16/03/2017
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L'acquisition d'une force militaire

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Afin de répondre à de nouveaux défis suite à ses activités commerciales en Hernandie, la société dut se procurer une force capable de défendre ses intérêts.
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Le Syndicaliste et l’Homme d’Affaires.


Le petit salon bourgeois

« C’est pour te dire qu’Emanuele nous a répondu, les négociations se sont bien passées et nous pourrons bientôt ouvrir des filiales en Hernandie. En revanche, je ne sais pas comment les syndiqués vont réagir lorsqu’ils vont apprendre que l’on a pu s’ouvrir un marché en seulement quelques minutes… »

Ces paroles, prononcées dans un vaste salon bourgeois des banlieues d’Antrania étaient adressées à Jean de Luz, le représentant des syndiqués de la multinationale antérinienne. Ce dernier était un grand homme sportif, assez beau et surtout une bête de travail. Les fin traits parsemant son fronts témoignes des innombrables heures à dresser de longs rapports pour la Chambre Syndicale. Il était pourtant d’un naturel jovial et n’était jamais le dernier à prendre part aux réjouissances, même s’il a toujours préféré les petites fêtes campagnardes aux grandes cérémonies traditionnelles, qu’il considère comme « moins franches » que les apéritifs amicaux dans les petits villages. Quant à sa formation politique, il s’est toujours réclamé de gauche, lui, grand admirateur de la littérature Kah Tanaise, il n’hésite pas à représenter les tendances anarchistes du mouvement à la Chambre, et entre souvent en confrontation avec les « Patrons » comme il les appelle… Et s’il est dans cette petite habitation bourgeoise, ce n’est certainement pas pour boire du thé et déguster quelques gâteaux, certes, la compagnie de son interlocuteur ne lui déplaisait pas, mais les sujets abordés étaient largement plus importants, notamment lorsqu’ils concernaient un pays du tiers-monde.

En effet, il avait lui même demandé à ce que Emanuele La Combre soit envoyé là bas pour négocier des accords avec les oligarques, certes, c’est certainement l’une des plus grandes victoires des « Patrons », dorénavant ils se voient reconnaître le droit de s’immiscer dans les affaires aleuciennes et internes de plusieurs petits états en voie de développement, d’ailleurs, lui même craignait que ce ne soit l’ouverture d’une porte aux ingérences néo-coloniales, et cette fois-ci ce ne serait pas un état qui en serait à l’origine mais bel et bien une entreprise privée, marquant le début d’une course effrénée qui se traduirait par l’établissement de fantoches dépendant d’une métropole invisible s’appuyant sur une armée de roitelets élus à 150 % des voix… Et s’il laissait les hommes d’affaires se charger de la gestion des relations entre l’entreprise et les petits états, le risque de voir ce cauchemar devenir réalité ne fera que se concrétiser. Car il savait pertinemment que si le holà n’était pas levé maintenant, plus rien n’empêcherait la Nomenklatura terrabilitienne de prendre le pouvoir et d’adopter une politique semblable à Fang, la riche milliardaire icamien qui influence une grande partie de la classe politique de cet état. Et rien n’empeche la potentielle métropole de s’appuyer sur l’élite pour dominer et exploiter les ressources économiques d’un état, en occurrence l’Hernandie.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il avait réclamé à ce que ce soit La Combre qui se charge de représenter la société antérinienne lorsque les oligarques des industries financières d’Hernandie contactèrent Terrabilis. En effet, ce dernier, quoique très intelligent, était néanmoins assez limité dans les questions d’affaires et de concessions, il était plus issu des groupes productivistes que diplomatiques, et avait passé une grande partie de sa carrière dans les champs d’Antrania à superviser la production agricole et à représenter auprès des conseils des techniciens les problèmes des infrastructures de Terrabilis. Ainsi, il commençait en tant que plénipotentiaire chez la Société auprès de contractants fortunés et influents. Permettant à Terrabilis de compter sur un homme compétent tout en évitant que ce dernier ne réussisse à racheter le pays au nom de la société mère. Mais lorsque son collègue lui annonça que Emanuele avait réussit à négocier des accords concrets ouvrants le marché hernandien aux produits de Terrabilis il pensait que quelque chose a du mal se passer ; « c’est anormal que l’on puisse ouvrir son marché en une soirée, c’est ridicule ! Ils ne sont pas censé avoir d’intérêts à ce qu’une telle chose se produise ! Enfin ils mettent en péril leur situation monopolistique pour si peu ! » enfin il espérait que ce ne soient pas les oligarques qui se soient vendus, car sinon, la colonisation économique du pays ne serait plus qu’une question de temps… Alors impatient il fit :

« Mon Dieu, comment a t’il fait, je croyais que son objectif était de ponctionner quelques millions aux Banques Nationales ? Enfin ça me paraît inimaginable ! »

Son interlocuteur, prit un verre et une longue inspiration avant de dire « Si seulement tu savais », lui aussi était l’un des innombrables hommes d’affaires de Terrabilis qui avaient fait en sorte de transformer la petite entreprise en Multinationale. Son éternel sourire charmeur et ses bons mots l’ont toujours rendu agréable, malgré son opposition de plus en plus claire aux politiques expansionnistes du Directoire. S’il est beaucoup moins à gauche que son ami, il n’en reste pas moins proche sur ses tendances anti-coloniales. En effet, sa conception du libéralisme ne le mène en rien à souhaiter une recrudescence des activités coloniales et au contraire à espérer le soulèvement des peuples, qui amèneraient indubitablement une libération des marchés coloniaux… Mais il restait cynique, alors que son ami était idéaliste, Ange-Lin Lorfèvre était bien plus terre à terre, et s’il ne souhaitait pas une colonisation économique de l’Hernandie, il réclamait tout de même l’établissement de monopoles dépendant de Terrabilis, menant à d’interminables débats en interne sur les intérêts que pourrait en retirer la Société, ponctués de remarques idéologiques et politiques, rendant la prise de décision plus compliquée…

D’ailleurs, la présence de Terrabilis en Hernandie n’est en rien anecdotique, l’Homme d’Affaires avait déjà contacté ses homologues hernandiens pour négocier une rencontre entre les antériniens et les oligarques. Car le mail envoyé par de Làsare un beau soir de juillet n’avait rien d’un pur hasard, son frère avait déjà discuté avec Ange-Lin et les deux parties avaient des intérêts mutuels ; Terrabilis permettrait à la compagnie des richissimes de pouvoir exfiltrer leur argent en direction de la Nouvelle Antérinie sans être pris, tout en laissant à Terrabilis le droit de ponctionner une partie de l’argent transférée…Mais cela devait être considéré comme un exorde nécessaire à l’établissement de liens entre la nomenklatura hernandienne et la société agricole. Malheureusement, lui aussi n’avait pas prévu que les négociations soient aussi rapides, d’ailleurs il avait prévenue Emanuele qu’il devrait se préparer à des conversations de longues haleines et des compromis plus ou moins bancals entre les sociétés hernandienne la Multi-nationale… Il pensait d’ailleurs que le compte rendu de la réunion arriverait d’ici quelques jours, et que l’affaire ne soit pas pliée en une nuit, surtout quand les collègues des B.N.C.E sont dans le coin et à la même table, ainsi, il attendait avec impatience des détails supplémentaires et ne se fit pas prier pour envoyer un second message à son collègue actuellement à Saint Jacques des Mers.

