Telle les trois mousquetaires, la délégation pharoise était composée de quatre individus en premier lieux desquels se trouvaient le Doyen Pêcheur, le citoyen Makku. Ancien humoriste et militant engagé en faveur des libertés individuelles, ses sketchs s’était avérés assez populaires et consensuels si bien que Makku faisait suffisamment l’unanimité au sein de la population pour avoir été nommé par les deux chambres au poste de Doyen, quinze ans auparavant. Poste qu’il occupait depuis non sans un certain succès d’estime.
Derrière lui venait l’inébranlable et bedonnant capitaine ministre Mainio qui semblait à lui tout seul centraliser sur ses épaules la stratégie politique internationale pharoise, jonglant entre les sommets et les conseils de guerre comme autant de pions sur un échiquier et qui compensait le stress de ses responsabilités par un appétit vorace et de fréquentes semaines de congés qu’il passait avec sa femme et ses enfants à lire de la poésie et se promener dans la forêt.
Accroché à ses basques comme un jeune chiot, le citoyen ministre Sakari avait fêté ses vingt-trois ans le mois dernier et occupait à son âge l’une des plus importantes fonctions du Syndikaali : la Défense territoriale. Propulsé à ce poste par une hétéroclite alliance écologiste-communiste, c’était son groupe parlementaire qui avait le plus d’affinités avec le régime Damann et il compensait sa jeunesse par la pluralité des expertises et sensibilités de son équipe ministérielle.
Enfin, seule femme du groupe mais non des moindres, la capitaine ministre Martta, une petite femme débonnaire et souriante avançait péniblement à l’aide d’une canne. Elle avait pour charge l’art, la culture et la diplomatie, le tout étant rangé dans le même sac pour les Pharois : après tout, ce n’était que de la littérature. Ratifieuse de traités et unique ministre élue du Parti Pirate depuis le départ de la capitaine ministre Irja, indiscutablement c’était elle la plus retord du lot.
Les Pharois – c’était bien normal – étaient venu en bateau. Un bateau somme toute assez banal si omettait de côté sa taille imposante capable d’accueillir toute l’équipe de bureaucrate des ministères présents et de la Loge Doyenne, mais qui s’était fait escorté d’un sous-marin lance-missile, dernière production des industries du pays. Le souvenir du Kauhea était encore bien présent et personne ne souhaitait se prendre une torpille perdue sur une rencontre malheureuse. Le sous-marin baptisé Hämärä était resté dans les eaux internationale, une fois tout danger écarté. N’empêche que le symbole était là : sur les mers du Nord, la suprématie du Syndikaali était encore pour l’heure incontestable.
Néanmoins, cette assurance ainsi que la jovialité naturelle des Pharois n’avaient pas réussi à compenser l’atmosphère lourde qu’avait jeté sur la délégation la visite de l’aéroport. Moment de recueillement puisque qu’un dizaine de citoyens du Syndikaali y avaient perdu la vie et le Doyen Makku n’avait pas cessé de se moucher même une fois de retour dans les voitures diplomatiques qui les baladaient dans Baidhainor jusqu’au lieu de la conférence, le Palais de la Révolution.
Du lot, Sakari semblait le plus concerné par la situation.
Ils s’extirpèrent des véhicules, accompagnés par le crépitement lointain des appareils photos des journalistes venus du monde entier. Dans le lot, certains étaient certainement Pharois.
Puis, le nez levé comme d’authentiques touristes, ils pénétrèrent le palais jusqu’à l’amphithéâtre où devait avoir lieu la conférence. Bien équipé pour l’occasion, les Pharois furent menés à la table qui leur était réservée et après avoir aidé Makku à mettre son oreillette et branché l’appareil auditif de la capitaine ministre Martta sur la bonne fréquence, ils écoutèrent la chancelière du Lofoten.
