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Presse écrite - Al-Urwa Al-Wûthqa [Officiel] - Page 2

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VIZIRAT : La liste officielle des candidats connue « sous quelques jours »

Posté par Samir Karey le 24.12.2015 à 21h37

Commission de Déontologie

Le processus est sur le point de démarrer. La Commission de Déontologie du Conseil des Oulémas (Majlis al-Ulama), chargée d'examiner les candidatures et d'organiser le prochain remplacement de l'actuel Grand Vizir Beylan Pasha, a confirmé qu'elle délivrerait ses conclusions dans les jours à venir. Cette instance, dépendante des religieux et responsable directement devant le Khalife, est celle qui délivre les autorisations à se présenter aux fonctions importantes, et qui donne des avis consultatifs sur l'organisation des pouvoirs. Elle a un rôle de conseil essentiel pour appuyer Son Altesse Sémillante dans le choix du chef du gouvernement, et pour garantir la bonne orientations des candidats à ce poste. Rashid Beylan, titulaire du vizirat depuis 2008, a déjà annoncé il y a quelques temps son départ du palais de la Porte Splendide, invoquant des motivations personnelles, ce à quoi le Khalife avait répondu favorablement ; son départ, dont la date n'est fixée qu'après la désignation de son successeur, devrait se tenir dans le courant de l'année 2016. D'ici là, le parti califal, la Nahda, tiendra un Congrès de ses instances pour investir son candidat à la fonction. Celui qui, parmi les profils retenus par la Commission, sera désigné par le Bureau permanent du Parti, aura toutes les chances d'être nommé à la conduite du Diwan.

Un processus jalonné d'étapes

L'examen par la Commission de Déontologie est le point de départ d'un cheminement qui mènera à la désignation du futur Grand Vizir, dont les compétences s'étendent à la politique de l'Etat et à l'administration du territoire. La Commission, parmi les profils qui lui sont soumis - et dont la liste exhaustive n'est pas rendue publique - publie ceux qui recueillent un avis positif, après que les oulémas aient démontré que le candidat dispose des facultés nécessaires ; l'honorabilité ('adâla), les compétences et les connaissances de l'administration, et la capacité de discernement (ra'y). Remplir ces trois conditions est nécessaire pour être officiellement admis à la candidature, mais c'est encore insuffisant pour être Grand Vizir ; un vote au Sérail doit départager les candidats. La chambre des délégués étant contrôlée en majorité par le Parti de la Renaissance Islamique (Nahda), c'est en son sein que la délibération a lieu. Elle aboutira à l'élection d'un candidat unique du Parti, qui sera proposé au Khalife pour que celui-ci le nomme Grand Vizir dans le courant de l'année.

Les enjeux du Congrès de la Nahda en 2016

Ils sont multiples. D'abord, comme tous les dix ans, ce sera un moment de consultation (shûra) des adhérents et des instances du parti central de l'Azur sur des orientations politiques. Les différents cercles de décision au sein de l'organisation auront à se prononcer sur plusieurs motions, qui établissent un programme d'action et de gouvernement, et qui sont le moyen de recueillir les doléances et les revendications de la population que le Parti représente. Ensuite, ce sera la désignation du candidat du parti au vizirat, qui a lieu selon la méthode de la désignation par consensus, qui départagera les candidats jugés recevables par la Commission de Déontologie. Enfin, ce sera l'occasion pour la Nahda d'affirmer son importance et sa stratégie pour les échéances électorales qui se profilent ; élections municipales à la fin de l'année, élections des délégués des circonscriptions dans un second temps.

Afaghani, la grande question

Parmi les profils étudiés par la Commission, celui du Ministre des Affaires étrangères de l'Azur, Jamal al-Dîn al-Afaghani sera particulièrement scruté. L'ancien intellectuel, devenu diplomate, gravite dans les plus hauts cercles du Califat constitutionnel depuis près de vingt ans ; tour à tour conseiller du Grand Vizir, puis du Khalife, il avait été pressenti pour la Porte en 2008, ce qui avait été déjoué une première fois par la Commission de Déontologie. La question de sa candidature en 2016 est sur toutes les lèvres ; pour l'instant, elle n'est pas connue. La prochaine conclusion de l'examen des profils pour le vizirat permettra de savoir si, cette fois, le populaire et éminemment respecté Jamal al-Dîn al-Afaghani saura convaincre les juges. Derrière sa candidature, la tendance islamo-démocrate, favorable à des évolutions politiques dans le sens de la permissivité culturelle et sociétale, espère bien faire avancer ses opinions au sein du parti majoritaire.