Puis il prit un autre verre et fit à son collègue qu’il estimait réellement :

« Vous pensez réellement que l’on a pu avoir accès à un marché aussi rapidement sans contreparties importantes ? Vous admettrez assez facilement que même des oligarques ne se vendraient pas pour quelques billets. Je connais moi même Làsare, et je peux t’assurer qu’il n’est pas du style à se vendre rapidement, soit il a un projet tout tracé en tête, soit Emanuele est un négociateur hors paire ! Je suppose que tu es aussi au courant de la situation locale, même si je ne comprends pourquoi tu as milité pour envoyer Emanuele ? Enfin je pensais que tu étais ouvertement opposé à l’idée de collaborer avec les élites locales ? »

« Oui, c’est vrai, tu sais tout aussi bien que moi que si l’on s’amuse à se rapprocher du tiers-monde, les tendances coloniales de certains pourraient revenir au galop, déjà que les Patrons se sont amusé à investir en Akaltie et au Chandekolza, les risques pour que ces derniers ne prennent de force l’économie de ces pays est faible, mais néanmoins, et ne fait pas l’innocent, la corruption des élites locales suffirait pour prendre le contrôle des économies locales… Pourtant, ce qui nous empêche de les dominer, c’est avant tout la force militaire de ces états, l’Akaltie est un pays riche et le Chandekolza est déjà sous la coupe des états akaltiens, ainsi on ne peut coloniser la colonie d’un pays… En revanche, un pays pauvre, sans liens diplomatiques, sans relations concrètes et sans alliés est une cible, pour ne pas dire une victime de choix, l’économie est par terre, les élites locales règnent comme des pachas et les et le peuple n’a aucun moyen de manifester son mécontentement. Les élites n’auront besoin que d’une chose ; de l’argent, ainsi ils pourront se vendre auprès des grandes sociétés en échange de quelques billets et surtout d’une protection économique, en effet qui irait rivaliser une puissance émergente capable de financer une armée à hauteur de 16.7 milliards de talents, mis à part les puissances mondiales qui peuvent y voir elles mêmes des intérêts commerciaux la soutenir comme par exemple Teyla… Les autres puissances régionales elles, entretiennent de bonnes relations avec l’état en question, en atteste sa participation aux grands projets diplomatiques locaux… Alors l’élite peut se reposer sans crainte sur une grande entreprise, qui sera soutenue, si nécessaire, par l’état en question. Ainsi, les oligarques n’attendront que l’argent pour se maintenir, par la force et la terreur, tout en vendant leur pays pour se payer milices et villas. Et ce phénomène, malheureusement trop bien connu, se produit actuellement en Hernandie. Qui risque de devenir la colonie de l’entreprise de son colonisateur ! »

« Ho ! N’abusons pas non plus ! Terrabilis conserve encore aujourd’hui ses composantes syndicalistes, et vous etes vous-même proches des mouvements anarchistes kah tanais à la Chambre, alors ne jouez pas le craintif ! Nous savons tous que les risques d’une colonisation de cet état sont minimes pour ne pas dire nuls, alors ou est le problème ? Nous ne faisons que nous établir sur ce genre de marché, qui a bien besoin de concurrence ! En plus, ou est le problème ? Etre colonisé est tout sauf agréable, au contraire d’ailleurs, mais comme disent les cartaradais : « Buisness is buisness ! » et les électeurs fascistes iront consommer chez-nous, trop heureux de voir leurs reves expansionnistes se réaliser ! Hahaha ! Rien de mieux que de s’enrichir tout en faisant profiter les populations locales, il me semble d’ailleurs que quelques sociaux-démocrates de ton camps ont développé l’idée ? » Fit-il avec une regard mesquin.

Son interlocuteur se décomposa sur place, et il pensa intérieurement « Quel malade ce mec ! » avant de prendre un petit verre de whisky et de faire, avec une déception percevable et une pointe de colère :

« Non ! Non ! Non ! Ce n’est pas possible, on nage en plein délire ! Tu fais l’apologie du colonialisme dans le plus grand des calmes ! Enfin, t’imagine si je me mettais à aller vanter les mérites de l’anarchisme chez les Patrons ?! Ce serait tout aussi bien accueilli là-bas que tes propos particulièrement cyniques ! Non! Non ! Non ! J’ai lu un excellent bouquin kah tanais sur le sujet, et il nous permets d’affirmer quelques points essentiels méconnus du grand public : Que le colonialisme est un mal à éradiquer, et que comme tout les systèmes malsains et archaïques, il s’effondrera sur lui-même en entraînant avec la chute des états coloniaux, mais néanmoins, ce qui est agréable à lire reste sa conception de ce dernier, qui ne se limite plus uniquement à des territoires extra-continentaux, mais aussi aux relations dans lesquelles les locaux restent soumis à un système d’oppression qui nie leurs particularités culturelles, un système qui appauvrit par l’expatration des cerveaux locaux et des ressources vers la métropole, véritable divinité qui fait la pluie et le beau temps. Mais, là je te détromperais, c’est que lorsque Armand s’amuse à déblatérer de telles bêtises, c’est qu’il est durement réprimandé et enfin, pourrais-tu me rappeler que le P.S.D.T (Parti Social Démocrate Terrabilissien) a vigoureusement nié avoir soutenu et encouragé de tels propos. Enfin il faut différencier deux choses dans les processus de colonisation, la première, plus pragmatique, est la prise de contrôle d’un territoire pour des raisons économiques et avec des justifications (s’il y en a) qui vont dans ce sens, cette dernière quoique cruelle reste moins hypocrite que la seconde ; en effet, cette dernière est certainement l’une des grandes erreurs de la Gauche, qui s’est couverte de honte en y prétextant des raisons raciales et culturelles, tout en laissant poindre des raisons économiques, ainsi c’est souvent la recherche de débouchés et de marchés qui agitent ces besoins de colonisation, donc des raisons capitalistes…

Ange-Lin écoutait son collègue se perdre en détails, son éternel sourire sur le coin des lèvres, il savait que son ami allait réagir comme ça et il trouvait amusant de le lancer sur de tels sujets, notamment après avoir vanté les mérites d’un magnifique ouvrage (kah tanais) qui se voulait déconstructeur des idées reçues sur la colonisation. Et lui même savait qu’il est difficile de pouvoir défendre une telle position longtemps, mais néanmoins il allait tout de même pouvoir rire et donner une leçon à son ami :

