04/10/2015
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Visite du Khalife Kubilay d'Azur à Caribeña

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Visite d'Etat de Son Altesse Sémillante le Khalife d'Azur à Caribeña
28.07.2015 - 06.08.2015

chill guys

A peine quelques jours après l'arrivée du cargo d'aide humanitaire affrété par l'Azur pour venir en aide aux populations frappées par le tsunami du Deltacruzando, le Califat constitutionnel se préparait à poser un nouvel acte fort pour démontrer son amitié avec la République de Caribeña : la visite du chef de l'Etat, Commandeur des Croyants, chef symbolique et temporel de l'Azur, Son Altesse Sémillante le Calife Kubilay al-Mârwâni al-Dîn Ibn Sayyid.

Elu à la fonction suprême par le Conseil des Oulémas en 1997, le Calife Kubilay était une personne réservée et secrète, qui n'avait jamais accordé d'interview publiquement ni tenu d'autres discours que ceux des prêches, lors des cérémonies religieuses et des prières dont il dirigeait le déroulement. D'obédience soufie, on le savait plus conservateur que ses prédécesseurs, qui avaient permis que l'Azur vive une grande phase de libéralisation entre 1978 et l'an 2000 ; vingt ans de soulagement après les dures années de plomb de la dictature républicaine nationaliste et laïque, qui avaient vu l'émergence d'un régime hybride, faisant la synthèse d'un système parlementaire pluraliste et d'un modèle de gouvernance religieux fondé sur le droit islamique. Une synthèse qui n'était pas sans poser de questions sur la pérennité d'un tel modèle. Néanmoins, depuis 1997, le bon déroulement des élections avait montré que le Calife n'avait pas l'intention de s'opposer frontalement à la tendance lourde de démocratisation et de sécularisation des mœurs, bien que le parti califal au pouvoir, la Nahda, soit lui-même traversé de tendances contradictoires.

L'Azur avait un travail important devant lui. L'année 2015 s'ouvrait avec de nouvelles perspectives économiques, qui demeuraient barrées derrière des horizons incertains. L'économie était erratique. Les débats intérieurs se concentraient sur des clivages liés aux dégâts des industries énergétiques, autant que sur leurs bénéfices.

Suivant l'avis de son populaire ministre des Affaires étrangères, l'influent Jamal al-Dîn al-Afaghani, islamo-démocrate de l'aile gauche progressiste de la Nahda, le Calife avait fait de la politique étrangère un moyen de relancer le prestige de l'Azur et de donner à son règne un éclat nouveau. L'Azur s'était ainsi lancé dans une politique active autant que dans une campagne de communication pour promouvoir sa vision du monde. L'objectif ; nouer de nouveaux partenariats, créer de nouveaux liens, trouver des terrains d'entente non seulement avec les puissances traditionnelles, mais aussi avec les Etats émergents du Sud Global.

La stratégie azuréenne pour se lancer à la conquête du Paltoterra commençait à s'articuler. Agatharchidès voyait ce continent comme le moteur de l'économie mondiale, les économies alguarenaises et kah-tanaises se hissant en tête du classement de la richesse mondiale depuis quelques années ; les deux puissances voisines étaient des acteurs majeurs de la politique internationale, avec lesquels l'Azur espérait nouer des liens.

Le Califat ne négligeait pas non plus les Etats moins massifs ; la République de Caribeña était un pays de taille plus modeste. Mais la taille seule ne peut compter ; savoir se servir de ses ressources était essentiel. La nature du régime populaire de Caribeña, ses tentatives de diversifier son économie et de pérenniser son système politique résonnaient avec les propres préoccupations de l'Azur. Et surtout, le pays avait été touché par un désastre naturel des plus effroyables. L'afflux d'aide humanitaire pour les victimes du tsunami du Deltacruzando avait été l'occasion d'un premier contact positif entre l'Azur et Caribeña. Les deux régimes commençaient à nouer une relation prometteuse.

