18/02/2017
03:08:33
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Récit de la campagne électorale de 2017 [Ouvert aux joueurs] - Page 2

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Vocem populi audire.

Teylais


Angel Rojas semblait en cette soirée, en ces lieux, comme l’une de ces statues dont l’immobilité et le calme envahissent l’esprit des hommes. Figé dans l’ombre, drapé dans le silence pesant des coulisses, il imposait sans un mot une présence étrange. Il ne bougeait pas, mais il était bien présent, avec ses fiches dans ses mains. Elles n'étaient pas nombreuses, pas plus de cinq fiches, démontrant que l'exercice qui allait advenir fut travaillé et retravaillé par Angel Rojas et ses équipes. De son visage à moitié éclairé par un moniteur de contrôle, Angel Rojas regardait le Journal Télévisé se dérouler des coulisses. On aurait pu croire l'homme timide, mais cette soirée n'était pas une simple soirée, tout devait être parfait. Le calme apparent d'Angel Rojas cachait une certaine apriori, un stress. Cet exercice, il l'avait déjà fait des dizaines de fois en tant que Premier ministre. Il l'avait fait notamment pour sa déclaration de candidature à la primaire de la Gauche pour la campagne de deux mille douze.

Il l'avait fait en tant que Premier ministre, avec l'assurance banale qu'on connaissait aux chefs de l'État. Il avait pris la parole lors des périodes de crises dont la majorité était du fait de la Loduarie Communiste. Il avait combattu cet état communiste et hostile au Royaume de Teyla et il l'avait montré aux Teylais et aux Teylaises les soirs de ces combats. Bien que le combat continuait après chaque prise de parole plus ou moins virulente selon le contexte. Il l'avait montré en tant que Premier ministre dans des interviews moins importantes pour un chef de gouvernement. Une interview dans la presse locale pour annoncer une mesure de décentralisation, une prise de parole pour donner du sens à l'action de l'État dans des territoires oubliés, une conférence impromptue devant les caméras pour répondre à une polémique qui enflait. Jusqu'ici, bien que certaines de ses interventions furent fortement critiquées, il avait résisté, il avait fait le travail nécessaire. Le Mouvement Royaliste et d'Union dont il était le chef de file, n'était pas à terre après cinq années de pouvoir, au contraire, il était dans une grande forme et faisait la course à la première place dans les intentions de vote.

En outre, les derniers sondages plaçaient Les Royalistes en tête des intentions de vote, mais cela tenait plus d'un effet post-élection du chef des Royalistes, après le congrès. Jean-Louis Gaudion était un homme charismatique sur la scène teylaise, plus que l'était Angel Rojas. Le premier fut dans le gouvernement du second. Les deux hommes se connaissaient très bien et savaient qu'ils étaient pour l'un et pour l'autre un adversaire redoutable. Les deux partis étaient au coude à coude et cela arrangeait les deux hommes, parce que maintenant cette histoire et la suite de celle-ci étaient dans les mains des deux hommes. Ils avaient travaillé ensemble et ils se respectaient, ce qui annonçait une campagne respectueuse. Ce sont bel et bien le Mouvement Royaliste et d'Union ainsi que Les Royalistes qui font une campagne d'élections législatives au Royaume de Teyla. Il y a bien eu des exceptions, mais comme le mot le laisse bien penser, cela était rare au Royaume.

Ce soir allait être l'une de ces pages de l'histoire de la campagne. Une page importante assurément, Angel Rojas allait se représenter pour le poste de Premier ministre de Sa Majesté. Il espérait avoir l'onction suprême de son parti avant de faire une telle annonce. Il avait reçu cette onction hier, d'une lettre remplie de tendresse et d'espoir de la cheffe du parti, Rosalie Chabas. Cette lettre, il l’avait lue dans le silence de son bureau à la Résidence Faure. Lors de la lecture, le temps s'est comme arrêté autour de lui. La notion de temps existait-elle encore à cet instant ? Il ne pouvait répondre à la question avec certitude. Il se souvenait que la réponse l'avait soulagé. Son mandat était un bon mandat pour le Royaume de Teyla, mais idéologiquement, il était éloigné de Rosalie Chabas et d'une partie de la base militante. Alors oui, la majorité des députés le soutenaient, notamment depuis son deuxième discours de politique générale, actant un tournant majeur à gauche du Gouvernement qu'il dirigeait. Toutefois, ce n'était pas certain que le Mouvement Royaliste et d'Union lui redonne sa confiance pour porter le parti à la plus haute marche du pouvoir encore une fois.

Alors que les lumières éclairaient de mille feux le plateau du journal télévisé, Angel Rojas ressentit le poids d'un combattant politique revenir sur ces épaules. Vivre une campagne électorale, ce fut toujours palpitant pour Angel Rojas, alors la vivre de l'intérieur et en tant que chef, c'était un honneur pour Angel Rojas, qui aimait le pouvoir et ne voulait pas le quitter. Il tenta bien de cacher le goût pour le pouvoir qu'il a en lui. Mais ce fut sans grande réussite, les sondages d'opinion montraient que c'était là, la principale critique adressée à Angel Rojas. Un homme vu comme attiré par le pouvoir et non le sens de l'État. Mais c'était trop tard pour y penser, se refaire le fil des critiques qu'on lui adressait car :

- L'élection générale de deux mille dix-sept attire déjà les foules parmi les hommes et les femmes politiques de cette nation. Jean-Louis Gaudion, candidat victorieux et heureux du congrès du parti Les Royalistes, a d'ores et déjà annoncé qu'il mènerait campagne pour le parti de la droite royaliste en deux mille dix-sept et que si son parti en sortait victorieux, qu'il aurait l'honneur d'être candidat pour le poste de Premier ministre de Sa Majesté. Signe de l'élan de la campagne interne de Jean-Louis Gaudion, le parti a gagné, selon un communiqué des Royalistes, plus de vingt mille adhérents depuis l'élection de Jean-Louis Gaudion. Le futur candidat de la droite royaliste s'est déplacé aujourd'hui sur les terres de son enfance, dans un hôpital.

L'image était forte. Jean-Louis Gaudion, entouré de soignants, saluant les infirmières et embrassant les enfants malades, incarnait une proximité avec le peuple, les classes populaires et moyennes que peu de dirigeants politiques pouvaient se vanter. Angel Rojas avait cette qualité, mais une qualité moins forte que celle de Jean-Louis Gaudion sur ce segment tout particulièrement. L'opinion publique allait manger et boire les images de Jean-Louis Gaudion auprès du personnel hospitalier et prenant des notes sur son bloc note d'inspecteur de police. Les images étaient fortes et montraient un Jean-Louis Gaudion à l'écoute. Bien évidemment, cette visite n'était pas improvisée, on savait comment cela marchait dans les entrailles des partis politiques. Les images étaient belles comme les paroles et Angel Rojas allait devoir démontrer qu'il s'agissait d'une supercherie, rien de plus banal en politique.

- Jean-Louis Gaudion s'est montré pendant plus de deux heures aux côtés des patients et des soignants, continua la voix féminine. Il a notamment promis au personnel soignant une augmentation des salaires de plus de dix pourcents pour tout le personnel soignant sans distinction de poste. Il a aussi promis de continuer la réforme des services d'urgence entamée par Angel Rojas, estimant que celle-ci allait dans le bon sens, mais qu'il faut aller plus loin pour éviter la catastrophe de la canicule de deux mille treize. Dans son intervention, bien que reconnaissant certains efforts du gouvernement actuel, l'ex-Secrétaire général de l'Organisation des Nations Démocratiques charge le chef du gouvernement sur l'état des salaires du personnel de santé et les plaintes sur l'actuel état des services d'urgence santé qui n'ont pas su faire face à une canicule.

Toujours lié aux futures élections législatives, un récent sondage donne six pourcents des intentions de vote au parti Avenir du Peuple, fragilisant le Mouvement Royaliste et d'Union qui, depuis l'élection de deux mille, est à la deuxième place dans les intentions de vote. Une situation fragile accentuée par l'élection de Jean-Louis Gaudion à la tête du parti Les Royalistes qui bénéficie d'une montée dans les intentions de vote, profitant d'une dynamique post-élection. Pour l'heure, le Premier ministre n'a pas annoncé sa candidature au poste de Premier ministre contrairement à Jean-Louis Gaudion, il est notre invité de ce soir, termina par dire Julie Mathieu, présentatrice du Journal Télévisé du premier canal de la télé.

Angel Rojas inspira profondément à l'entente des mots de la journaliste. Il regarda rapidement autour de lui et il vit un technicien lui montrant le chemin à suivre pour aller jusqu'au plateau, non, corrigera-t-il dans sa tête, il ordonna à Angel Rojas d'aller s'asseoir en plateau immédiatement. Il vit Pierre Lore au loin, venu accompagner son supérieur hiérarchique mais aussi son ami depuis plus de deux ans maintenant. Ils allaient faire cette campagne ensemble, pour eux, pour le pays, pour les Teylais et peut-être pour le monde. Angel Rojas engagea sa marche vers le plateau, qui ne dura que quelques secondes. Mais ces pas résonnèrent dans sa tête, il sourit immédiatement à la présentatrice, qui lui rendit le sourire et une fois assis, Julie Mathieu déclara :

- Bonsoir, Monsieur le Premier Ministre.

- Bonsoir, Julia Mathieu, merci de me recevoir en cette soirée.

- En premier lieu, Monsieur le Premier Ministre, je tenais à être transparente avec les téléspectateurs. Vos équipes ont contacté les médias télévisés afin que vous puissiez vous exprimer aux Teylais et aux Teylaises. Notre chaîne a été retenue pour réaliser cette interview, dans laquelle chacun et chacune est libre de s'exprimer comme il l'entend.

- C’est très exactement ce que je suis venu faire ce soir, répondit Angel Rojas, le ton mesuré, calme, presque solennel. Je suis venu parler aux Teylais et aux Teylaises. Non pas en tant qu’homme de parti, mais en tant qu’homme d’État. J'ai besoin de parler aux Teylais et aux Teylaises. Le Royaume de Teyla est ma nation et je veux parler à cette nation parce que je lui dois fidélité et vérité. Sans elle, où serais-je ? Où serions-nous ? Je suis le Premier ministre de toutes les Teylaises et de tous les Teylais. Pas seulement de ceux qui m’ont élu. Pas seulement de ceux qui m’aiment ou me critiquent. Mais de chaque femme, chaque homme, chaque enfant qui vit sur cette terre. Je leur dois la vérité.

Je ne pourrais mentir à ces personnes qui se lèvent à quatre heures du matin et qui vont travailler, je ne pourrais mentir à ces personnes qui peinent à boucler leurs fins de mois malgré deux emplois, à celles qui nourrissent leurs enfants avant de penser à elles-mêmes. Je ne pourrais mentir à ces personnes qui permettent au Royaume de Teyla d'être le pays qu'il est et d'occuper la place dans le monde qu'il occupe, à savoir une place au premier plan. Je ne pourrais mentir à ces personnes qui font la réussite du Royaume de Teyla. Je ne pourrais mentir aux Teylais et aux Teylaises,
conclut-il sur un ton ferme, alors qu'il avait regardé fixement la caméra tout du long de sa réponse.

- Monsieur le Premier ministre, vous l'avez entendu plutôt de votre loge ou des coulisses de cette émission, Jean-Louis Gaudion vous a attaqué dans la journée, alors qu'il visitait un hôpital public. Quel est votre sentiment sur la visite de Monsieur Gaudion mais aussi quelle réponse lui donnez-vous ? Dit-il la vérité selon vous ? On a vu un candidat qui semblait proche aussi bien du personnel de santé que des patients. Tous les sujets sont-ils des sujets de politique, cette question se pose aussi, il me semble ?

- Je tiens d'abord à rendre hommage à l'homme qu'était et qu'est toujours, par ailleurs, Jean-Louis Gaudion. Il a fait partie de mon gouvernement pendant deux années entières, en tant que ministre des Affaires Étrangères et il a fait un excellent travail, toujours dans un esprit de cohésion avec les autres membres du Gouvernement. Cela ne doit jamais être facile quand vous êtes isolé, politiquement, dans un gouvernement. Il était le seul ministre venant des bancs de la droite dans un gouvernement de gauche.

Angel Rojas eut un petit sourire en terminant cette phrase, toute sauf innocente. Il plaçait Jean-Louis Gaudion comme un homme dont l'idéologie n'était pas certaine et pire que cela, il plaçait Jean-Louis Gaudion comme peut-être un homme de gauche. Une attaque subtile et polie pour un homme politique, qui pourrait faire perdre des voix à Jean-Louis Gaudion, des voix de droite qui ne veulent pas d'un gouvernement de gauche et encore moins d'un Premier ministre qui a été dans un gouvernement de Gauche. Dans un mode de scrutin dans lequel chaque voix compte pour qu'un député soit élu, il espérait que les voix de droite qui ne sont pas allées voter feront la différence dans les circonscriptions cruciales pour la gauche de gouvernement et royaliste. Il reprit toujours sur un ton cordial et amical :

Les images de Jean-Louis Gaudion tantôt avec les patients tantôt avec les personnels médicaux sont belles, je ne remettrais pas en cause cela. Mais je tiens à dire, qu'il était dans le Gouvernement de Sa Majesté en tant que ministre lors de l'effroyable canicule qui nous a tous et toutes marqués. Je ne dis pas qu'il est responsable des morts, cela serait irréaliste et cruel pour rien. Je veux dire que Jean-Louis Gaudion a validé la réponse du Gouvernement de Sa Majesté à l'époque ainsi que les réformes faites à ce sujet. Si Jean-Louis Gaudion avait un accord profond avec la politique gouvernementale à ce sujet, n'aurait-il pas démissionné ? On ne peut pas être acteur et dénonciateur le jour d'après car cela n'est pas de la politique mais du Théâtre, quelque chose que je regrette.

Je ne doute pas de la sincérité de Jean-Louis Gaudion lorsqu’il serre la main d’un aide-soignant ou qu’il échange avec un patient. Je doute simplement de la sincérité du candidat qui, pour quelques points dans les sondages, qui ne se souvient pas de la politique que nous avons menée. Avons-nous tous fait parfaitement ? Non, il est vrai. Mais durant mon mandat j'ai mis toute ma force, et mes ministres ont fait de même, pour améliorer les services publics et les réformes entreprises après cette tragédie l'ont permis. Je crois en l'État et aux services publics pour le fondement d'un État, d'un peuple. Parce que sur des sujets aussi cruciaux que la santé, la police et j'en passe, nous ne pouvons pas laisser le privé gérer cela et avoir un monopole que devrait avoir à terme l'État. La santé est l'une des missions que je pense obligatoire de l'État central.


- Justement Monsieur le Premier ministre, plusieurs opposants au Mouvement Royaliste et d'Union à gauche, comme les députés de Gauche République, critiquent le fait que votre politique n'est pas une politique de gauche et qu'elle ne défend pas assez l'État, les services publics. Même des députés de votre propre camp ont dénoncé à plusieurs reprises durant votre mandat que la politique gouvernementale n'était pas assez à gauche. Qu'elle bafouait certains principes universels de gauche. Que répondez-vous à ces critiques ?

- Que toutes critiques sont acceptables dans une démocratie. Nous sommes là pour opposer les idées et les points de vue. J'accepte cela pleinement. La gauche n'a jamais été un bloc homogène et je crois que c'est pour son bien. Cela fait vivre les idées, les remises en question et j'en passe. Nous avons peut-être pas dépassé les grandes théories de la gauche, du communisme mais je puis vous assurer que nous avons agi. Nous n'avons pas passé notre temps à théoriser mais à agir pour le peuple, les travailleurs, les classes populaires. Nous avons avec la loi Cheval qui permet aux classes populaires de se loger et de se nourrir sans crainte de la famine ou d'être sans toit. Imaginer une femme qui craignait chaque mois qu'elle et ses enfants soient à la rue. Maintenant, cela n'est plus possible. Nous avons rendu une justice sociale dans cette nation.

