Grégorios se mordait les lèvres inconsciemment, un de ses vieux réflexes lorsqu'il subissait les assauts répétés d'un taux bien trop élevé de stress, et c'était le moins que l'on puisse dire dans le cas présent, l'on aurait pu croire que au vue des débuts prometteurs de l'évènement que tout allait bien se passer et que ce sommet allait pouvoir se dérouler sans accroc de manière productive afin de s'élever de la masse et de surpasser d'autres tentatives datant pour certaines d'il y a plusieurs années de créer quelque chose qui allait peser dans l'injuste balance de l'Histoire. Mais comme d'habitude c'était là sans compter sur les passions humaines et plus précisément sur les inimités entre certains personnages hauts en couleurs. A vrai dire, l'émissaire Lykaronien même s'il n'était pas diplomate suivait tout de même un tant sois peu l'actualité géopolitique du continent et s'informait même si minimalement des relations des uns et des autres ne serait-ce que pour ne pas passer pour un imbécile à la cour impériale lorsque sa Majesté impériale s'amusait à quémander les avis de ses courtisans sans crier garde sur divers sujets.
C'était un peu naïf de sa part que d'attendre que les la querelle récente sur fond de l'affaire Gondolaise, qui s'éternisait dans le temps depuis plusieurs années, entre l'Antegrad et l'Ouwanlinda soient mises de côté et complètement oubliées pour l'occasion. Bon après tout des échanges de frappes de missiles ce n'était pas anodin. Mais tout de même... Et puis il y avait toute la clique de l'Antegrain... Antegrain ? C'était comme ça que l'on disait ? Une chanson fortunéenne disait ainsi donc ça devait être ça... Eh, qu'importe. La clique de gardes armés jusqu'aux dents. Alors certes les escortes étaient d'usage, lui même s'était vu affilier une poignée de légionnaires de la Tagma avec un Centurio à leur tête. Mais quand même... Déjà que Grégorios suait fort de par le stress, lorsqu'il avait aperçu que les brigands en uniformes ne lâchaient guère prises de là où se trouvaient leur fusils d'assauts... Des fusils d'assauts... Rien que ça... Il avait manqué de se noyer dans sa propre sueur, ne sachant pas si les quatre derviches hurlants resserraient leurs poignes ou demeuraient statiques, il ne voyait pas bien la chose.
A vrai dire, il n'était pas serein, mais du tout en voyant cela. Mais pas pour les raisons que l'on aurait pu croire. A vrai dire, il avait plus eut peur pour l'escorte même du dirigeant d'Antegrad qui de par ces dégaines plutôt... Intimidante, étaient des candidats potentielles pour se faire descendre au moindre haussement de ton par les légionnaires faisant les planctons avec discipline derrière lui. Deux fois il s'était tourné de moitié afin de jeter quelques regards au Centurio Vorenus, pas de toute, il l'avait reconnu, c'était l'un des laquais de Sil Lego, le Ducatus Voltenorum qui commandait la garde impériale, ce n'était pas un membre de la Tagma mais un putain de Prétorien qui devait le surveiller. Celui avait d'ailleurs offert un salut militaire à l'attention du dénommé Ateh, le dirigeant de l'Ouwalinda dont le ministre avait précisé que c'était son... Comportement normal. Et qu'il allait se calmer en dépit de son discours... Atypique. Cela devait être rassurant ?