Par ailleurs, Caribeña était un pays qu'on disait baigné d'un soleil magnifique, regorgeant de produits tropicaux remarquables, et habité par une culture populaire qu'on ne trouvait nulle part ailleurs. Le charme de ses villes bordées de palmiers, de ses villages côtiers de pêcheurs, de ses quartiers aux murs peints aux couleurs de la Révolution attirait autant les aventuriers et les spécialistes qu'une nouvelle génération de touristes de la classe moyenne. Ainsi, des opportunités économiques se déployaient en même temps que l'occasion de nouer une entente bilatérale avec un pays stratégiquement situé, et dont l'importance dans la politique mondiale demeurait encore insoupçonnée de concurrents potentiels.

C'est donc dans un état d'esprit serein que le dirigeable zeppelin Al-Mûstangîr, qui transportait Son Altesse Sémillante, descendit sur l'aérodrome international de Maravilla, République de Caribeña, en ce 28 juillet 2015 au soir, pour que commence le premier voyage d'un Calife au Paltoterra oriental.
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C’était une rencontre singulièrement marquante, teintée d’un symbolisme profond et d’un imaginaire presque mystique. Elle captivait les esprits non seulement par ce qu’elle signifiait, mais aussi par la stature de l’hôte: un haut dignitaire étranger incarnant, par sa fonction et son aura, une autorité religieuse suprême. Un événement d’autant plus notable qu’à Caribeña, l’histoire entre religion et État a toujours emprunté des chemins discrets, presque distants. Depuis la chute de la dynastie Pareja, aucune véritable politique religieuse n'a vu le jour. La Révolution, bien que bouleversant le paysage social et politique, n’a jamais investi la religion d’un rôle central ni tenté de la supprimer. À Caribeña, la foi s’est faite calme, souvent héritée des générations qui ont vécu avant le grand tumulte révolutionnaire, et pour l’essentiel, la population s’est éloignée de toute appartenance religieuse rigoureuse.

Et pourtant, ici, en accueillant la plus haute figure d’Azur — une apparition rare et solennelle —, le pays osait une démarche inédite, presque audacieuse. Ce geste ne manquait pas d’ambition. Pourtant, il est à noter que le peuple caribeño n’entretient pas de méfiance particulière envers les religions. Leur relation à la foi n’a rien de belliqueux ni même de mépris ; elle est tout au plus neutre, souvent encline à une cordialité respectueuse. Parce qu’ici, dans cette côte façonnée par les échos de révolutions et les vents de l’Histoire, la religion n’a jamais été perçue comme une menace, ni comme un instrument de domination, ni comme une source de conflits ni de conversions forcées. Elle n’a jamais, dans la mémoire caribeña, incarné le fer ou le fouet. Ainsi, accueillir cette éminente figure, c’était célébrer non pas une soumission, ni une adhésion, mais plutôt un échange, empreint de respect, entre deux mondes qui, bien que différents, ne se sont jamais combattus.

On pourrait être tenté de croire que cette rencontre se limitait à un dialogue religieux, qu’elle se plaçait uniquement sous l’ombre de l’Islam, comme si sa seule finalité était de marquer l’arrivée d’une éminente figure islamique foulant pour la première fois le sol caribeño. Mais en vérité, la portée de cet événement dépassait largement le cadre spirituel. Il ne s’agissait pas simplement de foi ou de dogme. Cette rencontre était, avant tout, la manifestation d’une volonté commune, celle de renforcer les liens entre deux nations : celle de Caribeña et celle d’Azur, unies par le désir profond d’offrir le meilleur à leurs peuples respectifs.

