
L'heure de se mettre bien
Mais il y en a, à côté de ces cohortes d’intrigants, de soupirants et de murmurants, des individus qui se contrefichent des luttes de pouvoir en cours entre les dynamiques qui traversent la Grande République. Des Hommes politiques qui se laissent emporter par le courant en se mouillant le moins possible, ceux qui vivent leur vie, qui profitent autant que possible des troubles pour s'éloigner le plus possible de la cité. Les meubles éternels que tous les gouvernements successifs ont tendance à oublier: son excellence Sénateur et ambassadeur Mattia Mascola est de ceux là. Cela fait plus de quinze ans que cet aristocrate au regard impénétrable voyage aux confins de l'Eurysie de l'est et du Nazum tout en profitant de son mandat. En quinze ans, ce sont cinq gouvernements qui se sont succédé, et à chaque élection sénatoriale, Mascola est réélu à son siège sans que grand monde ne le remarque. Beaucoup s'interrogent: quel est le secret d'une telle longévité en politique velsnienne ? Mattia Mascola ne siège pour ainsi dire jamais au Sénat en vertu de son rôle d'ambassadeur, et on ne l'avait plus vu à Velsna depuis des années. Bien avant la guerre civile, il s'était éclipsé dans les steppes, là où naissent les histoires et les légendes entourant cet Homme.
Car aussi étrange que cela puisse paraître, la réputation de Mascola s'est fondée en son absence. De ses aventures en orient, cet aristocrate pouvant vivre sur ses propres deniers en a publie régulièrement des nouvelles et des histoires, qui passent de main en main au sein d'une société velsnienne en quête d'exotisme et de nouveautés. C'est ainsi qu'une foule d'admirateurs et de mécènes d'est empressée de financer chacune de ses campagnes électorales. Certains vont jusqu'à assurer l'entretien du "palazzo Mascola" en son absence. C'était cette petite association qui avaient prit la peine d'organiser cette soirée, célébrant à la fois le retour de leur "aventurier" et la réception d'un invité étranger d'exception.
En effet, le bouche à oreille avait rapidement fait son œuvre dans la cité sur l'eau. Mascola répéta les mots du dauphine Serge à certains de ses admirateurs, qui les répandirent à d'autres, qui eux même le répétèrent à des veuves aristocrates, qui le répétaient à leurs amies et ainsi de suite... A tel point qu'il fallu rapidement faire un "écrémage" des gens venus se presser au Palazzo Mascola, et demander au gouvernement communal de Velsna lui-même d'assurer la sécurité de cette soirée, qui au départ n'était qu'une affaire privée. Le dauphin n'était pas seulement une main à prendre pour les dames, il était aussi un objet de curiosité pour tous ceux au courant de la tenue de cet évènement.
Le Palazzo Mascola ouvrait ses portes ce soir, et tous savaient qu'il s'agissait là de l'un des endroits dans lequel on voulait être aperçu. Le lieu d'une soirée velsnienne d'exception où on chantait, et parlait de grands sujets à ne pas dormir. Nul doute que Mattia Mascola espérait que son invité oriental aurait les reins assez solides pour encaisser toute la soirée. Il suffisait d'observer dans cet atrium où se tiendrait la soirée, à quel point ce moment si distinguait d'un simple repas et d'un dodo à 21h. Au centre de cette grande salle au parquet ciré jusqu'à la trame avait et dressé une petite scène où des musiciens alternaient le son de leurs instruments traditionnels avec des chœurs de jeunes filles, qui entonnait déjà des chansons vieilles de plusieurs centaines d'années, avant même l'arrivée des invités vedettes.
J'aurais voulu être un vêtement, afin que toujours tu puisses me porter,
J'aurais voulu être de l'eau, afin que toujours je puisses te laver,
Et jusqu'en Achosie je t'aurais accompagné (X3)...
Autour de ces dames qui pratiquaient l'art du chant, on avait aménagé une vingtaine de "lits", qui du point de vue d'un étranger ressemblaient davantage à des chaises longues, luxueusement rembourrées de velours, sur lesquelles les invités s'allongeaient. Il ne s'agissait pas seulement de s'empiffrer et de s'enivrer devant des voix d'anges, car on attendait des invités à ce qu'ils soient capables de rhétorique et de capacités de réflexion sur les grands sujets, qu'ils soient capables de danser. On alternait ainsi nourriture, parlote et bons mots. On y écoutait les histoires des uns et des autres dont le but était d’impressionner l'autre, de le faire autant rire que pleurer. Le tout derrière des masques de toutes les couleurs que tous retireraient passé minuit.
C'est dans ce cadre festoyant que l'hôte de la soirée, son excellence Mascola attendait l'arrivée de son plus prestigieux invité, lui qui serait accompagné jusqu'au Palazzo par des membres de la garde wanmirienne, dépêchés pour l'occasion par le Sénat velsnien, qui allaient accompagner le dauphin à bord de l'une de ces barques luxueuses qui vont et viennent le long du canal San Stefano, à la lumière des lanternes...