08/07/2016
01:29:45
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[RP Interne ; Economie] News, histoires et brèves économiques

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Moumoune était tout content. Il chantait, sautillait, dansait, faisait des claquettes tout en tenant fermement la barre à deux mains. Sans être prétentieux, il se doutait que cela allait être la Pêche de l'année. Peut-être même la première Pêche de l'année. Et clac, les deux talons l'un contre l'autre. D'un coup d'œil, il vérifia son nouveau sonar. Qu'est-ce qu'il était beau ! Qu'est-ce qu'il était brillant ! Comme on voyait tous les petits poissons qui allaient rentrer dans son chalut ! Un léger coup de barre à gauche pour bien rester sur le banc et poursuivre sa chanson :

« Il y a de la joie ! Bonjour, bonjour les poiscaielles, partout il y a de la joie ! »

Ah ! Il était tellement heureux que manger un brownie maison ne pourrait pas le rendre encore plus content. La voix de son second surgit derrière lui :

« Moumoune, le chalut est plein !
- Qu'est-ce que t'attend alors, la Truffe ? Relève-le ! Dépêche-toi, on pourrait peut-être le relancer ! »

La Truffe descendit l'échelle glissante du chalutier sans même se tordre la cheville et aboya les ordres. La Truffe. La Truffe allait sûrement perdre son surnom : son flair pour orienter le bateau sur le banc de poissons n'était rien face à cette merveille de technologie qu'il avait enfin pu s'acheter. Dix ans qu'il essayait d'en avoir un. Soit c'était sa banque qui refusait, soient c'étaient les douanes. Impossible d'en importer un. Mais avec la prise de pouvoir par Noroît Emerson - ou plutôt sa Matilda, c'était vrai que c'était elle à la tête du pays, mais il connaissait beaucoup mieux son présentateur de mari - beaucoup de choses avaient changées. Grâce à ce nouveau climat, la banque avait donné son accord, les douanes avaient accepté de laisser passer sa marchandise et il avait pu installer ce beau sonar tout neuf reçu d'hier par le transporteur ! Le plastique neuf sentait mauvais à lui donner davantage de nausée qu'une mer de force neuf et il avait passé sa nuit à lire le manuel et en apprendre toutes les fonctionnalités par cœur pour être prêt pour la pêche du jour mais son beau joujou était une merveille.

« Moumoune ! On le remet à l'eau !
- Vas-y ! » acquiesça t-il en levant le pouce.

Le banc était encore là. Deux prises comme ça et les cales seraient pleines, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Les poissons étaient malins et ne se laissaient pas attraper comme ça. Combien de fois l'année dernière avait-il réussi à remplir ses cales à fond ? Oh ! Oh ! Peut-être que si ça continuait aussi bien, peut-être qu'il pourrait acheter un deuxième navire ? Et il en donnerait le commandement à la Truffe ? Oh ! Que ce serait tellement bien ! Il se sermonna pour arrêter de rêvasser : il fallait se reconcentrer sur la pêche, sur conserver le bateau au-dessus du banc, sur le remplissage des cales.

Du dehors, on entendait un sifflement joyeux.
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Sawani s'écarta d'un pas pour éviter le jet d'eau par les roues, puis se mit à la file. Il replia son parapluie, le secouant rapidement à la porte avant d'avancer pour ne pas ralentir la montée des usagers. Il chercha une place et se dirigea vers elle. À peine y eut-il posé le séant qu'il appela un petit grand-père qui s'accrochait à la barre du bus. Il se leva et alla le chercher pour le conduire à sa place. Après un rapide échange de «non, jeune homme, vous y étiez d'abord. - Enfin, je vous donne ma place ! - Mais non ! - J'insiste et je vous y amène ! » l’ancêtre céda et s'installa, pas mécontent de son sort. Sawani attendit le reste du trajet debout, repassant dans sa tête sa présentation programmée à dix heures. C'était une idée folle, est-ce que ça serait accepté ?

