
n° 7 739
Quasiment un mois après le coup d'État qui a vu la destitution du dictateur Clinton Kellem et son accession au pouvoir, la Générale de Brigade Matilda Emerson nous a reçu dans le palais présidentiel pour une interview.
Nebrownia News : Tout d’abord merci de nous recevoir, Générale. Jusqu’ici vous avez refusé toutes les demandes d’interview, pourquoi cela ?
Gen. Matilda Emerson : La charge de travail, principalement. Pendant ce mois, j’ai demandé au personnel du gouvernement de rassembler toutes les informations sur la situation actuelle du pays, sans fioritures, juste les faits.
NN : Et donc ? Quels sont les résultats ?
Gen. ME: Honnêtement ? Vraiment pas fameux. Nous avons certes quelques entreprises qui se portent bien, comme notre production de carburant de synthèse à partir de charbon, ou nos motoristes, qui fournissent les moteurs de notre matériel ferroviaire… mais l’état global des lieux est assez calamiteux. Nous avons clairement plusieurs trains de retard en matière industrielle, Kellem a voulu mettre l’accent sur la quantité plutôt que la qualité et nous en payons le prix maintenant, avec des grandes usines qui peinent à remplir les commandes et à les livrer à temps, une logistique également à la traîne… et militairement ce n’est pas mieux, nos soldats se battent avec un matériel dépassé, nos systèmes d’arme valent encore quelque chose et nous permettraient de nous défendre face à la Vietie, par exemple. Mais un conflit contre un état à l’armée légèrement plus moderne ne nous laisserait guère d’illusion sur l’issue du conflit.
NN : C’est si mauvais que ça ?
Gen. ME : Je vais être franche avec vous. En l’état actuel des choses, en cas de conflit, on ne pourrait VRAIMENT compter que sur deux brigades, soit 10 000 hommes environ. Notre aviation est à peine en capacité de ralentir un potentiel ennemi, et son taux de disponibilité sur du matériel obsolète avoisine les 19%, donc autant dire qu’elle n’existe plus, notre marine… eh bien… Elle prend l’eau elle aussi, au sens propre. Nos marins n’ont pour ainsi dire pas reçu leur part du budget depuis 1982, lorsque la Vietie a attaqué nos ports. Kellem leur a fait payer cher leur incapacité à empêcher cet assaut, et a rendu notre marine encore plus obsolète qu’elle ne l’était à l’époque, tous les navires dont nous disposons sont impropres à la navigation, et tellement vétustes que leurs équipages ne dorment même plus à bord. Donc oui, la situation du pays n’est pas reluisante.
NN : Vous évoquiez le train… Est-il aussi en déliquescence ? Clinton Kellem apportait beaucoup d’importance à l’entreprise nationale.
Gen. ME : C’est peut-être le seul secteur de la logistique nationale qui se porte bien, malgré une corruption assez phénoménale qu’il nous faudra combattre. Nous avons reçu des rapports de la direction de la SNCF faisant état de soupçons de vols, détournement de matériel et de fonds ayant entraîné un retard et un surcoût phénoménal autour du projet d’électrification du réseau national. En gros, des proches de Kellem se seraient gavés sur le dos de la SNCF, une enquête à été ouverte dès la réception des rapports de l’entreprise, et nous avons déjà des pistes.
NN : y a-t-il d’autres secteurs touchés par cette corruption ?
Gen. ME : c’est certain. Nous avons eu du mal à obtenir certaines informations, et nombre de données reçues nous ont semblé falsifiées.
NN : Autant pour les données brutes sans fioritures.
Gen. ME : Et même avec des rapports qui embellissent leurs résultats, vous voyez ma conclusion… Oui, le travail ne fait que commencer, et un sérieux écrémage s’impose.
NN : A propos d’écrémage, qu’en est-il des anciens soutiens à Kellem ?