Taşdemir, l'intransigeant

Brillant sur la scène politique grâce à ses succès dans la circonscription de Sijilmassa, municipalité qu'il a repris et conservé face à l'opposition de l'Alliance démocratique, Habib Taşdemir est un fin connaisseur des mécanismes du Sérail, et le partisan d'une approche jugée "islamo-populiste" par certains observateurs. Il défend des mesures énergiques en matière de croissance, de développement, de hausse des dépenses militaires et de conservatisme social, tout en promouvant l'idée d'une "nation islamique" et de coopérations renforcées avec les pays musulmans. Il s'est récemment illustré par sa critique de l'opposition libérale et écologiste, qu'il juge contre-productive.

L'hypothèse d'un profil inconnu

La Commission pourrait, parmi les profils qui seront validés, inclure des candidats jusque là inconnus du grand public. C'était le cas de Beylan Pasha en 2008 ; figure modérée, peu clivante, il avait été choisi pour unifier les différentes composantes du Parti califal et diriger un gouvernement d'union entre les tendances démocratiques et conservatrices de la Nahda. De même, il se pourrait que le prochain processus de remplacement de Beylan Pasha aboutisse à la désignation d'une personne encore inconnue par la majorité des Azuréens, pour assumer la direction de la Porte.

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VIZIRAT : Candidatures validées pour quatre candidats dont Afaghani et Taşdemir
Posté par Süleyman Bataar le 03.02.2016

Illustration

C'est chose faite : la Commission de Déontologie du Majlis a rendu ses conclusions sur la conformité de quatre candidatures possibles pour la proposition de Grand Vizir. Grande nouvelle par rapport aux années précédentes, la candidature de Jamal al-Dîn al-Afaghani, diplomate chevronné et Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Beylan Pasha, a été jugée recevable pour la première fois.

"C'est une excellente nouvelle pour la démocratie islamique", juge un partisan d'Afaghani, réjoui par l'issue des concertations internes de la Commission ; nombreux sont ceux qui s'inquiétaient que leur favori soit à nouveau écarté de la course à la Porte Splendide, comme en 2008, où son profil réformateur avait suscité la défiance des conservateurs du Parti. "La Nahda pourrait reprendre un élan", suppose un observateur, qui pointe à juste titre les enjeux électoraux qui se profilent avec le Congrès de 2016 : réaffirmation ou réorientation de la ligne politique globale, et mise en place d'une stratégie pour les élections municipales et provinciales à venir, avant les prochaines législatives.

"Habib Taşdemir devrait devenir le prochain Grand Vizir cette année", clame au contraire un représentant de l'aile conservatrice du Parti de la Renaissance Islamique. L'élu de Sijilmassa, populaire et qualifié par certains "d'islamo-populiste", a également été retenu par la Commission comme un profil envisageable pour le vizirat ; un signal très positif pour ses fidèles, alors que sa montée en flèche au sein des institutions se déroule au moment où l'électorat demande des avancées concrètes sur les différents volets de la politique gouvernementale. "Taşdemir incarne un néo-conservatisme charismatique", analyse un politologue, qui attribue les succès électoraux du quinquagénaire à sa capacité à s'adresser à un électorat issu des classes moyennes périphériques.

Si ces deux personnages sont les poids lourds de la donne politique actuelle à l'occasion du Congrès de la Nahda, ils sont accompagnés par deux autres candidats jugés éligibles par la Commission ; le Sheikh Nouri Takyeddin Bin Bayyah, un ouléma membre de la confrérie soufie Naqshbandiyya très implantée dans d'autres pays musulmans, et le Sheikh Ali Osman al-Idrisi, figure du petit parti ultraconservateur A.I.P.P. (Association Islamique pour la Paix et le Progrès) membre de la coalition gouvernementale de la Nahda. Ce dernier, surfant sur un récent regain de popularité de sa formation politique auprès de l'électorat traditionnel, a fait des déclarations relatives au voile féminin ou à l'homosexualité, questions sur lesquelles il souhaite voir mises en place des mesures plus intransigeantes et conformes à la loi musulmane.

