Publié le 24.05.2016 par La Unión

Le vent salé venu du port de Maravilla n’a pas suffi à apaiser la tension palpable dans les couloirs du Commissariat de la Défense. Après plusieurs mois de débats internes, de discours présidentiels enflammés, de communiqués feutrés et de résistances farouches au sein de l’élite militaire, une nouvelle ligne a été tracée dans le sable caribéen: la reconstruction de l’armée révolutionnaire se fera, mais par des achats internationaux, et non par une industrialisation militaire massive. Une volte-face partielle qui trahit à la fois l’ambition immense du Président Salvador Aparicio et les limites criantes de la réalité économique du pays...
Le rêve du Président Aparicio était audacieux, presque grandiose, celui de bâtir près de 50 usines militaires nationales, fonder une industrie de défense indépendante, restaurer la fierté des guerrillos et affranchir la République socialiste de toute dépendance étrangère. L’objectif? Une souveraineté militaire totale, fidèle aux principes d’autonomie portés par les pères de la Révolution. Mais dans les rues de la capitale comme dans les hôpitaux d'Alta, la question est devenue brûlante... À quel prix?
30 % du PIB. C’est la somme que cette réorientation aurait engloutie. Un chiffre dévastateur pour un pays encore convalescent, dont les écoles manquent de manuels, les cliniques de seringues, et les campagnes de routes praticables. Une République peut-elle se dire révolutionnaire si elle affaiblit la santé et l’éducation de ses enfants pour renforcer ses casernes?
Face à Aparicio, un autre géant de la Révolution se dresse, le général Sebastián Lucena. Héros des campagnes de libération contre la dynastie Pareja, Lucena incarne une autre lecture de la souveraineté, celle du refus catégorique de toute compromission avec une puissance étrangère. Dans ses discours martelés d’un accent rural, on retrouve l’écho des révoltes paysannes, des marches sur Matacos, des nuits sans munitions mais pleines de convictions. Pour lui, l’appel d’offres international récemment lancé par la police nationale – visant à se doter de matériel lourd contre le narcotrafic – est une trahison rampante, la porte entrouverte à une nouvelle forme de dépendance, plus insidieuse.
« On veut nous vendre des chars quand nous n’avons même pas fini de nourrir nos enfants. L’indépendance ne se loue pas, elle se bâtit. »
Pourtant, à Maravilla, une autre voix gagne du terrain, celle du compromis pragmatique.
Face à l’urgence sécuritaire – résurgence des cartels – le gouvernement a tranché. Plutôt que de saigner l’économie sur l’autel de l’autonomie militaire, Caribeña se tournera vers les marchés internationaux d’armement, à travers des appels d’offres ciblés. Une manière de renforcer ses capacités sans faire imploser les fondements sociaux du pays. « Nous ne pouvons pas sacrifier nos hôpitaux pour des hélicoptères. Il faut défendre la patrie, oui. Mais défendre la patrie, c’est aussi soigner sa population, éduquer ses enfants, irriguer ses terres », explique un conseiller du président, sous couvert d’anonymat. C’est finalement la police nationale qui incarne cette nouvelle transition. Premier organe à bénéficier des achats étrangers, elle est appelée à devenir un corps hybride, presque para-militaire, chargé à la fois du maintien de l’ordre et de la lutte contre les réseaux criminels armés. Ce tournant doctrinal n’est pas anodin. Il révèle une mutation de l’appareil régalien, où la sécurité intérieure devient aussi stratégique que la défense extérieure. Une fusion des urgences, une police devenue rempart de la Révolution au quotidien, pendant que l’armée reste en gestation, tiraillée entre passé glorieux et futur incertain.
Mais aujourd’hui, les munitions coûtent plus cher que les livres, les uniformes plus que les blouses d’infirmiers. Et les choix à venir, pour l’instant économiques et techniques, pourraient bien redéfinir l’identité du pays tout entier. Et dans ce croisement de trajectoires, entre fidélité à l’idéal révolutionnaire et adaptation à un monde impitoyable, l’Histoire retiendra peut-être non pas la grandeur des usines non construites, mais le courage tragique d’un compromis douloureux.
Malgré les critiques virulentes venues des cercles militaires proches du général Lucena et d’une partie de l’intelligentsia révolutionnaire, le Président Aparicio n’a pas renoncé à l’accord avec le Grand Kah. Bien au contraire. Selon plusieurs sources proches du palais présidentiel, les négociations se poursuivent dans une discrétion quasi absolue, à l’abri du tumulte médiatique, avec pour objectif de revoir les termes de l’accord initial, jugé trop intrusif par certains secteurs du gouvernement. L’ambition d’Aparicio serait désormais de faire émerger une version plus équilibrée de ce partenariat, qui permette à la fois un soutien technique réel et rapide à la reconstruction des forces armées, sans sacrifier les principes de souveraineté que l’histoire révolutionnaire de Caribeña a érigés en dogme fondateur.