Effectivement, le discours de la vice-chancelière du Lofoten était indiscutablement des plus martial et tout entier tourné vers la question de l’Empire Francisquien. Au point d’accuser à demi-mot le reste des participants d’inaction politique. De quoi faire esquisser une grimace à Sakari et un sourire à Martta – mais cela ne comptait pas : elle souriait toujours.
Le Doyen se moucha une dernière fois.
Puis se leva et alla succéder à la chancelière sur l’estrade. Son allure tranchait terriblement avec celle des autres chefs d’Etat, vêtu de grosse laine, les cheveux longs lui tombant sur les épaules et sa barbe foisonnante recouvrant presque entièrement son visage, on ne distinguait bien que ses deux grands yeux cernés de pattes d’oie et encore rougis par les larmes qui lui donnaient un air un peu halluciné.
Néanmoins, néanmoins, une bonne action ne saurait racheter les deux cents vies innocentes fauchées à Baidhainor et dont le sinistre décompte augmente peut-être à l’heure où nous parlons, du fait des atrocités de groupes paramilitaires. C’est là fait de guerre, certes, mais la guerre n’interdit pas de se comporter en gens civilisés.
La question francisquienne, madame l’Impératrice je ne la traiterai pas en faisant comme si vous n’étiez pas là, aussi je me permets de vous adresser cette intervention. La question francisquienne disais-je, le Syndikaali l’a plus d’une dois traitée. Par la force parfois, par la diplomatie à d’autres occasions. De ces deux alternatives, madame Olfgarson nous propose tout de go la première. La force donc : mettre en place un blocus sur l’Empire. Pour faire quoi ? Imposer la paix. C’est peut-être mon grand âge mais voir des francisquiens mourir faute de médicaments au nom de la paix me semble une vision quelque peu paradoxale. Avant d’aller plus loin, j’aimerai donc, vous me pardonnerez je l’espère, demander à madame Clémence Première si, mise face à la proposition des Provinces-Unies du Lofotèn, celle-ci accepterait de s’engager dans un processus de paix en retirant ses troupes et en acceptant la réparation naturelle pour les dégâts causés, humains et matériels ? »
Le Doyen fit une pause pour se moucher puis reprit le micro.
Makku : « Ceci étant dit, je m’interroge sur la portée politique de l’intervention de madame Olfgarson. Un blocus ponctuel n’est d’aucune valeur stratégique si une fois levé l’Empire Démocratique Latin Francisquien ou un autre pays décide de tirer à nouveau un missile. Seules des institutions internationales pourraient raisonnablement faire peser un poids suffisamment conséquent sur la folie des hommes pour l’écraser. Plus qu’un blocus qui me semble par bien des aspects une aventure guerrière sans lendemain, je propose au nom du Syndikaali la création d’un conseil de défense d’Eurysie où siègeraient les nations de bonne volonté capables de contribuer à ses forces et s’engageant politiquement à mettre fin aux guerres et aux crimes sur un territoire donné.
Pour l’heure le Syndikaali assure seul la sécurité des mers du Nord, comme il l’a prouvé au Vogimska en résorbant toute tentative de militarisation du conflit par un tiers – celui-ci se trouvant être francisquien justement. Cette responsabilité nous l’assumons du fait des moyens dont notre pays dispose mais également de sa position géographique. Toutefois nous ne pouvons assurer seul le rôle de gendarme de la région. Ce ne serait pas juste, ce ne serait pas bien. Nos forces contrôlent à peine le Détroit dont elles essayent péniblement de filtrer la violence, mais nous ne pouvons pas multiplier les théâtres d’opération. Une coopération militaire internationale doit être mise en place afin de permettre à chacun de faire respecter sa souveraineté et son intégrité territoriale et culturelle historique. La Damanie pourrait faire de même, au vu de son emplacement stratégique aux portes de l’Eurysie Septentrionale.
C’est à cette seule exigence, il me semble, qu’à nouveaux les mers redeviendront un endroit sûr. »