"Al-Idrisi ne devrait pas rassembler beaucoup de monde derrière lui", juge un expert en sciences politiques ; "l'électeur conservateur moyen préférera sans doute le profil de Taşdemir, plus dynamique et moins isolé sur la scène politique." "La participation d'un candidat de l'A.I.P.P. à cette course au vizirat est plutôt une question de symbole qu'une réelle opportunité pour ce parti de soixante élus au Sérail ; c'est un geste relativement sans conséquence réelle". La présence d'un candidat ultra-conservateur devrait cependant infléchir les choix d'orientation politique qui se feront lors du Congrès de la Nahda, donnant l'occasion à ce courant d'exprimer de nouvelles idées et des propositions qui lui appartiennent.

"Le fait que la candidature de Bin Bayyah ait été retenue est surprenant", nous confie un membre de la Nahda chargé de l'organisation du Congrès à venir. "C'est un soufi très traditionnel, avec peu de pratique politicienne proprement dite" ; un profil religieux, proche des cercles du Khalife. "Il n'a pas de pensée très structurée en matière fiscale ou administrative, mais ce sera un parfait représentant de la mentalité de Son Altesse Sémillante, s'il venait à être nommé à la Porte". Cet inconnu du grand public, qui n'a pas eu de fonction dans un gouvernement ou une collectivité jusqu'ici, attire peu de commentaires. "C'est un spirituel, un homme de religion, mais aussi de réseaux", comprend le politologue ; "sa présence et ses orientations au Congrès auront un impact sur les indécis et le gros de la masse des adhérents. De ce fait, et à cause de sa proximité avec le Khalife, les autres candidats chercheront à se le ménager".

A quelques semaines du XXVIème Congrès du Parti de la Renaissance Islamique, les protagonistes sont en place ; le Parti majoritaire s'apprête à une nouvelle session intense en négociations internes et en intrigues politiques.

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PLAN GAZIER : SABARIAN MET EN AVANT LE « SENS PATRIOTIQUE »
Posté par Wassim al-Dhir le 24.02.2016 à 23h38

sabarian de petrazur

Il était apparu au premier plan aux côtés du Grand Vizir Beylan Pasha l'année dernière, lors de la présentation du Plan Gazier. D'un naturel enjoué, charismatique et au sourire communicatif, le Directeur-Général de l'entreprise d'Etat PETRAZUR, Son Excellence Bashir Sabarian, a récemment donné un entretien à la presse nationale. "J'aurais pu me taire", dit-il sans langue de bois, "mais j'ai choisi de prendre la parole pour dire ce que je crois ; l'Azur est à la croisée des chemins". En off, il réitère sa conviction : "soit l'Azur prend le chemin de la modernité et de la croissance, soit il tombera dans la stagnation et la récession".

Issu d'une grande famille de propriétaires terriens, Bashir est depuis 2011 à la tête de la plus importante compagnie d'Etat. Fort de la confiance renouvelée des autorités du Califat Constitutionnel, il est l'un des visages du Plan National de Développement Stratégique du Secteur Gazier, qu'il a défendu à maintes reprises devant les caméras autant que devant les parlementaires du Sérail. "Relancer notre économie est désormais une question vitale", déclare-t-il sans ambages, louant au passage "la vision salutaire de Son Excellence le Grand Vizir, qui aura été digne de sa fonction jusqu'à la fin de son mandat" ; pour rappel, Beylan Pasha est appelé à quitter la direction du Diwan dans les semaines à venir, bien que la date de son départ (officiellement pour raisons personnelles) n'ait pas encore été dévoilée.

