
« Assez de la dictature des Ranchers ! »,In les Nouvelles du Makota du 28/11/16
Jacques Veque demande la révocation du Président Irreville pour Haute Trahison et Outrage au Congrès
C’est dans une atmosphère inhabituellement tendue qu’a eu lieu, hier, une session extraor-dinaire de la Chambre censitaire. Convoquée par voie de pétition signée par la majorité producti-viste, elle devait examiner et voter une motion tendant à prononcer la révocation du Président de la République, Jean Irreville, pour double chef d’accusation : haute trahison et mépris du Congrès.
Au cœur du dossier figure la réponse — pourtant censée res-ter confidentielle — qu’aurait adressée le Président Irreville à un courrier de la société drovo-lskienne TomaTo Corporation, reçu le matin même et auquel il a répondu dans la foulée. Selon M. Jacques Véque, auteur de la motion et chef de file du parti productiviste (regroupant l'e-ssentiel des industriels de la Chambre), le Président négoci-erait l’implantation, au Makota, d’usines de conditionnement appartenant à ladite entreprise.
Les pièces communiquées semblent révéler une duplicité manifeste : on y voit que le chef de l’État s’interroge sur « la meilleure manière de tromper la Chambre censitaire » afin de faire passer l’accord. Il y est même fait allusion, à peine voilée, à des pots-de-vin que les Drovolskiens se déclareraient prêts à verser pour faciliter leur installation. Force est toutefois de constater que ces documents, s’ils semblent authentiques au regard de leur forme, ne sont cependant étayés par aucune preuve extérieure.
Cette absence de garanties a permis à M. Jean Irreville Junior — fils du Président, Vice-Président de la République et représentant de son père au sein de la Chambre censitaire — de décrire ces document comme un « mensonge et calomnie » puis de déclarer, pour défendre son père : « Mon père est l’homme le plus intègre que je connaisse ; jamais il ne se serait laissé corrompre : d’abord par ho-nneur, ensuite par dévouement à la cause nationale, et enfin parce qu’il est déjà beaucoup trop riche pour que l’appât du gain l’incite à prendre des risques inconsidérés.
Avant de conclure sur ces mots qui ont fait grand bruit dans l’hémicycle : « Tout cela m’amène inévitablement à penser que nous nous trouvons, une fois encore, face à un complot ourdi par l’opposition. Je somme donc monsieur Véque
d’apporter les preuves que nous exigeons, ou de retirer immé-diatement sa motion. À défaut, je n’aurai d’autre recours que de m’en remettre au fer, et j’invite dès lors monsieur à faire co-nnaître à mes témoins l’arme qu’il aura choisie. »
Tandis que les soutiens in-conditionnels de l’actuel gouver-nement ont, comme on s’en doute, longuement applaudi le Vice-Président, Jacques Véque
fit savoir qu’il n’était pas dans les usages de sa famille de refuser un duel et que c’est bien volontiers qu’il s’expliquerait par les armes avec l’intéressé — mais pas avant que sa « canaille de père » n’ait été chassée du fauteuil présidentiel qu’il n’est « pas digne d’occuper », et qu’un « authentique patriote », n'ait été élu à sa place. Il ajouta d’ailleurs qu’il ne serait tout disposé à « liquider le fils après avoir chassé le père ».
Ce fut alors un chaos indescriptible : les feuilles vo-laient, tandis que les différents groupes s’insultaient sans rete-nue, au point que les assistants, huissiers et factotums ne sa-vaient plus où se mettre. On s’invectivait franchement et avec violence. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’aucun autre ora-teur ne fut admis à la tribune et qu’il fallut interrompre la séance, car, au-delà des cris et du désor-dre, on commençait, çà et là, à en venir aux mains.
Il fallut près d’une bonne heure pour que tout le monde retrouvât son calme et que la séance puisse reprendre dans des conditions convenables.
L’orateur de la Chambre censitaire, M. André Poulet, fit alors passer tous les Pères con-tribuables qui désiraient s’expri-mer, mais eut la sagesse de commencer par les centristes. Ceux-ci, désireux de montrer que leur opinion n’était pas arrê-tée, se contentèrent de rappeler les éléments évoqués et de faire savoir qu’ils ne prendraient pas part au vote : ils ne voulaient ni courir le risque de soutenir un homme qui pourrait bien être un traître, ni demander la desti-tution d’un Président dont la culpabilité restait incertaine, au risque de déstabiliser les équili-bres institutionnels de la République.
Loin de vouloir voter cette motion, leur préoccupation principale se porta plutôt sur le cas de Mlle Dalila, victime, selon leurs termes, d’« une grave tentative de meurtre et de la destruction du studio de son producteur ». Ce fut surtout le
propos de M. Paul Soudre, ami et principal financier de feu le producteur Henry Hubert (victime collatérale de la tenta-tive de meurtre), qui prit la parole avec passion pour faire voter une motion demandant la protection de la jeune femme. Il fut cependant rapidement réduit au silence par M. André Poulet, l’Orateur de la Chambre, qui lui rappela que les démêlés de Mlle Dalila et de ses amis avec les ligues de vertu n’étaient pas à l’ordre du jour, et que cela n’intéressait donc pas les Pères contribuables. Sa motion fut immédiatement rejetée.
L’on revint alors au sujet du jour, c'est à dire : fallait-il con-server les deux chefs d’accu-sation, ou n’en retenir qu’un seul ? On décida de conserver les deux, puis l’assemblée passa au vote sur la motion de destitution du Président de la République, laquelle portait sur les chefs de haute trahison et d’outrage au Congrès.
Comme il est d’usage dans les trois Chambres, le vote se fit en public, et non à bulletin secret. Sur les cinquante Pères contri-buables (ou leurs représentants) qui composent la Chambre, on compta pas moins de vingt-deux abstentions — toutes venant du Centre, pour lequel la question demeurait indécidable. Quant aux vingt-huit voix restantes, on en dénombra seize en faveur de la motion de destitution et douze opposées. La motion fut donc adoptée à une faible majorité relative de quatre voix.
Monsieur Jacques Véque, à qui il incombe désormais de désigner la seconde Chambre appelée à se prononcer, a fait savoir qu’il présenterait la motion à la Chambre des Opinions dans les plus brefs délais. La session fut alors close.
--- DETAIL DES VOTES ---
Pour (16) : Brach, Estraud, Fau-vel, Joly, Lemoine, Morlot, Pi-quemal, Roudier, Ulbach, Yvo-rel, Zeller, Delaunay, Evrard, Gauthier, Jolibois, Lestrade
Abstention (22) Aubanel, Du-mas, Grissac, Iriberry, Orsel, Quéré, Trouillet, Weygand, Ba-rès, Fabiani, Isnard, Maublanc, Néret, Othelin, Ruelle, Wintre-bert, Xardel, Aymon, Sainval, Usson, Hennequin, Pouget
Contre (12) : Cardieu, Kerma-dec, Nivard, Ségard, Vayssière, Cazeneuve, Houtin, Karminski, Quincard, Verniol, Véque, Frémont