Nous avons continué les constructions de chemin de fer, tout en préservant des tarifs abordables pour les futurs clients de ces lignes. Nous avons été intelligents. Autorisation de la concurrence sur les lignes où cela est nécessaire, avec un monopole sur les lignes où la concurrence tuerait la ligne, n'arrangerait pas les clients et les utilisateurs. Les régions auront un rôle important dans la cohérence de cela, c'est une décentralisation intelligente. Je remercie par ailleurs toutes les régions, sans exception, qui ont participé aux financements, avec l'État, desdites lignes. L'État doit être intelligent pour se préserver et nous l'avons été durant tout mon mandat en tant que Premier ministre de Sa Majesté. J'entends les critiques que nous n'avons pas fait assez, mais on ne change pas une société libérale par le choc, la brutalité. Si tel est le cas, alors la brutalité, le choc, ça sera les gens honnêtes, les gens qui se lèvent à quatre heures du matin qui en seront les premières victimes. Ce sont les gens que nous défendons toutes les gauches confondues qui seront les victimes.


- En parlant de brutalité. Le Royaume de Teyla, ses institutions, n'ont pas réagi lors de la mort de Lorenzo, le célèbre chef d'État de la Loduarie Communiste. La population teylaise dans une grande partie a fêté sa mort et a appris la mort du dictateur avec bienveillance. Julia Robarta, députée Les Royalistes durant tout son mandat, n'a eu de cesse d'être virulente sur la politique teylaise menée vis-à-vis de la Loduarie Communiste. Qualifiant votre politique de laxiste et irréfléchie. Avez-vous un regret à propos de tout ça ?

La mort de Lorenzo, déclara Angel Rojas sur un ton grave, est celle d’un homme qui a dirigé un régime totalitaire, brutal, oppressif. Je n’ai aucun respect pour ce qu’il représentait. Aucun ! Comment pourrait-t-on se réjouir de la mort d'un homme de cette manière ? Je suis Premier ministre de Sa Majesté et du Royaume de Teyla. Je représente l'État Teylais, le Royaume, ses institutions et sa Couronne indirectement. Ma mission première était de m'assurer que la sécurité du Royaume de Teyla était assurée malgré la mort de Lorenzo. Je n'avais pas envie de fêter sa mort, parce que, ce n'est pas le rôle d'un homme politique mais aussi car je savais les dangers que couraient le Royaume de Teyla. Un nouveau pouvoir voulait peut-être dire une agression armée contre le Royaume de Teyla. Au final, il n'y a rien eu et c'est mieux ainsi pour tout le monde.

Les critiques de Madame Roberta et des oppositions sont assez faciles sur ce dossier. Ils n'ont rien à perdre et tout à gagner. Mais je n'oublie pas que mes décisions décident des vies tant teylaises, que loduariennes et peut-être même des vies eurysiennes. Parce que oui, si un conflit naissait entre le Royaume de Teyla et la Loduarie Communiste, ça aurait été un conflit généralisé sur le continent eurysien. La dynamique des alliances aurait été enclenchée par les deux nations et nous aurions fini par gagner, mais à quel prix ? Qu'aurait été la réaction des nations comme celles du Grand-Kah quand on observe la réaction qu'il a eue alors que la Loduarie Communiste était fortement en tort lors de la dernière interception ? Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas été fermes, car nous l'étions vis-à-vis de la Loduarie. Jamais nous n'avons transigé avec l'idéologie de l'Eurycommuniste, nous l'avons toujours, toujours combattue.

Vous m'avez demandé si j'ai un regret. Mon seul regret, c'est que nous n'étions pas assez puissants en deux mille douze, deux mille treize pour nous opposer frontalement à la Loduarie Communiste, car cela aurait évité bien des drames dans le monde et en Eurysie. Le Gouvernement de Sa Majesté travaille nuit et jour,
dit-il en parlant lentement sur un ton éminemment grave, à ce que cette situation ne se reproduise plus. Nous y travaillons depuis deux mille douze et à force d'efforts, d'investissements, de travail, l'économie teylaise a surpassé celle de la Loduarie Communiste, puis notre armée de Terre, de l'Air. Enfin, nous sommes actuellement la cinquième économie mondiale, bientôt la quatrième, nous sommes la deuxième armée d'Eurysie. Je l'ai dit, nous ne laisserons pas s'installer une situation similaire. Avec l'Organisation des Nations Démocratiques, nous avons cette chance d'avoir les capacités pour faire face à tous les types de menace. Le Royaume de Teyla est dans une situation diplomatique idéale. Il n'a pour l'heure aucun ennemi. Il a des adversaires, des concurrents, je ne suis pas dupe, mais ces rivalités ne déclencheront pas un conflit et nous en sommes assurés, contrairement à l'époque de la Loduarie Communiste.

- Monsieur le Premier ministre, revenons aux élections législatives de deux mille dix-sept. En outre, les élections législatives sont en février deux mille dix-sept et vous ne vous êtes toujours pas exprimé sur votre avenir politique. Allez-vous être candidat à votre réélection en tant que député et puis en tant que Premier ministre de Sa Majesté ? Ou votre carrière politique s'arrête-t-elle là ou devez-vous faire une pause ?

- Je ne suis pas de ceux qui croient que mon destin personnel est lié au Royaume de Teyla ou encore au poste de Premier ministre. Je suis satisfait du bilan de mon mandat, nous avons réussi quelque chose d'important. Redonner au Royaume de Teyla un prestige et la puissance auxquels il aspire. Nous avons défendu les pauvres, les classes populaires et modestes, nous avons redonné du pouvoir d'achat à toute la population, nous avons relancé le service public et nous avons permis à l'économie de se maintenir dans une forme très bonne et satisfaisante. Mais je ne suis pas indispensable. Aucun homme ne l’est. Ce que je veux, c’est que les idées que nous avons portées continuent à vivre. Le Mouvement Royaliste et d'Union n'est pas là pour satisfaire mon propre égo ou encore l'égo d'un autre. Il est là pour un projet, un projet d'une nation. C'est pourquoi j'ai refusé d'être le chef de ce parti malgré la coutume qui l'aurait voulu.

Est-ce que je suis candidat à ma réélection en tant que député ? Oui, je le suis car je suis attaché aux terres, au territoire qui m'ont vu grandir et naître. Je suis un homme de conviction mais aussi attaché à son territoire. Je crois que les idées que nous portons avec le Mouvement Royaliste et d'Union sont les idées nécessaires au Royaume de Teyla, afin de pouvoir se défendre sur la scène internationale, de corriger les maux du Royaume de Teyla, je ne dis pas panser mais bel et bien corriger. La droite de gouvernement ne cherche qu'à panser les plaies sans les refermer définitivement, ce n'est pas ma mentalité. Je suis entré en politique pour agir, pour que les gens n'aient plus des problèmes absurdes et concrets parce qu'untel a créé une loi qui crée ce problème absurde. J'y suis entré pour permettre une vie meilleure.


Est-ce que je serai candidat à ma propre succession comme Premier ministre ? La réponse est plus ardue. Être Premier ministre de Sa Majesté est un honneur, un immense honneur que la vie m'a fait cadeau. Elle demande des qualités uniques, que je crois avoir et dont je crois encore plus avoir démontré les avoirs tout au long de mon mandat. Le Mouvement Royaliste et d'Union m'a redonné sa pleine confiance. Je peux vous dire ceci, Julie. Je mènerai campagne au nom du Mouvement Royaliste et d'Union. Nous mènerons campagne autour d'un projet de gauche sociale-démocrate afin que le Royaume de Teyla continue son ascension. Cela passe par la création d'une sécurité sociale pour les fonctionnaires et notamment nos policiers, nos pompiers, nos soldats. Nous avons déjà commencé à travailler dessus et cela sera le projet texte que nous porterons à l'Assemblée nationale si les électeurs nous refont confiance en deux mille dix-sept. Pour les travailleurs, nous devons assurément continuer les réformes qui portent mon nom et continuer à réduire la durée du temps de travail. On travaille moins longtemps à Velsna qu'au Royaume, ce n'est pas normal et ce n'est pas juste pour les travailleurs. C'est ainsi que bon nombre de Teylais sont allés migrer au sein de la République Translavique. Les conditions de travail y sont bien meilleures pour tous et toutes.

Je me battrai corps et âme contre le patronnat pour faire adopter la réduction du travail parce que c'est une mesure de santé, de justice. Un corps humain ne peut travailler autant chaque semaine, notamment dans les travaux manuels, sans que le corps s'abîme. Cela augmente les dépenses de santé, des dépenses de santé que nous pourrions éviter tous collectivement avec du bon sens et cette loi que nous proposerons. C'est une mesure de justice car elle rééquilibrera les pouvoirs entre le patronnat et le salariat. Ce n'est pas à un patron de décider si vous allez avoir une bonne ou mauvaise santé, ce n'est à personne et l'État doit garantir des temps de travail corrects pour le corps humain. Le projet de social-démocratie passe aussi par la constitutionnalisation des droits des minorités, à l'avortement.

Si le Mouvement Royaliste et d'Union gagne lesdites élections et que les députés me font confiance pour porter ce projet au pouvoir, alors oui, je répondrai à l'appel par l'affirmative et j'irai devant Sa Majesté présenter un gouvernement qui aura pour mission de gouverner cette nation comme c'est actuellement le cas. Mais si le peuple ne nous fait pas confiance, alors je m’effacerai, avec dignité, avec respect pour la volonté populaire. C'est la démocratie, c'est aussi un mandat émanant du peuple. Parfois la démocratie peut être brutale pour l'égo, pour l'homme, pour l'être humain que nous sommes, mais nous devons nous efforcer de respecter les choix émanant du peuple.

Mais soyez certains que je ne suis pas fatigué, que je continuerai le combat, les combats qui doivent être menés sur la scène nationale et à l'international. Je crois profondément au modèle teylais. Un modèle dans lequel l'État n'est pas rejeté par pure idéologie mais dans lequel il est cadré par pur pragmatisme. Un modèle dans lequel la liberté est érigée comme une valeur fondamentale pour le plein épanouissement de la société entière. Un modèle où la dignité de chaque individu est non négociable, dieu merci que la Déclaration des Droits fondamentaux existe. Un modèle dans lequel le Royaume de Teyla a un rôle à jouer sur la scène internationale, une voix à porter et un projet à proposer aux nations qui composent le monde. Je me battrai pour cela, comme je l'ai toujours fait depuis mes débuts en politique, depuis mon adolescence.
La Bête ou l'Oppression ?

Pourquoi j'aurais à choisir entre deux partis qui ne me veulent que du mal ?



TECHNOLOGY ARISE.La Nouvelle Guerre Politique : Longue Marche par les Institutions.
Il avait commencé à pleuvoir au moment même où le spot de publicité d'une des grandes entreprises teylaises s'était lancé sur l'un des écrans géants du centre-ville de Manticore. Une pluie fine, caractéristique des averses artificielles des grandes villes. Le spot montrait un homme souriant, la cinquantaine conquérante, blouse blanche et regard franc, promettant un avenir radieux de la Manticore de demain et des bénéfices qu'en tirerait la jeunesse teylaise. Autour, personne n'y prêtait visiblement attention : les passants pressaient le pas vers les abris pour s'abriter de la pluie, la plupart avec des regards fatigués par une longue journée de travail et qui se glissaient sous les abris de bus ou dans les bâtiments comme des ombres. Seule une bande de jeunes, capuches relevées, était restée immobile. Un petit haut-parleur posé sur une borne d'incendie grésillait légèrement.

Puis la musique est partie. Un accord brutal, suivi d'un cri de gorge. Pas un cri de souffrance, non. Un cri de rupture, une rythmique lente, percussive avec des paroles hachées scandées à trois voix. Aucun nom d'auteur. Aucun parti, pas même une revendication claire. Mais quelque chose s'était passé : les regards s'étaient figés, les téléphones avaient commencé à filmer, et en moins de deux jours, la vidéo du morceau s'était retrouvée partout, y compris sur les vieux forums de gauche de l'Internet teylais qui étaient restés inactifs depuis plusieurs années. Ce qui avait commencé comme une discrète intervention sonore dans les failles de la capitale teylaise devint, en quelques semaines, une campagne musicale de grande ampleur, virale, clandestine, insaisissable. Cette campagne musicale, qui ne se revendiquait d'aucun parti, y compris du PET, était une forme de présence, une sorte de musique qui habitait les marges et qui dérangeait le confort du discours politique dominant en le déplaçant vers le sensible, le rugueux, le non-réconciliable. Derrière cette offensive esthétique se tenait un collectif informel, mouvant, sans nom ni porte-parole. Des musiciens, des ouvriers en friche, des étudiants expulsés, des infirmières sous-payés, des graphistes refusant de vendre leur travail ou encore des ex-militants désabusés. Des gens qui, pour la plupart, n'avaient plus foi dans les urnes depuis fort longtemps mais qui n'ont pas renoncé pour autant à la parole. Leur musique était leur cri.

L'implication du SRR dans la campagne :

Sans que la société teylaise le sache, le SRR avait en vérité lancé sa première offensive culturelle sérieuse sur Teyla afin de préparer le terrain idéologique des prochaines élections législatives. Dans la perspective de sa stratégie déjà mentionnée, le SRR a débuté sa première opération dans le domaine artistique et culturelle. En effet, bien qu'elle aurait pu débuter directement par le renforcement des partis que le SRR est sensé faire monter (à l'extrême gauche ou l'extrême droite) ou dans le dénigrement constant des partis qu'elle vise pour les faire chuter (en l'occurrence, le MRU est la principale cible des Estaliens), le SRR a préféré débuter directement sur le domaine culturel pour deux raisons précises. La première est que la conversion culturelle de la population teylaise doit s'effectuer sur le long terme, la culture est instrumentalisée ici pour instiller doucement mais sûrement des idées politiques profondément ancrées dans le programme eurycommuniste/libertaire afin de rendre ces idées socialement acceptables dans le narratif consensuel commun et ainsi ancrer une tradition politique teylaise portée de plus en plus vers la gauche révolutionnaire ; de ce fait, il est nécessaire que pour que la stratégie estalienne fonctionne (peut-être pas pour la campagne de 2017 mais certainement pour la période post-électorale), elle doit être initiée en premier. Ensuite, la deuxième raison est d'un ordre plus opérationnel : les ingérences du SRR vis-à-vis des partis seront nécessairement plus risquées puisque les services de renseignements et les forces de police teylaises sont particulièrement attentives aux ingérences politiques qui visent normalement les partis principalement. Or, ces services ne peuvent avoir des yeux partout et si le mouvement politique part de la rue et non des cadres d'un parti quelconque, les chances de repérage par les services de renseignements deviennent bien plus faibles. C'est donc une voie plus facile pour le SRR de débuter par le punch culturel que par la guerre hybride partisane.

