11/05/2017
22:40:36
Index du forum Continents Eurysie Grisolia

Famille di Visco - Propriétaires de vignobles

Voir fiche pays
1441
Présentation de la famille di Visco, propriétaires de vignobles dans les Coltori



Au XIe siècle, très peu de temps après la conquête des Coltori par le général Giuliano di Traversi, la famille di Visco commence la culture du vin. Paulo di Visco, un noble ayant pris part à l’expédition, s’empare de nombreuses exploitations indigènes et fonde le début de ce qui deviendra le plus grand vignoble grisolien. Pendant une dizaine d’années au moins, la famille a profité de l’absence presque totale de lois protégeant les droits des indigènes, engrangeant ainsi une immense fortune. Rapidement, les Grisoliens ont considéré les indigènes comme étant leurs égaux et ont fait d’eux des membres de la Principauté, leur accordant ainsi les mêmes droits et devoirs. Les di Visco ont alors dû s’adapter, et contre toute attente ils n’ont pas perdu leur position dominante dans la production de vin. En effet, étant de très bons stratèges, ils avaient compris que cette situation ne durerait pas et ont beaucoup investi.

Aujourd’hui, la famille réside à Blonvilia dans l’objectif de se trouver au plus proche de la Famille Princière. Le chef de famille veuf, Romero di Visco, est un homme de soixante et onze ans, très calculateur, mielleux et soucieux des apparences. Il a eu trois fils et une fille, dont l’aîné, Leone, lui est très soumis. C’est d’ailleurs lui qui veille sur les vignobles dans les Coltori. Geromino, le deuxième fils et rival de son frère, est souvent en conflit avec son père. Véra, mère de famille de quarante et un ans, et le cadet, Massimo qui n’a que trente-deux ans, essayent de se tenir éloignés des affaires familiales.

Blason de la famille di Visco, propriétaires de vignobles
3526

Les folies de Massimo



Le 15 avril 2015


Romero di Visco : "Giaccomo, la voiture est prête ? Je vous rappelle que nous avons rendez-vous avec sa Majesté dans moins de vingt minutes."

L'homme de soixante-douze ans, le visage contracté, avait prononcé ces mots d'un ton sec et brutal. Alors qu'il ajustait les manches de sa chemise, un majordome pénétra d'un pas vif dans le grand salon.

Giaccomo : "La voiture de Monsieur est en réparation, devons-nous prendre celle de Monsieur Massimo ?"

Un très fin sourire se maintenait sur la figure du domestique. Personne n'y voyait un signe de moquerie, il s'agissait simplement d'une habitude que Giaccomo avait prise pour paraître aimable à ses interlocuteurs, même quand ces derniers bouillonnaient de colère.

Romero di Visco : "Aah oui ! Cela m'était complètement sorti de la tête, et je ne vous remercie pas de me rappeler l'existence de ce garnement ! Depuis trente-deux ans que ma femme, paix à son âme, l'a mis au monde, et il n'est toujours pas fichu de prendre ses responsabilités en main. Déjà que Sa Majesté se fait de plus en plus froide à notre égard, et il fallait que ce voyou prenne ma voiture pour la fracasser sur le bord de la route ! Je ne demande qu'une chose, qu'on ne jette pas la honte sur notre famille."

Giaccomo : "Si Monsieur permet, la voiture de Monsieur a seulement été éraflée..."

Romero di Visco : "Seulement éraflée !? Cinquante kilomètres au-dessus des limites de vitesse, vous appelez cela un éraflement ? Cessez de défendre l'indéfendable, Giaccomo, et remplissez plutôt votre devoir en allant chercher la voiture de cet incorrigible freluquet."

Giaccomo : "Bien sûr, Monsieur."