« Intéressant, j’en suis certain, et je pense que cet ouvrage recevra certainement un bon accueil dans la presse spécialisée, dommage que les Antériniens n’en aient simplement rien à carrer et surtout qu’ils aient déjà assimiler les peuples conquis, comme tu le sais l’Empire est un état multi-ethnique mais pas multi-culturel… En revanche, ça n’ a pas de sens, tu accuse le capitalisme, pourtant c’est bien le socialisme qui justifia la seconde méthode, et je doute que les grands hommes de la gauche voulaient imiter les grands méchants patrons… En plus, (fit-il, ravi de pouvoir le piquer tout en taclant les ouvrages Kah tanais) ne soit pas hypocrite, on sait tous que le Grand Kah possède des colonies à travers le monde… Alors c’est tout sauf évident de dénoncer le colonialisme, et adopter des pratiques anti-coloniales quand on possède des colonies… »

Jean ne put se contenir plus longtemps, hors de lui, il brisa un verre et ne put se maitriser. Il n’avait d’ailleurs pas compris que son collègue se jouait de lui et dit brutalement :

« Comment os-tu ! Tu ne comprends donc rien à rien, je sais que tu es de droite, mais quand même ! Enfin, je n’ose pas imaginer comment tu peux abuser comme ça ! D’abord, ces hommes étaient des traîtres à la cause prolétaire, ils n’ont pas hésité à faire passer l’intérêt des patrons pour des objets d’intérêt général et qui méritent donc l’attention et le soutien de tous ! En revanche cela n’enlève rien aux coté néfastes du colonialisme ! Qu’il soit racial ou économique, le colonialisme est un crime ! Ensuite, certes l’Antérinien moyen, fier de ses capacités conquérantes et assimilatrices, n’en a rien à faire, pour ne pas utiliser d’autres termes moins élégants, ainsi, il est vital que nos employés soient sensibilisés au sujet, permettant ainsi de changer l’opinion d’une partie de la population antérinienne. Ensuite, je pense que tu te trompes lourdement en affirmant que le Grand Kah possède des colonies ; le Royaume de Marcine n’est pas une colonie, ainsi Reaving n’en est pas une, et au contraire est une composante intégrante de l’entité kah tanaise, amenant ainsi des différences fondamentales entre les deux états, à la fois sur leur fonctionnement interne, qui devient cette fois-ci moins intrusif que le notre, car justement les relations entre Marcine et l’Antérinie restent teintés d’un certain rapport de force sur certains sujets, à commencer par les indépendances théoriques des deux Couronnes, qui cherchent à se gérer indépendamment sans pour autant s’ignorer, alors qu’au Grand Kah, il n’existe pas de concurrence entre l’entité principale et les entités extra-paltoterranes, ainsi les relations peuvent rester cordiales, d’abord car les grandes instances restent dominées par la « Métropole » qui est un centre économique majeur, tout en laissant les petits groupes se gérer à l’échelle locale, et c’est dans cette optique que l’Empire devrait s’orienter afin de pouvoir dépasser les héritages coloniaux. Par contre ce raisonnement ne peut s’appliquer en Hernandie, d’abord, les locaux ont des traditions différentes des nôtres, ils sont à majorité républicains et nous sommes monarchistes, ensuite ils n’ont pas les mêmes codes culturels que nous autres et le niveau de vie antérinien n’est pas assez élevé pour pouvoir réellement attiré, et quant à la conception idéologique, qui reste dans la même veine que le premier argument ; c’est impossible, malgré une société conservatrice, nous avons des différences marquantes, d’abord au niveau du régime politique, ensuite au niveau de la gauche et des intentions de la droite… Et enfin, il est impossible de pouvoir réunir un territoire si vaste au Grand Duché, qui nécessiterait d’autres réformes structurelles qui favoriseraient l’apparition de la gauche… Pour terminer, je ne peux m’empecher de te dire une chose : « Pourquoi t’as rejoint Terrabilis ? » enfin tu sais très bien que c’est uniquement grâce aux idées de gauche que l’on a pu imaginer le reve syndicaliste (donc inspiré en grande partie par le Grand Kah) se réaliser! »
« Ahahaha ! »

Devant le regard quelque peu surpris de son ami, il continua :

« Ahahaha ! Tu oublie de parler de la droite ! »

Avant de se tordre littéralement de rire, il se prit les cotes et bien compliqué fut pour lui de reprendre son sérieux, surtout lorsque Jean paraissait prêt à partir disserter pendant des heures sur le rôle et l’influence des idées conservatrices et des hommes d’affaires de droite dans la formation de Terrabilis et son accès à la notoriété internationale… Puis Ange-Lin continua en disant avec humour :

« Il en faut peu pour que tu t’enflamme ! Il a suffit d’une petite phrase pour te voir partir si vite, je te jure que ça en devient réellement rigolo ! Tu viens d’exploser un verre par ce que j’ai insulté le Grand Kah ! Ahahaha ! »

« Hin hin hin ! » Fit son ami avec un rire jaune…

Puis une notification retentit, c’était le téléphone de l’homme d’affaire qui venait de tilter, et ce dernier fit laconiquement :

« Emanuele est plus inspiré qu’un fasciste qui doit se lancer dans des blagues racistes (il se dépêcha d’ajouter le plus rapidement possible voyant que son ami allait se lancer dans une énième dissertation) il a enfin répondu à mon message sur les négociations, et autant dire qu’il est long, trop long… Je te le transfère. »

Message de Emanuele :

Bonjour Ange-Lin, c’est pour te présenter le plus rapidement possible les négociations et leurs teneurs, même si je me dois de rappeler quelques points essentiels en guise d’introduction, en effet le pays est dominé par une riche oligarchie qui se fait concurrence, certes, mais qui garde à cœur la conservation de son patrimoine. En effet, la plupart des hommes qui étaient dans cette petite pièce et qui ont réclamé à ce que Terrabilis puisse s’investir dans la vie économique locale tout en participant à la fuite d’importants capitaux vers les banques de la Nouvelle Antrania et des Banques Impériales étaient pour la plupart des hommes d’affaires, des politiciens corrompus et des journalistes politiques douteux ainsi que des représentants des principaux gangs locaux et la mafia des Uriel. Sachez aussi que ce petit monde a une influence certaine sur la vie politique, d’abord grâce à leur poids économique, ils doivent posséder la moitié des entreprises du pays(, et en racketté l’autre moitié) mais aussi grâce à leurs formations politiques fantoches, qui ne répondent qu’à leurs ordres et qui ne sont là que pour leurs intérêts personnels, d’ailleurs certaines ne portent aucun projet politique clair, je pense notamment aux groupes des trafiquants et des mafieux. D’autres en revanche possèdent des idées malsaines (que j’expliquerai plus tard) et son pour la plupart réunit dans cette pièce chique et moderne grâce à leur profonde haine du socialisme et des idées affiliées (donc anarchisme).