La diplomatie caribeña, orchestrée avec soin par le ministère des Affaires étrangères, mais surtout incarnée avec une ferveur sincère par le camarade président de la République, Sol Marquez, portait ici un message limpide. Dans un monde où les équilibres géopolitiques restent fragiles, Caribeña aspire à étendre ses relations, à les rendre plus vastes, plus diversifiées. La petite nation, prisonnière de ressources modestes, n’en déploie pas moins une diplomatie hardie, ambitieuse, ajustée avec précision à ses moyens. Chaque rencontre, chaque dialogue, ne saurait être fortuit ou anodin. Non, dans ce geste, dans cet échange, il y avait une affirmation claire : si Caribeña choisit de vous parler, de s’asseoir à votre table, c’est que vous portez en vous quelque chose de singulier, une richesse unique, une qualité précieuse que d’autres n’ont pas.

Les vents chauds de Maravilla dansaient autour de l’aérodrome international, agitant doucement le drapeau Caribeña qui flottait avec fierté à côté de l’étendard azuréen. Les couleurs éclatantes du couchant semblaient avoir été convoquées spécialement pour l’occasion, illuminant la scène avec une théâtralité que même le plus talentueux des metteurs en scène n’aurait pu espérer. Sol Marquez, camarade président de la République, ajusta machinalement le col de son uniforme d’apparat, sans aucunes dorures d’insignes militaires. Sobriété.

L’instant était solennel, mais pas austère. Dans son habit ajusté, Marquez portait sur son visage l’expression ambivalente d’un homme qui connaît à la fois le poids de l’Histoire et la nécessité des gestes symboliques. À ses côtés, César Murillo, le ministre des Affaires étrangères, un homme à la carrure plus modeste mais au regard perçant, se tenait presque immobile, les mains croisées dans une posture de respect calculé.

Derrière eux, une rangée de jeunes pionniers de la Révolution portait des bouquets de fleurs tropicales qu’ils allaient offrir à l’illustre visiteur. Leurs visages, lumineux et innocents, reflétaient l’excitation générale de cette journée unique. Le vrombissement grave du dirigeable Al-Mûstangîr remplissait encore l’air, sa carène imposante planant comme un monument céleste au-dessus des sols irradiés de chaleur. Son arrivée avait magnétisé l’atmosphère, comme si le territoire tout entier retenait son souffle à l’idée d’accueillir pour la toute première fois la figure énigmatique et profondément respectée du Calife de l’Azur.

Sol Marquez le savait… Les moments de pareille importance ne pardonnent aucune improvisation. Mais ce soir, il n’y aurait pas de faux-semblants, pas de gestes creux. La visite du Calife s’inscrivait dans une stratégie mûrement réfléchie et assumée. Elle était aussi, à sa manière, un acte de foi. Pas une foi spirituelle — Caribeña n’avait jamais eu vocation à dissimuler ses héritages laïques de la Révolution — mais une foi dans le futur, dans les relations humaines capables de défier les frontières, et dans la promesse implicite qu’une coopération sincère peut établir là où tout semblait les opposer : entre une république socialiste, résiliente et fière de son peuple, et un Califat constitutionnel dont l’identité naviguait entre tradition et modernité.

Tandis que l’échelle du dirigeable s’abaissait avec une lenteur calculée, Marquez ressentit une lourdeur familière, celle des moments qui échappent au contrôle individuel, mais où chaque regard est tourné vers lui, en attente. Il se redressa légèrement, son torse bombé par une posture naturelle de soldat révolutionnaire, puis décrocha un sourire qui orna son visage buriné de leader populaire.

L’apparition du Calife marqua un renversement dans l’atmosphère. D’un coup, l’agitation des journalistes, des officiels et du cortège s’interrompit. Tous suivirent de loin le pas cérémonieux des dignitaires du Califat qui descendaient les premiers, et lorsque leur Commandeur des Croyants se manifesta, une onde de murmures presque muets parcourut l’assistance. Sol Marquez, de son côté, bouillait intérieurement. Pas de nervosité cependant, non, c’était une vigilance lumineuse, celle d’un homme prêt à écrire un chapitre d’histoire. L’image était parfaite, on avait là deux figures ayant chacune leur monde à représenter, leur vision à incarner.