Giaccomo n'avait pas perdu son mince sourire et se hâtait de préparer la voiture de Massimo di Visco. Le chef de famille lui avait parlé, comme toujours, de son ton froid et lapidaire, mais le domestique n'y voyait plus la même acidité qu'à ses débuts dans la famille. Il avait passé tellement d'années dans la famille di Visco qu'il faisait maintenant partie des meubles. Il avait vécu les hauts et les bas de la famille di Visco et, depuis que Vera était décédée, il était la personne avec laquelle le vieux Romero passait le plus clair de son temps. Une relation muette s'était donc formée entre les deux hommes, qui n'en avaient pas perdu leurs manières pour autant. Le domestique s'amusait à prévoir les désirs de son maître avant qu'il ne puisse les formuler, sachant de toute manière que sa colère allait s'abattre sur lui. Il embrassait ce rôle de défouloir sans souffrance, l'incorporant dans la liste de ses devoirs. Ayant sorti la voiture du fils de Romero du garage et l'ayant amenée devant l'entrée de la maison, il attendit que le vieil homme sorte de sa demeure pour lui ouvrir la portière. Les relations orageuses entre le père et le fils n'empêchaient pas Giaccomo d'aimer autant l'un que l'autre. Il était persuadé que les conflits qui opposaient souvent les deux hommes n'étaient que le fruit d'une mauvaise passe, et qu'un amour puissant persistait toujours entre eux. Récemment, au cours d'une soirée arrosée et en l'absence de son père, Massimo avait pris la voiture du paternel pour faire quelques tours en ville, faisant fi du code de la route et de la réputation familiale. À trente ans passés, Massimo n'était toujours pas marié et son cas tracassait de plus en plus Romero di Visco, chef de famille qui constatait le relatif déclin de sa maison. Le récent événement n'avait pas arrangé les choses, d'autant plus que Massimo s'était rendu injoignable, comme il le faisait souvent pour éviter les foudres de son père. Il reparaissait toujours au bout de quelques jours, munis de plates excuses. Giaccomo voyait bien que ces excuses l'atteignaient dans son ego. Le père en profitait pour l'accabler encore plus, défoulant la rage accumulée les derniers jours, ce qui faisait dégénérer la discussion en une nouvelle dispute.

Romero di Visco reparut sur le seuil de la maison. Il pénétra dans la voiture et Giaccomo referma la portière doucement. Il démarra la voiture et conduisit l'homme d'affaire vers le Palazzo di Grisolia. Ce dernier devait à nouveau plaider sa cause auprès du Prince.
5040

Pénibles héritages



Le 15 avril 2015


La voiture roulait calmement en sortant du domaine di Visco, sous la conduite habile et coutumière du domestique Giaccomo. Inconfortablement assis à l'arrière de ce véhicule dont il n'avait pas l'habitude, le chef de la famille di Visco essayait de rassembler ses esprits. Il devait apaiser sa colère, ou du moins la dissimuler à l'approche du Palazzo di Grisolia, dans lequel le Prince Ludovico l'attendait pour une courte entrevue. Romero di Visco avait déjà eu des centaines de discussions de couloir comme celles-ci avec le souverain grisolien, au cours desquelles il tentait de plaider sa cause et d'appuyer les revendications familiales. Mais depuis que Ludovico XIV était monté sur le trône, un net changement avait été perçu dans les relations de la famille avec le pouvoir grisolien. Il semblait que le nouveau monarque n'était guère amateur des tractations quasi secrètes, non officielles, et du jeu relationnel qui avait dicté les méthodes de Romero di Visco toute sa carrière. Ludovico XIV préférait voir ses décisions inscrites dans des décrets publics, et strictement délimiter ses actions auprès des grandes familles aristocratiques dans un cadre officiel.

Ce nouveau fonctionnement coïncidait avec le déclin ressenti de la famille di Visco, dont le patriarche s'accrochait hargneusement aux vieilles méthodes courtisanes. La famille souffrait également de graves tensions internes, et Romero craignait, constatant dans son reflet les effets pervers du temps, de ne pas trouver pour lui succéder un héritier digne de lui. Il avait pourtant quatre enfants, dont certains avaient eux-mêmes des enfants, mais l'un lui était hostile et deux autres avaient toujours cherché à se tenir éloigné des affaires du vignoble. Quant à l'aîné, Leone, il avait beau suivre à la lettre la politique de Romero, celui-ci ne voyait en lui qu'un bon exécutant, tout juste capable d'obéir aux ordres qu'on lui donnait et qui serait totalement dérouté en l'absence d'un esprit plus habile au-dessus de lui. Romero di Visco se sentait donc bien seul à la tête de la famille depuis la mort de sa femme, et son angoisse grandissait à mesure que ses doutes se confirmaient sous l'épreuve des années.

Le vieil homme sortit de sa poche intérieure une feuille de papier pliée en quatre sur laquelle il avait inscrit, pour s'en souvenir, les revendications qu'il souhaitait plaider auprès du souverain Ludovico. Ce dernier accordait de moins en moins de temps aux rencontre que Romero lui demandait, il fallait donc progressivement bannir les formules de politesses et les courbettes que l'âge ne lui permettait plus et déclamer son discours en allant droit à l'essentiel. Ce jour-là, il fallait obtenir du Prince l'autorisation d'outrepasser les règles usuelles de succession dans le petit domaine de Cermilo, au sud-ouest des Coltori. Ce vignoble qui jouxtait une partie de celui des di Visco et auquel ces dernier achetaient l'essentiel de la production n'avait pas trouvé d'héritier à la mort de son propriétaire. La loi voulait donc qu'il passât dans le domaine public et revienne à la couronne, mais il n'en était pas question pour Romero di Visco qui y voyait l'opportunité de relancer les finances familiales.