"En adoptant le Plan Gazier, l'Azur renouera avec la croissance, et des millions d'emplois seront créés", répète-t-il inlassablement, rappelant la nécessité de "retrouver le cercle vertueux de la croissance, où les investissements d'aujourd'hui donnent les profits de demain, et les hausses de salaire et de niveau de vie d'après-demain". A l'aise face aux journalistes, il se décrit lui-même comme "un Azuréen moyen qui n'aspire qu'à la réalisation de ses rêves personnels et à la grandeur de [sa] patrie". La rhétorique patriotique lui vient sans difficulté : "je suis originaire d'une famille chrétienne", rappelle-t-il, "fidèle à l'Etat et à la Nation". Converti à l'islam par choix personnel, il met cependant en avant la nécessité de "reconstruire un pays puissant en comptant sur nos forces industrielles et économiques". Et ce faisant, il dénonce "les errements existentiels de citadins petit-bourgeois, à l'aise dans une vision régressive et antipatriotique du monde".

Ses attaques visent d'abord les écologistes, et en premier lieu le parti Les Verts et les associations environnementales. "Ce délégué [Pierre Breidi, élu vert dans une circonscription oasienne de Dariane, n.d.l.r.] répand de la désinformation et diffuse une idéologie de paresse et de dé-virilisation". Les coups sont tirés. Interrogé sur la pertinence de se mobiliser contre des projets de forages gaziers qui pourraient avoir un impact négatif sur l'environnement, Sabarian temporise : "avoir des doutes sur les nouvelles technologies d'extraction des hydrocarbures est compréhensible", démine-t-il, tout en regrettant "que la plupart de nos concitoyens qui s'opposent aux projets de forages n'aient souvent pas connaissance de la technique dont ils parlent". Le Directeur-Général exprime au contraire "sa confiance profonde dans l'intérêt du Plan Gazier", démontrée selon lui par "le soutien explicite et entier apporté au projet par les syndicats du secteur". Il pointe, à juste titre, les démonstrations réalisées par le syndicat des ouvriers de l'industrie gazière, ainsi que les organisations professionnelles des cadres de l'industrie des hydrocarbures, qui appellent les parlementaires à "soutenir sans réserve" le projet de développement de l'extraction du gaz de schiste.

manifestation de soutien au plan gazier le 19 février 2016 à Pasarga, en Syrane orientale
Manifestation de soutien au plan gazier le 19 février 2016 à Pasarga, en Syrane orientale, organisée par l'association professionnelle des travailleurs du gaz.

"Contrairement à ce qu'une minorité manipulée par des réseaux environnementalistes voudrait croire, la majorité des Azuréens soutient le Plan Gazier" ; cette affirmation, assénée avec la force de conviction de l'homme qui prendra le visage de ce paquet de mesures d'investissements et d'agrandissement d'infrastructures, est à mettre en regard des réelles attentes exprimées par les syndicats. "Les Azuréens ne veulent pas perdre encore plusieurs années. Nous avons besoin de croissance, à un moment où la conjoncture économique risque de se retourner contre nous". Professant l'économie, Bashir Sabarian se veut rassurant ; "avec notre programme d'investissements piloté en Azur, par des ressources azuréennes et dans l'intérêt des Azuréens, nous parviendrons sans encombre à nos objectifs". Il liste "la création de millions d'emplois, dont un million d'emploi direct, et le développement économique de zones rurales sous-performantes en matière d'activité économique". Tout cela consiste, selon lui, en un "choc de compétitivité et de croissance" à même de répondre à "une large part de nos besoins immédiats" ; chiffrant les retombées économiques dans les prochaines années à "deux cent, trois cent milliards de Dirhams", il explique que la solution sera toute trouvée pour financer la construction de nouveaux équipements publics, d'un réseau électrique fonctionnel, d'un système de trains à grande vitesse moderne ou encore d'un système de défense anti-missiles ultra-complet. "Avec ces moyens-là, on pourra aller très loin pour refaire de ce pays la nation dorée qu'il a été un jour". Pas avare de digressions, Bashir Sabarian compare le plan actuel à "la Révolution industrielle planifiée après la Révolution de 1876", voire aux "indéniables succès économiques de la République" dont l'Azur profiterait encore. Des déclarations qui devraient susciter au moins quelques commentaires de la part des ultraconservateurs religieux, l'apologie de républicanisme étant suspect à l'heure du Califat constitutionnel.