Le Calife descendait à présent avec lenteur, mais ce n’était pas cette silhouette silencieuse et distante qui préoccupait Sol Marquez, c’était ce qu’il allait incarner à cet instant. Une main à serrer, une invitation à formuler, une alliance frémissante encore à dessiner. Au moment où les pieds du dignitaire azuréen touchèrent le sol de Caribeña, Sol leva la main, chaleureux, engageant, le pas ferme mais sans prétention. Il avança vers lui avec une maîtrise parfaite du cadre, bien conscient que ce geste paraissait presque chorégraphié vu d’un appareil photo ou d’une caméra, mais sachant aussi qu’il appartenait uniquement à eux deux de donner un sens à cet échange.

Le sourire de Marquez s’élargit à mesure qu’il se rapprochait. Quand ils furent assez proches pour s’étreindre, il murmura dans un caribeño teinté de la rudesse propre à sa voix :

« Vous êtes le bienvenu, Señor Califa. Caribeña vous ouvre ses bras avec le soleil. »

Puis, levant légèrement son bras libre, il désigna la haie d’honneur faite de pionniers et d’hommes de la révolution, avant de faire un léger geste vers le ciel encore paré des derniers feux d’or. Une brise plus fraîche commençait à s’élever, comme pour tempérer la chaleur éclatante de l’accueil. Désormais, la scène passait au dialogue. Et ce dialogue, Marquez en avait bien conscience, déterminerait plus qu'une relation. Il ouvrirait peut-être un chemin vers une nouvelle compréhension entre des mondes encore inconnus l’un à l’autre. Tout le reste, Sol Marquez le confiait à ce moment entre hommes — à leurs mots, à leurs regards.

« Votre venue ici, votre Altesse, n’est pas simplement une visite diplomatique, » entama-t-il, choisissant ses mots avec soin, d’une voix grave mais teintée d’un enthousiasme palpable. « C’est un moment que l’Histoire retiendra. Car entre nous deux, entre l’Azur et Caribeña, il existe là une opportunité rare. Nos peuples... » Il marqua un léger silence, laissant ses mots prendre appui sur l’écho lointain des applaudissements derrière eux, avant de tourner légèrement son regard vers l’horizon chargé de lumière.

Puis, s’arrêtant sur cet instant de gravité bien pesée, il détourna son attention des grands discours pour revenir à une tonalité plus directe, plus personnelle. Toucher à la profondeur symbolique, oui, mais guider maintenant vers le concret. « Je vous propose que nous laissions les officiels suivre le cortège, et que vous-même, ainsi que quelques-uns de vos proches conseillers, m’accompagniez jusqu’à mon bureau privé, juste ici, dans le pavillon présidentiel près de l’aérodrome, » ajouta-t-il d’un ton plus léger, tout en tendant un bras vers une élégante bâtisse blanche en contrebas, à courte distance. « Je souhaite que nos premiers échanges soient simples, sans comme il faut, entre vous et moi. »

Il tourna légèrement son corps pour faire un pas en arrière, comme pour mieux accueillir l’assentiment du Calife, sa posture pleine d'ouverture mais aussi d’assurance. Derrière lui se profilait ce pavillon sobre et fonctionnel, érigé dans un pur style moderniste caribeño, avec ses tons de blanc et ses arcs inspirés de l’architecture populaire. De là-bas, la brise marine venait se mêler subtilement aux effluves des fleurs omniprésentes. Des lieux bien plus officiels et grandiloquents attendaient sûrement le Calife pour les prochains jours de la visite — le palais présidentiel de Maravilla, les réceptions diplomatiques, les dîners d'État. Mais Marquez, en stratège d’une diplomatie pragmatique et sincère, avait fait le choix d’une entrée en matière délibérément humble. Loin des regards inquisitifs des caméras, cette réunion dans un cadre plus intime offrirait une opportunité de poser les bases solides du dialogue et, bien plus encore, de donner de la profondeur humaine à ce qui risquait autrement de rester une formalité.