La radio du bus émit son petit jingle puis le présentateur commença à raconter les nouvelles. "Tout d'abord au Gondo, la guerre civile fait rage. Notre correspondant en ligne : « oui, ici, c'est la catastrophe, les habitants n'osent plus sortir dans la rue, ceux qui peuvent fuient la capitale. Les associations se préparent à intervenir mais Azur… » Ah ? Hugh ? Hugh ? Je crois que nous avons été coupés. Nous donnerons plus d'informations au prochain bulletin. Après quelques tentatives, c'est définitif, Sterus va quitter l'Azea. Les discussions sont en cours pour maintenir les accords mis en place. Nouvelles nationales maintenant : tous les conscrits ont été renvoyés dans leurs foyers sur ordre de la Générale Emerson. Le certificat d'accomplissement du devoir citoyen leur sera automatiquement délivré, a assuré la Générale. Variétés : le groupe Jaodune vient de sortir de prison. On se souvient comment le groupe avait chanté leur titre phare « Liberté, Délivrés » pendant les troubles pré-révolution. Ils prévoient d'organiser une tournée nationale. Et maintenant John pour la météo : « très mauvaise journée à prévoir aujourd'hui, que des nuages à l'horizon et de la pluie tout du long ! N'oubliez pas votre pardessus. » Merci John. Et maintenant, 30 minutes de musique non-stop ! »

Sawani se reconcentra sur sa présentation. Il failli en manquer son arrêt mais se signala au chauffeur du bus juste à temps. Il rouvrit son parapluie, le temps était effectivement un temps de merde. Heureusement, il était à l'abri sous la toile et il ne lui restait que deux pâtés de maison à parcourir. Une bourrasque impromptue retourna son parapluie. Le temps qu'il réussisse à le remettre dans le bon sens, il était déjà trempé. « Calice ! Foutu pour foutu ! » Il se mit à courir jusqu'à l'entrée, composa le code en un temps record et se demanda s'il réussirait à sécher avant sa présentation.


La réponse était non. Ses chaussettes faisaient « floc, floc » à chaque fois qu'il marchait, ses habits avaient doublés de poids, il avait froid et éternué déjà six fois. Il avait seulement réussi à se sécher un peu les cheveux en utilisant la moitié du papier pour se sécher les mains dans les toilettes. Une ombre apparut sur son bureau :

« Mon p'tit Sawani, on t'attend !
- Ah euh, oui, euh, j'a, j'a, j'a »

BORDEL ! Son bégaiement reprenait le dessus ! Il commençait à sérieusement paniquer. Quelle journée de merde ! Alors que c'était une présentation si importante ! Ça pouvait décider de son augmentation ! Voire même pourquoi pas ? Une promotion ? Son supérieur hiérarchique lui fit un grand sourire :

« Panique pas, tout va bien se passer. Tiens, respire un peu, je vais te préparer un thé bien chaud, ça va te faire du bien. »

L'histoire avait fait le tour du bureau. Il ne vit que des sourires goguenards ou moqueurs alors qu'il se dirigeait vers la porte de la salle de réunion. Le directeur de la société était là, mécontent.

« Monsieur Ahoutec ! La réunion était programmée à dix heures ! Veuillez vous dépêcher, s'il vous plait !
- Ou, ou, ou, oui, me, me, me, monsieur ! »

Il approcha son ordinateur de la fiche du rétroprojecteur. Ce dernier s'alluma mais refusa d'afficher autre chose que le nom de la marque du fabriquant qui voletait sur le mur comme pour le narguer. Il essaya de modifier les paramètres d'affichage mais rien de fonctionnait. Il s'en sentirait presque les larmes aux yeux !

« Monsieur Ahoutec ! Assez ! Continuez comme ça.
- Bi, bi, bien ! » dit-il en se redressant presque au garde-à-vous.

Il était sorti de son service six mois plus tôt et certains réflexes revenaient trop vite. Le directeur de la boîte lui faisait penser à son ancien sergent instructeur qui s'était fait un plaisir de se servir de lui comme d'un bouc émissaire. Deux ans et demi plus tard, il en faisait toujours des cauchemars. Sawani paniquait tellement qu'il ne savait plus trop ce qu'il devait dire. Son cerveau était vide de pensées. Son supérieur hiérarchique décida de le sauver en reprenant les rênes :

