Activités étrangères en Nebrownia
Posté le : 10 déc. 2024 à 14:58:48
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Ce topic est ouvert à tous les joueurs possédant un pays validé. Vous pouvez publier ici les RP concernant les activités menées par vos ressortissants en Nebrownia. Ceux-ci vous permettront d’accroître l'influence potentielle de votre pays sur les territoires locaux. Veillez toutefois à ce que vos écrits restent conformes au background développé par le joueur du Nebrownia, sinon quoi ils pourraient être invalidés.
Posté le : 31 jui. 2025 à 23:53:10
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Je suis arrivé au petit matin pour être sûr de n'être dérangé par personne, poussé par un vent salé et froid de janvier, après plusieurs heures de traversée dans une mer calme comme le marbre. Je n'avais aucun souvenir de cette traversée que je venais de faire. J'étais comme anesthésié et chaque kilomètre parcouru était le même que le prochain et le précédent pour moi. L’île où je me rendais ne portait pas de nom officiel sur les cartes impériales. Les locaux l’appelaient « l'île Grise », peut-être à cause de ses falaises nues, de ses oliviers pâles, ou de la brume qui la ceinturait presque chaque aube. Elle était située à quelques kilomètres de l'Ile Cardinale nebrownienne au centre de la baie éponyme. Sur l'île trônait une construction datant du XVIIe ou XVIIIe siècle durant la période coloniale aleucienne. Cet édifice religieux, le monastère des Saints-Anciens, se tenait sur son unique colline, planté là comme une relique oubliée de Dieu et de l'Église toute entière.
J’étais venu débarquer seul sur l'île, mais malheureusement forcé d'être avec deux médecins militaires qui m’avaient accompagné jusqu’au quai. Ils avaient voulu grimper avec moi sur l'île et m'accompagner pour s'assurer que tout aille bien. Je les avais congédiés. Ils savaient ce que leur regard faisait à ma dignité. J’ai marché seul, lentement, en boitant, au milieu d'un sentier de terre sur lequel l'herbe grignotait du terrain, m’appuyant sur cette canne de frêne au pommeau de lion, emblème de la dynastie et surtout de la maison, que ma cousine m’avait offerte une semaine après l’attaque. Elle était belle cette canne. Solide. Bienvenue pour marcher. Mais terriblement inutile contre les douleurs profondes et intérieures. C'était principalement pour ces douleurs que j'étais venu. Je sentais les regards inquiets ou apitoyés des deux médecins restés sur la vedette. Ces regards me brûlaient et me rendaient illégitimement furieux, par pur attache à l'image que je renvoyais. Pas après pas cette attache cédait, j'avais bien d'autres problèmes à penser et d'autre douleur auxquelles résister.
Chaque pas me rappelait la brûlure sourde dans ma cuisse qui me lançait de la cheville au flanc. L’agent VX n’avait pas eu raison de moi, mais il avait marqué mes muscles durablement, affaibli mes nerfs, entre autres. J’avais survécu grâce à la rapidité des secours, au sang d’un garde impérial qui m’avait tiré dans le bunker à moitié effondré, car j'avais refusé d'entrer sans mon fils et ma femme… mais à quel prix ?
Je respirais difficilement, comme si le monde avait rétréci autour de mes poumons. Comme si j'étais un vieillard qui venait de réaliser un effort surhumain. Je me sentais étouffer, mais je continuais d'avancer, ma main se serrant plus fort sur le pommeau de ma canne, faisant blanchir les jointures de mes mains à la motricité pour le moment réduite sur celui-ci.
Les murs gris du monastère apparaissaient à travers la brume comme les ruines d’un souvenir trop ancien. Pourtant, il était bien là, bien réel. Mais cette atmosphère coupée du monde extérieur était ce que je cherchais. Le portail en bois de cyprès, cerclé de fer rouillé, était entrouvert. Je me suis glissé à l’intérieur sans frapper. Il n’y avait pas de serrure. Il n’y avait pas de gardien. Ici, on n’enfermait rien, pas même la douleur.