Giaccomo : Nous arrivons au Palazzo, Monsieur.

La voiture freina doucement sur le gravier. Il fallait maintenant qu'une des voitures officielles stationnées à l'entrée du Palazzo embarque le chef de famille pour gravir la montée qu'il ne pouvait plus affronter. Ceci accompli, Romero se présenta dans l'antichambre du Prince. Il patienta bien quinze minutes avant que ce dernier, l'air pressé, surgisse dans la pièce par une porte située derrière le vieil homme.

Ludovico XIV : Ah ! Monsieur di Visco. Je vous attendais ! Pourquoi venez-vous me voir, déjà... ah, oui, c'est au sujet du vignoble de Cermilo. Je n'ai que très peu de temps, nous parlerons en marchant, voulez-vous ?

Romero di Visco avait à peine eu le temps de saluer le monarque que celui-ci lui tournait déjà le dos, s'engouffrant dans un nouveau couloir. Le jeune Prince avançait de son pas rapide et énergique, et Romero di Visco, du haut de ses soixante et onze printemps, peinait à le suivre. Boitillant un mètre derrière lui, il lança la phrase qu'il avait préparée.

Romero di Visco : C'est effectivement à propos de ceci, Votre Majesté... comprenez-vous, Monsieur di Cermilo était un homme, pour sûr, semblable à un frère à mon égard... et nos relations ne se sont pas taries depuis des décennies, tant sur le plan intime que commercial, aussi me semble-t-il légitime, à l'heure où nous déplorons sa disparition...

Distançant son interlocuteur, Ludovico XIV le coupa dans son élan.

Ludovico XIV : Monsieur di Visco, vous savez que je fais un point d'honneur de toujours respecter le cadre de la loi que m'ont transmise mes prédécesseurs. Nous pleurons aussi la mort de Monsieur di Cermilo, et nous savons combien les relations qui vous liaient à lui étaient fortes. Mais il plaçait plus haut que tout le respect de la couronne princière, et, en laissant son testament vierge, il a légué sa richesse à la Principauté, héritage auquel je ne peux me permettre de contrevenir. J'espère que vous comprenez mon sentiment.

Romero di Visco : Mais il me semble, Votre Majesté le Prince, que cette affaire dépasse le simple cadre de...

Ludovico XIV : Je regrette sincèrement de ne pouvoir vous satisfaire. Monsieur di Visco, d'urgentes affaires m'appellent, je demeure à votre disposition si mon modeste pouvoir peut vous être utile. Sur ce, au revoir.

Le Prince entra dans une pièce et claqua la porte. Romero di Visco était seul dans le couloir, sous le regard placide de deux gardes aux uniformes impeccables. Reprenant difficilement son souffle, il s'appuya quelques minutes sur une colonne de marbre, le visage peiné. Puis, d'une allure lente et morne, il retraça longuement le chemin qu'il avait parcouru à toute vitesse à la poursuite du Prince pendant leur conversation, et regagna sa voiture, bredouille.
3013

Massimo, éternel célibataire ?



Le 30 octobre 2015

Enfoncé dans le canapé du grand salon de la résidence di Visco blonviliane, Romero tenait devant ses yeux un journal qu'il ne lisait pas. Une fois de plus, ses pensées s'étaient évadées des lignes qu'il lisait, se faufilant à travers les lettres imprimées pour se perdre dans les méandres d'un passé révolu et d'un avenir inquiétant. La famille s'en sortirait-elle un jour ? Les di Visco retrouveraient-ils un jour leur gloire et leur prospérité d'antan ? À l'heure où le corps de Romero di Visco fléchissait à mesure que les années passaient, sa raison et son esprit prévoyant interdisaient à son cœur tout espoir sur l'héritage qu'il laisserait à son éparse progéniture. Le destin de la famille di Visco était noir d'incertitude. Chacun en avait conscience et préférait détourner la tête plutôt que d'assister à la honte finale qui laisserait définitivement la renommée des plus illustres vignerons de Grisolia choir dans les abîmes de l'oubli. Sans doute préférait-on laisser la famille se disloquer silencieusement et se perdre à l'abri des regards plutôt que d'investir un dernier effort pour retarder sa chute, en risquant de se couvrir de honte.