Ainsi c’est avant tout pour éviter de voir les formations de « gauche », y compris les conservateurs et les sociaux-démocrates, s’emparer des ressources économiques de la Nomenklatura locale qu’ils ont pris contacte avec les Banques Nationales et Caisses Épargnantes et avec Terrabilis pour pouvoir négocier une extraction, qui ressemble dans les à une extradition de sacs d’argent grâce à des hélicoptères légers et des véhicules tout terrains, en bref des méthodes digne des plus grands films d’actions raskenois… Ainsi mon homologue et moi-même furent convoqué à Saint Jacques des Mers pour rendre possible cette fuite en avant des capitaux locaux. D’ailleurs la plupart de ces hommes-là étaient prêt à y expédier la moitié de leurs fortunes personnelles afin de pouvoir se préserver du châtiment divin qu’est l’anarchisme. Autrement dit ils étaient déterminés à cacher leur argent des mains du fisc hernandais. Objectif bien entendu facilement réalisable dans ce contexte d’instabilité politique et de grande pauvreté, amenant une faiblesse des autorités fédérales pour contenir ces fuites. Ainsi après une rapide conversation, une quinzaine de minutes tout au plus, les élites ont décidé d’expédier plusieurs milliards en Nouvelle-Antérinie, nous parlons de sommes atteignant 50 milliards de talents, sans parler de futures négociations avec la Banque Impériale ou encore avec nos entreprises respectives (je prends bien sur en compte les B.N.C.E). Ces sommes seront donc en partie ponctionnées par les sous-traitants (nous en l’occurrence) et pourraient être revue à la hausse d’ici les prochaines années. De plus, chose qui paraît incompréhensible, les oligarques ont officieusement décrétés que Terrabilis aurait la possibilité de s’exporter en Hernandie, et d’y ouvrir des sites de vente et des bases de production. Et ce en échange de quelques services, qui se rapprocherait du fret d’argent entre S.J.M et la Nouvelle Antrania.

Ces services, nous assure t’il, sont parfaitement sans risques, l’objectif premier étant que nous acceptions. Ainsi cela explique les concessions disproportionnées qui sont en notre avantage et la facilité déconcertante grâce à laquelle nous avons pu obtenir ces dernières… En effet, ce transport devrait être sans risques, d’abord car il concerne deux sociétés privées, qui dépassent donc les animosités qu’il pourrait y avoir entre l’Antérinie et ces voisins (qui depuis les récentes négociations avec le Stérus et l’Akaltie sont inexistantes). De plus le patron des quartiers d’affaires locaux affirme que toutes tentatives d’ingérence dans ce transfert serait considéré et dénoncé comme du colonialisme, autrement dit en en appelant ainsi à l’A.S.E.A et aux états aleuciens, d’autant plus lorsque le gendarme du continent se situe à quelques encablures, surtout lorsque l’on connaît les animosités qui existent entre l’Alguarena et son rival… Ce qui est aussi inquiétant est la réponse des propriétaires fonciers (présents eux-aussi à cette réunion dans les bureaux de Vale) qui furent les plus cyniques. En effet, ils affirment que peu leur importe de voir débouler un nouveau rival, l’État (donc les finances publiques qu’ils détournent [très certainement] et qu’ils dirigent) achètera quoiqu’il arrive chez eux, afin de pouvoir nourrir les plus pauvres…

Ce cynisme, cruel et impitoyable, est d’autant plus marqué qu’entre quelques échanges politiques, les interlocuteurs hernandais n’hésitaient pas à plaisanter sur la situation locale, désastreuse comme nous le savons tous, ainsi ont pouvait voir le patron des trafiquants rappeler à son rival que les organes vendus aux services publiques étaient tout de même moins chers grâce aux toxicomanes qui s’entassaient dans les campagnes pauvres… Et bien entendu, éclat de rire général de la salle, qui ne pouvait s’empêcher de trouver ce trait d’esprit inhumain des plus amusants. Cela d’ailleurs leurs permirent de rire ensemble sur la situation des natifs bien entendu oppresser par les propriétaires terriens qui se vantaient d’être moins chers que les « naziates », là encore ; un tonnerre de voix se mirent à rire… Et ce dura pendant toute la réunion, même à la fin ils en revinrent aux commentaires racistes et heureusement que mon homologue proposa à ces bons messieurs de prendre congé d’eux, car sinon la soirée était partie pour durer quelques heures de plus… Mais néanmoins le plus malaisant reste leur attitude envers les « pauvres » comme ils le disent avec dédain, en effet ce qui revient est avant tout une cordiale détestation pour ces derniers, associés aux minorités et par conséquent à des objets, des outils de production, une vision très proche des drovolovskiens.

Mais néanmoins, comme certains le disent : « le bonheur des uns fait le malheur des autres » ainsi cela permettrait à l’entreprise de pouvoir s’enrichir et ce en espérant pouvoir renforcer les intérêts des classes populaires tout en améliorant (significativement, en tout cas je l’espère) le niveau de vie local. Mais néanmoins, au vue de la profonde division sociale et sur certains points raciale de cette société, il sera nécessaire, si nous prenons possession de sites de production, de faire appel à des groupes paramilitaires privés afin de nous assurer que les installations terrabilissiennes soient respectées. Bien sur ce point peut être sujet à caution, d’abord la fidélité de cette dernière doit être assurée et les hommes doivent être équipés, ensuite l’objectif initial n’est pas de se doter de groupes idéologiques, mais au contraire de pouvoir nous défendre, ainsi que nos employés, qui deviendront donc les premiers représentants de notre implantation à l’internationale. Ainsi je recommande aux services de la Société de se pencher sur la cas hernandais et de présenter les opportunités que pourrait présenter l’Hernandie pour nous renforcer en Aleucie. 

« Fichtre ! Je savais que c’était pas terrible, mais là on dépasse mes pires craintes, les hommes seraient prêt à vendre leur propre nation pour sauver quelques billets et user de procédés dignes de l’Achosien immortel pour pouvoir conserver leurs biens. Autant dire que je ne m’attendais pas à ça ! Heureusement que l’entreprise pourra y remédier, et ce en protégeant en premier lieu nos employés, et si nécessaire par la force des armes. Bon, dans tout les cas je sens que les débats vont être rudes à la chambre, et je pense que nous allons devoir nous battre contre les Chambres pour espérer imaginer la création d’une agence de sécurité terrabilicienne. »

Fit Ange-Lin voyant que le débat risquerait de reprendre s’il laissait Jean se lancer dans une longue et interminable tirade. Ainsi, il préféra y couper court le plus tôt possible, surtout lorsqu’il voyait que l’heure tournait et qu’il avait un rendez-vous dans quelques quarts d’heure. D’ailleurs son ami se préparait déjà à riposter et à se perdre en dissertant sur la réelle utilité d’un groupe privé et de ses conséquences sur la ‘’Jauge d’impérialisme’’ de Terrabilis.

