Posté le : 03 août 2025 à 16:08:39
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Comme elle le fit depuis le début de la rencontre, Wolina nota les explications d'Henrietta dans ses notes. Les autorités de sûreté estaliennes allaient avoir affaire à un sacré boulot de vérification et de sécurisation des informations transmises par les Mesolvardiens. Bien que Wolina ronge son frein, certaine que la question technique était en train de tuer progressivement l'accord dans l'oeuf, constat qu'elle semblait partager avec Senko par un simple regard entre les deux, elle savait aussi qu'il fallait rester méfiant. Elle ferma alors ses notes. Si les Mesolvardiens sont en accord avec l'idée que les Estaliens seront en mesure d'imposer des systèmes de sécurité supplémentaires en cas de constatation de failles structurelles ou de défauts de conception au sein du SAGE-1900, qu'il en soit ainsi, cette joute verbale et technique a probablement suffisamment duré et doit probablement miner les nerfs de tous les néophytes en matière de sécurité nucléaire présents dans la salle. Wolina préféra donc conclure :
"Je vais simplement répondre aux quelques interrogations que vous m'avez posé, madame. Tout d'abord, en ce qui concerne le risque sodium, je suis d'accord avec vous sur le principe : une fuite de sodium est un risque chimique en premier lieu, il n'a a priori rien à voir avec un risque nucléaire comme la perte de réfrigérant primaire. Sauf que c'est un risque certes conventionnel qui, bien qu'il ne peut impliquer directement un accident nucléaire, peut en être la cause. Une fuite de sodium mal maîtrisée engendre généralement un incendie qui a son tour provoque une perte de refroidissement, une montée de température et donc un accident de criticité différée (HRP : je peux reprendre le cas du Monju en 1995 que j'ai cité plus loin dans la rencontre mais également le BN-350 en 1975, lui aussi victime d'un incendie au sodium). La frontière entre accident chimique conventionnel et nucléaire est en vérité poreuse et la distinction que vous faites entre les deux est purement taxonomique, je pense que vous minimisez beaucoup trop la chaîne de causalité qu'un accident conventionnel peut engendrer, surtout que l'on parle d'un réacteur à caloporteur sodium, le chimique est toujours la porte d'entrée du nucléaire en terme d'accidents dans ce genre de cas. .
Ensuite, en ce qui concerne le rendement de combustion et la surgénération, je ne dis pas le contraire madame, ce que vous dites est techniquement vrai mais ce n'était pas là où je voulais en venir : ce que je disais, implicitement, c'est que la fusion centrale et la géométrie instable empêchent d'aller chercher le maximum de combustion du cœur, non pas que 50% soit la norme. Ce n’est pas le rendement thermique brut qui m’interroge, mais la perte de stabilité géométrique liée à votre stratégie de fusion partielle. Ce phénomène est bien documenté dans les combustibles MOX à haute température. Le taux de combustion ne m’intéresse que dans la mesure où la perte de forme centrale du crayon crée une reconfiguration neutronique. Et si vous croyez que l’infini est un argument suffisant en physique, je vous invite à considérer les transmutations d’isotopes non fissiles ou l’accumulation de déchets mineurs. Le cycle n’est jamais entièrement bouclé sans pertes."
De son côté, Senko nota les modifications du contrat par le Dauphin. On pouvait clairement voir de son côté qu'il avait été à moitié satisfait. Il avait en effet apprécier la modification de l'article 4.b qui permettait à l'Estalie de s'approvisionner ailleurs en ca se rupture, de gel des prix ou par compensation via la BID mais il se rendait vite compte de la ligne qu'était l'article 7.e. Pourtant, c'était une des failles contractuelles majeures du contrat aux yeux de Senko, il ne pouvait pas passer l'éponge dessus, c'était impossible.
"Votre Excellence, je prends d'abord acte avec satisfaction de l'évolution qu'a pu prendre la clause de l'article 4.b, c'est un geste d'ouverture et je vous en remercie. Cela dit, je suis obligé de m'opposer à l'alinéa 7.e une fois de plus et je suis obligé d'insister car il s'agit ni plus ni moins que d'une question de sécurité structurelle et pas seulement une querelle sur des vis. Si LHV reste seul arbitre des hausses de coûts, alors il devient juge et partie dans une industrie hautement stratégique pour l'Estalie. Une telle clause ne garantit ni la transparence des marges, ni la prévisibilité des contrats à long terme, ce qui est un problème grave dans une filière où chaque décision engage sur trente ou quarante ans. Vous dites que LHV doit conserver sa liberté de prix et c'est une condition que je comprends mais dans ce cas, il doit aussi assumer un mécanisme de compensation, ou à défaut, ouvrir ses chiffres à l'ASN estalienne, sinon la technologie que vous nous vendez devient une rente opaque et la dépendance économique complète s'installe. Or, c'est une forte dépendance que nous souhaitons éviter. Quant à votre remarque sur l'autarcie, je vous rassure : nous ne la recherchons pas dans l'absolu mais il nous faut une autonomie suffisante, c'est-à-dire la capacité à entretenir, reconfigurer et sécuriser nous-mêmes l'installation en cas de rupture diplomatique ou commerciale et aujourd'hui, ni vos clauses de licence, ni votre découpage industriel à trois têtes ne nous offrent cette garantie. Je vous propose de couper la poire en deux :
Article 7.e : En cas de manquement grave par l'Estalie à ses obligations de protection de la propriété intellectuelle liée à la technologie SAGE, et constaté par la procédure prévue à l'article 7.c, les partenaires de SAGE sont autorisés à appliquer un réajustement tarifaire exceptionnel, proportionné au manque à gagner justifié sur les seuls intrants, composants et services directement concernés par le dit manquement. Ce réajustement doit être notifié à la SEE avec un préavis de trois mois. Toute tentative d'élargir cette mesure à d'autres composantes du contrat ou d'en faire un levier commercial indirect est réputée coercitive au sens de l'article 7.a.
A mon sens, cet alinéa devrait vous permettre de conserver un droit de réajustement en cas de préjudice équivalent au manque à gagner que LHV subirait en cas de manquement de notre part (ce qui est, il me semble, votre objectif ici) réel sans ouvrir de brèche contractuelle générale, empêcher de notre côté les hausses arbitraires ou punitives et enfin préserver la logique de l'article sept. Est-ce que cette clause vous convient, Votre Excellence ?"