On se rend bien compte d'ailleurs de la facilité pour le SRR d'effectuer une telle campagne : il n'est pas nécessaire d'effectuer un encadrement direct des groupes artistiques ou de leur donner des mots d'ordre : le SRR utilise seulement une des ONG, que ce soit celle de sa cellule yukanaslave ou une ONG fictive fondée directement à Teyla en coopération avec celle de Yukanaslavie pour donner des ressources, des connexions et des moyens d'agir aux groupes musicaux et artistiques marginaux situés dans le spectre de la gauche révolutionnaire. C'est à travers toute une série d'intermédiaires (centres culturels coopératifs, collectifs artistiques teylais, boîtes de production) ainsi que le fournissement d'instruments, de logiciels de mixage, de studios mobiles et surtout de financements que le SRR peut ainsi stimuler la production artistique et musicale qu'elle souhaite voir. L'idée n'est pas que le SRR télécommande toute cette opposition au caucus libéral en vigueur à Teyla, l'idée est plus subtile : l'Estalie laisse faire, elle ne fait que accélérer le feu en créant les conditions idéales dans laquelle l'idéologie libérale (qui repose sur la croyance dans le débat rationnel, les institutions représentatives et la pacification des conflits) soit confrontée à une esthétique de la rupture, une voix qu'elle ne sait pas entendre généralement.

L'esthétique du projet :

La campagne musicale mise en place n'est pas conçue comme un produit musical au sens habituel du terme car il ne cherche ni l'unité stylistique ni la fidélité à un genre, encore moins une forme d'efficacité médiatique ou de lisibilité immédiate. Il est pensé comme un dispositif sonore dissensuel, un champ de tension où les formes musicales servent surtout à désarticuler l'ordre sensible libéral établi. C'est en somme une guerre culturelle à l'état pur, où chaque piste constitue une brèche dans la linéarité de la narration dominante. La campagne assume la dissonance comme forme de lucidité : refuser la beauté normative, c'est refuser l'ordre qui l'a définie et donc le Royaume de Teyla et ses institutions.

La diversité des styles mise en avant par la campagne financée par le SRR n'est pas un simple exercice de démonstration éclectique mais une fragmentation délibérée qui traduit dans la forme musicale même une analyse marxienne de la condition prolétarienne teylaise : celle d'un sujet pulvérisé, précarisé, disjoint, incapable de s'unifier sans violence idéologique. Ainsi, les pistes passent sans transition d'un rap paysan scandé en teylais (reprenant un certain nombre de jargons issus des très vieux patois de la campagne teylaise) au punk industriel brut enregistré sur cassette, en passant par des chantes ouvriers polyphoniques mêlés de bruit blanc, des ballades ou encore des séquences ambient grésillantes, abstraites, inspirées de la topographie sonore des villes post-industrielles. Chaque morceau débute systématiquement par un fragment de parole brute, non musicalisée, captée dans la réalité : un enregistrement d'une AG syndicale, un message vocal de demande d'aide au logement, une dispute avec un employeur, une déclaration policière. Ce geste, inspiré à la fois de la tradition situationniste et de la théorie critique frankfurtienne, est sensé incarner une attaque directe contre la réification du langage. Dans le capitalisme néo-libéral, les mots sont instrumentalisés, normés, transformés en outils de contrôle ou en slogans creux. Réinjecter ces paroles brutes dans le contexte musical voulu par le SRR, sans les esthétiser ni les purifier, c'est aussi permettre de réactiver leur charge conflictuelle et de rappeler aux auditeurs le quotidien de leur aliénation sociale par le capitalisme.

C'est une esthétique qui est donc volontairement rugueuse, fragmentaire, brouillé et qui est sensé agir comme un antidote à la logique du capitalisme affectif, qui repose sur la production d'émotions faciles, d'identifications immédiates et de récits de réussite simplifiés. Là où la pop culture libérale cherche à apaiser, à lisser, à séduire, la campagne musicale de la gauche révolutionnaire dérange, fracture et refuse. C'est un rejet frontal de l'impératif de rentabilité culturelle qui exige des oeuvres brèves, "hookées", optimisées pour l'écoute passive. Ici, l'écoute est un acte, certes pénible et perturbant mais critique sur le monde libéral promis par les partis de l'establishment libéral teylais que sont le MRU et LR.

Le piège électoral dénoncé via la musique :

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L'émergence de la campagne musicale soutenue en sous-main par le SRR ne se base pas sur un vide complet, le SRR ne part pas vraiment d'ex nihilo pour assurer la réussite idéologique de cette campagne musicale. En pleine période de campagne législative, le Royaume de Teyla voit s'affronter comme à chaque échéance depuis plusieurs décennies, ses deux partis dominants : le MRU et LR. Pour la jeunesse, en particulier celle des milieux populaires, précaires, ou issus des zones périphériques, ce jeu d'alternance ne produit plus aucune croyance. Le choix n'est pas entre le changement et la continuité mais entre deux formes de continuité : l'une à visage social, l'autre à visage autoritaire. Le vote devient un rite sans foi, une obligation civique dont le contenu a été vidé, une cérémonie désenchantée. Voter pour le MRU, c'est accepter la gestion néo-libérale de la misère au nom du progrès social ; voter pour les LR, c'est valider une restauration sécuritaire sous vernis monarchique. S'abstenir, enfin, c'est s'exclure de la scène politique et s'exposer à la culpabilisation politique. Cette situation produit ce que l'on pourrait appeler une forme douce de suffocation démocratique : on ne réprime pas la dissidence par la censure directe mais par l'absence même d'une alternative audible. C'est ce que certains philosophes marxistes décrivaient déjà comme une institutionnalisation de la résignation, où le cadre électoral sert non pas à exprimer un rapport de force mais à neutraliser symboliquement la lutte des classes. Dans ce cadre, la campagne musicale de la gauche révolutionnaire cherche à opérer une rupture ontologique parmi la jeunesse : elle ne se contente pas de critiquer le choix électoral mais rappelle que la scène électorale est elle-même un artifice, un espace réglé, structuré et limite et que par conséquent, dans une certaine mesure, la scène politique teylaise est excluante par nature.

La musique, dans ce contexte, n'agit pas comme commentaire mais comme dévoilement subtile de cette réalité politique. En saturant l'espace sonore de voix, de cris, de bruits, de récits discordants, les collectifs dissidents financés en sous-main par le SRR montrent ce qui n'a pas de place dans la démocratie représentative. Ce ne sont pas les programmes des partis qui sont pris pour cible mais la fiction même de la représentabilité universelle : l'idée qu'un bulletin dans l'urne puisse porter l'existence politique d'un sujet qu'on n'a jamais reconnu comme légitime à parler. C'est ici que la campagne musicale rejoint la critique anarchiste classique, des prodayskistes estaliens aux communalistes kah-tanais, pour qui l'Etat représentatif est une machine à dissoudre la puissance populaire en la réduisant à une forme déléguée, encadrée et surveillée. Cette démarche rejoint également la critique post-marxiste de la démocratie comme structure post-idéologique. Pour certains penseurs, le cœur du politique n'est pas le vote mais le conflit : le surgissement de voix qui perturbent l'ordre du visible et du dicible. Dans cette optique, le bipartisme teylais MRU/LR constitue un exemple typique de démocratie post-politique : un système qui organise le débat en excluant toute conflictualité réelle, qui gère les différences sans jamais les laisser devenir antagonismes. Or, la campagne musicale décrite ici, en refusant la médiation d'un parti ou d'un candidat quelconque, redonne à l'antagonisme sa dimension brute. Il ne fait pas campagne et ne cherche pas à convaincre de faire voter pour un tel ou un tel, il crée une zone d'illégitimité volontaire, une insoumission esthétique où la voix ne devient pas parole autorisée mais un bruit qui résiste à l'intégration. Cela renverse toute la logique électorale teylaise dont le principe repose précisément sur la convertibilité du cri en revendication, de l'indignation en projet et du trouble en programme. Ici, pas de programme : juste le refus de la jeunesse d'être gouvernée. C'est ici que se joue la radicalité de l'opération soutenue en coulisses par le SRR estalien : non pas subvertir le jeu électoral en y favorisant un troisième acteur, du moins pas pour l'instant, mais le miner depuis l'extérieur en lui opposant un régime d'énonciation incompatible.


Ce qu'on entend dans les concerts clandestins de Manticore.J'ai vendu ma misère pour une voix de soumission
Au fond de moi la sentinelle pour y briller sans exception
Et les sourires étaient les mêmes

A-t-on le cri du coeur, la vérité ou la raison ?
Vous n'entendez donc que la bête
Et ses réponses à vos questions

Est-ce que la fièvre est un délit d'opinion ?
Est-ce que ma peine était un vote de sanction
La sentinelle qui trouve réponse à mes questions
Serait-ce la bête, serait-ce la bête, ou bien l'oppression ?

Mon prix sert de silence aux fossoyeurs de compassion
Aux mijaurées la suffisance, aux incendiaires de l'unisson
Quand un sourire décède d'avoir sourit à l'opinion
A cette soupape, cette sainte atèle, j'aurais pu encore dire non

Est-ce que la fièvre est un délit d'opinion ?
Est-ce que ma peine était un vote de sanction
La sentinelle qui trouve réponse à mes questions
Serait-ce la bête, serait-ce la bête, ou bien l'oppression ?

Serait-ce la bête, serait-ce la bête, ou bien l'oppression ?

Ravale donc ta rengaine, ravale donc tes sanglots,
De l'amour ou d'la haine, qui donc aura bon dos ?

J'ai mis ce cris de guerre, pas en faux-frère
mais en son nom
J'ai donné ma main à l'enfer,
Sous vos crachats ma reddition

Est-ce que la fièvre est un délit d'opinion ?
Est-ce que ma peine était un vote de sanction
La sentinelle qui trouve réponse à mes questions
Serait-ce la bête, serait-ce la bête, ou bien l'oppression ?
La haine des classes :

Je ne hais pas mon prochain pour ce qu'il est mais pour ce qu'il possède.



KILL YOURSELFOpération : KILL MRU.

Quelque chose qui transparaît évidemment lorsque vous lisez les thèses marxistes, c'est le principe de la lutte des classes. Cette lutte est au centre d'absolument tous les mouvements sociaux et politiques et au cœur des rapports de domination et d'aliénation du capitalisme et plus généralement des régimes libéraux et autoritaires. Cette lutte des classes couvre plusieurs domaines et la domination d'une classe par rapport à une autre peut être acquise par autant de moyens que les systèmes sociétaux complexes mis en place par l'Homme permettent d'élaborer et de légitimer des pouvoirs souvent exclusifs entre les mains d'un petit nombre d'individus au nom d'une majorité silencieuse. Le droit est par exemple un excellent moyen de légitimation du pouvoir : les monarchies absolues usaient du droit naturel, coutumier ou divin pour asseoir leur autorité vis-à-vis de populations qui n'avaient dans un tel système aucun contre-pouvoir aux prérogatives arbitraires de la royauté. Seulement, le droit n'est qu'une composante de la légitimation globale des régimes arbitraires car la composition de ce même droit est limité en partie par le consensus moral établi autour de celui-ci et des traditions politiques dont le régime est issu. Il serait par exemple inconcevable aujourd'hui dans un pays comme Teyla de faire promulguer une loi qui remettrait au goût du jour la torture pour les opposants politiques, tout simplement car les valeurs affichées de la société teylaise, bien représentés par le consensus humaniste des Droits Fondamentaux et Universels de l'Homme de 1872, iraient à l'encontre du narratif du régime. Certains anthropologues estiment généralement que l'être humain ne domine pas le monde parce qu'il est plus fort ou plus intelligent individuellement mais parce qu'il est capable de croire à des récits collectifs. Ces récits partagés permettent à de vastes groupes d'individus de coopérer à grande échelle. Contrairement aux animaux qui coopèrent en petits groupes fondés sur la hiérarchie ou les liens biologiques, les humains coopèrent en masse grâce à des croyances communes dans des entités abstraites : dieux (récits religieux), nations (récits politiques), Droits de l'Homme (récits moraux), l'argent (récit économique par excellence) ; plus généralement, les entreprises, les Etats ou les marques (qui sont des fictions juridiques ou culturelles). Le récit est donc une structure de pouvoir invisible mais essentielle. La conservation de ces récits étant essentielle, les régimes politiques doivent les conserver et les préserver en évitant le plus possible les ruptures radicales afin de conserver la cohésion nationale car sans une croyance en des récits communs, même la plus unie des nations peut sombrer rapidement dans la guerre civile et dans une profonde crise existentielle qui mène, la plupart du temps, à son extinction.

Sociologiquement, on considère donc que la lutte des classes est plus généralement un affrontement de récits contradictoires au sein d'un même groupe aux composantes socio-économiques différentes, et donc avec des intérêts de classe strictement différents. Or, la construction des récits ne s'effectue pas par le plus merveilleux des hasards : il tient compte de l'histoire, de la culture, des mentalités mais aussi et surtout des émotions humaines. Parmi toutes les émotions humaines que la lutte des classes convoque, une d'entre elles est fortement présente et pourtant peu citée, souvent vue comme tabou : la jalousie. On pourrait prétendre que parler de jalousie lorsqu'il s'agit de parler de la lutte des classes, du combat acharné du prolétariat vers une élévation de son niveau de vie et vers un modèle de société plus égalitaire ne serait que rhétorique réactionnaire et méritocratique ("s'ils veulent devenir riches eux aussi, ils ont qu'à travailler ; on n'obtient pas la richesse avec des allocs !") mais il faut considérer malgré tout une forme d'autocritique des mouvements d'obédience socialiste dans cette formulation. Pourquoi la plupart des révolutions, en dehors de certaines très à part telles que celles qui ont secouées le Grand Kah, ont-elles finies corrompues ? On ne compte à ce jour plus le nombre de nations se revendiquant fièrement socialistes ou communistes et qui perpétuent malgré tout ces rapports de domination intrinsèques au capitalisme, parfois par contrainte économique (comme le Negara Strana) mais bien souvent par intérêt de classe (comme l'ancienne Loduarie). Par exemple, la Loduarie "Communiste" est l'archétype de la révolution corrompue du XXIe siècle : la société loduarienne perpétuait les rapports de domination entre les classes, ayant remplacé l'ancienne domination capitalistique et nobiliaire par une domination bureaucratique de la nomenclature et de l'entourage direct du Secrétaire Lorenzo dont le culte de la personnalité visait principalement à justifier une légitimité en se différenciant radicalement des figures plus technocratiques de la social-démocratie teylaise par exemple. La justification de la position de Lorenzo était liée à la personnalité soi-disante exceptionnelle du personnage, à l'image d'une forme de Destinée Manifeste à l'égard d'une unique personne guidant tout un peuple, là où le "culte de la personnalité" des personnalités politiques teylaises se concentre davantage sur le savoir, sur la réussite financière, sur l'apparente sagesse des hommes politiques et hommes d'affaires au service du Royaume. On peut prétendre que la corruption de ces révolutions découle principalement des intentions initiales de ses têtes de file, qui suivent des objectifs paradoxalement profondément humains, celui de devenir calife à la place du calife ; le vernis communiste ne devient dès lors plus qu'un moyen de légitimation parmi tant d'autres, au même titre que le vernis fasciste, royaliste ou "démocratique". La jalousie fait donc partie du processus révolutionnaire à certains égards, pour de mauvaises raisons certes, mais son existence ne peut être catégoriquement niée au regard des précédents historiques et bien que cet argument, généralement utilisé par les libéraux et les réactionnaires pour laisser transparaître une soi-disante hypocrisie des mouvements prolétaires et ouvriers, puisse être fallacieux pour dénoncer les objectifs de la lutte des classes du point de vue du prolétariat, il reste important à comprendre pour saisir les mécanismes de la lutte des classes en elle-même. Il n'est donc pas question, en parlant de jalousie, d'y effectuer une critique morale du prolétariat ; en effet, cette jalousie, souvent mimétique plus que liée à la classe en elle-même, n'est pas un caractère intrinsèque à la classe dans laquelle les individus ont grandis mais une conséquence, un symptôme du désir égalitaire dans des structures inégalitaires par nature, telle que le capitalisme.