Des quatre enfants de Romero, le dernier était sans doute celui qui lui causait le plus de souci. À l'âge de trente-deux ans, Massimo semblait ne toujours pas avoir assimilé les règles les plus élémentaires de la bienséance et de la piété filiale. Romero ressassait souvent son enfance, regrettant les erreurs qu'il avait commises dans son éducation. Dernier de la fratrie, Massimo avait perdu sa mère à l'âge de quinze ans et avait toujours manifesté une extrême turbulence dans ses rapports aux autres et à l'autorité. Ainsi avait-il valdingué de collège en collège, de pensionnats en pensionnats, sans cesse expulsé des établissements où son père l'envoyait. Sa relation avec ce dernier n'était donc pas ce qu'on pouvait décrire comme de l'amour, puisque Massimo avait grandi dans l'éloignement de sa figure paternelle. Depuis sa majorité, Massimo ne travaillait pas et passait le plus clair de son temps dans les loisirs faciles et les beuveries. Sa dernière bravade avait été l'emprunt de la voiture de son père, laquelle avait trouvé son destin dans un fossé sur le bord de la route.

Ce qui inquiétait le plus Romero à cet instant, alors qu'il faisait encore mine de lire son journal, c'était que Massimo, du haut de ses trente-deux ans, n'était toujours pas marié. Il avait présenté à Romero, quand il avait vingt-cinq ans, une femme de renommée tout à fait convenable, mais leur idylle n'avait duré qu'un temps, avant que Massimo ne s'égare à nouveau dans les bras d'une autre. Cet incident avait suffisamment terni l'image de la famille pour que Romero garde à l'égard de son fils une sourde rancœur. Depuis, les réponses de Massimo restait le plus évasives possible lorsque son père l'interrogeait sur sa situation sentimentale.

D'un coup strident, la sonnette de la porte d'entrée sonna. Romero détacha brusquement les yeux de son journal. Il n'attendait personne. Il se leva avec peine et se dirigea vers la fenêtre de la salle à manger, d'où l'on pouvait jouir d'une vue discrète sur les nouveaux venus. Massimo se tenait devant le portail de fer. Surpris de la coïncidence des événements avec ses pensées, Romero envoya Giaccomo, son fidèle domestique, ouvrir le passage à son fils. Pourquoi venait-il aujourd'hui, sans prévenir ? Massimo rendait rarement visite à son vieux père, encore moins avant les douze coups de midi.
3349

Une odeur de nouveauté



Le 30 octobre 2015


Massimo avait pénétré dans le vestibule sous le regard du domestique, et celui-ci pouvait être étonné de la manière dont le cadet des di Visco était habillé. Il portait un costume repassé et sa chevalière luisait à son annulaire, offrant un sérieux contraste avec sa dégaine habituelle. Il portait souvent sa main à son col pour ajuster sa chemise et affectait un air soucieux en déposant sa veste sur le porte-manteau. C'était un habit d'automne noir et sobre, dont l'épaisseur cachait quelque chose de louche. Il y avait dans les manières empêchées de Massimo quelque chose de nouveau, son excès de parfum empestait un changement dont l'odeur imprégnait tout le vestibule. Son curieux piétinement, ses frottements de mains d'homme anxieux, ses regards insistants et bizarres, son souffle malhabile et irrégulier trahissaient une grande nouvelle, et Giaccomo tentait discrètement d'en deviner la teneur.

Ce parfum de nouveauté avait dégagé des volutes dans le petit couloir attenant et s'était faufilé dans l'escalier moquetté de rouge, grimpant à l'étage supérieur, si bien que le patriarche en humait désormais la senteur à plein nez. Romero di Visco avait choisi pour attendre son fils une position tranquille. Il était assis derrière son bureau, les jambes croisées, tenant ses lunettes d'une main fébrile. Quelques feuilles de papier étaient disposées dans un soigneux désordre sur le bureau de chêne, de manière à signifier au nouveau venu que les affaires de la famille avançaient bien sans se soucier de son cas, et que son arrivée subite n'était pas sans déranger le travail du vieil homme.