Dans le même temps, l'un des assistants lykaroniens s'était penché afin de murmurer à l'oreille de Sil Valden, confirmant les propos de Barnabas, fait curieux toutefois, il avait aussi appelé Ateh "Légat Honoraire de Rhême". Voulant s'enquérir du pourquoi du comment il était qualifié ainsi, l'assistant se contenta de préciser que l'Impératrice lui avait il y a quelques temps de cela décerné le Titre au cours d'une cérémonie par Proxy, sans donner plus de détail, sous entendant un caprice. Dans les premières secondes Gregorios ne chercha pas plus à comprendre, Irène IV était coutumière de ces tours en fonction de ses humeurs et en cela il se disait que la Basilissa et Ateh se ressemblaient beaucoup sur certains points. Puis il s'attarda sur cette notion de "Quelques temps". Attendez un instant songea-t-il. Cela fait "Quelques temps" aussi que le dirigeant de l'Ouwalinda avait lancé une... Campagne d'intervention au Gondo en pleine guerre civile... Les dates ne coïncidaient-elles pas étrangement ? Un air incrédule se forma sur son faciès, puis il ouvrit la bouche sous le choc de la réalisation sans qu'aucun son n'en sortes. Cela faisait aussi "Quelques temps" que le Comes Dominicus Sil Vilipanus et une part de la Tagma s'étaient volatilisés de Lykaron pour aller l'on ne savait où... Et cela faisait aussi "Quelques temps" que des rumeurs insidieuses hantaient les antichambres du Palais comme quoi des missives à destination du Paltoterra avaient été envoyés par le Ministériat du Chancelier Sil Volta depuis le Castellum Ar Corvus...
Non... L'impératrice n'aurait tout de même pas osée ? Non... Pas cela ?! Oh si... C'était tout à fait son genre... Elle avait osée. Grégorios avait, face à cette réalisation, l'impression d'avoir vieillit de vingt ans. Il se tourna une nouvelle fois lentement afin de jeter un regard à ce vaurien de Vaurenus, celui ci le regardait d'un air narquois, comme s'il savait déjà. Bien sûr qu'il savait déjà... Les assistants aussi, c'était pour cela qu'ils avaient suggérés de prendre place aux côtés d'Ateh et de son ministre. Les fumiers n'avaient même pas daigné l'informer d'un "détail" aussi important. Ils devaient bien rigoler au Palais Impérial... Grégorios Sil Valden ! Emissaire impérial mais surtout et avant tout, Dindon de la farce. D'un geste plus assuré il épongea son front, la mine sombre. Le voilà dans de beaux draps, en plein milieu d'un panier de crabes.
Bon... Quitte à être là dans l'arène avec les lions avec un commissaire politique dans son dos prêt à lui faire faire une baignade à la sortie pour un oui ou pour un non, autant essayer d'accomplir sa tâche un tant sois peu... Correctement. Au delà des menu-querelles d'égo où les sycophantes s'étaient joints bien volontiers afin de lécher les babouches de leurs collègues, l'Azur avait décidé de prendre les choses en main et de recentrer un peu le débat, offrant une échappatoire salvatrice pour l'émissaire. Toutes ces histoires de décolonisations n'étaient pas sa tasse de café certes, mais en revanche, il suivait ce qui se passait dans l'actualité, et surtout il avait suivit avec attention d'autres tentatives précédentes de créer une organisation supra-nationale afaréenne qui avaient toutes systématiquement échouées à l'exception du FCAN à passer ne serait-ce que les préliminaires pour la simple et bonne raison que à chaque fois l'on avait tenté de mettre la charrue avant les boeufs. Prenant son courage à deux mains et profitant d'une accalmie dans ses précipitations de muqueuses il s'essaya à une prise de paroles.
Grégorios Sil Valden - << Exc... Excellences, si je puis me permettre, afin de rebondir sur les déclarations faites jusqu'à présent. Je crois que nous nous trompons de priorités et... Enfin... Comment dire... >>
Il marqua, une pause après un bégaiement, prenant finalement une grande inspiration avant de réitérer.
