Le 17 mars 1973, cinq granges à la sortie sud de Sedento dans les Bouches de l'Aguapa sont anéanties par un incendie dévastateur. Dans les ruines fumantes du corps de ferme gisent les cadavres carbonnisés de huit hommes, vingt-neuf femmes et de douze enfants enfant. Les techniques d'identification sont balbutiantes mais il y a peu de doute sur les victimes. C'est la totalité d'une commuauté rurale installée là depuis 11 ans.
Tout a commencé en 1962. Sieur Berleon veut céder son exploitation agricole. Il n'a pas d'enfant. Faché avec une bonne partie de Sedento et ses environs, il cherche un repreneur ailleurs et fait affaire avec Raoul Meneghin. Nul ne le connaît. Il s'installe avec trois compagnons. Vaillants et industrieux, ils transforment la ferme vieillissante en mas prospère. La diversification vers des cultures à meilleur rendement, la pratique d'une agriculture biologique encore méconnue, la maîtrise de l'irrigation,... leurs innovations font mouche. A Sedento, le succès de Meneghin fait des jaloux mais aussi des adeptes.
Meneghin accueille à bras ouverts les cultivateurs souhaitant se former. Les enseignements portent à la fois sur des pratiques agricoles mais s'accompagnent également d'une approche philosophique, celle de l'équilibre des forces. En parallèle aux gestes et techniques nouvelles, l'agriculteur doit accomplir des rites pour s'assurer qu'il prélève la juste proportion d'énergie à la terre et n'interrompt pas le cycle de vie de la faune et de la flore. Il est ainsi demandé de suivre le calendrier lunaire pour les plantations et les récoltes. Des chants et des danses doivent être pratiqués aux solstices et équinoxes dans des zones précises des champs matéralisées par des agroglyphes. Il y a aujourd'hui un consensus scientifique sur le fait que dans l'agriculture agriverselle (nom donné à la pratique de Meneghin), les pratiques ésotériques n'ont pas d'effet avéré contrairement aux pratiques agricoles (désormais majoritairement utilisées).
Raoul Meneghin éduque ainsi des centaines d'agriculteurs de la région qui appliquent certains de ses enseignements. La partie rituelle ne rencontrent pas beaucoup d'écho. C'est souvent un sujet de moquerie. Dans cette partie des Bouches de l'Aguapa cohabitent de fervents catholiques, des pratiquants du culte incarnew et des athées. Il est difficile pour un mouvement néo-religieux de faire son trou. Meneghin est tout de même parvenu à attirer dans sa ferme plusieurs hommes et femmes, fascinés par son charisme.
Jusqu'en 1971, ils vont et viennent à Sedento et dans la région. Ils se font remarquer sur les marchés des villages et des villes avec des tenues excentriques et bigarrées. Le recensement de la population fait état cette année-là de la domiciliation, au sein du mas, de trois personnes. Le chiffre interpelle. Il est de notoriété publique qu'une cinquantaine d'hommes, de femmes et d'enfants y vivent. La police locale commence alors à s'intéresser à cette communauté et découvre ce qui s'apprente à des fraudes à l'état civil. Les douze enfants ont été reconnus par Meneghin. Une lettre de convocation pour une audience est adressée à Raoul Meneghin le 10 mars 1973. Elle reste sans réponse. Les six jours suivants, plus personne n'entre, ni ne sort du mas jusqu'au soir fatidique de l'incendie meurtrier. L'enquête concluera à un assassinat. Certains corps n'ont pas pu être identifiés de sorte qu'il plane encore aujourd'hui le doute sur la survie de Meneghin.
Les communautés agriverselles, quand à elles, ont résisté à ce scandale en se désolidarisant officiellement de Raoul Meneghin. Régulièrement, des signalements pour dérives sectaires sont remontés par les autorités. Assimilées à des communautés religieuses, leur existence est protégée par la Constitution.