Massimo se présenta calmement à son père, le salua d'une voix posée, et jugea bon d'assortir cette révérence d'une poignée de main filiale. Les deux hommes échangèrent quelques civilités, s'enquérant chacun des dernières nouvelles. L'ambiance était électrique. Romero savait que son fils avait quelque chose d'important à lui annoncer, et Massimo commençait à deviner que son père l'avait deviné. Derrière les mots de convenance s'échafaudait un jeu de siège habile et dissimulé. Romero posait chaque question avec soin, tâchant de ménager ses forces pour l'assaut final. Éliminant une à une les pistes et les hypothèses, il encerclait calmement sa proie. Le point d'orgue de cet exercice de poliorcétique paternelle fut obtenu au cours d'un dernier assaut :

Romero di Visco : Mon cher fils, sais-tu que, quand j'avais ton âge, ton frère Leone était déjà de ce monde. Je me soucie beaucoup de la situation de mes enfants, et quand à la tienne, je me préoccupe sincèrement de ton état. Tu as toujours été un peu désordonné, mais je n'ai jamais cessé de penser qu'une épouse te ferait beaucoup grandir. Si ta mère était toujours de ce monde, elle serait bien...

Romero avait laissé planer cette phrase volontairement, attendant que son fils ne prenne la balle au vol pour lui révéler l'objet véritable de sa visite.

Massimo di Visco : Je le sais bien, mon père, mais c'est justement pour cette raison que je viens te voir. J'ai, en vérité, une nouvelle très importante à t'annoncer.

Romero affecta une mine surprise. Un air de victoire habita son regard avant que ses yeux d'aigle ne se rivent sur le front de son fils.

Massimo di Visco : Il faut que je te dise que j'ai rencontré une femme. Une femme bien, qui allie comme tu le veux des dispositions naturelles d'épouse à une ferme volonté et un caractère sage. Nous nous fréquentons depuis plusieurs mois maintenant et chaque jour me confirme dans mon ambition de partager ses jours. Il est absolument nécessaire que tu la rencontres.

Ainsi, il fut convenu d'un dîner chez les di Visco au cours duquel la compagne de Massimo ferait la connaissance de son futur beau-père. Quand Massimo quitta la maison familiale, l'anxiété n'avait pas quitté son esprit. Il fallait en effet que l'objet de sa passion subisse le jugement austère du père de famille, une épreuve dont on sortait vainqueur au prix de durs efforts.
5600

Un dîner très imparfait



Le 1er décembre 2015


Le jour fixé, que Massimo avait guetté du coin de l’œil tout le mois sur son calendrier, finit par arriver. Aujourd’hui, Massimo allait présenter sa compagne au sévère jugement de son père. Ce dernier, si exigeant, avait déjà bénit il y a des années la potentielle union de son fils avec une autre femme. Tout s’était alors aligné comme souhaité et Massimo avait semblé prendre une voie nouvelle et bonne. Mais malheur à celui qui se fie à l’homme que la providence a soudainement comblé de bienfaits ! Un individu qui goûte brusquement à un bonheur immérité entretient en lui un lourd malaise, la sensation de ne pas se trouver à sa place, et cherche aveuglément la pente de souffrance qui le fera choir de son instable piédestal.

Ainsi Massimo avait-il, sans raison et contre toutes les attentes, anéanti ses fiançailles en suivant le chemin d’une passion brûlante et éphémère. Tout ce bonheur, échafaudé presque sans le vouloir, s’était brutalement effondré. La catastrophe n’avait pas touché que Massimo et son petit ménage, elle avait éclaboussé de honte une famille de renom, attiré les journalistes et les commères aux grilles de ses manoirs et confondu de peine un père vieillissant. Romero avait retrouvé de l’espoir pour son fils, et son ambition nouvelle avait agi comme un multiplicateur de son désarroi. De plus haut l’on s’envole, de plus violente est la chute.

Ainsi, aujourd’hui devait être un jour décisif. Massimo avait rencontré Dora un an auparavant. Des amis en commun les avaient rapprochés et une connexion avait les immédiatement unis. Les deux amants n’avaient pas attendu longtemps avant de se révéler leur passion mutuelle et ils s’étaient mis à se fréquenter de manière hebdomadaire, puis quotidienne. Dora déjeunait, dînait, et couchait chez Massimo, mais les convenances nous empêchent d’affirmer que ce couple pas encore marié avait emménagé ensemble.

Ce fut, comme attendu, Giaccomo qui ouvrit la porte au jeune couple. Romero di Visco attendait en retrait, ne jugeant pas opportun pour un homme de son statut d’accueillir lui même ses invités dans le vestibule. Le domestique put observer en toute bienséance la femme qui se présentait au bras de Massimo. Défaisant le foulard rose qu’elle portait au cou, elle mouvait des bras fins d’une élégance froide, aux poignets desquels dansaient quelques bracelets dorés. Un collier richement orné décorait son buste rose légèrement décolleté.