Gen. ME : Pour le moment, ils sont sages. L’homme fort des fidèles du dictateur est l’ancien généralissime Serge Cuvilier, qui a fui assez tôt lors du coup d'État. Pour l’heure il se cache, mais nous savons qu’il ne fait pas l’unanimité au sein des quelques soutiens de Kellem, et il est fort probable qu’une résistance efficace ne voit pas le jour tant qu’ils n’auront pas régler leurs affaires en interne.
NN : vous ne craignez pas que vos propos ne leur indiquent la voie à suivre ?
Gen. ME : Les seules voies qui s’offrent à eux, quelle que puisse être leur décision sont : la reddition, l’exil ou l’affrontement. Et pour le moment, je doute qu’ils aient les capacités, ou le courage, de choisir la troisième option.
NN : Envisagez vous la possibilité d’une guerre civile ?
Gen. ME : On ne peut totalement repousser l’éventualité d’une telle chose, mais je doute fort que cela puisse évoluer en leur faveur. De nombreuses révoltes ont éclaté avant le coup d’Etat, toutes réprimées dans le sang. Ils n’ont pas assuré leur suprématie, ils se sont juste créés de nouveaux ennemis, qui ne manqueront pas de leur mettre des bâtons dans les roues s’ils essayent de monter une insurrection. En partant de cette information, cela signifierait qu’ils auraient trois fronts à régler : l’ennemi intérieur à leur propre faction, la population qui a de grandes chances d’être contre eux, et nous… En toute objectivité, ils n’ont aucune chance.
NN : Et s’ils recevaient une aide extérieure ?
Gen. ME : de qui ? Kellem s’est pour ainsi dire coupé du monde, et nos voisins proches m’ont assuré de leur non ingérence dans nos affaires d’état. Je ne vois pas un pays accorder son soutien à une cause perdue d’avance.
NN : La Vietie peut-être ?
Gen. ME : Un régime communiste qui soutiendrai les vestiges d’un régime anti-communiste ? Le monde peut être un beau merdier, mais je ne pense pas qu’on en soit au stade où les opposés s’attirent…
NN : Le monde, justement. Vous avez fait part, lors de votre discours le soir du coup d'État, de votre volonté de rouvrir le pays au monde. Qu’en est-il actuellement ?
Gen. ME : C’est en cours, nous avons déjà reçu des demandes d'octroi d'ambassades, et avons reçu des autorisation d’en ouvrir. Au vu de la tâche qui est la mienne, et comme j’entends écrire les missives officielles personnellement, les débuts sont timides en matière de diplomatie, mais nous n’avons que des succès jusqu’ici. Nous avons même renoué contact avec la Clovanie, tout le monde se souvient comment le dictateur avait renvoyé les diplomates clovaniens avec pertes et fracas. Et bien ils ont accepté de renouer un dialogue amical, la réponse de leur diplomatie augurait un futur où le passé ne compterait que peu. La Lermandie a renouvelé son amical soutien, peut-être avec un peu plus de chaleur que pendant l’ère Kellem… bref, nous revenons petit à petit sur la scène internationale.
NN : C’est déjà une grande avancée en regard de la situation passée.
Gen. ME : il faut s’en féliciter, en effet, mais ne pas se dire que tout est joué. Une relation amicale entre nations, ça s'entretient. Pour l’heure, comme nous n’avons pas encore terminé de régler les problèmes inhérents à la diplomatie, et au vu de la tâche énorme qu’il reste encore à abattre, il est exclu pour moi de me déplacer pour des entrevues diplomatiques. Mais dès que je pourrai déléguer une bonne partie de mon travail, si je suis encore au pouvoir, il me faudra me déplacer pour rencontrer nos partenaires diplomatiques.
NN : Vous dites “si je suis encore au pouvoir”. Vous craignez de ne plus l’être prochainement ?
Gen. ME : Craindre ? Je l’espère oui, cela signifiera que mon époux et les membres de “l’étude du conseil de transition” ont trouvé un système qu’ils estiment viable pour notre nation, et qu’ils auront commencé à le mettre en place. Je l’ai dit lors du discours, je ne suis là que pour assurer l’intérim, faire tourner la boutique, et pourquoi pas, l’orienter dans la bonne direction. Mon rôle, c’est poser des bases saines pour la vraie administration qui gouvernera Nebrownia, dans un futur proche, je l’espère.
