Posté le : 01 mai 2025 à 16:02:45
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Lettre ouverte au Gradenbourg
Chère Gradenbourg, terre de ma naissance, mais surtout terre meurtrie par l’histoire. Toi qui de tout temps fus marquée par ta générosité mais également par ta solitude au sein de la confédération. On t’avait dit que l’union faisait la force et que, comme ça, ta petite voix pourrait se faire entendre des puissants. Mais dans les faits, ce fut l’inverse qui se produisit : ta voix fut invisibilisée au sein de cette confédération dont l’Hotsaline en était le véritable dirigeant. Pendant des années, tu fus perçue comme le poids mort de cette union, tu ne produisais rien et étais dépendante de tes "alliés". Quand on te regardait, on se demandait si le pacte initial, comme quoi l’union fait la force, était valable dans ton cas. Au fil des années, une idée germa, celle de t’expulser et de te laisser mourir seule. Cette idée était renforcée par une chose : la fierté hotsalienne, fierté d’être slave et non pas germain comme ces gueux du Gradenbourg. Ils avaient ravalé cette fierté lors de la création de la confédération, mais ton inutilité leur fit se dire que sans toi ce serait pareil, voire mieux. Mais au moment où ton destin semblait écrit dans la pierre, tu reçus une bénédiction, celle du dieu des ressources, si tant est qu’il existe. Cette bénédiction te fit découvrir que ta terre était gorgée de cette pierre noire dont, à cette époque, mais surtout l’industrie hotsalienne, était dépendante. Alors tu exploitas cette ressource très tôt et tu en fis profiter tes "alliés", te disant que peut-être maintenant ils allaient te considérer. Cela fut le cas… du moins en apparence. Cette considération nouvelle au sein de la confédération te fit te dire que tu y avais maintenant ta place, que tu étais maintenant importante, mais ce n’était que partie remise. En public, leurs discours étaient maintenant ceux d’un ami, mais en privé ils n’avaient pas changé. Au plus profond de toi, tu le savais, mais tu t’en fichais, car tu ne voulais surtout pas revenir à ta situation précédente, emplie de solitude. Ainsi, tu te voilas la face et embrassas cette nouvelle vie que tu savais factice. Tu te dis que si tu faisais plus, alors tes "alliés" t’apprécieraient encore plus. Alors tu exploitais davantage cette pierre noire, tu l’exploitais par ta propre force, mais également par celle des travailleurs immigrés venant de ton voisin de l’est, désireux de trouver de nouvelles opportunités économiques dans les années vingt. Forte de cette industrie prolifique, tu réussis à te faire quelque économie. Tu étais heureux, heureux comme un enfant à qui on donne de l’argent de poche pour la première fois et c’était le cas : jusqu’à maintenant, tout ce que tu avais, c’étaient des dettes. Mais au-delà de cette joie, ton intelligence prit le dessus et tu réussis à te prémunir d’une maladie que l’on sait destructrice : celle des ressources. Cette intelligence te permit deux choses : premièrement, de ne pas dilapider ton argent, mais surtout, cela te permit de t’offrir un matelas de sécurité en cas de crise. Ainsi, année après année, tu alimentas ce matelas afin de te prémunir de toute crise à l’avenir.
À partir de 1951, dans ta grande bonté, tu commenças à accueillir un nombre incalculable de réfugiés de ton voisin de l’est qui en étaient réduits à fuir leur propre pays à cause de la guerre. Au-delà de fuir leur pays, la terre de leurs ancêtres, ils laissaient également derrière eux toute leur vie et peut-être même des connaissances sur le front. Chère Gradenbourg, ta bonté était grande, trop grande peut-être. À mesure que les combats chez ton voisin de l’est s’intensifiaient, l’afflux de réfugiés faisait de même. La vie gradenbourgeoise n’était pas idyllique, mais elle était certainement meilleure que celle de ces pauvres réfugiés. Dans ta grande bonté, tu continuas donc de les accueillir, au-delà même de tes capacités. D’une population d’à peine cinq cent mille âmes, tu passas le pallier symbolique du million tout en continuant de monter… monter, monter, toujours plus haut. Quand la situation commença à devenir critique, tu demandas de l’aide à tes "alliés" de la confédération, qui te répondirent par un silence de mort. Peut-être n’avaient-ils tout simplement pas vu le message. Alors tu redemandas, et cette fois-ci, tu te fis répondre par un simple "vu". Alors tu compris. Tu compris que tu étais seule. En fait non, cet événement fit juste remonter la petite voix au fond de toi te criant que cette bonne entente avec tes alliés était fausse. Tu te rappelas donc juste la vie que tu menais avant, tu continuas donc seule. Seule tu l’avais toujours été au sein de cette chose nommée Kresetchnie, alors ton quotidien ne changea pas trop. Il fallait juste faire ce que tu avais toujours fait.
