
Yasmine Laval, elle aussi amie proche des deux autres personnages d’État présents dans la pièce, semblait peser chaque mot qui s’échangeait, comme si elle analysait consciencieusement chaque mot qui s'échangeait dans cette pièce à l'aube d'une rencontre importante tant pour le Royaume de Teyla, que la Clovanie et que l'Eurysie de l'Ouest et peut-être même le monde, pensa intérieurement Yasmine. Alors que Pierre terminait sa phrase toujours sur un ton froid, elle ne put retenir un gloussement, un ricanement sorti de ses entrailles. Elle était désabusée par le comportement de son ami, lorsqu'on parlait affaires internationales et tout ce qui était rattaché au ministère de Pierre Lore, même en privé. Celui-ci ne montrait aucun geste amical ni le moindre signe d’affinité particulière. La seule marque laissant deviner une certaine complicité entre les trois individus résidait dans le fait que Pierre Lore avait échangé une bise. Elle finit par répondre :
- Certes, tes arguments sont plutôt bons. Et bien que je fasse partie de l'aile droite de ce gouvernement et du parti, je ne suis pas particulièrement pour rencontrer la Clovanie. J'ai eu beaucoup de mal quand tu es allé en Karty ou encore au sein de l'Union de Noyavik qui n'avait pas encore aboli l'esclavage. Elle renifla et croisa les bras, comme pour signifier que la suite ne lui plaisait guère. Mais je dois l'avouer, Pierre, la stratégie que tu as adoptée avec Angel Rojas fut la bonne. Vous avez obtenu d'énormes concessions de la part du Saint-Empire de Karty qui se lance dans une démocratisation lente, mais sereine. Pareil pour l'Union de Noyavik avec la précieuse aide de la République de Tanska. Abolition du servage, démocratisation du régime et j'en passe. Vous faites preuve d'un talent diplomatique rarement vu !
Pour autant, force est de constater que la Clovanie n'est pas l'un de ces régimes. C'est sûrement l'un des régimes conservateurs, réactionnaires les moins mauvais sur cette terre. Mais je doute que même la discussion, la négociation suffiront à obtenir des concessions sur certains sujets qui nous préoccupent comme les droits LGBTQ+, la liberté d'expression et j'en passe. Heureusement, ils n'autorisent pas l'esclavage eux, enfin des gens sensés dans ce monde. L'assemblée gloussa abondamment à la suite de cette remarque. On va pouvoir former un club des nations réactionnaires que nous contactons si nous continuons sur ce chemin, je vous le dis. Et je ne suis pas la seule dans le parti que ça dérange.
- Oh, crois-moi, je sais bien que tu n'es pas la seule que ça dérange dans le parti. Le Premier ministre leva les yeux, fixant brièvement le plafond comme s’il cherchait à contenir un soupir. Il continua sur un ton conciliant. La rencontre est réalisée pour savoir si nous pouvons discuter avec la Clovanie justement et voir si nous pouvons trouver des terrains d'entente sur des sujets qui nous rassemblent, à savoir la montée de l'Eurycommuniste en Eurysie et dans le monde, entre autres. L'Eurycommuniste est une idéologie fortement belliqueuse, nous ne voulons donc pas de sa propagation pour pouvoir maintenir notre cadre sécuritaire qui nous permet la prospérité économique et d'autres avantages. Quant à ta remarque, Pierre, il me semble que le pacte de non-agression entre la Clovanie et la Loduarie, dont Fortuna est la garante, a réellement joué en notre faveur. En outre, on ne voyait pas l'intérêt de contacter la Clovanie étant donné qu'elle ne pourrait pas nous aider en cas d'attaque de la Loduarie Communiste à notre encontre.
- Je crois que c'était une erreur, dit Pierre Lore avec assurance. En outre, tu as raison : en cas de conflit, elle ne peut pas nous aider. Mais nous ne sommes pas en conflit ouvert avec la Loduarie Communiste actuellement. Nous sommes dans une guerre indirecte contre la Loduarie Communiste et les membres de l'Union Internationale du Communisme et du Socialisme. Nous ne le disons pas publiquement pour éviter qu'ils aient la mauvaise idée de faire de cette organisation une alliance militaire comme le souhaite l'Unita ou encore le P.E.V. Mais cela nous montre juste que ce n'est plus Lorenzo qui contrôle l'organisation, quand c'est un parti étranger qui doit faire tout l'effort de propagande. Tout ça pour dire que la Clovanie peut être utile et nous pouvons être utiles à la Clovanie tant qu'un conflit ouvert n'existe pas, si la proposition que nous allons faire à la Loduarie ne plaît pas à cette dernière.