Il tourna sa tête une dernière fois, jaugeant avec calme la réaction du Calife. Dans ses yeux brillait une conviction tranquille, mais aussi une légère malice propre à son caractère de camarade président habitué à manœuvrer dans les méandres de la politique.

« Nous avons des fruits tropicaux qui n’attendent que vous. Et si le vent se lève, peut-être même un rhum caribeño enfin, si c’est acceptable pour vos usages, bien entendu, » ajouta-t-il avec un sourire sincère, mélange habile d'humour et d’un respect profond pour la culture et les coutumes de son invité. « Qu’avez-vous envie de partager, Calife Kubilay, avant que la grande scène ne nous réclame à nouveau? »

Et là, sur cette note ouverte, il offrit au chef azuréen l’occasion de prendre la parole selon son style propre, de choisir l’angle du dialogue ou de réagir à cette invitation à une rencontre plus intime. De son côté, Sol Marquez était prêt, attentif et parfaitement maître de son rôle, poser l'échiquier, mais laisser les pièces en mouvement entre les mains des protagonistes.
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Maravilla

L'interprète traduisait les propos du Président Sol Marques dans l'oreille du Calife. Celui-ci demeurait à demi caché par le soleil, s'abritant sous une large ombrelle déployée par quelqu'un de sa suite. L'air était moite, imprégné de l'humidité de la mer et de la latitude tropicale. L'air brûlant du désert azuréen n'avait pas le même contact.

Kubilay déchiffra le paysage de Maravilla, aux encorbellements et aux couleurs nichées au plus près de la mer. Les demeures anciennes, à l'élégance presque coloniale, abritaient des échoppes et des bureaux de tabac vétustes. Du linge pendait aux fenêtres. Les oiseaux chantaient dans les rues, sautant d'un palmier à l'autre.

Saisissant dans ses mains le cigare qu'on lui présentait, il se fit expliquer la manière de fumer le tabac à Caribeña. C'était une richesse nationale, qui avait été la source d'une grande richesse à l'époque des colonies, des planteurs, des galions et des pirates. La plante aux feuilles enivrantes croissait à Caribeña, comme dans tout le Nouveau Monde, avec une vigueur et une qualité uniques. Ces rouleaux parfumés se prêtaient excellemment aux conversations détendues. Tirant une bouffée sur le cigare qu'un assistant avait allumé pour lui, le Calife plissa les yeux en dévisageant son vis-à-vis, le Président Sol Marques.

C'était assurément une autre trempe d'homme. La révolution caribeña était toute récente ; en 1994, Kubilay lui-même était encore inconnu du peuple dont il présidait aujourd'hui aux destinées ; sous le Khalife Bûrwanî, il n'était qu'un savant de l'islam parmi d'autres, avant d'être élu à la fonction califale en 1997, quand au milieu du printemps, Son Altesse avait été rappelée à Dieu. En même temps, à Caribeña, Sol Marques et ses camarades menaient la guérilla contre le régime bananier des Pareja. Les armes à la main, ils avaient libéré leur peuple et construit une République nouvelle. Tout ici avait été fait de leurs mains. Kubilay s'intéressait à ces hommes-là, qui ont vu le feu et le sang, et que les hasards de l'Histoire et la volonté invisible du Créateur propulsaient aux premiers rangs. Sol Marqués était l'un d'entre eux. D'ailleurs, une aura légendaire baignait le Président de Caribeña ; n'avait-il pas de ses propres mains assisté à la naissance prématurée d'un enfant sain et sauf, lors de la Marche commémorant la Révolution ?

Par le truchement des interpètes, Kubilay et Sol Marques échangèrent quelques mots en privés. Les visites officielles démarreraient dans l'après-midi et se poursuivraient pendant quelques jours. Autour du cigare, ils sympathisèrent.