« Soit, fit-il, nous en reparlerons dans tout les cas que ce soit ici ou aux Chambres… Et sache que je suis très inspiré sur le sujet. »

Puis, il prit son manteaux, salua son camarade et s’en alla, Ange-Lin quant à lui appela son domestique et demanda à ce que les bris de verre soient nettoyés avant de finalement se changer et d’endosser son costume bleu marin et de s’en aller rejoindre ses supérieurs dans les quartiers d’affaires de la capitale antérinienne.

Il savait qu’il allait soulever un sujet qui deviendra capital, qui englobera de vastes points ; le colonialisme, le rôle des entreprises et leurs capacités à se défendre elles-même et bien entendu la nécessité d’une milice privée…


Jean
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« Mais que faites-vous de l’humain Monsieur ? »

Bureau de Terrabilis//Salle de conférence des King's men

La tension était palpable dans l’immense bureau du Directoire, et les camps étaient irréconciliables. Tous réunis autour d’une seule même table. Large. Imposante. Richement décorée. L’ébène séculaire ayant vu passer les rois, les grands aristocrates, les riches banquiers, voit maintenant les brillants hommes d’affaires affronter les teigneux syndicalistes. Les camps étaient clairement séparés. Les tranchées étaient matérialisées par les dossiers, les canons tonnaient quand les meneurs des deux camps prenaient la parole, les bombardiers faisaient des villes ennemies de véritables brasiers lorsque ordres, contre-ordres, et pare feu administratifs étaient signés. Le combat allait être rude, seulement, il n’allait pas avoir de déflagrations politiques majeures à l’international, les coups de poignards vicieux ne sonneront pas comme des coups de tonnerre. Les décisions ne deviendront pas des déflagrations déstabilisants tout une classe politique. La guerre allait être pacifique, et une fois la réunion terminée, la paix, la trêve tacite, reprenait. Jusqu’au prochain conseil. Et peu pouvaient prévoir la durée de cette dernière. Et lorsqu’elle reprenait de plus belle, les sujets étaient variés, taxations, agrandissement de l’entreprise ou ingérences dans les affaires étrangères… Chacun de ces sujets menaient à des trahisons, des revirements soudain de politique qui concernaient agriculteurs et politiciens véreux.

Heureusement, un homme s’élevait au-dessus de ces combats sauvages. Un arbitre au-dessus de la mêlée. Il calmait les passions, apaisait les débats houleux. Permettait de maintenir l’éuilibre entre les deux camps. Qui, pourtant, se méprisent souverainement. Certainement que sa fratrie a joué un grand rôle dans ce caractère ouvert au compromis. Après tout, les hommes d’affaires ne sont pas si éloignés des enfants. Calmer sa sœur affirmant que son frère lui a volé sa poupée n’est pas si différent qu’apaiser des tensions entre le syndicaliste accusant l’homme d’affaire de ruiner la paysannerie… Seulement l’échelle est bien différente. Et chaque coupe ou augmentation budgétaire aura des conséquences sur des millions d’individus. En revanche, à la place de quelques chiquettes bien placées, Antoine Duprès est obligé d’user de méthodes plus diplomatiques, quelques arrangements à l’amiable permettant de réduire la casse, de repousser l’inévitable, à savoir une rupture entre la « droite » et la « gauche » terrabilissienne. Ces Némésis irréconciliables sont bien entendu difficiles à satisfaire.

L’aile droite de l’entreprise est en majorité composée des Directeurs, c’est à dire des hommes d’affaire qui ont fait prospérer l’entreprise, l’ont fait grandir. Faisant ainsi passer la petite coopérative agricole en un immense empire brassant chaque années de millions et des milliards de talents. En grande partie composé de Libéraux, le Directoire s’embarrasse peu des valeurs humanistes, et ne se gêne pas pour imposer ses intérêts aux élites locales. Usant de l’argent et de la corruption comme un moyen tout à fait honorable pour imposer ses intérêts. Les Hommes d’Affaires ne sont pas des philanthropes, chaque « don » est une opération de corruption dissimulée. Chaque prêt est un moyen de s’assurer le soutien d’un politique. Et ce pour une seule raison : la grandeur de Terrabilis. Car les hommes d’affaires ne sont pas les parvenus qu’on se plaît à décrire, ce sont eux qui ont de la petite coopérative agricole ce qu’elle est devenue. Et comme tout parents attentionnés et aimants, ils font de leur création une priorité, quitte à rompre les principes moraux qui avaient permit à cette dernière de grandir, de former ses bases dans les petites fermes proches d’Antrania et de Marcine. Et si la corruption devait mener à l’ingérence dans les affaires politiques, cela ne choquait pas le moins du monde les Hommes d’Affaires, au contraire ils s’y résoudraient si des avantages concrets étaient réservés pour Terrabilis.

Les Syndicalistes étaient plus humanistes, ils se veulent comme les cautions morales qui empêchaient Terrabilis de sombrer dans le capitalisme brutal et sauvage. Leur objectif est de conserver l’« esprit » terrabilissien. C’est à dire celui qui a permis aux petites coopératives de grandir et d’évoluer sans avoir recours à des stratégies agressives, que les Hommes d’Affaires ont rendu communes et même nécessaires à l’agrandissement de l’entreprise face à ses rivaux. Que ce soit les Compagnies Royales d’Afarée ou les Sociétés aleuciennes. L’objectif est donc de sauver ce qui reste de la moralité de l’entreprise en tentant de réfréner ses pulsions naturelles. A savoir son ingérence dans les affaires internes des gouvernements faibles et très probablement corrompus. Si la plupart des Syndicalistes sont issus des Représentants syndicaux assumant la représentation syndicale des agriculteurs et ayant les capacités de bloquer les décisions des Directeurs. Qui plus est, les Syndicalistes comptent quelques sympathisants chez les Directeurs, malgré la monté d’une troisième voie pour le moins confuse… Oscillant entre corporatisme et impérialisme assumé… De plus, les Hommes d’Affaires sont divisés en querelles intestines et en guerres de prestige, permettant aux syndicalistes de jouer sur ces dernières pour imposer leurs vues. Bien entendu, cette stratégie peut aussi se retourner contre eux, notamment à cause de l’instabilité politique des directeurs. Poussant ainsi les Syndicalistes à se montrer prudent dans la manière d’aborder certains sujets et à racoler spécifiquement certains directeurs, évitant ainsi les désistements de dernières minutes. Bref, un équilibre délicat amenant nécessairement une pléthore d’intrigues en tout genre.