Le cloître était vide. Les pierres, humides, renvoyaient le claquement des pas comme des soupirs d’outre-monde résonnant entre les galeries. Des herbes folles avaient poussé entre les dalles et de la mousse descendait des colonnes. Un chat maigre, gris tigré de ce que j'ai pu voir, s’enfuit à ma vue. L’air sentait la poussière de calcaire humide et le figuier mûr. Il y avait un chant d’oiseau, quelque part, éloigné, perdu, fragile, presque déplacé dans tant de silence. Je me suis arrêté sous une arcade. Mon souffle était sifflant dans ma gorge comme un vieil harmonium mal accordé, l'air froid me brûlait.
C’est là qu’il m’attendait.
Assis sur un banc de pierre, sous le figuier du cloître, l’ancien archevêque d’Estham me regardait. Le visage tranquille, neutre, mais ses yeux avaient quelque chose de compatissants. Il n’avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois que je l’avais aperçu. Peut-être la barbe et les cheveux un peu plus blancs et quelques rides en plus. Mains posées sur les genoux, le dos droit, la barbe blanche et longue, il semblait fait de la même matière que les piliers du monastère, une sorte de calcaire solide. Il ne portait plus la pourpre. Juste une bure de moine, simple, tissée de lin grossier.
Je me suis approché. Chaque pas réveillait une plainte lancinante dans mon flanc gauche. Je luttais contre le vertige qui me prenait, contre cette faiblesse, cette défaillance nouvelle qui m’empoisonnait et contre laquelle j'étais impuissant. J’ai tendu la main. Il n’a pas bougé. Ma main est retombée le long de ma cuisse, trop faible pour la maintenir tendue éternellement.
« Votre Éminence. »
Il me regarda. Droit dans les yeux. Il inclina lentement la tête, pas pour me saluer comme celui qui portait un grand titre, mais comme un homme salue un autre homme en deuil. Je suis tombé raidement sur le banc en face de lui. Ma jambe cédait et je m'étais déjà trop appuyé sur cette canne. J’étais empereur, mari, père, souverain, aimé et parfois craint… mais ce matin-là, je n’étais plus qu’un homme qui cherchait son souffle, qui cherchait des réponses, un maigre refuge loin des regards et oreilles indiscrets.
Je n’ai pas trouvé de mots immédiatement. Je ne les ai pas vraiment cherchés. Mon esprit tournait, mais je ne sais pas ce qu'il faisait. Je n'ai pas trouvé les mots et il n’en exigeait pas. Pas maintenant. Pas immédiatement. Le silence était la langue des lieux et un moyen d'expression comme les autres finalement. Elle permettait à ce que les mots n’osaient pas dire de flotter entre les hommes. Beaucoup était dans cette situation, je crois. Les mots manquaient. Pourtant, il fallait les trouver. Nous n'avions que les mots pour combler le vide qui nous habitait et qui habitait le pays. Noyer notre peine, nos doutes, notre colère, nos morts sous un flot de mots insuffisants pour essayer de les cacher, ne plus les voir et ne plus souffrir. Tous, nous savions que c'était inutile, mais que faire d'autre pour le moment ?
« Mon fils… était dans le jardin d’hiver. »
Ma voix était rauque, comme si je n’avais plus parlé depuis des semaines. Le peu d'air que j'arrivais à emmagasiner s'échappait en un soupir exténué.
« Il adorait les pivoines. Il était en compagnie d'un jardinier et de son fils pour autant que je sache. Ils écoutaient sûrement de la musique en même temps que d'installer des pivoines. On lui en avait offert deux plants, la veille de Noël. Je crois qu'ils n'ont pas entendu les alarmes. »
Je baissai la tête.
« Le missile est tombé sur la verrière. Il n’a pas souffert... paraît-il... Mais… ils ne m’ont rendu que ses bottes. »
Un goût métallique horrible remonta dans ma bouche. Pas de larmes. Les larmes m’avaient quitté jusqu'à la dernière il y a des jours. J’étais sec, comme une pierre de tombe.