« Comme vous le savez, nous avons planché ces dernières semaines sur l'opportunité commerciale liées à ce changement de gouvernement. Nous rompons aujourd'hui avec trente ans de domination de Kellem. Avec les restrictions de ressources qui nous étaient imposées et qui sont maintenant levées, nous pouvons être plus créatifs. Déjà, nous pensons lancer une nouvelle gamme molletonnées triple épaisseur. Les nébrowniens vont découvrir ce que c'est que de s'essuyer avec du papier toilettes de grand confort.
- Oui, l'idée est intéressante, interrompit le directeur, vous en avez discuté avec la production ?
- Bien sûr ! Nos machines ne sont pas calibrées pour ça mais il est possible d'en acheter d'occasion à l'étranger. Les restrictions douanières ont été levées, c'est tout à fait possible. Nous avons fait des projections de la rentabilité de,
- Non, je rejette cette idée ! On ne sait pas encore ce qu'il va se passer. On ne va pas mettre nos maigres fonds dans un truc aussi hasardeux tant qu'on n'a pas un peu plus de recul. Les nebrowniens se torchent le cul avec du papier de verre depuis trente ans, je ne pense pas qu'ils verront l'intérêt d'acheter plus cher pour un pécu qui finira aussi aux chiottes. Hors de question. »

Là, ce fut le supérieur de Sawani qui tira la tronche. Lui et Sawani avaient tout misé sur cet investissement, cela pouvait procurer des fortunes, lancer la boîte dans une nouvelle ère ! Mais le directeur était un vieux con. Sawani se gratta la gorge. Il avait eu une idée mais son supérieur l'avait déconseillée. Tant pis, vu l'état de la réunion et de sa performance, il pouvait déjà faire une croix sur son augmentation alors il fallait tenter. Il respira à fond pour retrouver son calme et son courage et se lança :

« En, en, en se basant sur ce que dit Madame Emerson, c'est à dire que les opposants n'ont quasiment aucune chance de retourner au pouvoir, j'ai pensé à une éd, éd, édition limitée.
- Une édition limité de papier toilette ? Grogna le directeur. Qu'est-ce que c'est que cette lubie ? Et pourquoi mentionner les opposants ?
- Vo, vo vo, voilà, j'ai songé à une idée qui pourrait faire beaucoup de bruit. En bien ou en mal, mais on parlera de la société dans les journaux. Je pense que ça devrait même générer la trésorerie qui p-p-pourra p-p-permettre d'acheter les machines pour la création du papier de gamme luxe.
- Ah ? Poursuivez, jeune homme. »

Cette marque d'intérêt ragaillardit Sawani. Il se lança dans l'explication sans bégaiement aucun.

« On pourrait faire une grande campagne de récupération des affiches, dessins, posters, serviettes en papiers, tout ce qui est en papier et à l'effigie de Kellem. On le retraite et on lance une gamme limitée « Vengez-vous de la dictature, essuyez-vous avec Kellem ! ». On pourrait même tenter un crowdfunding : ceux qui envoient du matériel ou ceux qui paient en avance, auront une certaine quantité de rouleaux garantis livrés à la porte de chez eux ! »

Il y eu un grand blanc. Le directeur général était tellement rouge que Sawani crut qu'il allait lui jeter son cahier à la figure. Mais soudain, on entendit des applaudissements depuis la porte de la salle. Sawani avait oublié de fermer la porte de la salle et tout le plateau avait entendu. On entendait des « j'en veux ! » ou des « Je suis dedans ! » ou encore : « Il faut faire ça ! »

« Mais vous êtes cinglés ! On va se faire arrêter ! On va tous disparaître ! hurla le directeur.
- Par qui ? demanda extrêmement calmement le supérieur de Sawani. Vous oubliez que Kellem a été jeté en prison à coups de pieds aux fesses. Si la population refuse son retour, ça sera impossible. C'est à nous, citoyens, qu'il revient de manifester notre soutien par quelque moyen que ce soit. Ne fut-ce que celui-ci.
- Je suis d'accord, » ajouta le directeur de la logistique.

Tout le monde se tourna vers lui, les yeux ronds. Même le directeur en laissa tomber son stylo. Ce type était une légende dans la société pour ne jamais ouvrir la bouche en réunion ou si rarement. Et à chaque fois qu'il parlait, il se révélait avoir raison plus tard. Le supérieur de Sawani sourit. Il savait la partie gagnée.

