Tamotu Tuiaa
Mais consciencieux, et par envie de montrer une vision positive de Kinagi aux camarades de l'organisation, il avait réalisé un travail de recherche et de renseignement assez important sur la Pal Pontaise, l'histoire des Blêmes et les réalités économiques, politiques et sociales de ce territoire. Il s'entretint également au téléphone avec Paolo Gordini, un sénateur velsinien dont on lui avait dit qu'il avait été en Pal et qu'il avait même déjà rencontré Rafael Slack. Dire que Tuiaa fut fasciné par l'histoire et par les réalités qu'il était en train de découvrir serait un euphémisme tant il venait de mettre la main sur un sujet qui, aussi bien politiquement que personnellement, l'avait marqué. Cela lui semblait être une situation classique de domination coloniale et impérialiste, thème si central pour le parti mais également dans sa vie personnelle. Il avait lu toute la documentation sur la Pal présente au siège de l'UICS, fouillé des dizaines de rapports anthropologiques, des témoignages plus ou moins fiables de prétendus voyageurs, et il examina même les fameuses légendes noires qui entourent ce peuple Blême si mystérieux.
Pour lui, en Taihoraniste particulièrement convaincu, c'était une évidence : les Blêmes étaient sans aucun doute des frères de lutte. Il reconnaissait, dans la façon dont on les dépeignait en monstres et dont on ridiculisait leur culture, la façon dont on avait, pendant des décennies avant la Guerre Civile, représenté son propre peuple. Les Blêmes n'étaient pas plus des mages noirs que les Aborigènes kinagiens des cannibales sauvages. Il en venait, peut-être par erreur — il le découvrira — dans son for intérieur à nier tout défaut à ce peuple si opprimé : tous les préjugés négatifs, sans exception, qu'il avait entendus n'étaient que de la propagande Polk honteuse colportée par des ignares, dont il faisait partie il y a encore quelques jours, incapables d'analyser efficacement les rapports politiques internationaux et la réputation d'un peuple sous le prisme de la domination politique et idéologique impérialiste.
Mais il le savait, cela lui avait été bien spécifié : le but de cet entretien n'était pas de faire une séance de discussion enflammée sur la nécessité de la Révolution anti-impérialiste mondiale, mais d'étudier, au nom de l'UICS et de tous ses mouvements internes, le bien-fondé et le sérieux d'une demande formulée par une organisation politique. Ses considérations personnelles et sa pensée sur la question Blême devaient rester secondaires dans cet interrogatoire. Ses opinions, ainsi que son sentiment de culpabilité interne pour avoir cru si longtemps aux clichés du Blême surnaturel, en dépit de tout bon sens matérialiste, attendraient son auto-critique révolutionnaire annuelle pour être formulées officiellement. Il était donc rentré dans le bureau de la rencontre, en avance pour le préparer, avec une pensée simple et objective : bien réaliser cet interrogatoire. Après avoir installé des chaises, calibré les outils de traduction et préparé du café, il s'installa sur une des dites chaises en attendant l'arrivée prochaine de son interlocuteur.