— Je connais un poème de votre pays, dit le Calife en passant par son interprète, avant de déclarer en espagnol :

La memoria, simplemente,
dentro de la oscuridad,
puede ser el filo de una espada,
el nudo en una cuerda, el caos,
la propia voz como un martillo
en el silencio;
o, por el contrario,
una estrella joven
brillando, inesperadamente,
sobre el fondo de la noche.


C'était un poème d'un auteur maravillais, qui avait vécu au XXème siècle les épisodes douloureux de la dictature Pareja, du travail forcé dans les plantations de canne, et qui avait participé aux premières étincelles du mouvement révolutionnaire.

La mémoire, simplement,
dans l’obscurité,
peut être le fil d’une épée,
le nœud dans une corde, le chaos,
la propre voix comme un marteau
dans le silence;
ou, au contraire,
une étoile jeune
brillant, étonnamment,
sur le fond de la nuit.

HRPPoème de Roberto Branly, écrivain cubain (1930-1980)

Son Excellence Muhammad Badie était le secrétaire personnel de Son Altesse Califale. Lorsque démarra l'entretien privé entre les deux chefs d'Etat, il se laissa entraîner par ses homologues Caribeño vers des salles de travail où s'alignait une longue table, deux rangées se faisant face, avec des chaises le long des murs pour les traducteurs et rédacteurs divers. Les deux drapeaux étaient accrochés dans un coin de la pièce ; la lumière de la ville entrait par les larges fenêtres. Avec amabilité, les représentants du gouvernement républicain proposèrent le début des discussions.

Assis au centre de la délégation, les mains croisées en signe de sérieux, Badie commença un discours de remerciements à destination des Caribeños, les félicitant pour leur accueil chaleureux et la beauté de leur capitale. Il fut applaudi dans la salle, puis l'on ouvrit les cahiers disposés à chaque siège, afin de passer aux travaux pratiques de la diplomatie. Sur des feuilles blanches se trouvaient imprimés les premières versions d'accords bilatéraux divers.

— Messieurs, mesdames, señores, señoras, je vous propose de commencer par l'étude d'un accord commercial. Celui-ci vise à établir entre nous une relation commerciale d'échange réciproque, basée sur le principe de la solidarité et de la non-monétisation. Conformément aux principes républicains de Caribeña, cet échange serait un troc établi sur un taux d'échange, sur deux marchandises cruciales pour vous et pour nous. Vous le savez peut-être, l'Azur vit en ce moment un phase économique compliquée, liée notamment aux importations alimentaires qui font peser un poids important sur le pouvoir d'achat des ménages. La nourriture coûte cher, et notamment les aliments de base, comme la farine, l'huile ou le sucre. Caribeña étant un grand producteur de sucre de canne, nous serions intéressés à pouvoir établir un contrat pérenne pour nous ravitailler en sucre, et ainsi assurer un prix stable de cette denrée sur notre marché domestique. Réciproquement, et sans offense pour vous, nous avons partagé des réflexions sur le dynamisme de l'économie de Caribeña, qui est largement tributaire des importations de pétrole, qui pèsent près de 2,5 milliards de dollars internationaux sur votre balance commerciale, avec les incertitudes que l'on sait quant à la variabilité de ce prix à payer pour l'économie locale. Nous vous proposons l'offre d'un ravitaillement régulier en pétrole, en contrepartie de la fourniture de sucre. Nous proposons un taux d'échange de 6,75 barils contre 1 tonne de sucre, en nous basant sur une analyse de nos besoins réciproques et des bénéfices économiques que pourrait susciter un tel échange. Par ailleurs, nous proposons que ce taux d'échange rende inutile la nécessité de recourir à une monnaie quelconque, rendant notre accord d'autant plus fiable et solide qu'il sera directement piloté par les administrations centrales, et non par les marchés de change ou les places boursières internationales. Ce partenariat de solidarité économique nous semble un premier pas intéressant pour renforcer notre coopération bilatérale. Nous sommes à votre écoute pour y apporter des amendements éventuels, et sommes ouverts à d'autres propositions de votre part, avant d'aborder les dossiers suivants.

