Posté le : 11 avr. 2025 à 21:07:34
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L'idéologie youslève (ou "Fondements de l'eurycommunisme")
par Giancarlo Geminos (1854)
Alors que le XIXème siècle eurysien apportait avec lui son lot d'industrialisation à marche forcée, et dans son sillage, une profonde recomposition des corps sociaux de la plupart des pays d'Eurysie occidentale, le philosophe Giancarlo Bruno fut contacté par "la Ligue des sociaux-démocrates de Youslévie", organisation dont il était proche, afin de produire une synthèse d'une série de positionnements de cette organisation, dans ce qui allait devenir la base programmatique de la plupart des mouvements ouvriers de ce que l'auteur appelle pour la première fois "Eurycommunisme". Cet ouvrage, voué à être court, compréhensible et synthétique, a donc pour but originel de permettre à la plus large audience possible d'accéder à la pensée eurycommuniste, et l'ouvrage pullule donc de références à d'autres ouvrages antérieurs qui ont justifié la rédaction de ce manifeste. Au cœur de cette pensée, il y a le rappel de ses trois grandes composantes fondamentales:
- La conception eurycommuniste de l'Histoire.
- La dialectique.
- L'économie politique.
L'Idéologie youslève met un point d'honneur à souligner le besoin de la philosophie de ne plus être "spectatrice" par la seule analyse historique, mais de confier à ses initiés un logiciel théorique capable d'agir sur l'évolution du monde, déterminer le processus de l'Histoire dans ce qui s'apparente davantage à un manuel de militantisme qu'à une simple brochure de "philosophie morte", comme le décrit si bien Bruno.
Partout en Eurysie, nous entendons de ça et de là les puissances nouvelles de la bourgeoisie: à Caratrad, dans l'ombre de la cheminée de ses usines, à Teyla, dans les couloirs du palais royal, jusqu'à la Youslévie dans les ateliers de tissage. Le spectre du socialisme fait surface par intermittence, hante les pensées de nos gouvernants, qui se pressent alors pour accuser leurs oppositions respectives, pourtant tout aussi mollassonnes qu'eux, de ce mot qu'ils pensent être une calamité. Ce qu'ils désignent comme des accusations vagues le sont pour deux raisons: en premier parce qu'ils ignorent ce que ce terme signifie, et de autre part car nous mêmes, socialistes, sommes démunis face à nos propres divisions. Ils craignent ce qu'ils ne connaissent pas, alors ceux ci postulent, font des hypothèses sans fondement... Mais cela sous tend également autre chose: ils ont peur de nous, car eux même reconnaissent déjà le socialisme comme une défi inévitable sur leur chemin.
Il est temps pour les socialistes de mettre un mot plus précis, désignant toute l'expression de leur peur. A celle-ci, nous répondront par la clarté de nos conceptions, de notre but, à nous: les ouvriers du vieux continent: l'eurycommunisme.
Société de classe: bourgeoisie et prolétariat, l'effondrement prévisible
En premier lieu, il convient, pour éviter à tous les affres de l'aliénation de replacer notre existence, à titre individuel et en tant que groupe, dans un processus historique, et de mettre un point d'honneur à affirmer la première de toutes les évidences: l'Histoire n'a jamais été autre chose que celle d'une éternelle lutte de classes.
Cet aspect fondamental de la dynamique de l'Histoire est le premier pivot de notre pensée: de tout temps, nous avons été divisé dans le cadre d'une compétition entre strates et groupes sociaux. Durant l'époque rhémienne, nous avions la distinction entre le maître et l'esclave, et une distinction entre patriciens et plébéiens. Puis, vint l'âge des seigneurs, où le peuple a été hiérarchisé au sein d'une société féodale. C'est l'ère des seigneurs, des vassaux, des maîtres de corporation, des compagnons, des serfs: une hiérarchie particulière de plus. Et lorsque l'ordre ancien a été renversé il y a un demi siècle, cette société de classes a laissé la place à un autre: les oppressions se sont substituées à d'autres, dans un paradigme qui s'est simplifié entre deux mondes fondamentalement séparés: la bourgeoisie urbaine et le prolétariat.
La bourgeoisie existait déjà à l'ère des seigneurs, mais la découverte de l'Aleucie, de l'Afarée et de l'exploitation d'un marché sans limite apparente, offrirent à cette classe l'opportunité de renverser la vieille noblesse par l'art de la négoce, tout en exploitant et détruisant les sociétés concurrentes. La bourgeoisie s'est donc constituée en élément révolutionnaire qui a finit par mettre à bas les anciennes structures du monde, pour laisser placer à la leur, car les grandes corporations ne suffirent plus à diriger le flux de richesses et l'organiser à leur convenance. La division du travail entre les différentes corporations céda par conséquent la place à la division du travail au sein de l'atelier même, et donna naissance à l'Eurysie bourgeoise que nous connaissons aujourd'hui.
