuta à Takeraya que Ishamael dirige et surveille son bureau de vote. Cet ancien bidonville à majorité hufu, situé à l'est de la ville, est historiquement une des places fortes du GéDé, mais l’assesseur, lui aussi anciennement proche du parti, a conscience d'une chose, cette année le PBB le gagnera largement. Si le quartier a été reconstruit il y a 10 ans pour transformer les habitations de fortunes en véritables lieu de domiciliations en dur, la pauvreté, elle, n'a pas disparue, le chômage et la criminalité semblent augmenter alors que les loyers atteignent des sommes délirantes. C'est sur ce dernier point que les communistes ont fait campagne dans la ville avec un axe d'attaque simple : l'explosion des prix des loyers est le fait de la concentration des terrains dans les mains des grands groupes immobiliers et des entreprises étrangères, dont fujiwanes. Ce discours a eu un écho fort à Takeraya où les réseaux du PBB n'ont jamais été aussi présents et organisés.
Après avoir ouvert la grille, placé les tables où les électeurs votent, organisé tous les papiers et salué les agents de sécurités chargé de veiller au bon déroulé du fonctionnement démocratique, Ishmael ouvre officiellement la porte du bureau de vote à 9 heure pile, l'horaire officiel d'ouverture. Le sérieux incroyable du presque soixantenaire n'est plus à prouvé, il exècre la corruption qu'il a si bien pu observé durant le Régime et se plie minutieusement à toutes les règles transmises dans les guides officiels.
A cette heure si matinale il se doutait bien qu'il n'y aurait pas une grande queue à l'ouverture. Les Kinagiens ne sont ni pressés ni matinaux , à part des travailleurs particulièrement occupés personne ne vote à 9h le premier jour des élections. Ici les suffrages durent une semaine et demie, le but de cette mesure est de permettre aux communautés vivant dans des zones escarpées de pouvoir se rendre dans leur bureau de vote, parfois situé à plusieurs dizaines de kilomètres, sans avoir à se presser, notamment en cas de météo compliquée.
Durant cette semaine et demie Ishmael aura le temps de s’interroger, d'observer, et de se questionner sur l'état de son pays, en réalité il ne sait même pas pour qui il va voter. Ces dernières semaines il a ressenti une forme de perte de repère, il ne déteste pas les communistes, d'ailleurs il partage de nombreuses idées avec eux, mais leur montée irrémédiable vers le pouvoir lui fait extrêmement peur, il sait très bien qu'une victoire de ces derniers représente la fin de la République et le recommencement officiel des tensions avec les Vimalais. Déjà perdu dans ses pensées il s'assoit à son bureau observant d'un œil un peu détaché les quelques premiers électeurs entrant dans la salle.