C’est à ce moment-là que les fruits de ton intelligence se manifestèrent, ce matelas que tu avais alimenté depuis maintenant plusieurs décennies dans l’optique de l’utiliser lors d’une crise allait maintenant servir. Tu commenças donc à l’utiliser, quel autre choix avais-tu de toute façon, tes "alliés" faisant la sourde oreille. Pendant un certain temps, la situation resta stable, tu réussis à construire des camps de réfugiés afin que tous aient un toit pour dormir, tu te procuras de grandes quantités de nourriture et d’eau afin qu’ils ne meurent pas de faim ou de soif. Cependant, cette situation ne pouvait pas perdurer, alors tu essayas de trouver un travail pour les réfugiés. Cela fonctionna au début, certains allant trouver un travail dans l’administration, d’autres devinrent professeurs, une partie ouvrit de petits commerces comme des supérettes. Cependant, la majorité trouva un travail dans les mines de charbon ou dans les installations de traitement. Tu étais content, tu avais réussi à donner une nouvelle vie à ces pauvres gens fuyant la guerre, tout aurait pu s’arrêter là, mais le destin en décida autrement. Rapidement, la réalité te percuta en pleine face : il y en avait trop, trop de réfugiés, et le nombre ne faisait qu’augmenter. De 500 000 âmes avant la guerre, tu atteignais cinq ans plus tard les 1,6 million. Ne pouvant trouver un travail pour tout le monde, la pauvreté augmenta. Malgré cela, tu parvins néanmoins à fournir un toit à tout le monde grâce à ton matelas de sécurité. Cependant, de la même manière que le charbon est épuisable, ton matelas de sécurité l’était tout autant, ainsi, en 1961, ta trésorerie, qui jusqu’ici t’avait permis de tenir, n’était plus. En parallèle de cela, ton économie ralentissait, aggravant encore plus un chômage déjà critique. À ce moment-là, tu redemandas de l’aide à tes "alliés" de la confédération, te disant que peut-être cette fois-ci, constatant la situation critique, ils allaient apporter leur aide, ou au moins prendre en charge une partie des réfugiés. De la même manière qu’ils t’avaient répondu par un silence de mort à l’époque, ils firent de même cette fois-ci. La pauvreté se généralisa et la famine fit son apparition. Puis, un jour quelconque de 1962, jour tout aussi triste que le précédent, des camions militaires firent leur apparition déchargeant des provisions ou du matériel médical. Cependant, il y avait quelque chose d’étrange : le drapeau sur les camions ne ressemblait à celui d’aucun état de la confédération ; ce drapeau arborait une bande noire, blanche et rouge de manière horizontale. Un instant de réflexion plus tard, tu fis le rapprochement : il s’agissait du drapeau d’une des factions combattant dans la guerre civile de ton voisin de l’est. En comprenant cela, tu te dis beaucoup de choses et tu te posas des questions, dont la principale était : Pourquoi ? Pourquoi une faction en guerre avec d’autres pour le contrôle du pays détournerait-elle des ressources pour aller aider un petit pays que même ses "alliés" ne daignent pas aider ? À cette question, un soldat t’apporta la réponse en te transmettant les mots de la général et future impératrice de Rasken Kristina Schützenberger : Mon rôle en tant que chef d’état est de protéger les Raskenois, en aidant le Gradenbourg, nous aiderons les réfugiés Raskenois. De plus, c’est notre guerre qui a causé cette situation critique et je refuse que l’on profite plus longtemps de la générosité dont ils ont fait preuve. Nous allons prendre en charge, dans la mesure du possible, le fardeau qui pèse sur cet état abandonné par ses propres "alliés".