La bourgeoisie n'est donc pas une classe immuable, sans Histoire, sans développement, et qui a toujours régné. Elle le fruit de multiples évènements révolutionnaires que le prolétariat a pour tâche d'imiter pour s’émanciper lui-même. La bourgeoisie s'est immiscée partout, et a détruit les anciennes structures de l'intérieur: d'appropriant progressivement des tâches que nous considérions jusque là comme étant honorables et réservées à une noblesse de sang. Elle modifié profondément jusqu'aux rapports familiaux et le privé.
Au barbarisme et à la force de la noblesse d'épée, dorénavant désarmée, la bourgeoisie lui a préféré le parasitage complet des activités productives des autres, qui est sa caractéristique principale, tout comme la tique suce le sang. Cette classe s'est appropriée des outils de production détenus par les nobles, et les a transformé en profondeur pour répondre à ses propres besoins. Contrairement à la classe des nobles, qui voit la clé de sa domination dans la stabilité du monde, la bourgeoisie, elle, ne peut survivre sans asservir et mettre sous le joug toutes les ressources à sa disposition dans une optique de croissance éternelle de ses profits. Il faut s'établir partout, le plus loin possible et avec le plus de partenaires possibles.
Si les industries nationales existent toujours, elles seront réduite à plus ou moins longue échéance par la dynamique de l'Histoire que la bourgeoisie à initié. Le concept propre aux réactionnaires de conception ethnique de la nation est appelé à disparaître inexorablement, tant que la bourgeoisie, en tant que classe, percevra les avantages du système dont ils sont à l'origine, au grand désespoir des réactionnaires. La base nationale de l'industrie, et le concept de nation, n'existent pour le bourgeois, tant qu'il en tire un avantage. Les anciens besoins sont remplacés par des nouveaux, tirés de l'exploitation des populations indigènes, et dont le moteur n'est pas tant alimenté par la demande réelle que par l'offre toujours renouvelée par l’appât du gain des puissances bourgeoises. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations.
La bourgeoisie a entraînée avec elle le monde entier, et parmi elles, toutes les nations, qu'elles le veulent ou non, vers leur propre conception du monde. Partout où elle s'implante, elle met à bas les anciennes structures par la perfection des instruments qu'elle a mis en place, et façonne le monde à son image en tant que classe sociale.
La bourgeoisie a aliéné le travail par la fin de l'émiettement de la production, qui est désormais concentrée dans des ateliers entre quelques mains. Ce qui passait autrefois de main en main dans un processus complexe de division du travail est désormais par une masse laborieuse unique, qui a indirectement provoqué la centralisation, à son tour du pouvoir politique. Les principautés et royaumes féodaux ont lentement laissé place à des États centralisés répondant aux besoins de cette bourgeoisie nouvelle.
Mais la bourgeoisie, en concentrant ainsi la production pour plus d'efficacité a commis l'erreur de nous montrer son ventre. Jamais la masse n'a été davantage concentrée dans l'Histoire, jamais autant d'individus ont partagé un intérêt commun de classe, jamais dans l'Histoire des tâches aussi colossales que celles de la maîtrise du rail, de la vapeur, de la modification de la nature ont été si avancées. Et pourtant, c'est là de sa force que la bourgeoisie tire sa faiblesse.
Ainsi l'a t-on vu: la bourgeoisie, née dans le ventre de la féodalité, a fondé les bases d'une société nouvelle, bâtie sur mesures pour ses besoins propres, mettant au passage à bas les anciennes structures de l'aristocratie de sang, qui étaient autant de chaînes qu'il fallait briser. Mais dans son sillage advient la force du prolétariat, sur laquelle il convient désormais de se reposer, car elle est l'unique et seule vraie élément indispensable de la production. Sa force productive qui signera sa chute.
En effet, de plus en plus, on voit là paraître fréquemment l'expression de cette puissance contenue par la nouvelle classe des maîtres, par le biais de révoltes et de grèves de plus en plus nombreuses. Les crises économiques, elles aussi, ont changé de visage. Là où le régime féodal trouvait ses remous de ses famines par la faiblesse de l'appareil productif, par les mauvaises récoltes et les aléas de la nature, nous assistons depuis l'avènement de la bourgeoisie, à des crises inédites mettant en cause la surproduction et la pénurie organisée par le pouvoir. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée par les forces de la bourgeoisie et des outils que celle-ci a mis en place. La surproduction engendre la baisse des prix, qui met en danger l'appareil bourgeois, qui tire sa prospérité de la gestion de la pénurie et de la rareté. La famine et la crise sont la façon de la bourgeoisie de traiter la rébellion, et lorsque cela ne suffit pas a lieu la répression armée. Le système capitaliste a donc pour fin de détruire ses propres forces productives.