Antoine Duprès : - « Excellences directoriales. Excellences syndicales. La réunion est ouverte. Nous avons récemment reçus un rapport de la part de Monsieur Emanuele Lecombre nous annonçant que les élites hernandiennes étaient prêtes à nous céder des terres pour nos « bons et loyaux » services. La question n’est pas tant de savoir si l’on accepte les quelques dizaines d’hectares offerts. La réponse ayant déjà été donnée à Saint-Jacques des Mers. En revanche, un point essentiel se présente, et sera le sujet de cette réunion, est-ce qu’il est nécessaire d’avoir des hommes sur place pour assurer la sécurité de nos installations ? Et si oui, seraient-ils antériniens ou au contraire formeraient-ils une sorte de milice locale ? Ainsi, nous avons deux solutions qui s’offrent à nous ; la première étant de refuser de former des miliciens pour des raisons budgétaires ou morales. Ou au contraire accepter et établir des groupes de sécurité privé pour raisons sécuritaires tout en éclaircissant certains points, notamment logistiques et financiers. Ainsi Excellences, nous prions Monsieur Ange-Lin Lorfèvre de prendre la parole. »

Ange-Lin Lorfèvre : - «  Je vous remercie Monsieur Duprès. Comme vous le savez, l’Hernandie est un territoire vaste, peu centralisé et surtout pauvre. La police tente tant bien que mal de faire régner l’ordre dans la capitale, alors que chaque jours qui passe, la drogue se rapproche insensiblement des quartiers aisés et gouvernementaux. Et la défense de nos copropriétaires deviendra donc un sujet d’envergure. Car nous savons pertinemment que toute une stratégie est développée derrière ce mystérieux, et à première vue, contre-productif don. Certainement, Excellences directoriales et Excellences syndicales, que l’entreprise sera prise dans les rivalités entre mafias et gangs. Et notre éloignement des principales villes du pays, notamment de Saint Jacques des Mers, joue contre nous et avantage très probablement les intérêts des groupes criminels, en premier lieu car nous nous retrouverions isolés, et nos fermiers seraient des proies faciles. Mieux encore, nous pourrions être intégrés malgré nous dans un jeu de rivalités entre gangs, et mettre en péril nos installations. Par conséquent messieurs nous devons assurer notre sécurité. Ce n’est pas une option, et encore moins une futilité. La sécurité doit passer avant tout ! Et nous devons avoir de quoi nous défendre et de quoi dissuader nos potentiels ennemis ! En revanche, messieurs, ne nous leurrons pas. Nous devons imposer un cadre stricte, éviter autant que possible les politiques discrétionnaires. Nous devons avoir un contrôle total sur nos hommes. Nous devons à tout prix éviter de faire de ceux-ci une force armée officieuse et utilisable à souhait. Et là est toute la nuance, et c’est ici où je m’oppose à mes collègues. Car considérez que Terrabilis devrait pouvoir avoir les moyens d’intervenir militairement est au mieux chimérique, au pire cynique. Nous ne sommes pas un état, mais une entreprise. Par conséquent il faut savoir conserver nos attributions et ne pas se lancer dans des projets trop coûteux et trop ambitieux. Qui pourraient à terme devenir un frein pour l’entreprise. »

- « Hum hum. » fit un homme, grand, gros, la cinquantaine, l’air fatigué et probablement proche du burn out. Armand Lecartaradais, rival de longue date de Lorfèvre était déterminé à mettre des bâtons dans les roues de ce jeune ambitieux. Non pas par pure jalousie, mais certainement par affection. Ange-Lin lui est assez semblable, il lui rappelait sa jeunesse et ses débuts à Terrabilis. Lorsqu’il était à prévoir les premières opérations boursières et à participer aux premières réunions entre syndicalistes et directeurs. Il était encore jeune, assez idéaliste, mais travaillait extrêmement dur. Il avait tout sacrifier pour Terrabilis, ses sorties, ses amis et même sa famille. Et pourtant, une fois le sommet atteint, la grandeur terrabilissienne à son apogée, il découvrait que tout était à faire. La renaissance des Compagnies Royales, la concurrence des Directeurs bahamanites et aleuciens. Et encore une fois, il se jeta à corps perdu dans le travail, prépara des rapports et des plans pour réduire la concurrence. Mais il se fatiguait pour rien, son influence diminuait, il n’avait plus que de rares amis au Conseil. Et cette figure jeune, fougueuse et acharnée lui rappelait ce qu’il voyait comme un échec personnel. Et dès lors il se l’était pris en grippe, à la fois par jalousie, mais aussi par une sorte de bienveillance inhérente aux anciens vis-à-vis des nouveaux. Et étrangement, Lecartaradais voyait cette rivalité comme une leçon pédagogique à l’adresse du jeune entrepreneur. Ainsi, les relations entre les deux hommes étaient très particulières, à la fois teintées de jalousie et d’envie, mais aussi d’amitié et de respect… Puis il continua :

- « Voyez-vous Monsieur, votre propos est pertinent. En revanche, une seule question nous taraude l’esprit : pourquoi avoir recours à des forces armées de l’entreprise ? Alors que nous avons des choses bien moins coûteuses à disposition ; notamment les agences de sécurité privée. Inutile dès lors de grever le budget pour quelques dizaines d’hommes armés de fusils d’assaut et d’une jeep en plein milieu de la jungle. Enfin c’est à mon sens le point essentiel que l’on devrait retenir. Que des trafiquants s’attaquent à nos infrastructures ; et bien soit, nous investirons quelques centaines de talents dans des plantations douteuses et nous aurons racheté la paix sociale. Je peux comprendre que cette mesure soit cynique, mais c’est la plus efficace et la moins coûteuse. Vous savez qu’un militaire coûte plus de quinze-milles talents à l’année ? Vous savez combien cela représente pour une centaine d’hommes ? Un millions et cinq cents milles talents par ans ! Ce n’est pas tout ! Il faut aussi prendre en compte l’équipement, le logement, les bases ! Bref que de frais supplémentaires ! Alors que nous devons débourser plus de vingt milles talents d’or au Churaynn ! Vous imaginez que nous pouvons nous permettre de perdre autant d’argent alors que nous nous endettons pour près de vingts milliards de talents ! Soyons réalistes ! Comment pourrions-nous financer un tel effort ? Il sera nécessaire de faire appel à des sociétés privées pour nous défendre, cela coûte bien moins cher, et nous n’aurons même pas à nous soucier des trafiquants. En revanche, je vous rejoins sur un autre point ; la fin des politiques discrétionnaires. Vous le savez tout autant que moi ; Terrabilis repose sur un lien de confiance qui unit ses copropriétaires. Dès lors, si nous mettons la main sur une force armée qui n’aura qu’un seul but, à savoir réprimer les contestations et massacrer ses rivaux sur place. Simplement ces derniers porteront l’étiquette de « bandits » et de « brigands » à la place de « concurrents ». Et de cette manière, si par malheur cette proposition passe, alors autant la réduire et la limiter le plus possible et préserver ainsi Terrabilis de la répression. »