« Adeline, elle… elle était dans sa chambre. Elle avait de la fièvre et Noël l'avait fatigué. Le gaz s’est infiltré dans les conduits. Elle a survécu. Ses poumons… comme carbonisés. Elle est dans le coma. Sous perfusion. Les médecins disent qu’elle pourrait s’en sortir. Mais ils mentent. Je le sais... Je les vois mentir. Je suis leur souverain. Ils n’osent pas me regarder dans les yeux. Ils n'osent pas me dire la vérité... Je crois que c'est encore pire de me donner de faux espoirs. »
Je repris mon souffle. Mon thorax me brûlait. Mes lèvres tremblaient et je sentais ma poitrine se comprimer.
« Je ne dors plus. Impossible. Quand je ferme les yeux, je les entends. Pas seulement mon enfant. Les autres. Les enfants d’Estham. Ceux de Kabalie aussi peut-être. Les civils. Les cris. Les gorges fondues. Les ongles arrachés à force de gratter les murs. Les mères avec leurs bébés inanimés collés au ventre. Des gens en train d'imploser sur place. Quand je regarde un miroir, je la vois derrière moi. »
Il ne détourna pas le regard. Il ne pleurait pas. Il n’avait pas besoin de pleurer. Sa présence suffisait. Je m'étais affaissé. Je regardais le sol. Après un long silence je releva enfin la tête.
« J’ai voulu mourir. »
C’était la première fois que je le disais.
« Le médecin du Palais m’a injecté le premier antidote en urgence. Il m’a sauvé. Et j’ai eu honte. Honte de survivre alors que mon fils était mort. Honte de survivre au milieu d'Estham agonisante . Honte d’être l’homme pour qui l’on meurt. Ce n'est pas vraiment pour moi bien-sûr... Ni les civils, ni les soldats... C'est pour l'Humanité. Mais ce sont mes ordres. J'ai honte d'avoir survécu alors que des millions sont morts. Et au fond je suis peut-être mort aussi dans un certain sens. »
Il remua, légèrement. Pas pour parler. Mais pour laisser tomber ses mains sur ses genoux, dans un geste presque paternel.
« Alors je suis venu. Je suis venu vous demander si… »
Je baissai la tête à nouveau, le poids du monde trop lourd sur moi.
« … si je dois rester. Ou abdiquer. Une fois la guerre finie. Quand tout sera reconstruit. »
Je pensais qu’il allait répondre. Il ne le fit pas tout de suite. Il se leva, lentement, et me fit signe de le suivre. Je me suis levé à mon tour, en serrant les dents. Ce vieil homme se levait et marchait mieux que moi à présent. Nous avons cheminé ensemble dans les couloirs du monastère. Des murs nus. Des statues décapitées ou aux mains brisées. Des vitraux opaques, moussus. Il m’a conduit jusqu’à une petite chapelle désaffectée. Un autel de pierre nue, et derrière, une fresque presque effacée dans sa totalité par le sel et le temps : une mère qui pleure son fils crucifié.
Il posa une main sur l’autel et caressa la pierre.
« Vous avez raison, Majesté. Quelque chose est mort. Mais ce n’est pas vous. »
Je n’osai pas répondre. Je ne comprenais pas vraiment. Il me regarda, droit.
« L’Empereur a été blessé, très gravement. Mais l’homme, l'homme qui souffre le martyr et qui réclame d'en être délivré peut-être même par sa propre mort, cet homme, lui, peut encore servir. Pas par la force. Par le chagrin. Par la vérité de sa douleur. Par sa nature de père, d'époux, d'humains. Les peuples n’ont pas besoin d’icônes intactes, parfaites en tout point et insensibles. Ils ont besoin de témoins et de récipiendaires de leur douleur. Vous êtes devenu un témoin. Et vous êtes un récipiendaire de votre peuple. »
Il s’approcha et posa sa main sur mon avant-bras.
« Ne vous effacez pas. Pas encore. Pas maintenant. Ils n’ont pas besoin d’un trône vide. Ils ont besoin d’un père debout, même blessé. Même à genoux. Mais là, présent. »
Le vieil homme se tourna vers l'hôtel.
«Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »
Je fermai les yeux. Mon souffle haletait. J'avais à nouveau le vertige.
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