"Je m'inscris en soutien plein et entier à Son Excellence le Grand Vizir", rappelle-t-il quand on l'interroge au sujet de ses propres ambitions liées à cette stratégie inhabituelle. En tant que cadre des hautes autorités techniques de l'Etat, son intervention dans les médias et sur la scène politique pourrait porter à questionnements. "Ma parole ne vise qu'à solidifier et réaffirmer ma croyance profonde, elle n'est motivée que par le patriotisme et mon abnégation pour ce pays que j'aime tant". Interrogé sur ses relations avec l'actuel titulaire de la Porte Splendide, il les qualifie "d'excellentes", et loue la capacité de Beylan Pasha à "écouter les acteurs économiques, à les comprendre et à s'associer à leurs besoins dans l'intérêt du pays". Dans un tel contexte, on ne pouvait donc pas ne pas lui poser la question de son sentiment à l'approche du départ de Rashid Beylan al-Beylani du vizirat dans les prochaines semaines. Celui-ci, dont la démission pour raisons personnelles a été acceptée par le Calife, n'a cependant pas encore indiqué la date exacte de la fin de son mandat, estimant nécessaire que le Parti de la Renaissance réuni cette année en Congrès désigne son successeur avant que soit entrepris tout changement à la tête du gouvernement. "Je regrette son départ, mais c'est une décision qui lui appartient et que je respecte pleinement", sourit Bashir Sabarian. Refusant prudemment de se prononcer sur sa préférence entre les quatre candidats jugés éligibles à ce poste par la Commission de Déontologie, il prend néanmoins le temps d'adresser un mot doux à chacun d'eux. "J'admire la force de conviction de Taşdemir. C'est un homme qui sait diriger les foules", commente-t-il au sujet du charismatique maire de Sijilmassa, islamo-populiste soutenu par le courant conservateur de la Nahda au pouvoir. "Le ministre des Affaires étrangères s'est également illustré par des succès incontestables qui joue en notre faveur sur la scène internationale", analyse-t-il au sujet de Jamal al-Dîn al-Afaghani, dont le profil est enfin validé par les déontologues, après plusieurs tentatives infructueuses de concourir pour le vizirat.

"Pour moi, l'essentiel n'est pas la personne, mais la détermination à redresser le pays", conclut-il en attirant l'attention de son auditoire captivé à ses mots d'introduction. "Véritablement, nous sommes au pied du mur pour relancer la croissance et sauver les équilibres budgétaires et financiers de notre pays. Ce qu'il faut, c'est que le prochain Grand Vizir en aie conscience et apporte son soutien et son dévouement au Plan Gazier".

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ÉCONOMIE : Vers une récession en 2016 ?
Posté par Khadija Touré le 09.04.2016 à 22h31

lubna sharim al qasimi
S.E. Lubna Sharim al-Qasîmi, Ministre du Développement, lors d'une nouvelle audition au Sérail cette semaine. (Crédits : Aycan Phuket)


L'Azur se dirige-t-il vers une crise économique à proprement parler ? Le mot, qui a été prononcé lors de questions à la Ministre du Développement al-Qasîmi lors de nouvelles auditions au Parlement, s'est bien vite diffusé au sein du monde politique et économique d'Agatharchidès. En cause : le tassement de la croissance économique ces dernières années, sous-estimé par les décideurs politiques, mais significatif. L'Azur serait ainsi passé, selon les derniers chiffres, d'une croissance de +4,9 % en 2010 à +0,2 % en 2015, comme l'indique une dernière déclaration du Ministère de l'Économie, qui tient cependant à préciser que "même en tenant compte de l'inflation, la richesse nationale s'est accrue" cette année, bien que "modérément".

"La crainte de la stagflation est bien réelle", tempère cependant à la tribune du Sérail la Ministre, dont l'entièreté du mandat est entaché par des résultats piètres de l'économie nationale (Son Excellence est en poste depuis l'année 2010, la première du déclin de la croissance économique justement) ; "c'est pourquoi une relance de l'économie est nécessaire". "J'ai activement soutenu, et je l'ai fait devant vous depuis le premier jour, l'adoption d'un Plan Gazier qui permettrait d'avancer dans ce sens". C'est un argument massue du Diwan face à la contestation qui monte contre le programme de forages gaziers gouvernemental ; l'extraction gazière et les investissements dans ce secteur énergétique seraient "notre principale réserve de croissance", ainsi que le disent à l'unisson la Ministre et les députés de l'opposition siégeant dans les rangs... du Parti libéral.

