Il y a des décisions dans la vie, qui sont plus sensées que d'autres... C'est probablement ce qui traîne dans un coin de la tête de Philippa, qui a cru bon de s'engager dans la Classis III il y a une année de cela. On lui avait fait miroiter la perspective d'ascension sociale et de bon salaire, mais on avait bien omit de lui dire que son travail consisterait à être un fusiller marin dans l'une des installations portuaires velsniennes à l'étranger parmi les plus isolées du monde, et dans l'un des pays les plus étranges à décrire. Bien sûr il y a pire, mais pas souvent: cela aurait pu être Drovolski, où le simple fait de mettre un pied dehors nécessite un masque à oxygène et une combinaison, mais cela aurait pu être mieux qu'un pays où internet n'existe pas, et où la médecine a visiblement du chemin à faire, du moins pour la partie blême de la population. Cela aurait pu être une plage de sable chaud à Tavaani en plein a milieu du Scintillant par exemple, ou un endroit tranquille en Afarée...bref, un endroit où il fait plus de 15 degrés en été, et avec des télévisions. Cet endroit était une prison à ciel ouvert, du moins, c'est l'impression que donnait la mise au jour du règlement intérieur émis par les autorités de la flotte. Pourquoi de telles mesures ? Pourquoi être si sévère lorsque toutes les autres bases de la Marineria ailleurs dans le monde ne sont pas forcément réputées pour leur tenue du protocole ? Autour du feu de camp que Philippa et un autre resquilleur de la base s'étaient faits sur la plage au beau milieu de la soirée, on se posait des questions...
"On nous cache des choses.", "Les gens du coin sont un peu bizarres tu ne trouves pas ?", "Tu te souviens de l'odeur de la bonne bouffe ?", tant de questions existentielles fusaient d'ordinaire autour de ces feux. Mais ce soir, Philippa était silencieuse, elle espérait simplement que sa demande de réaffectation qu'elle avait adressée le matin même allait être acceptée. A quoi bon parler avec un type qu'elle ne verrait probablement plus. Un somme à la belle étoile, c'était tout ce qu'elle attendait de la fin de cette journée fade, dans une semaine fade et un mois tout aussi fade.
Mais ce n'était apparemment pas ce que voulait Dame Fortune, puisqu'elle fit venir aux deux "faiseurs de murs" une autre présence, étrangère. Non loin, la lumière du crépuscule dessinaient les contours de l'ombre d'un "local", ceux que Philippa n'a pas le droit d'aborder, à qui elle n'a pas le droit de parler, ces gens qui ont peur et s'enferment dans leurs maisons lorsqu'elle apparaît en ville, les rares fois où elle peut sortir de la base. Il y a de l'attirance dans l'interdit: tous ces mois, elle n'a pas adressé le moindre mot à ces étrangers: mes blêmes. Autour d'elle, c'était comme si elle était toujours à Velsna, excepté pour le temps qu'il faisait. C'était peut-être l'occasion de satisfaire le désir d'interdit, tout s'échappant d'un marasme quotidien qui ne correspondait pas à la vie d'aventurière rêvée.
Elle fit un signe de main au lointain, ce dont son compère s'inquiéta immédiatement: "Philippa ! Qu'est-ce que tu fais ! On a pas le droit !". Elle ne l'entend pas, elle n'entend plus rien de ce qui peut la mener à l'ennui. Et la silhouette au loin lui répondit par les mêmes salutations, et ce n'était pas un velsnien ! L'homme se rapprocha du feu improvisé, un vieux bonhomme, avec l'un de ces chapeaux étranges que les blêmes portaient parfois. Il avançait, mais pas tout à fait droit, et arborait un sourire peu commun aux blêmes que la jeune femme avait déjà rencontré.
" Tu me disais que tu connaissais quelques mots de blême ?"
"Ouais, des trucs comme "bonjour" et "au revoir", mais c'était pas la peine de me ramener le poivrot du village pour tester mon niveau !"
Le vieil homme au nez rouge n'était pas avare de mots et peu farouche, puisqu'il en submergea les deux velsniens. Le fait qu'il n'y ait pas de polks à l'horizon expliquait peut-être la chose, mais dans tous les cas, il était très difficile de comprendre ce charabia, qui objectivement, n'aurait pas été très compréhensible, même pour un autre blême:
"Salulesjeunesquescequevoufaiteslàdanlenoir. Fauparesterlà desfois ilyadessorciersquisepromènent etensuiteilschangentlesgensencommunistes."
Les deux velsniens n'avaient rien compris, mais dans le doute, Philippa qui avait déjà sorti une cigarette pour se la mettre au bec la tendit au vieil homme. Les velsniens fumaient tant que les étrangers auraient pu penser qu'ils naissaient avec:
"T'en veux ? J'en ai plein. Assieds toi, tu vas prendre froid. Aller, raconte moi ta vie."
Philippa laissa une place au blême, qui ne s'arrêta pas pour autant de baragouiner:
"Unefoijaivuunfarfadetici. Ilressemblaitàunmesolvardien. Ilspeuvetejeterunsortsitufaipasattention."
- Des mots sages... T'as tout à fait raison Juan. Je peux t'appeler Juan ? - lui demanda Philippa, dans le doute... -
La discussion s'étala longtemps, très longtemps, tant et si bien que les deux velsniens se réveillèrent de petit matin, le feu crépitant encore à côté de leurs têtes. Philippa tâtonna la poche de son portefeuille, premier réflexe: vide.
"Sale petit connard de blême !"