Main de Sa Majesté, portrait officiel.
- Ne vous en faites pas, sir, mon temps ne presse jamais. Du moins, c'est ce que je me dis pour me rassurer. J’aime à croire que le temps, ce compagnon de tous les hommes et les créatures vivantes, est plus un allié qu'un adversaire. Lorsqu'on s'arrête pour respirer et pour réfléchir, nous pouvons nous rendre compte, bien que le temps défile vite, qu'il nous reste toujours plus de temps que nous le pensons. C'est dans la précipitation que les Empires s'effondrent, que les rois meurent suite à une guerre qui aurait pu être évitée, que les amants se perdent dans des paroles hâtives. Regardez ce que la lenteur a permis de faire. C'est de cette lenteur même que sont nées les plus beaux édifices de ce monde, les plus belles causes. Les légendes naissent peut-être dans la précipitation d'un événement soudain, mais elles subsistent grâce au bouche-à-oreille pratiqué sur le temps long. Tout ça pour dire que je serai votre hôte le temps que vous voulez, sir.
Vous parlez de l'Organisation des Nations Démocratiques comme si nous ne faisions qu'un. Je vous prie de croire que la réalité est un peu plus complexe que cela, bien que je suppose qu'en cas de vulgarisation, il est nécessaire de présenter la chose ainsi. Toutefois, je vous prie de me croire qu'au Palais Grayson (royal), je puis vous trouver des gens qui croient, bien souvent pour occuper leur temps, aux superstitions et au surnaturel. Mais Sa Majesté et le Gouvernement de Sa Majesté ne croient en aucune façon au surnaturel, bien que le sujet ait fait débat au sein du gouvernement. J'ai cru comprendre, cependant, que le sujet fut vite clos suite à un consensus général.
Il émit une pause dans sa marche avec son cheval avant de dépasser la frontière. Il descendit du cheval pour aller mettre à l'arrière de la charrette, par-dessous le tissu gris, son épée. Il se sentit beaucoup moins lourd sans son épée, et beaucoup moins en sécurité. Mais il avait observé la réaction des gardes qui accompagnaient le baron lorsque celui-ci avait sorti son épée de son fourreau. Il espérait que les Polks verraient la dépossession de son épée comme un geste fortement amical. Tout en remontant sur son cheval, il répondit au baron :
- Je suis navré de vous l'entendre dire, dit-il sincèrement au baron alors qu'il était remonté sur la selle de son cheval. Une ombre, vous dites. Il me vient immédiatement à l'esprit la guerre civile qui a traversé ma nation au XIXᵉ siècle. Pendant plusieurs décennies, la Couronne a vu son autorité s'affaiblir, les élites en étaient conscientes. Certaines se sont mises à parler de réforme, de monarchie constitutionnelle et même de désacraliser la religion afin que les tensions religieuses baissent. L'ombre que vous évoquez avec éloquence et sérieux me rappelle cela. Le pouvoir pensait pouvoir étouffer les revendications en usant de force et de répression, croyant que la peur suffirait à maintenir l'ordre. Mais l'ombre ne disparaît pas, même sous la contrainte et la force.
Les élites réformistes, au bout de vingt ans de guerres civiles, ont vu leur projet se concrétiser, avec violence. Pour continuer la métaphore, sir, il faut parfois observer l'ombre jusqu'à ce qu'elle vous obsède afin que les hommes éclairent cette ombre et qu'elle n'ait plus un recoin dans lequel se cacher. L'ombre ne se forme que lorsqu'un obstacle obstrue la lumière. Quels sont les obstacles ?
Sans savoir les raisons profondes, la Main de Sa Majesté gloussa à la blague du baron. Elle n'était pas des plus hilarantes qu'il avait pu entendre durant sa longue vie, mais ce n'était pas la pire, se dit-il intérieurement. Il arqua un sourcil aux dernières paroles du Baron, trahissant sa surprise. Le Royaume de Teyla et la Translavya n'étaient pas au courant de tel mouvement au sein du Grand Duché de Blême. Il savait que la population blême pouvait apparaître comme attrayante pour le Grand-Duché, mais le réveil de celui-ci ? Il ne l'aurait pas deviné. Du moins, si l'homme qu'il avait à côté de lui avait les bonnes informations en sa possession.
- Et selon vous, que pourrait bien révéler ce "réveil" du Grand-Duché ? Commença sobrement à répondre la Main de la Reine. Vous parlez de l'espoir, qu'espèrent les Blêmes ? Ils sont certes en Translavya et en votre nation, mais cela n'est pas forcément synonyme de pouvoir ou d'influence. Je crains que si le Grand-Duché souhaite obtenir de l'influence auprès de la République Translavique, alors celle-ci risque de se défendre. Sans connaître fondamentalement la réaction de la République, je ne fais que supputer.