Proposition d'accord économique et commercial

Article 1 : échange de matières premières, "Sucre contre Pétrole"
Caribeña fournira un million de tonnes (1'000'000 t) de sucre de canne raffiné à l'Azur, en échange de quoi l'Azur fournira six millions sept-cent-cinquante mille barils (6'750'000 brl) de pétrole conventionnel brut à Caribeña. Le taux d'échange entre les deux biens est établi à 0,149 tonnes de sucre pour 1 baril de pétrole (quantité de sucre en tonnes raffiné en tonnes échangeable contre un baril de pétrole).

Article 2 : mécanisme d'ajustement
Le taux d'échange entre les deux biens pourra être réétabli par concertation mutuelle, à raison d'une fois par an.

Article 3 : configuration des échanges
La production et la livraison du pétrole azuréen sera confié à la société nationale PETRAZUR. La production du sucre caribeño sera confié à une société nationale. La logistique du transport des marchandises sera confiée à une société intermédiaire détenue à 50 % par l'Etat caribeño et à 50 % par l'Etat azuréen.
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Alors que la délégation adoptait une allure bien plus solennelle que la simple rencontre entre les deux dirigeants emblématiques de leurs nations respectives, Sol Márquez et le Calife Kubilay, l’effervescence régnait dans la salle de réunion. Les diplomates caribeños et azuréens s’attelaient avec ardeur à la tâche, explorant chaque opportunité pour sceller un accord équilibré et prometteur.

La négociation connaissait un moment clé lorsque Son Excellence Muhammad Badie, secrétaire personnel de Son Altesse Califale, soumit une proposition aux représentants de Caribeña. Côté caribeño, c'est la ministre de l’Économie, du Commerce et de la Planification, Madame Isabela Cruz-Ramírez, qui portait la voix de son pays. Accompagnée de ses conseillers et collaborateurs du ministère, elle incarnait une figure de compétence et d’assurance, tirant parti de la grande liberté d’action que lui conférait sa relation privilégiée avec le Camarade Président Sol Márquez. Contrairement à d’autres administrations, celle-ci se distinguait par un respect de l’autonomie des ministres, leur offrant une marge importante dans la définition des politiques et la prise de décisions stratégiques. Cette indépendance avait forgé son style : à l’écoute et perspicace, elle anticipait déjà les pistes à explorer dès les premières interactions avec ses homologues azuréens.

Prenant la parole d’une voix assurée, Madame Cruz-Ramírez exposa ses réflexions...

— Monsieur Badie, votre première proposition est en adéquation avec les valeurs de Caribeña et, bien entendu, avec celles d’Azur. De nombreux points de convergence s’en dégagent: nos avantages respectifs, quoique différents, se complètent harmonieusement. Cependant, permettez-moi de suggérer d’aller plus loin et de soulever certains points qui méritent notre attention.

Marquant une brève pause pour mieux capter l’attention générale, elle continua...

— Bien que le taux d’échange actuellement envisagé soit fixe, les fluctuations des prix mondiaux, notamment ceux du pétrole et du sucre, posent un risque significatif. Dans certains cas, l’un de nos deux pays pourrait se retrouver désavantagé. Je préconise donc une révision périodique de ce taux, une fois tous les six mois, par concertation mutuelle, assortie d’une clause de flexibilité.

Elle laissa ces mots résonner avant d’aborder un autre point crucial :

— Par ailleurs, j’aimerais que l’on réfléchisse ensemble à la création d’un fonds de solidarité économique. En voici l’idée : ce fonds servirait à soutenir des projets d’intérêt commun, financés par les économies réalisées grâce à notre accord, notamment sur nos importations respectives. Concrètement, Caribeña s’engagerait à consacrer 2 % des économies générées sur ses importations de pétrole, sous forme de biens en nature ou de services. Je propose qu’Azur adopte une mesure similaire. Avec ces ressources, nous pourrions financer des infrastructures, développer des programmes sociaux ou encore encourager des initiatives économiques profitables à nos deux nations. Qu’en dites-vous?

