Posté le : 29 mars 2025 à 16:51:54
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Seul l’atterrissage de l'avion sur le tarmac de l'aéroport fut à même de réveiller Eddonna. Tout du long du trajet, de son départ de Sivagundi tôt ce matin à son arrivée, aucune de perturbations, pourtant multiples, n'avait réussi à la sortir de sa torpeur. Ni les cris du bambin quelques rangées devant elle, les turbulences rencontrées en vol ou les ronflements de l'homme à sa droite n'y avaient fait : elle aussi avait profité d'un sommeil réparateur.
Elle n'émergea donc que lorsque les roues de l'appareil touchèrent le sol avec un léger cahot, la faisant revenir à la réalité. L'engin se dirigea ensuite vers un terminal, et elle attendit patiemment que tous soient sortis pour tenter sa chance. Elle avait fait le choix de voyager avec Boyaji!, l'entreprise stranéenne à qui elle avait confié le monopole du tourisme au Wanmiri quelques trois années plus tôt, et n'avait pas été déçue du voyage. La compagnie se développait bien, et le tourisme aussi. Certes, la plupart était des stranéens qui partaient visiter le Wanmiri, plutôt que l'inverse, l'économie wamirienne étant globalement trop faible pour vraiment permettre à ses citoyens de partir à l'étranger, mais la situation s'améliorait. Et ça lui faisait très plaisir.
Elle récupéra ses bagages sur le tapis roulant, et se dirigea vers l'extérieur. Là, elle fut rapidement abordée par un jeune homme souriant, qui lui demanda dans un hisiu (relatif) si elle était bien mademoiselle Tymeri, ce à quoi elle répondit favorablement. Il l'invita alors à la suivre, jusqu'à une voiture de simple facture dont il lui dit être le chauffeur. Il avait été missionné par Boyaji! également, à sa demande, afin de la conduire jusqu'à l'Hôtel Rijuhang, où elle devait rencontrer dame Haryanto. Si elle savait conduire - compétence rare au Wanmiri - et que cela ne la dérangeait pas, elle ne connaissait pour autant pas la région, et préférait donc être guidée. Et puis, elle était officiellement en vacances pour quelques jours, elle pouvait donc se permettre de se reposer un instant. Ce qu'elle avait jusqu'ici parfaitement fait, et qu'elle avait pour projet de continuer à faire.
La route était agréable sous le soleil montant, en cette fin de matinée au Hutan. Bien vite, le véhicule sortit des rues atrocement bétonnées, tristes et mornes, de la ville de Nojai même, se dirigeant vers les quartiers sud. Là, la végétation semblait reprendre ses droits, la route se faisant plus sinueuse, serpentant au milieu de la jungle et des champs à perte de vue. De temps en temps, ils croisaient quelques habitations, dont le style plus traditionnel faisait le charme du paysage. Eddonna, confortablement installée à l'arrière du véhicule, regardait par la fenêtre, admirant la beauté de ce pays de cent-dix millions d'habitants, qui arrivait pourtant à se montrer particulièrement désert - et beau - dans cette nature tranquille du sud du pays.
Une pensée vint pourtant assombrir ce joyeux tableau. Ces champs, ces jungles, si tranquilles à première vue, ressemblaient cruellement aux mêmes champs et jungles au Wanmiri. Champs et jungles où Eddonna menait encore, moins d'une décennie plus tôt, une guerre sanglante et fratricide contre l'Empire du Viswani. Elle avait appris à se méfier de ces territoires à l'apparence si enchanteresse, et à la considérer pour ce qu'ils avaient si longtemps été : des endroits parfaits pour des embuscades. Déjà, son esprit avait repris ses réflexes de guerre, cherchant où étaient les tireurs embusqués, où était le fusil-mitrailleur qui lui tirerait la balle fatale. Puis il dériva, se rappelant que le Negara Strana aussi avait connu sa propre guerre, une cinquantaine d'années auparavant, face aux colons fujiwans. Et de se rappeler que, si ces champs et ces jungles ressemblaient autant à Pavagi qu'elle avait laissé chez elle, à plus de trois-mille kilomètres de là, c'était parce qu'ils étaient effectivement semblables. Même décors, même végétation, même histoire... et à bien des égards, même peuple...
La jeune femme chassa de son esprit ces noires pensées. Le temps était, d'abord, aux réjouissances. Elles discuteraient plus tard du passé, de ses conséquences, du futur et de comment elles voulaient refaire le monde. Plus tard, plus tard, plus tard. D'abord, un peu de bonheur ; elle était en vacances, que diable !
Au détour d'un virage, la mer disparut à sa droite, masquée par la végétation, mais à sa gauche se révéla un magnifique bâtiment à un seul étage : l'Hôtel Rijuhang. Simple de facture, il possédait pourtant un charme certain. L'endroit tout entier possédait un charme certain, et l'on s'y sentait immédiatement à l'aise. Elle comprit sur le champ pourquoi Haryanto l'avait choisit pour être le lieu de leur rendez-vous. Les deux femmes étaient, décidément, similaires par bien des aspects.
La voiture se gara, les pneus crissant légèrement sur le gravier de la petite route. Celle qui, pour un jour, n'était plus la Première Ambassadrice du Wanmiri, mais simplement mademoiselle Tymeri, en descendit. Ses yeux, après la lumière feutrée prodiguée par les vitres teintées du véhicule, mirent quelques temps à s’accommoder à la luminosité. Mais elle n'eut pas besoin d'y voir pour reconnaître la silhouette et la voix de la femmes qui se dirigeait vers elle. Kawaya était là, et venait à sa rencontre.