Quelques jours plus tard, dans le bus, Sawani écouta les informations radio : « et maintenant, informations nationales : La société Lanata, productrice de papier toilettes, est sur toutes les lèvres ou plutôt au creux des fesses, sa première série « Torchez-le » est un grand succès. De tous les coins du pays, la société reçoit des colis de dérivés de papiers à l'effigie de Kellem pour qu'ils soient recyclés en tant que papier toilettes. Les dirigeants assurent qu'ils sont désormais en plein travail pour trouver un moyen de conserver le visage de Kellem sur leurs produits. « Cela ne sera pas facile mais c'est notre vœu le plus cher. Nous avons affaire à beaucoup plus de volume et d'enthousiasme que prévu, nous pourrons faire des tests de production. » assure Jim S. Rissey, le porte-parole de la société. Voilà une idée qui laissera des traces ! Et maintenant, la météo…»

Sawani sourit en descendant du bus. Il n'avait pas eu d'augmentation mais il avait reçu une prime exceptionnelle en tant qu'auteur de l'idée. Et plus que l'argent, c'était savoir son idée si vivement acceptée dans tout le pays qui le rendait fier. Maintenant, il allait pouvoir aller à l'étranger pour tenter de négocier une machine de production pour du papier grand luxe.
- Tiens ? Mais qu’est-ce que tu fais là, Hector ?

Archie venait d’arriver dans le couloir d’attente des bureaux de la télévision nationale. La présence d’Hector était très surprenante : que venait faire ici le président général de la première entreprise de peinture du pays ? Hector se posait la même question : que venait faire ici le gérant de la plus grande entreprise de fabrication de teinture du pays ? Avant qu’ils ne purent discuter, la porte de l’ascenseur s’ouvrit et sept autres directeurs généraux, directrices générales, VP Marketing, responsables produits et autres ribambelles de titres en descendirent, tous très surpris, un peu gênés et étonnés. Avant qu’ils ne purent s’expliquer, une petite porte s’ouvrit sur une salle de réunion de taille moyenne. À l’intérieur, outre les très classiques tables, rétroprojecteurs, tableaux blancs, se trouvaient Noroît Emerson vêtu d’un tailleur jupe homme gris foncé, son secrétaire en simple pull à col roulé noir, d’une jeune femme en tailleur jupe féminin apparemment intimidée et d’une étrange boîte blanche avec un liseré orange à côté d’un ordinateur. Les profils les plus techniques de l’assemblée entrante reconnurent immédiatement l’objet.


image du spectrophotomètre de table

L’un d’eux s’exclama même :

- Oh !? Mais que fait un spectrophotomètre ici ?

Noroît sourit et pointa les chaises de la table :

- Entrez, entrez, mes amis. Installez-vous. Vous êtes tous là. J’avais invité deux autres de vos collègues des sociétés Color Plumifagan et des Industries Chimiques Teinturières de l’Ouest mais ils se sont excusés et n’ont pas pu venir. Nous leur fournirons les résultats de notre réunion mais vous aurez un peu d’avance sur eux, du coup.

Mais excusez-moi, je vais cesser de vous faire mariner. Je vais vous expliquer pourquoi vous êtes ici. La plupart d’entre vous m’avez contacté pour savoir quelle était la couleur de ma cravate le jour où je me suis fait arrêter par la police politique à la télévision. C’est logique : c’est cette couleur qui a servi de ralliement. Les rues se sont vues envahir de vagues vertes, que dis-je ? De tsunamis ! Chaque manifestant, chaque révolutionnaire portait un T-shirt vert, un chapeau vert, une veste verte, des chaussures vertes ou n’importe quelle étoffe verte sur lui, les images ont fait le tour du monde. Cette couleur a été et restera le symbole de la révolution du peuple et de la déchéance de Kellem.

La majeure partie d’entre vous ou de vos services marketing l’ont bien compris. Pas tous, mais vous comprendrez pourquoi je les ai inclus quand même dans cette réunion. Vous avez voulu savoir quelle était la couleur exacte de ma cravate de ce jour-là pour la produire à grande échelle. Sauf que cette couleur n’est plus une simple couleur comme je vous l’ai dit. C’est un symbole. Je ne voulais pas, enfin, nous ne voulions pas Matilda, Ernest et moi, que cette couleur soit produite en exclusivité par l’une ou l’autre de vos entreprises. Il s’agit d’une couleur nationale et vous avez tous droit à la produire. Je ne dirai pas que vous en avez le devoir bien sûr, il s’agit de vos choix industriels, nous ne sommes justement plus en dictature, mais vous en avez tous le droit. C’est aussi pour cela que j’ai invité ceux d’entre vous qui n’avaient pas eu l’idée de produire cette couleur. Je veux que vous ayez tous la même chance, que ce soient vos compétences qui vous fassent mettre sur le marché cette teinte les premiers.

