Posté le : 07 jan. 2025 à 11:40:13
5192
Chapitre 1 – Né d’un mariage forcé d’Abou et Yamen
Le sultanat d’Abou
Lorsqu’un navire poussé par les vents approchait d’un port du sultanat d’Abou, son ventre était toujours gonflé et plein de marchandises, jusqu’à en déborder. Il venait s’agripper au quai pour se délester de l’ivoire, du cacao, des fruits et des bois exotiques qui entravaient son déplacement par la quantité ingurgitée dans les cales de bois.
Le sultanat d’Abou était un carrefour où navigateurs et caravaniers se croisaient. C’était un pays dont les seuls contours étaient la côte face à l’océan et les dunes sans fin du désert de sable. Dans ces limites, on ne pouvait imaginer terre plus exotique et plus riche.
Les maîtres des lieux étaient issus d’une dynastie descendant d’un général turco-mongol. Cette dynastie reposait sur le droit islamique et n’hésitait pas à faire preuve de mécénat pour attirer des nuées de talents, afin que le prestige pleuve sur leur pays.
Le royaume de Yamen
Si l’on suit ces colonnes de dromadaires qui avancent avec nonchalance vers le nord à travers le désert, on finit par apercevoir une multitude de pics rocheux perçant la cime des dunes. Nous voilà au royaume de Yamen.
Le cœur de ce pays repose au bord de la mer Leucytalée, à l’ombre des chaînes de montagnes qui apportent fraîcheur et l’isolent de la chaleur ardente du désert. Là, les pieds dans l’eau, écoutant le clapotis des vagues, des villes ont pris pied. Puis, par extension, dans certaines vallées blotties entre les montagnes, d’autres villes se sont installées le long des pentes, abritant en leur sein des vallées cultivées.
Ce pays, aussi riche que contrasté, était l’objet de bien des mythes au sultanat d’Abou.
Le dernier sultan d’Abou et le dernier roi de Yamen
En 1234, le sultan Abou Ad-Dubb (l’Ours) mourut, et son fils monta sur le divan. Le jeune sultan, âgé de 24 ans, avait reçu de son père une éducation martiale qui le poussa dès le début de son règne à réorganiser son armée. Il envoya plusieurs espions le long des routes commerciales qui traversaient ses terres et ses eaux.
En 1240, le jeune sultan décida de conquérir le sultanat de Yamen, situé par-delà le désert. Avec son armée, il s’apprêta à défier l’océan de sable, le soleil ardent et les vents brûlants. Jusqu’alors, seules les colonnes de dromadaires traversaient ce territoire, et ce, uniquement pour une brève traversée. Le regard plus brûlant que le soleil, le jeune sultan prit la tête de son armée et débuta la traversée. Grâce à une préparation logistique minutieuse et au rythme qu’il sut imposer à ses hommes et à ses chevaux, il parvint à atteindre les montagnes yamenites.
Sans attendre, il décida de se ruer vers la ville aux portes rouges pour couper la tête du serpent. En chemin, son armée pilla et brûla des villages. On raconte que l’armée était précédée par un nuage noir, visible à des kilomètres, et qu’on pouvait suivre sa progression à sa fumée. Les hommes et les femmes, paniqués par cette apocalypse de fer et de feu, fuyaient en masse.
Le roi Iskandar al-Dhahabi, voyant cette déferlante arriver, prépara la ville au siège.
Lorsque l’armée d’Abou atteignit les portes de la ville, celle-ci était barricadée et prête à résister. Le sultan décida alors de poser le siège et envoya plusieurs groupes dans les campagnes environnantes pour les soumettre. Convaincu que le temps jouait en sa faveur et que son armée avait besoin de repos, il choisit la patience et tenta d’asphyxier son adversaire, tel un boa enroulant sa proie.
Après plus d’une année de siège, le roi Iskandar contemplait impuissant le sultan Abou qui réduisait son royaume en cendres et lui dérobait son territoire sous ses yeux. Comprenant que sa forteresse devenait son tombeau, il décida de rassembler ses forces pour briser le siège. Persuadé qu’une victoire ferait fuir ses ennemis et rallierait ses sujets, il passa à l’action.
Les dents serrées et les poings fermes, le roi lança ses hommes affamés et désespérés dans une sortie surprise. Ce coup de force déstabilisa l’armée d’Abou, qui ne s’attendait pas à une telle audace. Le chaos s’empara du camp : le sang volait, les lames s’entrechoquaient, et chevaux et hommes tombaient sous les coups.
Le sultan, revenant d’une inspection dans une ville voisine avec sa garde personnelle, aperçut le tumulte. Il chargea avec sa cavalerie et envoya un de ses plus fidèles bashar (général) coordonner le reste de l’armée. Bien que l’attaque initiale du roi fût un succès, la bataille tourna rapidement en faveur du sultan. Iskandar, voyant son armée submergée, réussit malgré tout à fuir vers l’est, poursuivi par les hommes d’Abou.
siège de la ville aux portes rouges
Désormais, la capitale était sans défense et se rendit au sultan Abou, qui fut surnommé Al-Fatih (le Conquérant). Il accorda trois jours à son armée pour piller la ville, à l’exception des mosquées. Après quoi, le drapeau rouge flotta sur la ville aux portes rouges.
Le sultan se lança ensuite à la poursuite du roi Iskandar, désormais considéré comme un usurpateur.
Le roi Iskandar, acculé, tenta de surprendre son adversaire lors d’un passage stratégique connu sous le nom de « La bataille du pont des larmes ». Alors que l’avant-garde d’Abou traversait le pont, Iskandar et ses hommes chargèrent. L’avant-garde fut taillée en pièces, mais les soldats du sultan, tenant bon l’embouchure du pont, résistèrent au prix de pertes terribles.
Voyant la situation, Abou Al-Fatih conduisit sa cavalerie à travers un gué situé en amont. Contournant les forces ennemies, il les prit à revers, piégeant l’armée d’Iskandar. Une fois encore, le roi parvint à s’échapper, fuyant toujours plus à l’est.
bataille du pont des larmes
Iskandar trouva refuge dans un fort sur les rives de la mer Leucytalée, à l’extrême orient de son royaume. Encerclé et trahi par ses propres soldats, qui ouvrirent les portes au sultan Abou Al-Fatih, le roi fut tué dans son sommeil par le conquérant lui-même.
Ainsi, par le sang et le fer, les destins de ces deux États furent scellés, par-delà le désert.