Grégorios Sil Valden - << Je crois que nous nous trompons dans l'ordre de faire les choses. La décolonisation, et je vous invite à ne pas détourner mes propos car soyez assurés que la présence de sangsues parasites là où elles ne devraient pas être est aussi un mal qui accable l'Empire de Lykaron à bien des égard, ne devrait pas être considérée comme un moyen de créer quelque chose mais comme une finalité à atteindre. Ne vous y trompez pas, définir le cadre des défis afin de bâtir une demeure est une bonne chose, qualifier les termes, estimer les dimensions des calculs. Toutefois, aucune demeure n'élève sans des fondations solides. Ce qui implique une analyse des ressources à user, de leurs types, de leurs quantités, et des outils nécessaires ce afin de poser les bases sur laquelle construire l'édifice. >>
Tout de suite, user de termes propres à l'architecture sous formes d'allusion, comparaisons et autres métaphores l'aidait fortement dans son élocution.
<< Grégorios Sil Valden -Il convient afin de ne pas être les simples victimes d'un énième cycle se répétant de tirer des leçons de l'Histoire avec un grand H. Et je ne parles pas là de siècles jadis ou d'époques que nos grands-pères eux même n'auraient pu connaître mais bien des décennies récentes. Ce n'est pas après tout la première fois que des pays Afaréens tentent de s'organiser et de fonder quelque chose pour l'avenir de leurs pays mais aussi du continent, à l'exception notable du FCAN qui depuis l'effondrement de la digue vitale qu'était la principauté de Cémétie en son sein subit une mise en suspens de ses opérations, toutes les tentatives ont échouées. La plupart d'ailleurs à cause de ce sujet sensible qu'est la décolonisation en essayant de le mettre au centre de tout en brûlant toutes les étapes vitales afin d'arriver à un prototype de plan viable, se retrouvant inévitablement face à d'innombrables contradictions et voyant les attentes des uns et des autres s'entrechoquer mutuellement jusqu'à provoquer un glissement de terrain emportant tout le site de chantier. >>
Il laissa quelques secondes aux uns et aux autres de noter ses propos, reprenant son souffle avant d'achever.
Grégorios Sil Valden - << Je réitère, la "décolonisation" doit être une finalité, et non un moyen. En allant trop vite, nous courrons à la catastrophe. Preuve en a été d'ailleurs aux yeux de tous puisque nous avons tous été témoins de la présence de l'ombre d'Eris qui, sans l'intervention du représentant d'Azur, aurait assurément monopolisé les débats pour encore longtemps. Je vous le dis d'avance, même si je ne suis qu'un émissaire, je n'ai pas besoin d'avoir accès aux détails les plus sensibles pour comprendre que ce projet pour lequel nous nous sommes tous rassemblés ici présents, nécessitera d'une part des "ressources" en quantités colossales pour élever la demeure, mais surtout, une ligne commune et claire qui ne souffrira pas des ambitions et des mésententes des uns et des autres. Car si c'est bien d'une chose dont l'Afarée va avoir besoin pour cette... épreuve titanesque si j'ose dire, c'est d'unité, ne serait-ce que pour faire face aux obstacles et aux oppositions inévitables qui vont s'organiser. Car je vous invite bien à réfléchir à la chose. Nous parlons de colons, d'oppresseurs, de sangsues, qui ne sont eux même pas unis, ont leurs propres dissensions, leurs intérêts souvent divergeant par ailleurs. Or, il n'y a rien de plus utile pour fédérer qu'un ennemi commun. Tout comme à travers ce concept de décolonisation, l'épée devant frapper notre ennemi commun, nous essayons de nous fédérer, l'adversaire s'il réalise cela n'hésitera pas à faire de même. Et ils n'auront aucun scrupule à frapper des fondations fragiles si ils en ont l'occasion. Donc à ce titre, je vous pose à tous la question, ne devrions nous pas converser en premier lieu de la forme des modalités de ce projet, des moyens engagés, et de la manière dont les fondations doivent être solidifiés, ce avant de nous affubler tous et chacun d'une cible bien visible sur le dos ? >>
Et sur ces mots, il inspira à nouveau, épongeant son front qui venait de rattraper plusieurs minutes de cascade en quelques secondes après avoir cessé de parler.