Pourquoi ce détour théorique ? Parce que ces dynamiques émotionnelles et narratives sont au cœur de la stratégie que le SRR va employer. C'est très simple : le SRR va se servir de ces mécanismes, aussi déloyaux soient-ils, pour mener sa campagne de dénigrement du MRU, le principal bloc de centre-gauche du Royaume de Teyla, afin de radicaliser son électorat vers la gauche afin de faire idéalement grossir le rang des libertaires de l'A! et des eurycommunistes du PET afin d'augmenter le poids politique de l'extrême gauche teylaise tout en affaiblissant progressivement le consensus centriste MRU/LR qui agit comme bipartisme institutionnel depuis des décennies au sein de la démocratie parlementaire bourgeoise que Teyla représente si bien. Pour dénigrer le MRU et entériner progressivement la base de son narratif, il faut s'attaquer directement aux fondations du parti, c'est-à-dire ses têtes de files. Il n'est évidemment pas question dans l'immédiat de mener une campagne de dénigrement à la sauce complotiste : le SRR peut certes mener une campagne de désinformation, inventer des scandales politiques et financiers à la chaîne (le service l'a déjà fait après tout) et tourner au ridicule les chefs du MRU en dévoilant des affaires personnelles très sensibles. Cependant, le SRR voit les choses sous un angle plus permanent, plus systémique : il n'est pas juste question de "saboter" la campagne électorale teylaise de 2017 mais de porter un coup fatidique aux institutions, à l'establishment libéral, à la structure du régime teylais. En bref, le SRR veut faire semer les graines de la discorde dans le cœur de la gauche teylaise, disposer d'un appui solide sur place prête à la dissension. Sauf que pour mener à bien l'agencement des racines de la discorde au sein de la société teylaise, le SRR doit mener à bien une purge, un moyen d'emploi vieux comme la politique en somme. Il faut purger la gauche teylaise de tous les collaborationnistes libéraux qui l'habitent et le MRU en est le farangon, le porte-étendard, l'ultime bastion. Le SRR, à terme, veut mener à la polarisation de la société teylaise car il est illusoire de penser qu'elle peut convaincre la droite à se rendre pacifiquement au nom de la lutte des classes, ce n'est pas pour rien que le SRR radicalise aussi l'extrême droite : tout doit être discorde, tout doit être manichéen ; les Teylais doivent être persuadés qu'il existe deux camps dans leur pays, les gentils et les méchants, le bien contre le mal, et ce peu importe qui représente le bien et le mal car les préoccupations de la politique interne n'intéressent pas les Estaliens. Ce qui les intéressent, c'est la place plus large que Teyla occupe en tant que membre principal et pilier central de l'OND ; l'affaire est géopolitique, pas interne. Pour mener à bien cette stratégie, il faut donc supprimer le MRU, le purger, frapper ses fondations et pour cela, les Estaliens disposent d'une arme plutôt pratique : l'anti-élitisme.


Le MRU est un gestionnaire du capitalisme :

L'exploitation, sous toutes ses formes, est une aberration en soit. Quiconque tente de la justifier n'est pas socialiste.

Extrait d'une intervention de délégués de l'A! et du PET à la faculté de sciences politiques de l'Université de Manticore, 3 Janvier 2017.

Cela fait bien longtemps que la social-démocratie a cessé d'avoir tout lien avec l'anticapitalisme. Les partis sociaux-démocrates comme le MRU ont une longue trajectoire de passage d'une orientation de transformation du capitalisme à une orientation de meilleure gestion de celle-ci. Même s'ils ont au moins fait semblant de soutenir le socialisme du bout des lèvres, ils vantent désormais leurs références en tant que gardiens de la compétitivité et de la discipline sociale. Partout en Eurysie, les partis travaillistes traditionnels et les syndicats qui leur sont attachés n'ont d'autre vision qu'un retour à une sorte de capitalisme guidé. Les sociaux-démocrates ne proposent pas, même comme objectif stratégique polyvalent, une vision anticapitaliste. Ils tentent plutôt de préciser les fondements institutionnels d'un capitalisme débridé où la concurrence peut être exploitée pour "mieux" fonctionner à mesure que la relation entre l'Etat et le marché est rééquilibrée. En somme, la pratique de la politique dans le cadre d'une vision stratégique 'une transition démocratique au-delà du capitalisme est passée à côté de la social-démocratie. Même si le réformisme social-démocratie avait autrefois un idéal de transformation progressive, la notion même de réforme a été fondamentalement évacuée de son sens ou irrévocablement traduite. En somme, la social-démocratie proposée par le MRU n'est qu'une forme de social-libéralisme.

L'échec de la social-démocratie telle que le figure le MRU est évident et découle du fait que l'optimum utopique social-démocrate ne peut être maintenu, temporairement, que grâce à une heureuse conjonction de l'équilibre des forces de classe, du cycle d'accumulation et les stratégiques politiques spécifiques des mouvements ouvriers et des Etats capitalistes. La reconnaissance du fait que le capitalisme ne pourra jamais être pleinement domestiqué est à la fois douloureuse et importante, une douleur dont le MRU se refuse à subir. L'Etat dans la société capitaliste a toujours été avant tout le garant des relations de propriété capitalistes et a sans aucun doute été l'instrument du règne de la classe capitaliste. Pour que l'Etat soit utilisé afin de parvenir à un optimum de compromis et de coopération, il faut une certaine combinaison d'exigences à remplir : l'acteur politique doit être un parti de masse qui est strictement libre de tout intérêt capitalise, qui a acquis le pouvoir d'Etat et éliminé les capitalistes et leurs représentants aux postes clés et qui a établi une position ferme afin qu'il soit extrêmement clair que toute résistance des capitalistes serait futile. Des conditions que ne remplissent absolument pas le MRU. Et il est évident dans l'histoire parlementaire que lorsque les sociaux-démocrates comme le MRU avait à choisir entre la bourgeoisie et le prolétariat, elle choisit toujours la bourgeoisie ; non par erreur ou par trahison ponctuelle mais parce que leur programme entier repose sur une illusion, celle d'un capitalisme modéré, régulé, négocié, comme si l'exploitation pouvait être civilisée, comme si le capital pouvait être convaincu d'abandonner pacifiquement son pouvoir.

Le MRU n'échappe donc pas aux règles historiques qui régissent la quasi-totalité du mouvement social-démocrate et travailliste eurysien. Il incarne parfaitement cette dégénérescence terminale de la gauche parlementaire, devenue force de gestion du consensus néolibéral. A Teyla, les gouvernements successifs où il a pris part ont mené les mêmes politiques. En effet, le MRU comme LR sont deux partis conscients des travers du capitalisme mais au lieu de les combattre, ces deux partis s'affairent toujours à acheter ni plus ni moins que la paix sociale, seule la manière de faire diffère entre les deux. Pour LR, la paix sociale s'achète par la croissance économique, par la montée du niveau de vie via une politique de l'offre profondément libérale, en somme la croissance et l'accumulation du capital est sensé acheter la paix sociale et justifier l'exploitation de la classe ouvrière qui en reçoit les maigres bénéfices, son regard étant détourné vers les maigres gains que la croissance lui apporte et non pas sur l'augmentation du fossé des inégalités socio-économiques qui se creusent à cause de cette même croissance. Le MRU applique une logique inverse en proposant une politique de la demande très keynésienne (pour laquelle le parti est sévèrement critiqué par la droite par ailleurs) en augmentant massivement les investissements publics et la dépense publique dans son ensemble afin d'augmenter artificiellement le niveau de vie de la population (sans pour autant remettre en cause les raisons de la pauvreté dans la société teylaise) et pousser principalement la population teylaise à consommer, seule liberté qui lui est véritablement octroyée pour contrebalancer son esclavage moderne et l'aliénation sociale qu'elle subit en permanence.

L'échec de la social-démocratie tien précisément à cela : elle a toujours misé sur la possibilité d'un compromis stable entre capital et travail mais ce compromis n'a été possible dans un contexte très spécifique, où la peur du communisme loduarien, l'abondance des gains de productivité et la force relative des syndicats ouvriers forçaient la bourgeoisie à lâcher du lest. Cet équilibre est instable par nature et disparaît lorsque les conditions matérielles l'ont permis : le capital brise naturellement le pacte avec le prolétariat, il désindustrialise, il dérégule, in financiarise et écrase les contre-pouvoirs comme se sont toujours acharnés à faire le Conseil National du Patronat en libéralisant massivement l'économie teylaise, légitimant sous Pierre Lacombe la libéralisation massive de l'économie par la modernité, le besoin de compétitivité de l'économie teylaise. D'un point de vue marxiste, l'abandon du MRU du prolétariat pour se concentrer sur les intérêts bourgeois n'est pas accidentel, il s'inscrit dans la fonction réelle de la social-démocratie dans l'appareil d'Etat bourgeois car l'Etat dans une société capitaliste n'est jamais et ne sera jamais neutre. Il est le condensé matériel d'un rapport de forces mais dont la structure fondamentale reste orientée vers la reproduction des rapports sociaux existants. L'Etat protège la propriété privée, assure la discipline du travail, garantit la circulation des marchandises et des capitaux. Les sociaux-démocrates, une fois au pouvoir, n'ont jamais eu pour projet de changer cette fonction : ils ont cherché à la rendre plus inclusive, plus "humaine" mais jamais à la remettre en cause et c'est pourquoi ils échouent toujours, même quand ils gouvernent seuls : parce qu'ils refusent d'affronter les rapports de production, ils se retrouvent prisonniers des contraintes structurelles du capitalisme globalisé. Le MRU n'est pas une force de transition, il est un mur de contention. Il retient la radicalisation de la colère populaire en canalisant les frustrations sociales dans les canaux morts de la politique représentative. Il incarne la figure rassurante d'un pouvoir tempéré, raisonnable, compréhensif mais au service d'un ordre économique fondamentalement injuste. Il est l'équivalent contemporain du cordon sanitaire idéologique contre toute contestation sérieuse du système. Il parle au nom du peuple mais ne gouverne qu'avec l'accord des marchés. Il prétend représenter les travailleurs mais il partage leurs intérêts avec la haute administration, les directions syndicales compromises (la trahison du CUO, d'obédience social-démocrate et proche du MRU de facto, durant les grèves contre les grands plans d'infrastructure en est le parfait exemple), les cercles universitaires libéraux. Il est une fiction de gauche, une étiquette sans contenu, une coquille idéologique vide.


La démocratie teylaise, une élite qui ne dit pas son nom :

L'anti-élitisme est la base des mouvements révolutionnaires ; aucune élite ne peut prétendre à l'émancipation des libertés, le peuple oui.

Extrait d'un manifeste du PET sur l'élitisme du MRU.

Le MRU ne représente pas le peuple. Il ne parle pas au nom des travailleurs. Il ne défend pas les exploités. Le MRU est un parti de notables, de technocrates, d'universitaires libéraux, d'héritiers culturels de la classe dominante. Il prétend incarner une "gauche de gouvernement" mais il n'est que la fraction socialement légitime de l'élite capitaliste. Une élite instruite, bien vêtue, parfaitement formée aux codes de la haute administration, parlant la langue du pouvoir, fréquentant les mêmes cercles, partageant les mêmes intérêts que ceux qu'elle est censée combattre. Son mépris des classes populaires est dissimulé derrière un vocabulaire paternaliste et condescendant. Le MRU ne parle jamais du peuple ; il parle d'inclusion, de dialogue social mais jamais d'exploitation, jamais de lutte ou de capitalisme. Il refuse même de nommer l'ennemi car cet ennemi, c'est lui. Le MRU est l'expression politique d'une caste intermédiaire dont la fonction historique est de maintenir l'ordre établi en évitant toute rupture, toute conflictualité réelle, toute remise en cause du pouvoir économique. Il pacifie les tensions et amortit les chocs, il gouverne pour la bourgeoisie tout en prétendant parler aux prolétaires.

L'élitisme du MRU n'est pas une dérive, car c'est sa nature, il fonctionne comme un appareil de reproduction sociale en sélectionnant ses cadres dans les grandes écoles teylaises, dans les think tanks, au sein du CUO ou dans les milieux universitaires les plus dociles. Ses dirigeants n'ont jamais connu le labeur ou la précarité. Ils ne viennent pas des usines, des ports, des mines, des hôpitaux. Non, ils viennent des séminaires sur le développement durable, depuis des conférences sur la gouvernance. Ils pensent en tableaux Excel, en courbes de croissance, en objectifs de compétitivité. Le peuple pour eux n'est qu'une variable, un segment électoral à séduire à coups de storytelling mais dont il faut craindre l'instinct de classe (vous comprenez, on est parfois imprévisibles, nous les pauvres !). Il n'est pas anodin que les figures du MRU soient presque toutes issues des mêmes écoles, des mêmes commissions et des mêmes cabinets ministériels. C'est un entre-soi feutré, policé, où l'on débat poliment des limites du système sans jamais poser la seule question qui compte : qui possède quoi, et pourquoi. Ce sont des experts, pas des militants. L'élitisme du MRU est aussi un instrument de légitimation. Il présente ses cadres comme compétents, sérieux, raisonnables mais à l'inverse, toute contestation radicale est taxée de populisme, d'irresponsabilité, de simplisme. Le MRU construit une division morale entre une "bonne gauche" (la sienne en l'occurrence), cultivée, modérée, ouverte au compromis ; et une "mauvaise gauche", brutale, utopiste, dangereuse. Cette opération idéologique, qui n'est pas sans rappeler les simplismes loduariens, n'a qu'un but : interdire au peuple de parler en son propre nom, lui retirer la parole, enfermer la lutte des classes dans le langage tiède de la réforme progressive, de la concertation sociale, du consensus national. Mais nous savons ce que vaut ce consensus, on sait que la modération du MRU n'est qu'un masque pour défendre les intérêts des banques, des actionnaires, des syndicats patronaux, des multinationales qui profitent allègrement de l'Espace Noodrcroen pendant que les travailleurs sont payés au lance-pierre et voient leurs salaires gangrénés par l'inflation et la baisse générale des salaires. La "gouvernance rationnelle" du MRU n'est qu'une stratégie de domination car la raison qu'ils invoquent, c'est la raison du marché, c'est la rentabilité. Le MRU n'a pas non plus peur de la droite car il gouverne souvent avec elle. Ce dont il a peur, en revanche, c'est d'un peuple qui se soulève, d'une classe ouvrière qui cesse de croire à ses fables, d'une jeunesse qui ne veut plus de ses sermons sur le réalisme, d'un mouvement révolutionnaire qui redonne un sens à la politique, qui ne demande plus des miettes mais exige la table entière. Le MRU a peur des masses, c'est pour cela qu'il achète la paix sociale via la dépense publique.

C'est pourquoi nous devons le combattre. Non pas seulement comme un adversaire électoral mais comme une structure de pouvoir. Un appareil idéologique dont le but réel est de maintenir l'exploitation dans des formes acceptables. La vérité est difficile à entendre mais nous devons l'exprimer à voie haute : le MRU ne fait pas partie de notre camp, il n'est pas la gauche ; il est l'élite, il est l'obstacle. Il est l'ennemi !


L'ombre de Mistohir.