NN : On a plus l’habitude de personnes aimant le pouvoir que de personnes cherchant à le fuir.
Gen. ME : Je ne cherche pas à le fuir. J’ai une responsabilité dans les évènements, un rôle qui nécessite de prendre les rennes pendant que des gens plus aptes à le faire que moi réfléchissent aux nouveaux rouages de notre nation. Ce rôle, je ne l’aime pas du tout. Je préfère celui qui était le mien avant, je n’ai jamais envisagé d’aller plus haut dans la hiérarchie, ce rôle m’éloigne de ma famille. Mais ce rôle est le mien, et je l’assumerai jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il ne soit plus utile à la nation.
NN : Du coup, quels sont vos objectifs pour parvenir à poser des bases saines ?
Gen. ME : Des réformes, et beaucoup, beaucoup de travail. Nous devons donner un coup de jeune à notre industrie vieillissante, redonner un coup de boost à notre armée moribonde en commandant du nouveau matériel et en renforçant l’entraînement de nos professionnels, relancer les services scientifiques sur d’autres recherches que la production d’énergie… Trouver les bonnes personnes à mettre aux différents conseils aussi, toutes les personnes auxquelles j’ai proposé un poste n’ont pas encore répondu, ou l’ont fait de manière négative. Je ne les en blâme pas, je préfère quelqu’un qui dit “non, je n’en suis pas capable” à quelqu’un qui dit “oui” et plante tout.
NN : Nos conseils sont tous sans tête pour le moment ?!!
Gen. ME : Oui, les Conseillers ont quasiment tous tenté de fuir lors du coup d'État, et nombre d’entre eux sont soupçonnés de corruption. Tous attendent en résidence surveillée les résultats des enquêtes, mais au vu des résultats de leurs mandats, ils seront de toute façon interdit d’exercice.
NN : Mais... comment fonctionne le pays alors ?
Gen. ME : Pour le moment les administrations se suffisent, mais il est de plus en plus urgent pour moi de trouver des individus compétents pour prendre en charge les conseils. Les deux seuls que je puisse un tant soit peu gérer sont le Grand État Major et la partie logistique du Conseil de l’Industrie, de la production et du commerce. Mais la gouvernance m’accapare déjà tellement que je ne peux pas leur accorder le temps qu’ils méritent.
NN : voulez vous profiter de cette tribune pour passer un message ?
Gen. ME : (rit) En d’autres circonstances, j’aurai accepté, mais j’ai déjà trop de travail pour m’en rajouter en lisant CV et lettres de motivations pour le poste de conseiller. J’escompte bien avoir des réponses positives à quelques propositions que j’ai envoyées.
NN : Et si vous n’en avez pas ?
Gen. ME : Il me faudra peut-être me résoudre à en nommer certains, que ça leur plaise ou non. Cela reviendrait à faire comme un dictateur, mais je n’aurai pas le choix, je ne peux supporter le poids de la gestion et du redressement de Nebrownia seule, il me faut une équipe compétente.
NN : Avez-vous un profil type ?
Gen. ME : Compétent dans son domaine, patriote, travailleur et intègre serait l’idéal. Il ne faut pas compter ses heures, donc une certaine endurance est requise aussi…
NN : Eh bien il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bonne chance, nous sommes arrivés au bout de ces 15 minutes, et je devine que vous avez encore beaucoup de travail.
Gen. ME : En effet, mais cette petite interview m’a fait du bien… en parler m’a permis d’éclairer quelque peu mes plans d’actions. Je ne l'aurai pas soupçonné
NN : Peut-être vous serait-il profitable de renouveler l’expérience ?
Gen. ME : (rit) Peut-être, en effet, nous verrons bien.
NN : Merci de nous avoir reçu en tout cas, et bon courage, Générale.
Gen. ME : Merci, bonne continuation à vous aussi