Jean

Alors, un homme beau et athlétique, au visage creusé par la fatigue et au regard vif prit la parole de manière brutale :

- « Messieurs, Excellences, vous oubliez un point essentiel ! Pourquoi avons-nous besoin de ces terres ? Pourquoi faire ? Ne sommes-nous pas assez puissant comme ça ? Nous pouvons y établir des filiales, réduire les coûts et surtout ne pas se lancer dans une guerre de gangs coûteuse et sanglante ! Nous sommes censés être des hommes d’affaire ! Nous devons maintenir la paix. Nous ne pouvons nous permettre de perdre hommes et ressources pour quelques terres dans la pampa hernandienne ! Et surtout soyons lucides ! Enfin pourquoi avoir besoin de quelques hectares perdus au milieu de nulle part, sans infrastructures et en pleine guerre de gangs ! A ce niveau là faire pousser du maïs au Nivérée, nous gagnerions plus de temps ! Enfin, je considère, moi et mes amis Syndicalistes, que nous devrions refuser de nous installer en Hernandie. C’est une question de principes ! Vous le savez tout aussi bien que moi, en entrant en Hernandie, Terrabilis deviendra un loup qui ne fera qu’une bouchée des agneaux, et qui n’aura ensuite aucun mal à se frotter aux dogs de Vale ou des autres oligarques locaux. Et finalement, ce n’est plus qu’une question de temps. Une fois que nous serons installés sur place, ce n’est pas le secteur agricole hernandien qui est menacé, mais l’intégralité de l’économie ! Et après ? Et bien la voie est grande ouverte aux traités inégaux, à la renaissance des guerres commerciales permises par notre armée ! Ce n’est plus une question budgétaire messieurs. Ce n’est plus une question d’efficacité messieurs. C’est une question éthique ! L’indépendance de l’Hernandie et la moralité de Terrabilis est en jeu ! En clair, messieurs, savoir si Terrabilis devrait posséder une armée est un non-sens, la réponse étant évidemment non, la question est plus large : Terrabilis devrait-elle pouvoir s’imposer sans concessions d’ aucune manière dans les états du tiers-monde ? Les coloniser et les soumettre sans même être inquiéter ? Si oui, pourquoi Terrabilis se revendique t’elle d’obédience syndicaliste ? Alors qu’elle est parfaitement compatible avec le libéralisme sauvage. »

C’est ainsi que se présentait la position syndicaliste soutenue par bons nombres de ces derniers. Et malgré des termes crus, des assauts frontales à l’encontre des Hommes d’Affaires, Jean de Luz espérait avoir fait mouche sur une partie de ces derniers. Et déjà, les rivaux d’Ange-Lin Lorfèvre et d’Armand Lecartaradais se rassemblaient malgré certaines hésitations. Des « Il a raison ! » raisonnaient chez les Hommes d’Affaires. Évidemment, le succès de cette entreprise dépendait surtout des rivalités entre ces derniers. Si Lorfèvre ou Lecartaradais s’y opposaient ouvertement, leurs opposants seraient assez nombreux pour soutenir les Syndicalistes. Si l’un des deux se rangeait sous son avis, alors l’affaire devenait compromise. Ou pire, si le plus influent des Hommes d’Affaires prenait position contre lui, la bataille était perdue d’avance. Et c’est surtout ce que craignait Jean. S’il était convaincu, ses homologues libéraux ne l’étaient pas forcément. Surtout, il s’attaquait au point essentiel, la croissance de Terrabilis. Et c’est ici où son plan ne pouvait réellement fonctionner. Les hommes d’affaires ne sont pas des moutons votant uniquement pour contracarrer leurs adversaires. Eux aussi ont des plans et des intérêts propres, et Terrabilis était le point de pivot dans la plupart de leurs manœuvres. De cette manière, s’attaquer à Terrabilis, revenait à toucher aux intérêts des Directeurs. Et par extension à tomber en disgrâce auprès d’eux.

Après cette tirade enflammée, une voix grave tonna, un gros bonhomme, musculeux, visiblement fatigué, fit :

- « Sérieusement ! Tu vas arrêter avec tes trucs de gauchistes ?! Tu nous a pris pour qui ? Nous ne sommes pas de bons samaritains. Nous sommes des hommes d’affaires ! »

C’est de cette manière qu’entrait en scène le meneur la faction la plus nombreuse et la plus influente. Un « véritable spectacle sur patte » affirment ses rivaux. Et ils ne sont peut être pas si éloignés de la vérité. Armand de Saint Jacques des Marches était l’un des hommes les plus influents de toute l’Antérinie. Ses héritiers et ses créatures peuplaient les ministères, les entreprises, les postes à responsabilité des industries publiques et les préfectures. Bons nombre de ministres tentaient de rester dans ses petits papiers et d’obtenir ses bonnes grâces. Lui même avait le pouvoir d’imposer certains de ses points de vue au Directoire terrabilissien ou d’écraser ses rivaux. Et ce pouvoir immense était en partie du à son franc parler, ou du moins ce qui apparaissait comme tel. C’était un maître de la manipulation, se faisant passer pour un homme franc alors qu’il ne faisait que tourner la situation à son avantage en omettant certains détails. « Pas besoin de baratin quand on sait comment retourner son adversaire » disait-il. Tandis que sa carrure, imposante colonisait littéralement l’espace. Impossible de le rater. Ses traits durs pouvaient bien s’adoucir, seulement quand il tentait de se faire doucereux et obtenir une concession importante tandis que des des tremblements répétés de ses mains marquait souvent un stresse intense qu’il tentait de camoufler. Car sa principal force est sa motivation. Il voyait la formation et la croissance de Terrabilis comme un défi intellectuel. Il ne faisait pas ça pour l’argent, mais pour la gloire. Pour la beauté intellectuelle de l’entreprise. Lui même se sentait extrêmement lié à cette dernière, l’aimant tout autant que ses enfants. Les autres Directeurs y voyaient leur œuvre, lui y voyait sa fille.