Méthodes employées du SRR pour propager la rhétorique anti-élitiste contre le MRU.Afin de mener sa campagne anti-élitiste, le SRR s'appuie sur une triple matrice : médiatique, culturelle et organisationnelle. Il infiltre les réseaux sociaux, les forums citoyens et les groupes de discussion en ligne pour y diffuser de manière virale des contenus visuels et narratifs mettant en scène les contradictions de classe, en ciblant les figures du MRU comme des carriéristes déconnectés, issus des grandes écoles, vivant dans des quartiers protégés, décidant de la vie des autres sans jamais s'y confronter. Il s'agit d'instiller partout l'idée que l'élite politique ne comprend plus la réalité du peuple teylais, qu'elle se parle à elle-même et organise sa propre reproduction sociale dans le mépris des "gens ordinaires". Pour appuyer cette rhétorique, le SRR produit également des contre-enquêtes via ses agents locaux et ses "têtes" (cf. Théorie de l'Hydre) pseudo-indépendantes ainsi que des interviews d'ex-militants du MRU déçus ou des syndicalistes du CUO mis à l'écart afin de construire un récit de trahison idéologique et de captation du pouvoir par une oligarchie en cravate.

Simultanément, il soutient ou suscite la création de micro-structures militantes, souvent sous des étiquettes associatives, artistiques ou citoyennes, qui véhiculent un imaginaire populiste de gauche, ancré dans la lutte des classes et la dénonciation du langage technocratique. Ces groupes organisent des réunions publiques, des projections de films politiques, des distributions de tracts dans les zones rurales et périurbaines en insistant toujours sur la fracture entre ceux d'en haut et ceux d'en bas. L'anti-élitisme devient le point d'entrée pour toutes les radicalisations possibles, qu'elles soient libertaires ou eurycommunistes et la posture de rupture est systématiquement valorisée.

Enfin, le SRR manipule certains segments de la presse locale, par infiltration ou par pression indirecte, pour faire émerger des scandales symboliques : petits privilèges d'élus du MRU, subventions douteuses à des entreprises amies, carrières croisées entre public et privé. L'objectif n'est pas tant de faire tomber un individu que de frapper l'image de l'ensemble. Il faut que chaque représentant du MRU apparaisse comme un usurpateur, un complice du capital, un gestionnaire bien peigné d'un système injuste. Ce n'est pas seulement une attaque idéologique, c'est une opération de délégitimation morale.


Ah j'avais prévenu pour Bérurier Noir-
Vocem populi audire.
Hellemar

Teylais


Le Royaume de Teyla, en ce jour du 10 octobre 2016, commençait un cycle électoral bien fourni. Les électeurs teylais avaient à se prononcer en ce 10 octobre 2016 pour élire leur maire indirectement, en votant directement pour leur conseil municipal. Au mois de février 2017, ça allait être au tour des élections législatives, dites élections générales. Puis quelques mois après les élections législatives, les électeurs allaient devoir se déplacer pour élire leur conseil régional. Mais en ce jour, les électeurs se déplaçaient bel et bien pour décider de la politique communale, municipale.

À Hellemar, une petite bourgade maritime du Royaume de Teyla, maritime par son industrie militaire navale, qui battait son plein. En ce mois d'octobre, le vent froid, venu des vastes étendues maritimes du nord, enveloppait Hellemar. Les habitants avaient revêtu des pulls de laine, des doudounes, des bonnets pour braver ce froid. Ces mêmes habitants allaient d'un pas rapide se réfugier vers les bureaux de vote. Les bureaux de vote étaient au nombre de deux dans cette ville de cinq mille habitants. Le premier était une simple école primaire, transformée pour l'occasion en un bureau de vote spacieux. Le deuxième bureau de vote n'était nul autre que la bibliothèque de la ville. Quand ce n'était pas dans les bureaux de vote que se réfugiait la population locale, elle se hâtait dans les bars et les cafés du centre-ville.

On parlait de politique, en ce jour très politique, pour le Royaume de Teyla. On se rappelait la volonté du Gouvernement de Sa Majesté d'entraîner le Royaume de Teyla dans la construction maritime civile et militaire. On se souvenait comment était la dureté de la vie il y a encore trois années de cela. Les pêcheurs, qui étaient la plus importante activité de la ville, dépendaient des grandes structures agroalimentaires du Royaume de Teyla. Ces structures contrôlaient la chaîne de production et en partie la chaîne de distribution. Elles facilitaient en un sens le travail des pêcheurs qui n'avaient pas besoin de se casser la tête concernant les ventes, les entreprises agroalimentaires s'en occupant. Toutefois, les conditions de travail étaient déplorables, dues à un code du travail bien trop en faveur de l'employeur. Les bateaux de pêche avaient presque disparu du paysage, il en restait une dizaine. Il y a trois ans, ils étaient cinquante bateaux à attendre dans la nuit leurs équipages.

Pour une ville de cinq mille âmes, les chantiers navals et les ports accueillant des navires militaires étaient gigantesques. Ces bâtisses de béton démontraient la transformation qui avait changé la ville de Hellemar. Bien imposants, les navires de pêche n'étaient rien face à ces immenses grues soulevant des matériaux pour les ouvriers ou encore aux navires militaires entrant et sortant du port. Cette transformation avait eu du bon, du très bon. La qualité de vie, le niveau de vie avait augmenté dans la ville et dans toutes les régions. Pour une région habituellement tournée vers la pêche et l'agriculture, son industrialisation, pour répondre aux objectifs du Gouvernement de Sa Majesté, avait réjoui toute une classe sociale. Les anciens pêcheurs et leurs familles, jadis à la merci des aléas climatiques et de l'exploitation économique, trouvaient désormais des emplois stables et mieux rémunérés dans les chantiers navals ou les entreprises créées en faveur de la production navale. Les salaires, les conditions de travail étaient bien plus élevés. Les moins chanceux n'avaient droit qu'à quatre semaines de congés payés, les plus chanceux, c'était six semaines de congés payés.

Mais cela n'était pas sans conséquences. La ville avait vu sa population passer de trois mille à cinq mille habitants en trois ans, après une forte mobilisation de la région et de la mairie pour soutenir la construction des logements et des infrastructures nécessaires à l'accueil d'une toute nouvelle main-d'œuvre venue de Manticore, pour la plupart des ingénieurs. Les diverses associations sportives, culturelles avaient du mal à suivre l'afflux de personnes, notamment car les subventions municipales ne suivaient pas. Le financement de la municipalité venant de Manticore avait augmenté, grâce à l'augmentation de population, mais l'augmentation du financement n'était pas proportionnelle, et il revenait aux mairies de se débrouiller la plupart du temps. Elles finissaient par augmenter les taxes locales, aux dépens des maires, au même titre, en vue de leur réélection.

Les bouleversements sur la sociologie et la politique dans la ville et dans la région entière étaient nombreux. Les nouvelles classes sociales, parfois d'anciens venus des classes populaires de cette ville, côtoyaient les classes populaires, les nouveaux commerces de proximité, les nouveaux restaurants, et les deux mondes cohabitaient la plupart du temps pacifiquement. Toutefois, le maire sortant et candidat à sa réélection pouvait observer les tensions quand il allait à la rencontre des habitants. Les anciens habitants se plaignaient du comportement des nouveaux et inversement. On dénonçait la hausse du coût de la vie, de la part de ceux qui n'avaient pas su ou pu profiter des nouveaux emplois bien payés des chantiers navals militaires. À l'occasion d'une poignée de main, les cheveux plaqués au vent, le maire entendait notamment les plaintes sur le coût de l'immobilier qui avait augmenté de vingt pour cent en trois ans. Une montée des prix que ne pouvaient pas supporter certains habitants ou alors en rognant sur le budget des loisirs, de la nourriture, des biens primaires et vitaux. Il rétorquait avec des chiffres, rappelant la baisse spectaculaire du chômage, l'augmentation des salaires moyens, la fierté d'une ville qui comptait à nouveau dans le Royaume, pour défendre son bilan et celui de la majorité au niveau national.

Le maire sortant était un fervent membre du Mouvement Royaliste et d'Union et il avait pu observer dans sa ville que la politique engagée par le Gouvernement de Sa Majesté avait changé, en partie, l'électorat qui le soutenait. La ville était majoritairement acquise à sa cause, croyait-il, mais son électorat avait fortement changé. Les classes modestes, les travailleurs qualifiés, ceux ayant des diplômes élevés soutenaient avec de grands et beaux discours la politique du maire et du Mouvement Royaliste et d'Union. On était fier de la baisse du chômage et des conditions de travail offertes, bien souvent parce que la main-d'œuvre qualifiée dans ce secteur n'était pas présente en nombre, donnant aux travailleurs les moyens de négocier des congés payés, leurs salaires, chose impensable quelques années plus tôt. Cette nouvelle élite ouvrière et technique, souvent venue d'ailleurs ou issue de reconversions réussies, voyait dans le Mouvement Royaliste et d'Union le garant de leur nouvelle prospérité et de leur avenir stable.

Pourtant, les Royalistes et les oppositions de manière générale profitaient de cette vie chère auprès des oubliés par le Mouvement Royaliste et d'Union. Cette classe ouvrière peu qualifiée, les pêcheurs, que soutenait autrement le Mouvement Royaliste et d'Union, se retrouvaient dans le viseur de tous les partis d'opposition. Ces classes sociales avaient basculé dans l'opposition, mais pas totalement, à Hellemar. Les Royalistes n'arrivaient pas à parler aux ouvriers, aux travailleurs peu qualifiés, avec Jean-Louis Gaudion désormais à leur tête. Ce grand diplomate et charismatique pouvait paraître à ces gens-là éloigné de leurs préoccupations. Jean-Louis Gaudion semblait bien plus intéressé par Manticore que par Hellemar. Il parlait de la grandeur du Royaume de Teyla dans ses discours, mais bien moins de la grandeur de la pauvreté dans certaines classes sociales.

Grâce à cela, le Mouvement Royaliste et d'Union gardait une partie de cet électorat qu'il avait su conquérir lors des élections générales de deux mille douze. Une chance pour le parti, sans qu'il s'en rende compte au niveau national, c'est que le député de cette circonscription, acquis au parti, était un défenseur d'une ligne beaucoup plus à gauche en interne. Ils étaient une trentaine à cinquante, députés élus qui défendaient cette ligne au sein du Mouvement Royaliste et d'Union. Le député Bertrand Morel, homme de terrain et ancré depuis toujours dans la circonscription, était de ceux-là. Alors que le Mouvement Royaliste et d'Union défendait de moins en moins le libéralisme économique, alors que les élections générales arrivaient, mais souhaitait tout de même corriger les problèmes de ce modèle, un groupe interne au parti souhaitait une politique bien plus à gauche, véritablement sociale-démocrate voire véritablement socialiste. Bertrand Morel était de ceux-là, encore.

Il permettait au parti de parler à ces classes-là. Toutefois, était-ce suffisant ? Sûrement pas, comme le démontrait l'installation d'une antenne locale d'Avenir du Peuple, dix ans après l'installation d'une antenne locale pour Gauche Républicaine. Ce parti montait dans les sondages au niveau national et pouvait avoir un coup à jouer lors des élections municipales en ce jour. Les élections, bien que se tenant avec une prime majoritaire de l'ordre de quinze pour cent des sièges, restaient à la proportionnelle, ce qui permettait d'obtenir des ancrages locaux forts et assez facilement, si la stratégie adoptée était bonne.

Hellemar ferait-elle partie de ces villes ?
La marche des esclaves

Ce n'est pas parce qu'un système socio-économique s'est imposé comme naturel dans une société que ce système n'est pas destructible.


J'SUIS PAS CET ESCLAVE QUI ATTEND LE WEEK-END POUR S'ENFUIR !

TECHNOLOGY ARISE.La Nouvelle Guerre Politique : Longue Marche par les Institutions.
Extrait du "De la critique structurelle du libéralisme teylais" ; 2017 - Laurent Derdalo, agrégé d'économie à l'Université de Manticore.

Comprendre la trajectoire économique contemporaine du Royaume de Teyla (et en particulier sa mue libérale à partir des années 1970) nécessite de revenir à ses fondations institutionnelles antérieures, souvent oubliées ou marginalisées dans l'analyse politique. Avant même l'émergence des doctrines libérales comme moteur de transformation de l'Etat, Teyla a connu, dès les années 1930, une période d'expérimentation intense marquée par l'absence de doctrine stabilisée mais une volonté manifeste de réduire l'autonomie de la sphère économique privée face aux exigences politiques du développement et de sécurité intérieure. Durant cette période, que l'on pourrait qualifier de proto-interventionniste, plusieurs mesures aux conséquences structurelles profondes furent mises en oeuvre : la mise en place d'un régime de taux de change flottants sous supervision étatique, la réforme de la Banque centrale avec une mission de stabilisation monétaire indépendante ou encore la structuration d'un réseau de chambres économiques régionales chargées de coordonner les politiques industrielles et commerciales à l'échelle locale. Cette époque fut également marquée par une consolidation bureaucratique : multiplication des secrétariats techniques, développement d'un droit économique public et extension lente mais réelle des compétences étatiques sur la planification des flux économiques internes.

Il serait erroné d'y voir une période socialiste ou collectiviste. Il s'agissait avant tout d'un moment étatique, où l'économie nationale était pensée non pas comme un marché autorégulé mais comme un système social pilotable, répondant aux impératifs de stabilité, de croissance et de cohésion territoriale. C'est dans ce cadre que s'est construit, de façon implicite, un compromis post-libéral : l'économie n'était plus uniquement un espace d'échange mais un levier d'ingénierie sociale sous tutelle politique. Ce compromis n'était pas inscrit dans le marbre mais il donnait au Royaume de Teyla une marge d'action régulatrice et redistributive que les décennies suivantes viendraient lentement déconstruire. C'est précisément cette bascule qu'il convient de mettre en lumière : comment un Etat ayant partiellement assujetti l'économie à une logique d'intérêt général a-t-il, en quelques décennies, non seulement abandonné toute régulation structurelle mais est même devenu l'agent actif d'une recomposition capitaliste intégrale ? A partir des années 1970, une lente mais profonde mutation s'opère. Sous couvert de rationalisation, de modernisation ou de discipline budgétaire, les réformes successives remettent en cause les principes mêmes sur lesquels reposaient l'économie politique du compromis.


I/ L'économie politique du compromis : l'Etat développeur et la régulation structurelle (1930-1970).

Le libéralisme me convient, l'Antéchrist n'est qu'une théorie du complot.

1) L'étatisation progressive des mécanismes économiques :

L'histoire économique du Royaume de Teyla avant le tournant libéral des années 1970 est trop souvent perçue comme une période d'équilibre social ou de "compromis fordiste" selon les termes de la théorie régulationniste. Pourtant, loin d'avoir mis en cause la logique d'accumulation capitaliste, l'étatisation des mécanismes économiques de cette période n'a fait que l'encadrer, la stabiliser et l'élargir, tout en maintenant intacts les fondements de la propriété privée et de l'exploitation salariale. C'est dans ce cadre que l'on peut analyser ce que les Teylais de l'époque sous-entendaient comme un Etat développeur : la montée en puissance de l'Etat n'y est nullement dirigée contre le capital mais bien au service de sa reproduction, à travers des instruments nouveaux de régulation fiscale, monétaire et industrielle. En cela, l'Etat teylais ne s'est pas posé en contradiction avec la bourgeoisie mais a assumé une fonction de capitaliste collectif idéal en centralisant les conditions générales de production (infrastructures, énergie, organisation spatiale) tout en disciplinant le prolétariat.