En entendant cela, tu te dis que peut-être, tu n’étais pas seule dans ce bas monde et que peut-être, il y avait une chance, aussi infime soit-elle, que tu aies un véritable allié. Ainsi, à partir de 1962, la valse des camions débuta, apportant avec eux vivres et matériel en tout genre ; des lignes électriques furent érigées pour soulager un réseau gradenbourgeois sous tension, du carburant fut offert, ou acheté pour une somme symbolique. Bien que la situation restât critique, cette aide permit de te soulager quelque peu et tu pus enfin espérer sortir la tête de l’eau. À la sortie de la guerre civile de ton voisin de l’est, près de 3,6 millions d’âmes te peuplaient, dont une part écrasante vivait dans des bidonvilles, ou plutôt survivait. Incapable de fournir du travail à tout le monde, des millions de sans-abris jonchaient tes rues ; la famine s’était installée depuis maintenant quelques années malgré les livraisons raskenoises, et du fait des mauvaises conditions d’hygiène, des maladies firent leur apparition. Ces maladies auraient pu se transformer en épidémie, mais grâce aux livraisons de matériel médical raskenois ainsi qu’à l’arrivée de personnel médical compétent, tu pus éviter le pire. La guerre civile terminée, les réfugiés commencèrent à rentrer chez eux, tu vis alors ta population décliner, ou plus précisément revenir à la normale. De 1976 à 1980, près de 2,77 millions de personnes te quittèrent pour regagner le pays qu’elles avaient fui quelque temps auparavant à cause du conflit. La situation revenue à la normale, tu pensas alors que tu allais enfin sortir la tête de l’eau, mais ces années de crise t’avaient durement affecté. Il fallait de toute urgence relancer la machine économique, mais tu n’avais pas d’argent pour le faire. C’est alors que ton voisin de l’est revint vers toi pour apporter son aide. Cette aide prit plusieurs formes : la première fut la proposition de prêts à taux zéro, mais surtout, sans date de remboursement précise, afin de ne pas mettre en tension une économie alors fragile. Une autre forme d’aide apportée par Rasken fut celle du financement intégral de plusieurs hôpitaux. Ces hôpitaux, intégralement financés par ton allié, te permirent de disposer d’un système de santé relativement correct malgré l’état du pays. Cette aide te fut précieuse ; elle te permit de garder la tête en dehors de l’eau. Il faudrait plus, mais ton voisin ne le pouvait pas, devant lui aussi reconstruire son pays et tu appréciais déjà le fait de recevoir de l’aide. N’ayant d’autre solution, tu te tournas vers tes "alliés" de la confédération, qui sans surprise firent également la sourde oreille. Alors tu continuas ta lente descente en enfer, ou plutôt ta redescente. Voulant au moins montrer ta gratitude envers ton ami et ton mécontentement envers tes "alliés", tu réduisis grandement ton commerce avec la confédération pour te tourner vers l’est. Malheureusement pour toi, la seule ressource que tu exportais, ton voisin de l’est en produisait également et dans des proportions bien supérieures. Même s’il n’avait pas besoin de ton charbon, ton ami décida tout de même de te l’acheter, et à un prix supérieur à celui que tu avais l’habitude en comparaison du charbon bradé à l’Hotsaline. Cette manœuvre eut pour effet de grandement énerver Troitsiv, dont l’approvisionnement dépendait en grande partie de toi.
Cependant, cette descente aux enfers que tu pensais longue fut finalement écourtée par un seul petit facteur : le pilier qui supportait à lui seul quasiment toute ton économie venait d’entamer sa décroissance. Le charbon n’étant pas infini, ce moment devait fatalement arriver. Ainsi, en 1991, quand ton économie commençait enfin à se redresser, ta production de charbon passa son pic et ton économie, qui devait se redresser, plongea. Malheureusement pour toi, ce n’était que le début. Durant les années de guerre civile chez ton voisin, tu avais accueilli nombre de réfugiés, mais dans cette masse de pauvres gens se trouvaient également des virus. Durant les derniers affrontements de la guerre civile de ton voisin, des têtes pensantes réussirent à te rejoindre en se faisant passer pour des réfugiés. Ceux-ci s’étaient rendus coupables de graves crimes envers ton voisin de l’est durant la guerre, exactions en tout genre, mais surtout, ils s’étaient rendus coupables du déclenchement d’une épidémie à la fin de la guerre à titre de vengeance contre la faction victorieuse alors devenue monarchique, chose qu’ils avaient en horreur. Ces têtes pensantes, ces virus, t’infectèrent petit à petit, voulant certainement t’utiliser pour se venger. Puis, des rumeurs firent leur apparition, rumeurs portant sur la possible présence de ces virus. Quelque temps plus tard, ton voisin de l’est et ami prit ces rumeurs au sérieux et commença à enquêter de son côté, et peu de temps après confirma la véracité de ces rumeurs. Ne pouvant te demander directement, car certainement infecté par ces virus, il choisit la solution simple quoique brutale d’une invasion à grande échelle pour capturer, extrader, puis juger ces criminels de guerre. Durant plusieurs années, des exercices militaires furent effectués, puis, en ce jour banal du 10 mai 1994, ton destin bascula encore une fois. Ce jour-là, une demi-centaine de milliers de soldats foulèrent ta terre, que ce soit de manière terrestre ou aérienne. Confédération oblige, ton armée était sous le contrôle de celle-ci, elle ne put réagir avec rapidité, mais de toute façon, ces années de crise t’avaient considérablement affaiblie. Ils étaient sous-équipés, sous-formés, ils manquaient de tout et certains n’avaient pas une alimentation décente nécessaire à des opérations militaires. Rapidement, des places fortes et des villes furent occupées, démoralisés, tes soldats commencèrent à baisser les armes et à se rendre, pour finalement se voir accueillir à bras ouverts par les soldats de ton voisin de l’est. Ceux-ci furent accueillis par des médecins afin de soigner leurs blessures, des rations leur furent données afin de les nourrir dignement, puis ils furent envoyés à l’arrière le temps que le conflit se termine. Très rapidement après le début de l’invasion, des troupes de la confédération, alors maintenant placées sous le contrôle de leur état respectif, firent route vers les zones de combat, avec en tête, majoritairement l’Hotsaline. Mais ne te voile pas la face, ils n’étaient pas là pour te défendre, mais pour maintenir les combats en dehors de leur état respectif. Pourquoi te défendraient-ils, toi qui n’as jamais reçu une once d’attention de leur part ? La reddition rapide de tes troupes dut accélérer ce mouvement, mais au-delà de ça, cela énerva grandement les Slaves de Troitsiv. De plus, ceux-ci avaient toujours en travers de la gorge ton acte de protestation remontant à quelques années et ne te portant de toute façon pas dans leur cœur. Leurs pensées furent celles-ci : Vous nous tournez le dos ? Vous allez payer.