Le nom de cette teinte sera officiel : il s’agira du « vert de la révolution nebrownienne du 19 avril 2015 ». Évidemment, pour des raisons de packaging ou de commercialisation, vous pourrez marquer « vert de la révolution nebrowienne », « vert de la révolution du 19 avril 2015 » ou encore plus simplement « vert de la révolution » ou « vert révolution ». Cela à condition que quelque part ailleurs sur le packaging le titre complet soit mis. Pour votre information, nous avons un temps songé à l’appeler « vert liberté » mais nous avons estimé que cela serait trop restrictif pour vos services marketings, et puis même pour la liberté d’entreprendre et de créativité, ce qui est un comble vu le nom envisagé.

En conséquence, si vous voulez commercialiser un produit avec la couleur « vert de la révolution nebrownienne du 19 avril 2015 », vous comprendrez que nous serons assez stricts sur la tolérance acceptable. Bien que j’entends que les contraintes techniques ou financières puissent vous empêcher d’atteindre la teinte initiale. Ainsi, vous connaissez tous la tolérance ΔE puisque vous êtes du métier. Pour vous rassurer, je suis allé me renseigner chez un professeur d’optique qui est spécialisé dans les applications industrielles. Et John ici présent a pris les avis de deux autres de ses confrères pour éviter les biais. Nous en avons conclu que la couleur Vert Révolution du 19 Avril 2015 ne devrait pas avoir un ΔE supérieur à 2. En effet, je me permets de vous faire l’injure de vous rappeler que seuls les observateurs très entraînés sont capables de voir la différence avec la teinte originelle, cela nous a semblé être un bon compromis entre pureté du symbole et facilités industrielles.

Ah ! Avant que j’oublie. Les versions qui sont à utiliser sont ΔE94 ou ΔE2000.


Une main se leva. Le jeune homme qui voulait poser la question était rouge pivoine. Noroît s’interrompit puis le désigna. Il commença par s’excuser :

- Je suis désolé, je remplace au pied levé mon supérieur et je ne suis rentré dans la branche qu’il y a un mois. Je ne voudrais pas me tromper dans mon rapport parce que je ne connais pas le jargon. En plus, je suis du département marketing.

La jeune femme s’avança d’un pas, soudainement plus à l’aise, et alors qu’elle allait commencer, elle s’arrêta et regarda le présentateur télé.

- Oh ! Est-ce que vous me permettez, monsieur Emerson ?
- Bien sûr ! Faites donc, vous êtes plus qualifiée que moi, dit Noroît en présentant l’assemblée d’un geste ouvert de la main.
- Pour répondre à votre question, monsieur, il est nécessaire de définir une tolérance qui permet de dire « ces deux échantillons sont de la même couleur, ces deux là ne le sont pas. » mais il s’agit d’une mesure assez compliquée et plusieurs techniques existent. Il s’agit ici d’une mesure mathématique de la distance entre deux couleurs qui a été adoptée par la CIE, la Commission Internationale de l’Éclairage. Cette commission est l’autorité internationale en matière de lumière, d’éclairage, de couleur et d’espaces colorimétriques. Ça peut paraître disparate mais n’oubliez pas que lumière et couleur sont la même chose, physiquement parlant. La CIE a donc définit une norme pour uniformiser la manière de mesurer l’écart entre deux couleurs. La première formule proposée en 1976 permet de calculer la différence de couleur à partir des coordonnées de deux couleurs dans l’espace colorimétrique CIE L*a*b*. J’espère que je ne vous perds pas ? questionna-t-elle en rougissant elle aussi.