Antoine Duprès se montra bien moins dut qu’à l’accoutumé, il ne s’adressait pas à un directeur oubliable qui ne maîtrise pas les bases de la courtoisie, il parlait à ce que certains voyaient comme le « Maître du Directoire », un homme capable de le remplacer lors d’un simple vote interne. « Monsieur, s’il vous plaît. » se contenta t’il de dire, mais imperturbable Armand continua :

- « Vous rendez-vous compte de votre bêtise Excellence syndicale ? Vous rendez-vous compte de votre non-sens ? Si nous nous serions limités à l’Antérinie, croyez-vous que nous aurions pu devenir l’une des plus belles et des plus puissantes entreprise de cette planète ? Pensiez-vous que nous aurions pu acheter des droits sur le canal de Sudeiss ? Nous implanter en Afarée ? Nous exporter en Poëtscovie ? Sérieusement ? Évidemment que non. La question ne se pose même pas ! Si Terrabilis veut survivre, elle doit savoir s’implanter partout. En plus, s’ils ne savent pas se défendre, on ne pourra pas le faire à leur place. Et mieux vaut que ce soit nous plutot que nos concurrents des Compagnies Royales ou des autres sociétés aleuciennes ! Nous ne sommes pas les garants de la concurrence enfin. Nous n’avons qu’un objectif ; faire prospérer Terrabilis et ses employés. Nous ne sommes pas là pour préserver la souveraineté de l’Hernandie. Si ses oligarques refusent de la défendre, nous ne le ferons pas à leur place ! Sinon vous n’avez qu’à vous investir dans la politique locale si cela vous tient tant à cœur, vous les citoyens du monde ! Et surtout, arrêtez de nous casser les burnes sur le sujet ! Les Hommes d’Affaires ne cèderont pas ! Mieux encore ils s’y agripperont comme la teigne, on ne bousille pas nos chances de nous implanter dans un coin profitable pour des raisons morales !  Le pragmatisme doit être notre seule boussoles nom de Dieu ! »

Ange-Lin Lorfèvre//Eggsy

Antoine Duprès : - « S’il vous plait Excellence, veuillez ne pas vous attaquer personnellement à Monsieur de Luz. Nous devons coopérer dans le respect de chacun. »

- « Si ça vous fait plaisir ! » bougonna Armand. « Toujours est-il que nous n’avons pas besoin de milices. Cela coûte cher et nous venons de nous endetter pour les dix prochaines années en investissant au Churaynn. Alors oui, il va être nécessaire de savoir couper là où c’est nécessaire. Qui plus est inutile d’investir des centaines de millions de talents dans une milice privée quand on peut compter sur quelques dizaines de gardes. Je suis certain que les élites locales sauront où sont leurs intérêts… Non. Attendez ! Pourquoi ne pas les forcer à défendre nos installations ? Nous gardons secret leurs petites magouilles et en échange nous sommes sûrs qu’ils auront tout intérêt à réduire à néant les groupes criminels qui gangrèneraient notre zone d’installation. C’est un excellent moyen de se préserver des mauvaises surprises tout en les forcant à jouer avec nous. Oui, finalement ce n’est pas une si mauvaise idée. De plus, ils ne seraient pas tentés de se retourner contre nous. Comme le dit le dicton « gardez vos amis près de vous, et vos ennemis plus près encore. ». Alors messieurs ? Qu’en pensez-vous ? Ce n’est pas un bon moyen d’asseoir notre présence sur place sans pour autant se ruiner. Il faudrait juste que les oligarques locaux se montrent coopératifs… Après tout, nous avons bien des méthodes à notre disposition, n’est-ce pas ?"

Cette remarque, à la fois effronté et mesuré put satisfaire une bonne partie des Hommes d’Affaires, et même certains syndiqués, rivaux secrets de Jean de Luz. Et ce type de positions était aussi la clé du succès d’Armand. Il pouvait ainsi jouer sur le compromis et les intérêts convergents de chaque groupes pour trouver une réponse convenable. C’est dans cette mesure qu’il trouvait que Terrabilis était un « défi intellectuel » notamment car la part d’éthique qui bloque certaines décisions que les entreprises plus libérales auraient prises sans même sourciller. Et il fallait savoir alterner entre morale et intérêts économiques, pouvoir se mouvoir dans ce dédale de questions philosophiques et de faits pratiques. Évidemment, cette politique de l’ambivalence et ses propos qui sont pour le moins tranchés sont paradoxales. Mais c’est dans les faits ce jeu qui lui permet de tromper ses adversaires. Si Jean de Luz est resté silencieux, c’est car il sait qu’Armand attendait qu’il commette en faux pas, s’éloigne du sujet principal pour arriver sur la courtoisie lui permettant de revenir à la charge. Dans ce type de situation, mieux valait le silence, il évitait les douloureuses humiliations publiques et les débats stériles. Lorsque l’Excellence Directoriale Armand de Saint-Jacques des Marches prend position, ses amis, ses obligés et ses alliés le soutiennent inconditionnellement. Même ses rivaux sont obligés de considérer ses prises de positions comme pertinente. Lui seul faisait la pluie et le beau temps à Terrabilis. C’était en quelque sorte le maestro de l’orchestre, lui qui alternait entre les larmoyants violons et les terribles batteries, entre les bons sentiments et les faits impitoyables, entre les Syndicalistes et les Hommes d’Affaires. Duprès maintenait le calme, lui donnait un cap clair. Et c’était son avis qui prévalait.

Antoine Duprès : - « Messieurs, Excellences Directoriales et Excellences Syndicales, il nous est clairement apparu que nous avons trois solutions qui s’offrent à nous. La première étant la proposition de Monsieur Lorfèvre, c’est à dire la formation d’une force d’auto-défense ayant des attributions claires et précises et pouvant agir dans un cadre limité par des chartes internes. La seconde étant plus radicale et ayant été proposée par Monsieur Jean de Luz qui rejette et les implantations de Terrabilis en Hernandie et la force d’auto-défense. Puis nous avons la remarque de Monsieur de Saint-Jacques-des-Marches qui évoque la possibilité de faire pression sur les oligarques en place pour qu’ils assurent à notre place la sécurité de nos installations. Les conditions de cet accord étant la discrétion de Monsieur Emanuele Lecombre. Vous avez, Excellences, cinq minutes pour voter. »

La question ne se posait même plus, l’influence et la puissance d’Armand suffisait. Les rivalités internes entre Hommes d’affaires jouaient en sa faveur. Certains de ses alliés laissant circuler des bruits qui allait dans son sens… « J’ai entendu dire que le clan Lecartaradais s’apprêtait à voter contre celui de Saint-Jacques-des-Marches » amenant naturellement les ennemis de ce dernier à se ranger du côté d’Armand et inversement pour les ennemis d’Ange-Lin. Personne ne se faisait d’illusion, les Syndicaliste venait de perdre une bataille tandis que les Hommes d’Affaires venaient de s’unir autour d’Armand. Seulement, les intérêts de chacun étaient préservés… Les Syndicalistes n’avaient pas à craindre l’utilisation de forces répressives en cas de grèves, les Hommes d’Affaires n’avaient pas à imaginer un budget coulant plus vite que le Titanic et les autres voyaient les intérêts économiques de Terrabilis préservés. Finalement ce vote est une victoire politique pour Armand.

Antoine Duprès : - « Messieurs, le vote est terminé. A presque 49 voix contre 10, la proposition de Monsieur Armand de Saint-Jacques-des-Marches est reconnue et appliquée à effets immédiats. »

Armand de Saint Jacques des Marches : - « Monsieur Lorfèvre, vous pouvez prévenir Lecombre qu’il va avoir du pain sur la planche.

Armand de Saint Jacques des Marches
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