Mais j'ai coutume de dire que la bourgeoisie nous vendra la corde avec laquelle nous la pendront, car en créant la classe des prolétaires, nombreuse et puissante, elle a crée les armes qui se fourbissent contre elle. A mesure que la bourgeoisie grandit et s'enrichit, il lui faut toujours plus de forces productives, toujours plus de main d’œuvre... Ces ouvriers vendent leur force de travail, incarnent une marchandise destinée en transformer d'autres, bien davantage qu'ils ne sont considérés comme des individus. Ces ouvriers, par le biais de la mécanisation et la division du travail, ont été dépossédés de leurs propres productions. L'ouvrier, qui autrefois se reconnaissait dans l'objet qu'il fabriquait seul et de ses mains, se retrouve désormais comme étant le maillon d'une chaîne vidant la production de son essence libératrice.
Moins le travail exige d'habileté et de force, c'est-à-dire plus l'industrie moderne progresse, et plus le travail des hommes est supplanté par celui des femmes et des enfants. Les distinctions d'âge et de sexe n'ont plus d'importance sociale pour la classe ouvrière. Il n'y a plus que des instruments de travail, dont le coût varie suivant l'âge et le sexe. Le vieillard, la femme et l'enfant ne deviennent donc rien de plus que d'autres marchandises employables et corvéables à merci.
L'ouvrier, déjà pressuré et dont la force de production est convertie en marchandise par l'employeur, doit subir au sein même de son foyer, d'autres formes d'aliénations. Car bien souvent, il n'a pas le loisir de son logement, qu'il doit s'acquitter en loyer à un propriétaire, avec de l'argent qu'il ne possède pas par son salaire misérable, et qui doit donc se remettre aux usuriers de bas étage. En période de crise, les classes moyennes, qui ne sont rien de plus qu'une instance provisoire entre la bourgeoisie et le prolétariat. Les anciens petits propriétaires, petits patrons et artisans, sont contraints par la moindre crise à sombrer dans la misère et la vente de leur propre force de production, lorsque celle générée par leurs petits ateliers ne suffisent plus à supporter les dynamiques de la concurrence instiguée par la sophistication de l'appareil bourgeois. Aussi, la première réaction de lutte est celle de la tentative de reconquête des outils de production à l'échelle locale, qu'un véritable mouvement ouvrier tel que celui que nous voulons incarner a pour but de muer en mouvement d'échelle de plus en plus grande, pour finir par former une grande classe prolétaire, combattive et consciente de sa position dans les rapports de production. C'est donc sur de vieux réflexes de conservation: destruction de marchandises étrangères, sabotages isolés, qu'il nous faut nous appuyer dans un premier temps. C'est cette union que nous voulons.
Une telle organisation des travailleurs en parti politique sera toujours combattue par la bourgeoisie: il n'y aura pas de répit, pas de fraternisation, avec une classe dont l’intérêt et l'existence de la société qu'elle a crée dans le sillage de la fin des anciens régimes sont mis en danger. Tout triomphe, de toute cause se doit dont d'être fêté de manière éphémère, tant que la classe ouvrière se développe dans une dynamique bourgeoise, car cette dernière ne désarme jamais.
Là où le prolétariat pourrait triompher réside dans le besoin constant que l'on a d'y faire recours, car cette classe et elle seule détermine la production en premier lieu, et parce qu'e la bourgeoisie est une classe qui se vit en état de guerre perpétuelle, non seulement contre les prolétaires mais également contre des membres de son propre corps. Dans ce cadre de concurrence internationale, elle se voit donc obligée de faire systématiquement appel à l'aide du prolétariat, afin de l'entraîner dans le mouvement d'une guerre contre les bourgeoisies de l'étranger, et encore une fois, d'être "consommée" dans le cadre de ces luttes qui ne sont pas les siennes. Cette situation peut fournir en réalité aux prolétaires une éducation des moyens à renverser ses maîtres par les armes qu'elle lui a fournie elle-même.
Cette force armée qui pourrait être constituée est d'autant plus importante lorsqu'on sait qu'à l'heure présente, il n'y a rien d'autre pouvant d'opposer à la bourgeoisie dans une dynamique révolutionnaire en tant que classe. Pas plus d'autres bourgeois animés par leurs rivalités internes que les anciennes castes déchues de l'ancien régime, bloquées dans la réaction.