Le jeune homme hocha la tête tandis qu’un autre confirma oralement que c’était très intéressant et plus simple que ce qu’avait essayé de lui faire comprendre le chef de l’atelier. Sa remarque entraîna un rire général. La jeune fille dit :

- Je reprends alors. Le ΔE est calculé à partir de L* ce qui correspond à la luminosité, avec 0 le noir et 100 le blanc ; à partir de a* qui correspond à l’axe vert-rouge des couleurs. Avec le vert de la révolution, ça sera du négatif, tandis que les valeurs positives correspondent au rouge. C’est pareil avec b*, qui correspond à l’axe bleu-jaune, avec en négatif le bleu et en positif le jaune. Allez, soyons fous, je vous mets la version de la formule de 1976, vous allez voir, c’est simple !

Elle s’empara d’un stylo et nota :

image de la formule de delta E

- Vous connaissez ça par coeur ? s’étonna Noroît.
- J’ai l’impression que ce n’est simple que pour vous ! lança une des voix de l’assemblée.
- Mais non ! Vous allez voir, quand on comprend, c’est simple. Les formules des années suivantes précisent celles-ci donc elles sont plus compliquées mais celle-ci est simple. Souvenez-vous : j’avais dit que ΔE sert à mesurer les distances entre deux couleurs. C’est exactement ça. Cette formule correspond à une mesure de distance dans un espace à trois dimensions. Sauf qu’au lieu que ce soient les dimensions longueur, largeur, hauteur auxquels on est habitués, il s’agit des dimensions luminosité, axe vert-rouge et axe bleu-jaune. Imaginez qu’on cherche à mesurer la distance entre une petite brique en terre et un gros parpaing, c’est la même chose. Vous prendriez la longueur du parpaing moins la longueur de la brique, la largeur du parpaing moins la largeur de la brique. Et pareil pour la hauteur.
- Mais alors, pourquoi les carrés et les racines ? Et les additions ?
- Excellente question ! Commençons par la fin, c'est-à-dire les additions. On cherche à avoir la distance directe entre ces deux points dans cet espace à trois dimensions. Une distance directe, donc un chiffre unique. Donc, on les additionne, tout bêtement. Pourquoi les carrés ? Souvenez-vous que le bleu et le vert sont négatifs. En mettant au carré, on s’assure que toutes les différences qu’elles soient positives ou négatives contribuent de manière positive à la distance totale. En effet, dans la réalité, que la différence se fasse soit en augmentation soit en diminution, et bien, la différence compte quand même pour mesurer l’écart entre deux couleurs. La racine carrée, très logiquement, est pour ramener la somme des carrés à leur unité d’origine. Sans elle, la mesure serait exprimée au carré des différences, ce qui serait incohérent avec la perception de distance.
- Et vous aviez parlé d’autres versions ?
- En effet. Cette formule est trop simple. Elle a de grosses limites. Pour les couleurs très proches ou très saturées, ça ne permet pas vraiment de bien saisir les différences entre deux couleurs. La formule de 1994 prend mieux en compte les tolérances de l’œil humain. Et la dernière version, celle de 2000, elle est encore plus précise et ajuste les calculs selon la luminosité, la saturation et le contraste.
- Donc il faudra qu’on réussisse à produire un vert révolution nébrownienne qui ait une différence de maximum ΔE de 2 en calculant ΔE avec l’une des deux formules les plus récentes ? résuma le jeune remplaçant du département marketing.
- C’est tout à fait cela, acquiesça Noroît.
- Oui mais c’est quelle couleur finalement ?
- C’est là où intervient Leanne et son Datacolor Spectro 1000, soit le nom du petit bijou de technologie qui est ici. Je me suis dit que pour quelque chose d’aussi important, on allait le faire bien. Donc j’ai contacté Datacolor qui est une entreprise étrangère mais qui a quand même eu la très grande gentillesse de nous soutenir et de nous prêter cette machine avec sa conceptrice.

À cette explication, Leanne, la jeune fille qui donnait les explications se mit à rougir et à se cacher le plus possible mais le plus discrètement possible son visage. Cela ne passa pas inaperçu et eut même l’effet inverse sur l’assemblée qui se mit à sourire.


- Certains d’entre vous auront reconnu dans cet objet un spectrophotomètre de table. Leanne, des explications ?
- Oh, il n’y a pas grand chose à dire. Il s’agit juste de mesurer la propriété spectrale d’une surface pour déterminer sa couleur. Et cela donne justement des données colorimétrique dans l’espace CIE L*a*b*.
- Je crois que nous avons assez fait durer le suspense. Comment on procède ? Je vous donne l’objet en question ?