Les politiques économiques mises en place durant cette phase s'inscrivent pleinement dans la logique de ce que l'on appelle le capitalisme d'Etat, non pas au sens d'un socialisme dévoyé, mais comme une forme de capitalisme où l'Etat intervient directement pour organiser la reproduction du capital. Le contrôle des changes, les plans de développement industriel, les subventions massives à des secteurs stratégiques ainsi que le maintien de monopoles publics dans les télécommunications ou l'énergie, loin de contrecarrer les logiques marchandes, ont permis au contraire de socialiser le risque tout en privatisant le profit. Le capitalisme ne s'efface pas sous l'Etat, il s'y absorbe, s'y dilue momentanément pour mieux rebondir. Les entrepreneurs privés, les classes moyennes propriétaires et les grandes familles industrielles ont pu tirer profit de la stabilité garantie par ces dispositifs tout en transférant une part des coûts d'accumulation à l'Etat, ce que les économistes néomarxistes désignent comme une intervention sélective de l'Etat en faveur des fractions dominantes du capital. Ainsi, le renforcement fiscal durant la période (souvent cité comme un marqueur du "modèle social" de Teyla) ne doit pas être interprété naïvement comme une entreprise de redistribution. La fiscalité directe restait en grande partie modérée, en particulier sur les entreprises, et les hausses d'impôts portaient surtout sur les revenus du travail. L'imposition progressive, que d'aucuns présentent comme un instrument d'égalisation, fonctionne en réalité comme une modalité de financement de la reproduction sociale du capital. En d'autres termes, les revenus des classes laborieuses sont prélevés pour financer l'éducation, les transports, la santé ; autant de fonctions collectives sans lesquelles la force de travail ne peut être reproduite efficacement. Le prolétariat est ainsi pris dans un double mouvement d'exploitation : d'abord dans l'entreprise privée, par l'extorsion de la plus-value, ensuite dans l'espace social, par la capture d'une part de son salaire via l'impôt afin d'assurer les conditions générales d'accumulation. Le mythe d'un Etat redistributeur s'effondre ici au profit d'une lecture plus lucide : l'Etat développeur est avant tout l'infrastructure politique du capital.

Enfin, cette étatisation s'accompagne d'une mise en ordre juridique et administrative des territoires et des populations : planification urbaine, encadrement des loyers, développement des zones industrielles. A travers ces politiques, l'Etat agit en tant qu'organisateur spatial de l'accumulation capitaliste, fixant les flux de main d'oeuvre, orientant les investissements, sélectionnant les régions bénéficiaires et sacrifiant les zones périphériques. Le rôle de l'aménagement du territoire n'est donc pas neutre ni égalitaire : il reflète la géographie sociale du capital. Loin d'opposer public et privé, les politiques industrielles et économiques de cette époque construisent en réalité un capitalisme hybride où la forme publique de gestion ne fait que masquer la permanence de rapports d'exploitation. Le "développement économique" vanté par la presse de l'époque, repris dans les discours du pouvoir, n'est autre que l'euphémisation d'une intensification du contrôle social et de la subordination de toute active humaine aux logiques de productivité. Cette première phase du capitalisme teylais contient donc en germe les transformations libérales à venir : en stabilisant les profits, en créant une culture politique de la croissance, en conférant à l'Etat la légitimité d'administrer les équilibres sociaux, elle prépare en fait le terrain à la dérégulation future qui ne fera que se greffer sur ces bases déjà profondément bourgeoises. A la lumière de cette analyse, on comprend que le tournant libéral des années 1970 n'est pas une rupture brutale avec un Etat social bienveillant mais plutôt l'aboutissement d'un long processus de captation de l'appareil d'Etat par les intérêts du capital.

2) Le compromis social :

Le Royaume de Teyla, tel qu'il émerge au mitan du XXe siècle, s'inscrit dans un processus d'institutionnalisation politique où les tensions de classe, au lieu d'être supprimées, sont provisoirement contenues à travers une série de dispositifs juridiques, fiscaux et bureaucratiques dont l'objectif n'est nullement l'égalité réelle mais bien la stabilisation du mode de production dominant. Le régime démocratique libéral instauré par la Constitution de 1948, avec sa séparation rigide des pouvoirs et son inscription explicite de l'Etat de droit n'est pas l'expression d'un dépassement progressiste des intérêts particuliers mais l'encadrement juridique d'un ordre économique fondé sur l'inégalité des rapports sociaux. En ce sens, ce que le pouvoir décrivait à l'époque comme un renforcement de la démocratie libérale par la constitutionnalisation des "droits fondamentaux", l'autonomie des institutions économiques ou encore la mise en place de chambres économiques régionales ; tout cela doit être saisi comme un processus de verrouillage institutionnel des rapports de domination existants. La création de la Chambre Economique Royale et de ses antennes régionales sous le gouvernement de Laurent Jaune, par exemple, est présentée comme une tentative de mieux répartir les aides selon les besoins. Mais en réalité, cette technocratisation de la décision publique n'a rien de neutre : en dépolitisant les décisions budgétaires et en les assujettissant à une "lecture objective" des besoins locaux, elle déplace la question sociale hors du champ du conflit vers celui de l'expertise. Cette neutralisation apparente des antagonismes sert précisément à légitimer les priorités de l'appareil d'Etat en prétendant répondre à des données plutôt qu'à des luttes. Les rapports de la chambre, dont l'usage est présenté comme exclusivement économique, deviennent alors un instrument de pilotage : non pour corriger les déséquilibres structurels du capitalisme teylais mais pour administrer leur persistance selon une logique d'optimisation et de ciblage.

Ce processus de rationalisation n'est pas sans conséquences : en se dotant d'instruments de gestion territorialisée de la misère et du chômage, l'Etat se substitue aux conflits sociaux par la statistique, à la lutte politique par la donnée économique. Ce que les économistes libéraux nomment comme une avancée dans l'évaluation économique du pays est, dans cette optique, une manière de territorialiser la pauvreté tout en fragmentant la solidarité de classe. Ce sont les territoires, et non plus les classes, qui deviennent des catégories de redistribution, ce qui permet d'individualiser les aides, de désolidariser les luttes et d'éloigner toute possibilité de mise en cause systémique. Dans cette logique, la réforme de la banque centrale en 1935, si elle peut apparaître comme un pas vers l'autonomisation des décisions économiques face au pouvoir politique constitue au contraire un tournant décisif dans l'institutionnalisation du fétichisme monétaire. En prétendant neutraliser les décisions monétaires, en confiant la gouvernance de la banque à ses salariés (sans intervention directe de l'exécutif), la banque centrale devient l'agent d'une opération qui vise à dépolitiser le pouvoir économique en le déplaçant dans l'espace de l'administration. Le fait que la banque centrale puisse disposer librement de son budget et de ses recettes n'est pas un signe d'émancipation institutionnelle mais la traduction d'une séparation croissante entre l'économie réelle (traversée par les conflits de classe) et les structures chargées d'en assurer la reproduction. En cela, elle s'inscrit dans le modèle d'un Etat capitaliste moderne qui assure l'unité du pouvoir de classe tout en disloquant ses expressions formelles : la démocratie parlementaire y est le théâtre mais non le lieu réel de la domination.

C'est dans ce contexte que le Parlement devient "fort", s'emparant des questions sociales et économiques. Ce renforcement institutionnel ne signifie toutefois pas un rééquilibrage en faveur des classes laborieuses mais plutôt un renforcement de la capacité du bloc au pouvoir à articuler ses intérêts par le biais du droit. Le cas du rapport Horttance de 1956 est à ce titre éclairant : en dénonçant la censure des rapports de la Chambre Economique Royale, en exposant les conflits d'intérêt de la Fédération Conservatrice au pouvoir, ce qui semblait être une faille de l'ordre économique s'est transformée en crise de légitimité de l'ordre gestionnaire. En d'autres termes, ce ne sont pas les inégalités qui sont contestées mais leur gestion opaque ; pas l'exploitation, mais son administration. Le contenu du rapport, qui pointe la pauvreté grandissante et la récession régionale, est brandi par l'opposition non pour exiger une transformation structurelle mais pour exiger une gouvernance plus efficace, plus lisible et plus morale ; autant de demandes qui ne remettent nullement en cause les structures d'accumulation du capital. C'est d'ailleurs à partir de ce moment que Pierre Lacombe entre sur la scène politique avec une remise en cause frontale du keynésianisme au sein de la droite traditionnelle. Ce moment est décisif : il montre que le compromis social, incarné par une droite paternaliste et régulatrice, commence à être perçu comme un frein à l'accumulation et qu'une partie des élites souhaite passer à un mode de gestion plus libéral, plus fluide et moins contraint par les normes sociales héritées. Ce que la gauche voit comme un compromis entre justice et efficacité est vu, du point de vue capitaliste, comme un excès de rigidité, une entrave à la fluidité des investissements et des réformes. En cela, le rejet du keynésianisme ne relève pas d'un débat d'école mais d'un réajustement stratégique des classes dominantes face aux limites du compromis social. C'est le moment où, selon la formule de Wolfgang Streeck, "le capitalisme cesse de se faire aimer et commence à se faire craindre". Le système de redistribution, les agences statistiques, les chambres économiques et les principes d'Etat de droit apparaissent d'abord comme les piliers d'un ordre démocratique équilibré mais ces dispositifs n'ont étés finalement que des formes provisoires de pacification de la lutte des classes, des technologies de la domination camouflées sous l'apparence du consensus.

3) Les contradictions internes du modèle pré-libéral :

L'économie politique teylaise, telle qu'elle s'organise avant le tournant libéral incarné par Pierre Lacombe, repose sur un compromis institutionnel que l'on pourrait qualifier de bloc historique instable. Ce bloc repose sur l'idée que l'Etat peut être à la fois l'agent de l'accumulation capitaliste et le garant d'un ordre social minimum. Or cette double fonction s'effondre sous le poids de ses propres contradictions : tensions budgétaires chroniques, inertie bureaucratique, perte de dynamisme productif, autant de symptômes qui révèlent que le modèle pré-libéral n'a jamais été un modèle viable à long terme mais une tentative de temporisation des contradictions de classe, vouée à imploser.

La première contradiction fondamentale réside dans la logique budgétaire de l'Etat. Le système de redistribution, les aides ciblées, les chambres économiques, la normalisation des prestations sociales et les fonctions de régulation exercées par les agences publiques ne peuvent exister qu'à condition de puiser durablement dans les revenus générés par la sphère productive privée. Or, comme le dit Rudolf Hilferding, l'Etat capitaliste n'est pas neutre : il est structurellement dépendant de la création de valeur dans les circuits privés. Dès lors que la croissance ralentit (comme cela fut le cas dès les années 1960 à Teyla) ou que l'appareil productif stagne, les recettes fiscales diminuent, tandis que la pression sur les dépenses publiques augmente du fait des besoins sociaux croissants. Le résultat est une spirale de tensions budgétaires dans laquelle l'Etat se voit contraint soit de sabrer ses fonctions sociales, soit d'augmenter l'endettement ou la pression fiscale, au risque de délégitimer son rôle redistributif. Dans le cas teylais, le blocage semble être tel que même les partis conservateurs doivent s'ouvrir aux réformes libérales, signe que le compromis social ne tient plus, même pour ses bénéficiaires supposés.

A cette impasse budgétaire s'ajoute une inertie bureaucratique lourde, symptôme classique des économies administrées dans lesquelles l'Etat tente de compenser les insuffisances du marché sans en remettre en cause la logique. Les structures telles que la Chambre Economique Royale ou les agences statistiques régionales se multiplient pour produire une rationalité gestionnaire des inégalités mais comme le soulignant Max Weber, la bureaucratie tend à devenir une fin en soi. Elle se nourrit de sa propre complexité, renforce son pouvoir en multipliant les procédures et en générant une opacité décisionnelle qui éloigne le pouvoir réel des masses populaires. Dans cette configuration, l'Etat n'est plus un levier de transformation sociale mais un corps étranger hypertrophié incapable de répondre rapidement aux besoins sociaux ou d'innover dans ses formes d'intervention. La crise de légitimité de la Fédération Conservatrice à la fin des années 1950, illustrée par l'affaire du rapport Horttance, montre bien que ce modèle d'Etat rationalisateur ne produit pas de justice mais seulement de la stagnation encadrée par des normes.

Mais le coeur du problème réside dans l'essoufflement productif de l'économie teylaise qui rend l'ensemble du dispositif ingérable. Dans une lecture inspirée de Paul Baran et de Paul Sweezy, la croissance d'un capitalisme d'Etat sans planification stratégique ni direction centralisée réelle produit un capitalisme de bas rendement social où les investissements ne correspondent plus aux besoins collectifs mais à des objectifs de stabilisation politique. Les entreprises, privées de pression concurrentielle directe du marché (à cause des subventions, des aides ciblées et de la régulation excessive) perdent tout incitatif à l'innovation. Simultanément, l'Etat, incapable d'exercer un contrôle réel sur les choix d'investissement ou de production (du fait de son attachement dogmatique à la non-intervention structurelle comme dans le cas de la banque centrale indépendante) se retrouve dans une position schizophrène : garant d'un secteur productif qui n'a plus de dynamisme propre mais qu'il ne peut ni contraindre, ni remplacer. Cette contradiction entre le contrôle technocratique et la dépendance au capital privé finit par générer ce que Claus Offe a appelé la crise d'efficacité de l'Etat capitaliste : le moment où l'Etat, en voulant concilier légitimation sociale et reproduction du capital, échoue sur les deux plans. Les classes populaires n'y trouvent ni redistribution réelle, ni représentation politique authentique. Le capital, lui, considère l'Etat comme un poids mort, une entrave à ses marges et à ses flexibilités. C'est dans ce vide stratégique que s'engouffrera le projet libéral de Lacombe à partir des années 1980 : non comme une aberration mais comme une réponse systémique à un modèle arrivé à bout de souffle.

Derrière les tensions budgétaires et les inerties bureaucratiques se cache enfin une crise de souveraineté économique, rendue invisible par les discours sur l'indépendance de la banque centrale ou la rationalité du système monétaire. Le retrait du gouvernement des mécanismes de régulation de l'économie réelle (monnaie, crédit, planification) ne correspond pas à un progrès démocratique mais à une abdication volontaire du pouvoir politique au profit des automatismes du marché. L'illusion d'un pilotage technicien, dont la banque centrale ou les chambres économiques seraient les avatars, masque la réalité de ce que Karl Polanyi appelait le "désencastrement" de l'économie : une autonomisation complète des logiques économiques par rapport aux besoins sociaux, légitimée au nom de la neutralité scientifique. En définitive, le modèle pré-libéral de Teyla n'est pas un âge d'or de l'équilibre économique mais une structure profondément instable, construite sur des fondements contradictoires : l'obsession de la neutralité technocratique face à une réalité fondamentalement conflictuelle ; la volonté de redistribution minimale sans remise en cause de l'ordre productif ; la fiction d'un Etat arbitre dans une société traversée par l'antagonisme de classe. Ce modèle n'a pas été renversé, il s'est effondré sur lui-même, incapable de concilier ses objectifs contradictoires ; au final, la montée du libéralisme lacombien n'a fait que tirer les conséquences d'un ordre institutionnel qui, sous ses atours de rationalité, portait déjà les germes de sa propre défaite.


II/ La décennie 1970 : désencastrement progressif et recomposition libérale du cadre économique.

Je n'apprécie pas trop l'Antéchrist mais les libéraux ne sont pas nos ennemis.