Les classes moyennes sont conservatrices par essence, car lorsqu'elles combattent la bourgeoisie, elles le font davantage par réflexe de conservation, en vertu de la menace pour leur existence que cela constitue, et se battent pas pour aspirer à devenir autre chose comme le prolétariat. Cependant, leur alliance de circonstance dans la mise à bas de la bourgeoisie est un concours souhaitable, de par la force que cela sous entend.
Enfin, à contrario des nationalismes et de la réaction pour lesquels le cadre national est le seul horizon envisageable, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, doit dans un premier temps prendre ce cadre à défaut d'autre chose, car il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie.
En relatant grossièrement la grande dynamique de l'Histoire et l'avènement de la classe bourgeoise, nous avons retracé l'avenir prévisible, à plus ou moins terme, d'un système qui ne peut tenir que par la destruction de ses forces productives, et qui porte en lui les contradictions internes qui comme les autres systèmes de domination avant lui, le mèneront à son effondrement certain.
Qu'est-ce qu'un eurycommuniste ?
Dorénavant que nous avons présenté la séparation de la société en classes distinctes, comment pourrions nous définir ce qu'est un militant eurycommuniste, et comment se place t-il en rapport à cette masse prolétaire qui aspire à devenir moteur de l'Histoire, débarrassée du vampirisme bourgeois.
En premier lieu, j'affirmerai que ces derniers se doivent de représenter les intérêts du mouvement ouvrier dans sa globalité, et que si les luttes sont déterminées par des cadres nationaux, l'eurycommuniste est dans l'obligation de mettre en avant de manière systématique, les intérêts de cette classe comme relevant d'une indépendance vis à vis des questions de la nation. Le mouvement dans sa totalité, à l'échelle internationale, doit constituer la clé de lecture politique d'un eurycommuniste. Par périodes, lorsque les bourgeois se livrent conflit et que l'unité de classe se morcèle, il y a plusieurs élites nationales à abattre par des moyens différents, mais notre intérêt au long terme est international.
Le but premier et fondamental des eurycommunistes est le même que celui de tous les partis ouvriers, sociaux démocrates et socialistes: à savoir l’élévation de la masse prolétaire en corps unique, en une classe unie par les intérêts que j'ai cité, dans renversement de la domination bourgeoise à des fins de conquête du pouvoir politique.
Les revendications des eurycommunistes ne doivent nullement être le fruit d'une invention ou de principes abstraits, mais l'expression d'une théorie scientifique, l'expression générale des conditions réelles de la lutte des classes à laquelle nous assistons, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition de la propriété, en tant que valeur individuelle n'est en rien l'objectif d'un eurycommuniste, ou du moins ce n'est pas le but le plus direct comme c'est là le fait des anarchistes et autres socialismes utopistes. Non, l'objectif du communiste est la mise en moyens des moyens de la production de la richesse. Toutes les époques de changement ont fondamentalement modifié le rapport à la propriété, certes: mais le nôtre est l'abolition de la propriété bourgeoise, l'abolition de la concentration du capital et du monopole des grands ateliers. Cette propriété qui repose sur l'appropriation de toutes les manières de produire.
Il n'est nullement de notre interêt d'abolir la petite propriété, celle qui n'a pas de but productif, fruit du travail et du mérite personnel ! Cette propriété là, c'est la bourgeoisie qui l'a déjà abolie en la subtilisant à l'ouvrier, par le progrès de l'industrie et la saisie de la plupart des moyens de production.
On me dira que le travail salarié, celui qu'abat le prolétaire, est créateur de propriété. Mais il n'est nullement le cas: il crée du capital. Il crée le capital, et qui ne peut s'accroître qu'à la condition de produire de nouveau du travail salarié, qui est subtilisé par le capitaliste. Il nous importe donc de faire cette distinction entre capital et le travail.
Ce que le capitaliste détient est avant tout un produit collectif, non personnel: la somme du travail d'un certain nombres d'individus. Il ne peut être mis en mouvement que par une action commune. Notre objectif est donc sa mise en commun à des fin de création d'une propriété sociale et commune.
Pour le moment les ouvriers ne survivent que par le don du salaire, le minimum que l'on peut leur accorder sans faire perdre la plu-value du capitaliste, et à peine assez pour le maintenir dans sa condition actuelle. Ce que nous voulons, c'est supprimer le caractère misérable de cette appropriation qui fait que l'ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu'autant que l'exigent les intérêts de la classe dominante. L'abolition de cette injustice, c'est donc cela que les bourgeois qualifient d'abolition de la liberté et de la propriété. Les bourgeois sont saisis par la terreur parce que nous avons la volonté d'abolir cette propriété, alors que celle-ci, dans notre monde actuel, refuse la propriété individuelle à 90% de sa population laborieuse, dans une magnifique hypocrisie.
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