Leanne ouvrit une sorte de main noire sur le devant de l’appareil et dit :

- Placez votre cravate ici et refermez le bras. Cela va caler l’échantillon devant le détecteur

Noroît plongea la main dans sa poche sans la ressortir. Les spectateurs voyaient qu’il touchait le tissu mais son regard s’était perdu dans le vide. À quoi pouvait-il penser ? Lorsqu’il sortit sa main, ils comprirent son malaise. Plusieurs tâches de sang parsemaient l’objet, témoignage du difficile moment qu’il avait passé. Le présentateur télé eut un rire gêné.

- Je suis désolé, je me trouve un peu bête, je…. Sa voix devint plus basse. Je n’ai pas pensé à la faire laver.

La jeune fille ne perdit pas son calme et s’empara du fameux symbole.

- Ne vous inquiétez pas, on va bien trouver une teinte originelle.

Elle examina rapidement le tissu et trouva rapidement.

- Aucun souci : il y a plus de zones propres que souillées. Voulez-vous le mettre vous-même monsieur Emerson ? Pour le geste ? Ou je le fais ?
- Je pense qu’il vaut mieux laisser la spécialiste faire.
- Pas de problème. Ne vous inquiétez pas.

Elle repéra un endroit sain puis plaça précautionneusement la cravate devant le détecteur, la maintint alors qu’elle refermait le bras, vérifia que l’ensemble ne glissait pas et s’installa devant son ordinateur. Elle cliqua plusieurs fois pour lancer son programme. Pendant ce temps-là, Noroît demanda :

- J’imagine que vous voudrez avant tout envoyer les références à votre entreprise ? Je pourrai vous laisser quelques minutes.
- Franchement, je ne m’attendais pas à ce genre de réunion, monsieur Emerson. Je n’ai prévenu personne à mon entreprise. J’attendrai que ça se termine pour les contacter.

Les autres membres participants acquiescèrent à leur tour. On n’était pas à quelques instants de délai, malgré ce que pensait Noroît. Certains sourirent : ils avaient compris que c’étaient ainsi que fonctionnaient les journalistes qui, eux, étaient à la minute près pour publier en premier leur scoop.

La machine commença à ronronner doucement, faisant étonnement peu de bruit, puis cela s’arrêta. Soudain, la voix légère de Leanne transperça le silence :

- Alors, à partir de ce moment, le vert de la révolution nebrownienne du 19 avril 2015 est le suivant : C 82 %, M 0%, J 54 % et N 29 % ou pour ceux qui préfèrent la notation HTML, c’est du #21b653.

Au moment où elle énonçait les chiffres, Noroît les notait sur le tableau et John, son assistant, sur un cahier pour faire un futur communiqué. La messe était dite. Quelques questions se posèrent ici et là pour régler des derniers détails et des dernières incompréhensions mais la réunion se termina rapidement et les participants s’en allèrent. Le journaliste remercia chaleureusement la jeune fille, lui offrit deux brownies pour la remercier avant qu’elle ne retourne chez elle : l’un était pour elle, pour le trajet du retour ; l’autre pour son équipe et son directeur. Ils l’aidèrent à ranger son matériel et John la raccompagna vers la sortie. Noroît reprit sa cravate tâchée de sang, la regarda pensivement pendant quelques instants puis l’enroula doucement avant de la remettre dans sa poche.

Le soir, alors qu’il enlevait ses chaussons, assis sur le lit, il se retourna vers sa femme qui était miraculeusement revenue à la maison à une heure raisonnable et suggéra :

- Dis, ma petite sucrette, et si on remplaçait officiellement le vert du drapeau de Nebrownia par le vert révolution qu’on vient d’homologuer ?
- Noroît… commença t-elle d’une voix menaçante, laissant présager de la suite. Son mari ne s’y trompa pas et lança d’autres arguments :
- Mais ça ferait comme une nouvelle ère ! À bas l’ancien temps, hop ! Un nouveau drapeau !
- Touche à ce drapeau et je te jure, je fais une grève de sexe pendant deux mois !
- Mais ça serait bien !
- Tu veux vraiment ta cravate sur notre drapeau ? Tu trouves ça vraiment bien ?
- Mais chérie…
- Deux. Mois.
- Bon. Toi ou moi au-dessus pour commencer ?
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