Par la suite, afin d’enrayer l’avancée des Germains pour qu’ils ne touchent pas la sainte terre slave, ils utilisèrent une tactique : celle de raser intégralement tes villages desquels ils venaient de se replier, encore peuplés par des habitants ou non. Cette tactique mortifère tua nombre de tes civils qui n’avaient pas pu être évacués, ou plutôt qui n’avaient pas été évacués. Pourquoi dépenseraient-ils de l’énergie pour sauver la vie de Germains ? Malgré cela, l’avancée raskenoise continua jusqu’à finalement arriver sur les terres hotsaliennes. Après cela, leur tactique changea radicalement. Les villages n’étaient plus rasés intentionnellement, les civils étaient évacués dans la mesure du possible. Tu comprends, une vie slave est bien plus importante que celle d’un Germain. Cette situation continua jusqu’aux accords de cessez-le-feu de mars 1995, marquant la fin des combats. Le bilan pour toi fut élevé. Cependant, ce ne fut pas "l’envahisseur" qui te causa le plus de dégâts, mais les Slaves qui avaient intégralement rasé un bon tiers de tes villages et tué plusieurs milliers de civils. De l’autre côté, de par ta relation avec ton voisin de l’est et la reddition rapide de tes soldats, les dégâts furent bien moindres : il y eut des morts, guerre oblige, mais en rien comparables avec les atrocités commises par les Slaves.
Bien que les combats soient terminés, cela ne marqua pas la fin de la présence raskenoise. L’objectif de l’opération avait changé : d’une simple opération de capture, il était maintenant question d’une mise sous tutelle. N’ayant pu empêcher ton effondrement par les subventions, Eberstadt était maintenant directement aux commandes et allait pouvoir faire ce qui devait être fait en y mettant les moyens. En à peine deux ans, le déclin du pilier de ton économie fut stoppé net et repartit à la hausse, puis des mines de fer furent ouvertes, ce qui entraîna la construction d’aciéries puis de zones industrielles entières. Gradenbourg, tu n’étais pas libre, mais ta situation était si critique qu’elle nécessitait d’employer les grands moyens, mais cela fonctionna : le chômage fut grandement réduit et la pauvreté recula. En 22 ans, c’est par pas moins de 12 que ton économie fut multipliée. Une fois la situation stabilisée, tu récupéras ta liberté. Cette liberté, tu la retrouvas en 2000 : l’assemblée nationale fut réinstaurée, des élections furent tenues et un premier ministre fut élu. L’administration militaire gardait un certain pouvoir, mais c’était un pouvoir fantôme : on savait son existence, mais on ne la voyait jamais en action.
Gradenbourg, Rasken n’est peut-être pas le meilleur des alliés, mais c’est le seul que tu as toujours eu et qui a toujours été de ton côté. Des erreurs furent commises, je ne le nie pas, mais le positif l’emporte largement sur le négatif. Les détracteurs te diront que la base de ta souffrance est due à ton voisin et à sa guerre civile, il est vrai que cette crise est le déclencheur de tout. Cependant, rappelle-toi que ceux qui en sont réduits à accuser de pauvres réfugiés ayant dû quitter leur pays et leur vie à cause de la guerre ne le font que pour trouver un bouc émissaire et masquer leur incompétence doublée de leur inaction. Alors je t’en conjure Gradenbourg, reviens à la raison, réveille-toi et ne te trompe pas d’ennemi, car ceux qui attisent la haine en ce moment en sont les véritables.
Marc Klemm