Angel Rojas tapotait doucement ses doigts sur l’accoudoir de son siège tout en parcourant la pièce de son regard vif. Pierre Lore continuait de fixer avec froideur Angel Rojas, attendant une réponse de son supérieur hiérarchique et ami. La conversation était amicale, mais on pouvait sentir dans l'air le poids des convictions des personnages d'État présents. Yasmine Laval avait tout le mal du monde à négocier avec les régimes les plus à droite de la planète et peut-être en manque de démocratie. Elle pouvait concéder la discussion, la négociation avec ces régimes si cela aboutissait à des concessions. Pierre Lore était comme sa collègue de l'Intérieur, mais il recevait les ordres d'Angel Rojas et il devait admettre que l'influence communiste en Eurysie devenait préoccupante. Angel Rojas était le plus froid, le plus pragmatique face à la situation malgré son histoire personnelle. Il n'avait aucun mal à aller discuter avec les dictatures les plus softs du continent si ces discussions amenaient à une entente pouvant satisfaire les deux parties. Toutefois, Angel le savait : au Royaume de Teyla, le Premier ministre est dépendant du Parlement et il ne pouvait pas appliquer la politique diplomatique qu'il souhaitait sans le soutien de celui-ci, notamment parce que la ratification des traités revient au Parlement.
- Quoiqu'il arrive, on a déjà discuté de ce que nous voulons obtenir durant cette rencontre. Déjà, nous nous attendons à aucune chose concrète, que cela soit un accord écrit ou oral. Nous allons avoir besoin du temps pour apprendre à faire confiance à la Clovanie et l'inverse est sûrement vrai. Si nous obtenons un accord oral ou écrit lors de la première rencontre, alors nous serons plus que surpris et satisfaits. Je suis bien conscient que l'opposition au Parlement se fera une joie de démontrer que nous n'avons rien obtenu de la rencontre avec la Clovanie et qu'il n'était pas nécessaire de donner une visibilité aussi grande à ce régime. Mais je souhaite apporter de la nuance. Comme je l'ai signifié au-dessus, nous aurons d'autres armes pour nous défendre au Parlement, nous sommes toujours sur la dynamique des réussites auprès du Saint Empire de Karty et de l'Union de Novayik, cela se fera sur le temps long.
Il est évident que le pays n'acceptera très certainement pas des réformes concernant les sujets qui nous préoccupent, à savoir les minorités et la démocratie. Nous pouvons intégrer ce sujet dans la rencontre, mais cela ne doit pas être le sujet principal de la rencontre. En outre, le sujet de la discussion doit être porté sur la montée du communisme en Eurysie et quelles réponses peuvent y être apportées.
Alors que le Premier ministre continuait son monologue, la rencontre entre le Premier ministre, la Ministre de l'Intérieur et le Ministre des Affaires Étrangères dura plusieurs heures encore.
Pierre Lore et Angel Rojas se tenaient côte à côte sur le tarmac de l’aéroport. Le vent chargé de l'odeur bitumée de l'aéroport faisait danser leurs cheveux et leurs longs manteaux noirs sous lesquels on pouvait voir apparaître un costume à trois pièces. Angel Rojas, comme à son habitude dans ces moments-là, observait le ballet des voitures et des avions défilant sous ses yeux d'homme prudent face à cet environnement. Ses mains jointes devant lui, il affichait un air sérieux et d'homme d'État gouvernant une nation. Pourtant, au fond de lui, il avait peur des actions que pouvait entreprendre la Loduarie à l'égard du Royaume de Teyla. Il avait peur d'une guerre dans la région, car il savait d'avance qui serait paniqué et perdu dans les décisions à prendre. Il avait espoir que si une guerre arrivait avec la Loduarie Communiste, l'État teylais et la nation seraient derrière lui pour le soutenir face à cette épreuve. Après tout, l'organisation de l'État teylais et du gouvernement avait été pensée pour éviter qu'un homme seul, comme le Premier ministre, ait tout le poids des décisions sur ses épaules et qu'il soit conseillé par les fonctionnaires. Chaque jour, il se rappelait, pour se rassurer, que Sa Majesté Catherine III partageait avec lui le rôle de chef des armées. Quoi qu'il arrive, cette rencontre devait réussir.
La confiance, il l'avait sur la scène intérieure. Il avait une vision pour le Royaume de Teyla, bien qu'il se garde de dire que cette vision diverge selon les besoins électoraux. Quant à Pierre Lore, le protecteur de la Couronne et de la Famille Royale, une situation connue publiquement, il avait les mains jointes mais derrière son dos, comme pour défier la posture de chef du gouvernement en voulant imposer une posture bien plus charismatique. Bien que cela pouvait donner cette impression, ce n'était qu'une impression. Pierre Lore se sentait tout simplement à l'aise dans cette situation, alors qu'il haussa un sourcil en voyant l'avion de la délégation étrangère se poser sur la piste. Il projetait sa peur de l'avion sur l'avion étranger, mais fort heureusement tout se passa bien.
Les deux hommes attendaient passivement au bout d'un long couloir formé par deux lignes de gardes royaux. Les gardes royaux, avec leurs mains gantées de blanc, avaient mis leur sabre devant leur visage, annonçant l'arrivée prochaine d'une délégation étrangère sur le sol teylais.