Notre ministre des Affaires étrangères, Dmitrovich Karlov-Strazhenheim,
a été démis de ses fonctions pour son manque d'efforts.
En effet, ce dernier, en plus de ne pas signer ses ouvrages, ne rédigeait que quelques mots dans ses rapports.
Il était donc du devoir de notre admirable Tsar de remédier à ce problème dans les plus brefs délais !
Mr. Philippovich Etchebastanov
Philippovich Etchebastanov était un ancien cuisinier très renommé dans les trois États ayant précédé la fondation de Navgrokra-Sovonograd.
Je suis né un matin d’hiver, dans une petite ville tranquille où l’air frais semblait déjà porter l’odeur douce et intrigante de la viande de bœuf désossée. Dès que mes yeux ont vu la lumière, cette viande est entrée dans ma vie comme une évidence, une obsession, un fil invisible qui allait tisser le récit de mon existence. Mes souvenirs d’enfance sont étrangement clairs, et pourtant, tous se concentrent autour de la viande de bœuf désossée. Je me rappelle les dimanches matins où mon père m’emmenait au marché, un endroit où les étals étaient remplis de morceaux de viande qui m’évoquaient des promesses d’aventures gustatives. Et je revois encore ce moment précis où, à cinq ans, je touchais le couteau du boucher pour la première fois. L’habileté avec laquelle il découpait la viande, la tendresse de la chair qui se séparait des os… tout cela me fascinait. Ce n’était pas juste de la viande, c’était un art, une révélation.
Les années passaient et, plus j’avançais dans la vie, plus mon amour pour la viande de bœuf désossée grandissait. Adolescence rime avec apprentissage, et je me suis plongé corps et âme dans la préparation de cette viande. Chaque coupe, chaque morceau, chaque geste étaient une symphonie. J’ai appris à retirer les os comme on dénoue un mystère, à couper avec la précision d’un sculpteur, cherchant l’harmonie parfaite entre la texture et la saveur. C’était un don, un talent rare, et je savais qu’il n’y avait pas d’autre voie pour moi.
Mais mes amis, mes proches… ils ne comprenaient pas. Pourquoi cette fixation sur la viande de bœuf désossée ? Pourquoi je passais des heures à la découper, à la savourer, à en parler ? Pourquoi mes livres et vidéos étaient remplis de conseils sur l’art de la viande de bœuf désossée ? Mais peu importait leur incompréhension, car cette passion me guidait et je savais qu’il fallait que je la suive, coûte que coûte.
À l’adolescence, je me suis retrouvé à travailler dans une boucherie. Chaque jour, l’odeur de la viande grillée m’enivrait, mais c’était surtout le moment où l’on retirait l’os, où l’on redéfinissait chaque pièce avec tant de soin, qui me faisait vibrer. Là, dans cet espace clos, je n’avais qu’un but : perfectionner l’art du désossage. Le bruit du couteau qui fendait la chair, la vision du muscle qui se détachait, l’équilibre des morceaux… tout cela me comblait.
Le temps passait, et je m’enfonçais toujours plus dans mon monde centré sur la viande de bœuf désossée. Mes choix, mes relations, tout était influencé par elle. Elle était omniprésente, et j’étais à ses pieds. Les gens autour de moi s’étonnaient souvent de ma dévotion, mais rien n’y faisait. La viande de bœuf désossée, c’était mon oxygène. J’étais convaincu qu’un jour, cela finirait par prendre une forme plus grande. J’avais créé mon propre restaurant, un temple où chaque plat était un hommage à cette viande, où chaque assiette racontait une histoire. Les clients venaient, émerveillés par la tendreté, le goût, et l’exceptionnelle précision des découpes.
Mais tout a basculé le jour où notre Tsar est venu me voir. Je n’ai pas eu le temps de comprendre. La proposition était floue, mais l’urgence de la situation, cette sorte de pression qui émanait de lui, a fait que je n’ai même pas réfléchi avant de dire « oui ». À ce moment-là, je savais que ma vie allait changer, mais je ne pouvais pas imaginer à quel point. Et me voilà aujourd’hui, ministre des Affaires étrangères