1) La restauration de la propriété privée comme fondement politique :

La décennie 1970 marque une inflexion décisive dans l'histoire économique teylaise : le retour affirmé de la propriété privée comme principe régulateur central du système économique et juridique. Cette dynamique de restauration n'est pas simplement un infléchissement technique ou un choix opportuniste des gouvernements successifs, elle constitue un acte idéologique lourd, fondé sur une réarticulation des rapports de pouvoir entre capital, Etat et société. A travers la baisse de l'impôt foncier, la réduction de la taxe d'habitation, le renforcement des droits des propriétaires, la facilitation de la médiation privée et la dérégulation commerciale, c'est une véritable réhabilitation du propriétaire comme sujet souverain que l'on observe, au détriment du corps et des équilibres collectifs. En renforçant les droits des propriétaires contre toute forme d'exploitation, sauf pour les projets industriels dits "utiles", le gouvernement teylais ancre dans le droit une hiérarchisation des usages de la propriété qui privilégie la logique d'appropriation individuelle au détriment de la puissance publique, tout en sanctuarisant l'entreprise comme instance supérieure de décision territoriale. Cette logique est exemplaire de ce que David Harvey qualifie de "reterritorialisation néolibérale" : l'espace devient une marchandise en soi gouvernée par les droits exclusifs de l'ayant-droit tandis que l'intérêt général se réduit à la capacité de l'entreprise à faire valoir ses impératifs de croissance. On observe ici une mutation juridique profonde, par laquelle les mécanismes d'expropriation, censés historiquement équilibrer propriété et utilité publique, sont redirigés pour servir les fins d'une restructuration capitaliste des territoires. La décision de supprimer les plafonds de compensation pour les propriétaires souhaitant vendre à des entreprises n'est pas une simple réforme administrative mais un basculement vers une marchandisation complète du sol où la valeur d'échange prime entièrement sur la valeur d'usage et où l'arbitrage public est évacué au profit d'une pseudo-négociation pilotée par des rapports de force asymétriques.

Cette montée en puissance de la propriété privée comme fondement politique s'inscrit dans une logique de désencastrement comme citée plus haut, où l'économie s'autonomise de tout principe social ou collectif. La mise en place de mécanismes de médiation extrajudiciaire dans les conflits de voisinage ou les rachats de terrains participe de cette tendance : le droit, autrefois garant de normes communes, devient un simple protocole d'homologation de solutions négociées hors du champ judiciaire, dans des espaces dominés par les intérêts privés. Ce glissement vers une "juridicisation privée" des conflits fonciers manifeste ce que Evgeny Pashukanis analysait déjà dans les années 1920 comme le coeur du droit bourgeois : une forme juridique fondée sur la reconnaissance mutuelle de propriétaires abstraits, égaux en droit mais inégaux en capital. Dans la pratique, cela revient à neutraliser les procédures de justice formelle, non pas pour les simplifier, mais pour soustraire les conflits à toute logique d'arbitrage social et les livrer à la dynamique contractuelle entre des agents juridiquement égaux mais matériellement hiérarchisés. Le juge devient simple ratificateur d'un ordre juridique que le capital a déjà préétabli. Le processus se prolonge dans la sphère du commerce international avec la suppression progressive des quotas d'importation et la baisse des droits de douane. Ces décisions, présentées comme des instruments d'adaptation aux marchés mondiaux, constituent en réalité des formes de mise en concurrence structurelle de l'économie nationale avec des espaces de production à bas coûts, au détriment des filières locales et du tissu social. Si le secteur agricole bénéficie d'abord d'une dérogation, c'est uniquement en raison de son poids politique et de sa capacité à paralyser le pays en cas de grève, mais cette exception sera vite levée par les gouvernements successifs de Pierre Lacombe. On assiste là à un processus classique de destruction créatrice mais où la destruction touche prioritairement les structures communautaires et les filières intégrées nationalement tandis que la création est captée par les firmes transnationales et les couches les plus mobiles du capital. C'est exactement le diagnostic posé par Nicos Poulantzas lorsqu'il explique que l'Etat ne défend pas l'intérêt général abstrait mais les intérêts généraux du capital dans sa phase dominante : ici, le capital commercial et les grandes entreprises exportatrice prennent le pas sur la régulation keynésienne antérieure par l'affaiblissement des protections tarifaires, la flexibilisation des normes d'installation et la fluidification des transferts fonciers.

2) Ouverture commerciale et mise en concurrence externe :

L'ouverture commerciale engagée dans les années 1970 par le gouvernement teylais, notamment à travers la suppression progressive des quotas d'importation et la baisse des droits de douane, ne saurait être interprétée comme un simple ajustement technique de politique économique. Il s'agit d'un moment fondateur dans l'histoire du capitalisme teylais où la mise en concurrence externe n'est pas une dérive du modèle libéral mais sa conséquence logique. L'entrée de l'économie nationale dans l'ordre marchand mondial correspond à ce que Marx décrit comme une extension de la sphère de réalisation de la valeur, nécessaire à la survie du capital dans ses formes historiques : lorsqu'il n'est plus possible d'extraire de survaleur sur les bases internes existantes, le capital doit s'internationaliser afin de relancer le cycle du capital dans son ensemble, en particulier dans ses phases d'accumulation et de circulation.

La suppression des quotas d'importation, décrite comme une mesure de "compétitivité" permettant aux industries nationales de rechercher des ressources ou des produits dans des marchés "moins chers", masque en réalité une restructuration profonde de la chaîne de valeur. On assiste à ce que Giovanni Arrighi qualifiait de désarticulation productive : les entreprises teylaises ne produisent plus de la richesse en mobilisant leurs propres forces productives mais en externalisant leurs chaînes d'approvisionnement vers des économies à bas coût, intégrées dans un système mondial hiérarchisé. Ce mouvement inscrit les entreprises nationales dans une logique de dépendance à l'égard de zones périphériques ou semi-périphériques dont la fonction est d'absorber les externalités sociales (exploitation accrue, absence de droits sociaux, délocalisations invisibilisées) pour maintenir des taux de profits élevés au centre. Le Royaume de Teyla, dans ce schéma, ne s'ouvre pas au monde : il se restructure comme pôle intermédiaire dans un marché-monde façonnée par l'impératif du capital transnational. Cette transformation affecte en profondeur les rapports de classe internes. Loin de bénéficier à l'ensemble de la population, cette libéralisation commerciale accroît la polarisation sociale. Comme l'a bien montré Robert Brenner, la mise en concurrence directe des industries nationales avec des marchés à coûts salariaux très inférieurs provoque une pression structurelle à la baisse sur les salaires, les protections collectives et les normes environnementales. Les entreprises les moins compétitives disparaissent, les régions désindustrialisées se multiplient et les fonctions productives résiduelles se recentrent sur des secteurs à forte intensité capitalistique ou technologique. Dans ce contexte, l'argument de l'adaptation progressive par la baisse des droits de douane (de 50 à 40% sur dix ans) n'est qu'un faux-semblant : ce qui est présenté comme une transition maîtrisée est en réalité une dépossession lente mais méthodique des outils de régulation économique nationale. Les entreprises bénéficient de la baisse des prix de production mais l'Etat abdique toute capacité à orienter structurellement l'activité économique en fonction de critères sociaux ou territoriaux. Le cas du secteur agricole est révélateur : initialement protégé par une dérogation, il devient une cible directe de la dérégulation sous le gouvernement Lacombe, ce qui provoque une paralysie du pays pendant trois mois. Ce conflit illustre une contradiction inhérente à l'ouverture commerciale : en cherchant à réduire les coûts et à fluidifier les échanges, le gouvernement affaiblit les bases mêmes de la reproduction sociale, notamment dans les territoires où l'agriculture joue un rôle économique, social et culturel central. ici, le capital ne se contente pas d'acheter à l'extérieur : il détruit à l'intérieur les conditions mêmes de son enracinement national. Le processus d'ouverture devient un processus de désaffiliation où les producteurs locaux ne sont plus que des variables d'ajustement sur un marché globalisé. Ce que Karl Polanyi appelle une grande transformation est ici parfaitement manifeste ; la société est réencastrée dans des logiques de marché, et non l'inverse, ce qui génère inévitablement des tensions, des conflits, des déséquilibres que le discours technocratique ne peut masquer. Il faut insister sur la logique politique de cette ouverture : en organisant la concurrence, le gouvernement délègue sa capacité de décision économique aux forces du marché. C'est ce que Frédéric Lordon nomme la souveraineté passive, dans laquelle l'Etat se borne à enregistrer les arbitrages du capital et à les accompagner juridiquement. La baisse des tarifs douaniers, décidée de manière unilatérale pour tous les pays sans négociation préalable, illustre cette soumission à une logique systémique plus vaste. Le commerce international n'est pas ici un outil de développement mais un mécanisme disciplinaire destiné à contraindre l'appareil productif à adopter les normes, les coûts et les temporalités du capitalisme globalisé. L'Etat devient l'agent de la flexibilisation totale, de la libéralisation généralisée et participe de fait à l'expropriation du politique par l'économique.


III/ Les années Lacombe (1980-1996) : le moment néolibéral et l'accélération des restructurations.

Je hais l'Antéchrist néolibéral.

1) L'Etat austéritaire :

L'arrivée au pouvoir de Pierre Lacombe en 1980 inaugure un basculement profond dans la nature de l'Etat teylais qui cesse d'être un organe de compromis socio-productif pour devenir un instrument d'ajustement brutal des structures économiques aux normes du capital mondialisé. C'est le triomphe de ce que l'on peut appeler, dans la lignée des travaux de David Harvey, un Etat néolibéral autoritaire, dont la fonction principale n'est plus d'administrer le compromis social mais de garantir la fluidité des mécanismes d'accumulation du capital, même contre les intérêts immédiats des classes laborieuses. Les premières mesures d'austérité (gel des salaires, plafonnement des primes, suppression massive de postes dans le service public) ne relèvent pas de simples ajustements budgétaires mais bien d'une reconfiguration structurelle de l'Etat lui-même qui passe d'un rôle de producteur et de garant des droits sociaux à celui de gendarme budgétaire du capital.

Cette mutation n'est pas anecdotique car en réduisant d'un trait la masse salariale publique et en brisant l'appareil fonctionnel de redistribution sociale, l'Etat teylais entame une dynamique d'accumulation par dépossession, pour reprendre une autre formule de Harvey : la richesse publique (forme cristallisée du travail social passé) est démantelée et revalorisée sous forme d'économie de coûts et de marges budgétaires, immédiatement mobilisées au profit des créanciers et des marchés financiers. Le déficit budgétaire, présenté comme un danger mortel justifiant la purge, est en réalité un prétexte narratif, ce que Dean Baker nomme une austérité performative, mobilisé pour justifier une politique de classe déguisée en nécessité économique. Le refus de toute négociation avec les syndicats, au moment où s'organise une contestation sociale massive contre ces réformes, consacre la rupture du dialogue social comme modalité d'exercice du pouvoir. Le capitalisme teylais entre dans une phase post-consensuelle, autoritaire et disciplinaire où l'Etat ne dialogue plus mais tranche. Le refus d'ouverture, combiné à une application intégrale des mesures malgré les mobilisations confirme l'abandon de tout arbitrage collectif au profit d'une vision verticale et managériale de la gouvernance. L'austérité devient une forme d'ingénierie politique car ce n'est plus seulement une manière de faire des économies mais de refondre la subjectivité collective autour de la discipline budgétaire, du sacrifice nécessaire et de la responsabilisation individuelle. C'est là un des mécanismes fondamentaux de ce que Pierre Dardot et Christian Laval appellent la "raison néolibérale" : un gouvernement des conduites qui s'exerce par la rareté imposée et la culpabilité permanente de la dépense publique.

Les résultats obtenus (baisse du déficit, réduction de la dette en proportion du PIB, amélioration de la notation financière) ne sont pas la preuve du succès des réformes mais leur effet pervers. Le critère de succès est déplacé car il ne s'agit plus de savoir si la politique économique améliore les conditions de vie, réduit les inégalités ou garantir l'accès aux services essentiels mais si elle satisfait les attentes des agents de notation privés, c'est-à-dire des entités capitalistes n'ayant aucune légitimité démocratique. Le gouvernement Lacombe gouverne donc à rebours de la souveraineté populaire : non pour les citoyens mais pour les marchés. C'est ce que Wolfgang Streeck nomme le passage d'un Etat démocratique à un Etat débiteur, dont la légitimité se joue désormais sur les places financières et non dans l'espace public. Les conséquences sociales sont immédiates. L'augmentation du chômage, la hausse du taux de pauvreté, la marginalisation croissante de fractions entières de la population active ne sont pas des effets collatéraux mais des produits directs d'une politique fondée sur la contraction du revenu des ménages, la précarisation des statuts de travail et la destruction organisée des amortisseurs publics. L'Etat devient austéritaire non seulement dans ses instruments budgétaires mais dans sa logique politique : il renonce à protéger les plus vulnérables pour mieux garantir la fluidité du capital. C'est exactement ce que Nancy Fraser identifie comme une crise d'hégémonie du capitalisme libéral : lorsque la légitimation ne passe plus par le consentement mais par l'imposition. Cette phase austéritaire n'est pas seulement une période de transition vers des réformes plus positives mais le cœur d'un processus de réingénierie sociale car en réduisant les capacités d'action publique, en affaiblissant les syndicats, en démoralisant les services publics, l'Etat Lacombe ne fait pas qu'ajuster mais il dépolitise la société, il détruit ses instruments collectifs de contestation et fait de la souffrance sociale une variable d'ajustement. Les salariés du public deviennent une charge, les chômeurs un coût, les pauvres une anomalie statistique. L'austérité n'est donc pas un outil mais une idéologie matérialisée dans l'appareil d'Etat dont la brutalité assumée est la condition de sa performance.

2) La contre-révolution fiscale :

La réforme fiscale engagée par le gouvernement Lacombe dans la seconde moitié de son mandat ne constitue pas non plus une simple mise à jour technique de l'architecture contributive de l'Etat mais bien ce qu'on peut qualifier sans rougir d'une contre-révolution fiscale. Il ne s'agit pas d'un ajustement paramétrique mais d'un basculement de paradigme : l'impôt cesse d'être l'instrument d'une redistribution des richesses en direction des classes laborieuses pour devenir un mécanisme de renforcement de la concentration patrimoniale, déguisé sous des discours de rationalisation et d'efficacité.

L'extension de l'assiette fiscale fait passer le taux de contribuables soumis à l'impôt sur le revenu de 53 à 63%. Présentée comme un élargissement de la participation citoyenne à l'effort collectif, elle opère en réalité un déplacement de la charge fiscale vers les classes moyennes et inférieures tout en allégeant massivement celle des hauts revenus et des entreprises. Le gouvernement prétend conserver les recettes en baissant les taux tout en augmentant le nombre de contributeurs mais ce tour de passe-passe repose sur une conception profondément inégalitaire de la fiscalité : celle qui consiste à valoriser la contribution en volume absolu au détriment de la progressivité. Or, comme le rappelle Thomas Piketty, la justice fiscale repose précisément sur la progressivité : plus on gagne, plus on doit contribuer. En neutralisation cette progressivité au profit d'un élargissement uniforme, le gouvernement entérine une logique de classe où la charge relative de l'impôt est plus lourde pour ceux qui en retirent le moins de bénéfices. La baisse de l'impôt sur les sociétés de 22 à 10% en 1996 marque un point d'orgue de cette contre-révolution. Elle s'inscrit dans une dynamique plus large d'allégement de la fiscalité du capital, justifiée par la rhétorique désormais bien connue du ruissellement : alléger les entreprises pour favoriser l'investissement, donc l'emploi, donc la croissance. Or, cette thèse, dont Joseph Stiglitz avait démontré l'inanité empirique, ne repose sur aucune évidence solide. L'expérience teylaise elle-même démontre que la baisse des prélèvements n'a pas mécaniquement entraîné une redistribution vers l'emploi stable mais a nourri des dynamiques de concentration économique et d'instabilité contractuelle. En prétendant favoriser l'initiative privée, le gouvernement alimente une logique de court terme, centrée sur la valorisation actionnariale qui dévitalise le tissu productif au lieu de le renforcer.