Le moment fatidique advint lorsque les deux amants franchirent le couloir qui menait au salon, dans lequel trônait le maître des lieux. Romero di Visco était assis dans un fauteuil de velours vert de style ancien, et déplia ses jambes à l’arrivée de son fils. Affichant un air enjoué sans toutefois se dépourvoir de son sérieux, il accueillit Dora en lui adressant une petite révérence.

Dès qu’il avait su l’identité de celle dont Massimo voulait faire son épouse, il avait entamé des recherches discrètes mais poussées sur les origines de l’intéressée. Dora di Angelo était issue d’une famille prospère qui avait récemment fait fortune dans les nouvelles technologies. Son père revendiquait une baronnie héritée du règne d’Olivio Ier, mais ses discours n’avaient pas résisté à l’œil attentif de Romero di Visco. En effet, la famille avait discrètement acquis ses lettres de noblesse au prix d’offrandes généreuses à la couronne, il y avait de ça quelques années. Elle gravitait depuis dans les hautes sphères de l’élite grisolienne, tutoyant sans réserve les races les plus illustres de la Principauté.

On se mit rapidement à table, car l’importance du moment n’avait avancé que d’un peu le retard habituel de Massimo. Tout aussi rapidement, Dora produisit une très mauvaise impression sur le patriarche. Son ton mielleux cachait un manque de manière évident et chaque phrase qu’elle prononçait à l’égard de son beau père effleurait l’irrespect. Alors que les exigences de Romero di Visco attendaient une femme d’une élégance sans égale, capable de redorer le blason de la famille, Dora di Angelo décevait au plus haut point les espoirs du vieil homme. Ses mains maladroites maniaient gauchement les couverts d’argent, sa bouche vulgaire ne produisait que des intonations barbares et l’on pouvait entendre des petits bruits de mastication à chacune de ses bouchées. Elle mangeait d’ailleurs trop rapidement pour apprécier la qualité de la nourriture qui lui était servie, ce qui donnait l’impression qu’elle craignait de manquer de subsistance à l’avenir. Elle-même semblait savoir qu’elle ne goûterait pas de si bons mets de si tôt !

Au milieu de ses pièces de viande rouge comme le velours, de ces légumes fins, de ces préparations sculptées comme dans du marbre, entourée de ces tableaux de maîtres accrochés au mur, de ces meubles aux gracieusement taillés, de cette cheminées majestueuse gardée par ces deux bustes dont les visages semblent vouloir vous parler et dont on peine à détacher le regard, Dora di Angelo donnait l’effet d’une corneille dans un colombier.

Plus Dora s’exprimait, plus elle mouvait ses membres malhabiles, plus elle dévorait la nourriture de la maison, et plus Romero di Visco pensait qu’il fallait à tout prix empêcher cette union. Il regardait les yeux de la jeune femme qui lui échappaient lorsqu’il lui parlait et dont le regard se perdait dans les tableaux accrochés au mur derrière lui. Il aurait voulu chasser ce regard comme on chasse une mouche qui rôde autour d’un plat. Le point d’orgue de son exaspération fut atteint lorsque la conversation s’aventura sur le sujet des patrimoines familiaux.

Dora di Angelo : "Massimo m’a appris que vos vignobles des environs de Perenia souffraient de grandes difficultés. Sachez que ma famille sera toujours prête à vous venir en aide si vous en ressentez le besoin."

Romero fut piqué au vif. Le silence passif de son fils devant une telle insulte l’énervait presque autant que l’insulte elle-même. Comment cette femme pouvait elle aussi facilement évoquer les difficultés de la famille ? Sa noblesse de quelques années n’était rien face à la grandeur des di Visco, et voici qu’elle lui proposait, se cachant à peine, de lui prêter de l’argent ? Ce camouflet était insoutenable. Les di Angelo n’en avaient que pour les vignobles des di Visco. En quelques années, tout le patrimoine familial passerait entre leurs mains. Une fois Romero décédé, Dora n’aurait aucune peine à convaincre Massimo de lui vendre à bas prix ses parts de l’héritage. Hors de lui, Romero glissa un regard à son domestique. Giaccomo lui signifia d’un regard entendu qu’il partageait son sentiment. Il fallait à tout prix que ce mariage n’ait pas lieu.
Haut de page