Pendant qu’elle s’exprimait, les membres de son équipe s’étaient affairés à formaliser cette suggestion et à ajuster la proposition initiale soumise par les Azuréens, rédigée désormais dans une version enrichie et affinée. Confiante mais sans insistance excessive, Madame Cruz-Ramírez conclut...

— Je n’entends bien sûr en rien vous imposer cela, mais je pense qu’une telle révision pourrait offrir des garanties supplémentaires. Je serais ravie d’entendre vos avis sur ces propositions et de travailler ensemble pour aboutir à une formule qui satisfasse pleinement nos deux nations.


Proposition d’accord économique et commercial révisé


Article 1 : Échange de matières premières, "Sucre contre Pétrole"

1. Caribeña fournira un million de tonnes (1'000'000 t) de sucre de canne raffiné à l’Azur.
2. En échange, l’Azur fournira six millions sept-cent-cinquante mille barils (6'750'000 brl) de pétrole conventionnel brut à Caribeña.
3. Le taux d’échange entre les deux biens est établi à 0,149 tonnes de sucre raffiné pour 1 baril de pétrole (quantité de sucre en tonnes échangeable contre un baril de pétrole).


Article 2 : Mécanisme d’ajustement

1. Le taux d’échange pourra être révisé une fois tous les 6 mois par concertation mutuelle, en tenant compte des fluctuations des prix internationaux du sucre et du pétrole.
2. Une clause de flexibilité permet d’adapter les volumes échangés en fonction des besoins économiques des deux parties.


Article 3 : Configuration des échanges

1. La production et la livraison du pétrole azuréen seront confiées à la société nationale PETRAZUR.
2. La production et la livraison du sucre caribeño seront confiées à la société nationale CAÑAZUCAR.


Article 4 : Création du fonds de solidarité économique

1. Un fonds de solidarité économique est créé pour financer des projets d’intérêt commun, tels que des infrastructures, des programmes sociaux ou des initiatives économiques.
2. Ce fonds sera alimenté par une contribution annuelle des deux parties, basée sur les économies réalisées grâce à l’accord sur leurs importations respectives.
a. Caribeña s’engage à consacrer 2 % des économies réalisées sur ses importations de pétrole en fournissant des ressources matérielles (sucre, matériaux de construction, etc.) ou des services.
b. L’Azur s’engage à consacrer 2 % des économies réalisées sur ses importations de sucre en fournissant des ressources matérielles (pétrole, produits dérivés, etc.) ou des services.
3. Les contributions au fonds seront en nature, conformément aux besoins des projets financés.


Article 5 : Gestion du fonds de solidarité économique

1. Un comité mixte, composé de représentants des deux parties, sera chargé de la gestion transparente et équitable du fonds.
2. Le comité sélectionnera les projets à financer, en priorisant ceux qui bénéficient aux populations des deux nations et renforcent les liens économiques et sociaux.
3. Un rapport annuel sera publié, détaillant l’utilisation des ressources et l’impact des projets financés.


Article 6 : Résolution des différends

1. En cas de désaccord sur l’interprétation ou l’application de l’accord, les parties s’engagent à privilégier le dialogue et la consultation.
2. Si aucun accord n’est trouvé, le différend sera soumis à un tribunal arbitral neutre reconnu par les deux parties, dont la décision sera définitive et contraignante.


Article 7 : Durée et renouvellement

1. L’accord est conclu pour une durée initiale de 5 ans, renouvelable par tacite reconscription pour des périodes de 3 ans, sauf dénonciation écrite au moins 6 mois avant son expiration.
2. Les clauses relatives au fonds de solidarité économique resteront en vigueur tant que l’accord sera actif, sauf décision contraire des deux parties.
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