Loin d'être neutres, ces réformes traduisent une transformation idéologique profonde de la philosophie fiscale teylaise. La fiscalité cesse d'être conçue comme un instrument de solidarité ou de justice sociale ; elle devient un levier de compétition internationale, un outil d'attractivité pour les capitaux, un signal envoyé aux marchés. L'impôt sur les riches, sur le capital, sur les entreprises, est présenté comme une pénalisation, une entrave, tandis que l'impôt sur les revenus moyens ou faibles est normalisé comme contribution nécessaire à l'effort national. Cette inversion normative, analysée par Michel Husson comme un glissement de l'impôt juste vers l'impôt incitatif, consacre l'hégémonie de la logique néolibérale sur les fonctions régaliennes de l'Etat. La multiplication des niches fiscales, sous couvert de simplification, accentue encore cette dynamique régressive car en créant des dérogations ciblées au profit des entreprises, le gouvernement Lacombe participe à ce que Gabriel Zucman nomme une "architecture de l'évitement fiscal" dans laquelle les plus riches peuvent adapter leur stratégie contributive à leur avantage tandis que les autres restent soumis à la rigidité du prélèvement. Le droit fiscal devient un outil d'optimisation légale, à disposition des plus puissants, pendant que les classes populaires et moyennes sont captives d'un système de plus en plus uniforme et aveugle de la justice sociale.

Même le renforcement de la lutte contre la fraude, sur le papier positif, s'inscrit dans cette logique ambivalente car si les moyens alloués à l'administration fiscale augmentent, c'est moins lutter contre l'évasion massive des grandes entreprises que pour s'assurer de la compliance généralisée des petits et moyens contribuables. Le ciblage judiciaire de certains grands patrons, très médiatisé, relève davantage du spectacle politique que d'une volonté systémique d'endiguer les fraudes à grande échelle. L'enjeu est moins d'instaurer l'égalité devant l'impôt que de renforcer la crédibilité de l'Etat disciplinaire dans une société fragilisée par l'austérité et la précarité. Cette contre-révolution fiscale n'est donc pas un épisode technique mais une opération de restructuration de l'ordre social par le biais de la fiscalité. En allégeant la charge sur le capital et en renforçant celle sur le travail, en démantelant la progressivité, en transformant l'impôt en incitation au lieu de maintenir comme expression de la solidarité, le gouvernement Lacombe consacre la défaite de la logique égalitaire dans l'architecture de l'Etat. Il fait de la fiscalité un instrument de distinction et non de justice. Ce renversement idéologique, consolidé par les effets positifs enregistrés sur les marchés financiers, parachève le passage d'un Etat redistributeur à un Etat garant de l'ordre économique dominant, confirmant pleinement ce que Frédéric Lordon décrit comme l'étatisation du néolibéralisme : non pas son retrait mais son imposition active par la violence du droit et des normes.


IV / Héritage et persistance de l'ordre néolibéral : consolidation et mutations post-Lacombe (1996-2017).

A MORT LES PATRONS NEOLIBERAUX ET ULTRAGLOBALISTES !

1) Privatisations sociales et dépossession populaire :

Les réformes sociales conduites sous les derniers mandats de Pierre Lacombe, notamment via la loi Dumat I, inaugurent une nouvelle phase du néolibéralisme teylais : celle de la privatisation des infrastructures sociales et de la transformation des droits collectifs en biens individuels conditionnés au marché. Cette dynamique marque un glissement décisif dans l'architecture sociale du Royaume, opérant une dépossession silencieuse mais profonde des classes populaires, sous couvert de démocratisation patrimoniale. La réforme du logement social constitue le cœur de cette offensive car en supprimant l'obligation légale de quotas de logements sociaux au sein des communes et en permettant leur privatisation, l'Etat abandonne toute responsabilité structurelle dans l'accès au logement, la renvoyant à la volonté municipale ou aux logiques de marché. La mise en vente des logements sociaux, encouragée par des prêts à taux zéro garantis par l'Etat, est présentée comme une promotion de l'accession populaire à la propriété mais comme l'ont démontré Loïc Wacquant ou David Madden et Peter Marcuse, ce type de politiques masque mal une stratégie d'individualisation des protections sociales : faire du citoyen un propriétaire solvable plutôt qu'un sujet de droit et substituer à la solidarité publique la dette privée.

Le résultat est doublement pervers. d'un côté, une minorité relativement stable des classes moyennes inférieures, solvabilisée temporairement par les dispositifs publics, accède effectivement à la propriété mais de l'autre, une immense majorité de locataires pauvres, dans l'incapacité de racheter leur logement, se voit expulsée sous la pression de la privatisation, comme en témoigne la hausse brutale des évictions et les violences policières documentées par l'historien Adam Juine. Le logement social, autrefois garant d'un minimum de dignité pour les plus précaires, devient un vecteur de relégation voire de criminalisation : la précarité résidentielle est reconfigurée comme un problème d'ordre public. Cette mutation s'inscrit pleinement dans ce que Pierre Dardot et Christian Laval ont désigné comme une gouvernementalité néolibérale qui se traduit par sa reconversion en instrument de marché en cessant de produire du logement social pour organiser les conditions de son effacement. D'ailleurs, le fait que l'acquisition soit conditionnée à un prêt garanti n'est pas anodin : la logique de propriété repose sur l'endettement individuel et donc sur l'adhésion subjective à une économie fondée sur la solvabilité, la rentabilité et la performance personnelle. Comme l'écrit Maurizio Lazzarato, la dette devient un dispositif de subjectivation car le pauvre devient propriétaire à condition de devenir créance et est donc responsable de sa réussite ou de son échec.

Le phénomène va bien au-delà du logement. Le démantèlement du logement social s'accompagne d'une idéologie de la responsabilité individuelle : si vous êtes expulsé, c'est que vous n'avez pas su ou pu acheter ; si vous êtes mal logé, c'est que vous n'avez pas su saisir l'opportunité offerte. Cette inversion du rapport au droit, déjà à l'oeuvre dans beaucoup de pays des années 1980-1990 sous forme de politiques d'assistance sous condition se généralise à Teyla. La solidarité devient soupçonnée, conditionnée, et finalement remplacée par la propriété comme horizon social exclusif. Ce basculement a des effets systémiques. Il crée une nouvelle classe de micro-propriétaires précaires, hyper-exposés aux variations du marché immobilier, souvent endettés au-delà de leurs capacités et incapables d'assumer l'entretien ou les charges de leurs logements. Il alimente une bulle spéculative sur les anciens logements sociaux, désormais intégrés au parc privé sans mécanismes de régulation des loyers et surtout, il affaiblit structurellement la capacité d'intervention publique en matière d'urbanisme, de mixité sociale ou de planification territoriale. Ce que Manuel Aalbers appelle la financiarisation du logement se manifeste ici avec acuité : le toit n'est plus un droit mais un actif, une variable fiscale, un levier d'investissement.

La dépossession populaire ne passe donc pas seulement par l'expulsion physique, elle passe aussi par la redéfinition du logement en tant que marchandise, par la dépolitisation de l'habitat comme enjeu collectif et par la neutralisation des luttes sociales dans l'espace urbain. En permettant la vente, la conversion et l'expropriation des logements sociaux, la loi Dumat I fait sauter l'une des digues symboliques qui structuraient encore l'Etat social teylais : l'idée que certains biens doivent échapper à la logique marchande. Elle inaugure une ère où l'appartenance à la communauté nationale passe non plus par le droit mais par la capacité à consommer, à emprunter et à posséder. Ce processus de privatisation sociale n'est pas un épiphénomène. Il constitue le coeur de la transition vers une économie néolibérale aboutie dans laquelle l'Etat cesse de redistribuer pour devenir le gestionnaire des conditions de marché et où les droits sociaux sont vidés de leur substance pour être redéployés sous forme de dispositifs incitatifs, conditionnels ou individualisés. Le logement, premier poste de dépense des ménages, devient ainsi un instrument disciplinaire majeur : il conditionne l'accès à la ville et donc à l'emploi, à l'éducation et à la sécurité. En le livrant au marché, l'Etat organise une double peine spatiale et sociale qui frappe d'abord les classes populaires puis les classes moyennes inférieures. Enfin, la montée des expulsions, la répression policière qui les accompagne ne doivent pas être vues comme un excès ou une dérive mais comme un complément logique de cette réforme. Toute politique néolibérale radicale suppose un Etat fort pour faire respecter les nouvelles normes de propriété. Comme le rappelait déjà Karl Polanyi dans La Grande Transformation, la société de marché ne peut pas exister sans coercition étatique. Là où le marché entre dans les biens sociaux, la violence fait toujours irruption, qu'elle soit physique, symbolique ou économique.

2) Flexibilisation du travail et fragilisation des travailleurs :

Si la privatisation du logement a marqué une dépossession spatiale et résidentielle des classes populaires, la réforme du droit du travail conduite à partir de 1994 constitue son pendant socio-économique : une dépossession du temps et des droits sociaux dans la sphère productive. Il ne s'agit plus ici de rendre le travailleur propriétaire mais de faire de sa force de travail une variable d'ajustement fluide, modelable selon les besoins patronaux et soumise à la logique exclusive de la rentabilité.

La réforme du Code du travail initiée par le gouvernement Lacombe ne fait pas dans la demi-mesure. La suppression de la durée légale minimale des congés payés, remplacée par une négociation individuelle contractuelle, rompt avec plus d'un siècle d'acquis ouvriers. En rétablissant l'arbitraire patronal comme principe d'organisation du repos, elle consacre une individualisation radicale de la norme salariale, détruisant les socles collectifs qui structuraient jusqu'alors le compromis social, ce que l'économiste Robert Boyer, dans le cadre de la théorie de la régulation appelait un passage du "régime salarial fordiste" au "régime d'accumulation flexible". En parallèle, l'augmentation de la durée légale hebdomadaire du travail à 40 heures, avec un plafond porté à 60 heures, acte le retour du travail extensif comme moteur de compétitivité. Une mesure qui s'oppose à la logique de productivité du travail par le progrès technique ou la qualification, piliers du compromis social-démocrate. Ici, le temps de travail devient un levier de rentabilité brute, sans compensation qualitative. Le travailleur n'est plus un acteur de la production mais un temps-homme monétisale à merci. Cette flexibilisation par le haut (augmentation du temps de travail) va de pair avec une précarisation par le bas (affaiblissement des droits et protections).

La stratégie gouvernementale de couplage de cette réforme brutale et une hausse de 10% du salaire minimum ne saurait masquer la logique de troc cynique sous-jacente. Il s'agit de soudoyer les franges les plus pauvres de la classe laborieuse pour désamorcer la contestation tout en fracturant le front syndical et en divisant les salariés. C'est un classique de la politique de reconnaissance contre la redistribution : on octroie une reconnaissance (via la hausse du salaire minimum par exemple) tout en retirant les structures matérielles de protection et de pouvoir. Plus encore, cette réforme s'inscrit dans une dynamique plus large de désyndicalisation fonctionnelle. En réduisant les congés à des objets de négociation individuelle, en neutralisant la norme collective de temps de travail puis en refusant toute médiation syndicale dans l'élaboration de la loi, le gouvernement Lacombe parachève le démantèlement des corps intermédiaires. Cette stratégie érode les instruments de résistance sociale, les remplaçant par une fiction d'autonome contractuelle. Comme le soulignait Gramsci, la domination moderne n'opère pas seulement par coercition mais aussi par hégémonie culturelle ; ici, celle de l'entreprise comme espace de liberté individuelle où le salarié devient partenaire, acteur, collaborateur.

Ce phénomène s'apparente à ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommés la "nouvelle économie de la critique" dans Le Nouvel Esprit du capitalisme : l'idéologie néolibérale reprend à son compte les critiques anciennes du travail aliéné et bureaucratique pour promouvoir une flexibilité "libératrice" mais qui, dans la réalité matérielle, se traduit par un affaiblissement des garanties collectives, une insécurité permanente et une dépendance croissante à des rapports de force déséquilibrés. La flexibilisation du travail sous Lacombe, loin d'être une mesure technique, constitue ainsi une réorganisation en profondeur des rapports sociaux dans l'entreprise et dans la société. Elle inscrit l'individu dans une temporalité instable, imprévisible, soumise aux aléas des marchés, des cycles productifs, des décisions managériales.

3) Un consensus sans alternative :

L'oeuvre de Pierre Lacombe ne s'est pas arrêtée avec son départ : elle s'est enkystée dans les structures de l'Etat, inscrite dans le droit, dans l'administration, dans l'imaginaire politique lui-même. L'après-Lacombe n'a pas été une rupture mais une prolongation silencieuse, une inertie masquée sous les habits de l'alternance. C'est là la véritable victoire de la révolution néolibérale : non pas convaincre mais rendre ses opposants incapables de penser autrement. La période 1996-2017 offre un exemple paradigmatique d'une économie dépolitisée, soustraite au débat démocratique, où les choix fondamentaux en matière de redistribution, de régulation et de propriété deviennent intangibles. Le retour de la gauche au pouvoir à la fin des années 1990, après seize ans de gouvernement Lacombe, ne donne lieu à aucune abrogation des réformes phares. Les coupes dans les services publics sont dénoncées mais jamais réparées ; les privatisations sociales sont décriées mais jamais inversées ; les règles fiscales restent inchangées pour les entreprises ; la dérégulation financière demeure totale. En réalité, la gauche au pouvoir, à travers le Mouvement Royaliste d'Union, adopte une stratégie de contournement social : au lieu de réformer les structures, elle compense les inégalités par des aides. Une logique de rustine qui transforme l'Etat en amortisseur d'un modèle qu'il ne conteste plus.

L'historien économique Quinn Slobodian, dans Globalists, a montré comment le néolibéralisme n'a jamais cherché à abolir l'Etat mais à le verrouiller de l'intérieur. Ce verrouillage passe par des institutions, des normes, des traités mais aussi, dans le cas teylais, par la résilience du droit lacombien. Même les critiques les plus virulentes du modèle libéral acceptent tacitement ses fondements : primat de la propriété, liberté d'entreprendre, flexibilité du travail, autonomie des marchés financiers. La structure hégémonique est si forte que la critique se réduit à des ajustements mais jamais à une refonte. On observe aussi une institutionnalisation du modèle dans les partis politiques eux-mêmes. Le MRU, pourtant issue d'une tradition social-démocrate, devient un parti de la gestion raisonnable, prônant les aides ciblées plutôt que des réformes de structure. Il incarne ce que Colin Crouch a nommé la "post-démocratie" : une démocratie formelle mais où les grands choix économiques sont en dehors du débat public, gérés par des technocrates ou des élus convertis au TINA (There Is No Alternative). La bourse de Manticore, laissée hors de toute régulation sérieuse, en est un symbole éclatant : une infrastructure critique, héritée d'un monde pré-keynésien, mais toujours centrale dans l'économie teylaise du XXIe siècle.

Le seul vrai tournant ne viendra qu'en 2013, avec l'arrivée d'Angel Rojas et encore, ce tournant reste modeste, limité à la réduction de la durée légale du travail et à un encadrement plus strict des dérogations. Rien n'est dit sur la propriété des entreprises, sur les services publics, sur la fiscalité du capital. Le gouvernement Rojas ne défait pas Lacombe, il l'aménage. On assiste à une mutation sans rupture, à une résilience du néolibéralisme sous une forme plus douce, plus sociale mais tout aussi enracinée.


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