"Le gouvernement cherche à ménager la chèvre et le chou", analyse Sofia Shukri, déléguée libérale pour la Mudarabah du secteur gazier, dont elle est une représentante politique et corporative. "D'un côté, la ministre [de l'économie, n.d.l.r.] nous annonce des chiffres glaçants sur l'économie, nous incite à adopter le Plan Gazier...", et "d'un autre côté, la Nahda, ainsi que le Conseil des Oulémas, les élites religieuses et les institutions califales freinent l'adoption d'un tel plan". Un autre délégué s'étonne des "signaux contraires" renvoyés par les différents postes de l'état, avec "une très grande hétérogénéité dans les discours" entre "représentants civils et dignitaires religieux".

Quoi qu'il en soit, la croissance de l'année dernière, à +0,2 %, est en berne par rapport à l'année précédente, avec +0,8 % mesurés en 2014 d'après un rapport du Sérail établi avec des chiffres consolidés. La ministre en a expliqué les causes : elles se trouvent, selon elle, dans "l'atteinte d'un pallier" en terme de "capacités logistiques et techniques" pour la production et l'exportation des hydrocarbures, qui forment à ce jour près d'un quart de la richesse nationale.

Interrogé par nos services, Bashir Sabarian, le facétieux dirigeant de l'anciennement Compagnie Nationale des Pétroles, aujourd'hui PETRAZUR, confirme les annonces du Ministère : "il est temps d'investir", déclare-t-il, "dans un nouveau réseau de distribution du gaz, et pour l'installation de terminaux méthaniers modernes" ; à la clé selon lui, "l'accès aux marchés outre-mer, au Nazum et au Paltoterra notamment, mais pas que" ; il pointe, à la suite de la Ministre, "une baisse mondiale des cours" de l'énergie (pétrole et gaz essentiellement) liée "à la multiplication des acteurs et à la montée en gamme technologique" pour des opérateurs comme APEX, la grande compagnie multicontinentale raskenoise, dont les moyens sont "démesurés". Pour PETRAZUR, il faut "s'inspirer de ces modèles" et "aller de l'avant". Il faudrait donc, selon eux, adopter le Plan Gazier.

L'adoption de ce Plan Gazier, initialement prévue au mois de mars 2016, a été repoussée au 1er janvier 2017, date à laquelle il sera l'objet d'un vote dont l'issue est "très incertaine", d'après même l'avis d'observateurs chevronnés du milieu politique au Sérail. "Il y a une vraie difficulté pour le gouvernement à embarquer la classe religieuse avec lui", analyse Malec Osmansuli, longtemps attaché politique au sein du Parlement. "Ce problème est manifeste, le Conseil des Oulémas n'est pas convaincu", euphémise-t-il pour décrire le scepticisme des oulémas face au projet industriel. "Beylan Pasha doit convaincre al-Kaysari", (le vice-président du Majlis) résume Osmansuli en une phrase. Il l'explique ainsi ; "le Grand Vizir doit recueillir le soutien du doyen des Oulémas, s'il veut faire basculer l'opinion des clercs en sa faveur". "Dirigeants civils et religieux n'ont pas la même lecture de la situation".

Le public azuréen, lui, est en attente de l'issue des débats qui aura lieu en 2017. Et d'ici là ? "L'année 2016 va être difficile pour les entreprises", reconnaît Yusuf Ben Leyi, un proche de Habib Özem Taşdemir, maire de Sijilmassa, Ministre de l'Intérieur et probable prochain Grand Vizir. "Quand on est pas sûr de la direction que va prendre le Diwan dans les mois et les années à venir, on a tendance à ne pas investir". "C'est un risque et Taşdemir y apportera bientôt des réponses", promet le proche du candidat à la Porte ; "on ne va pas refaire du Beylan Pasha. Il faut un cap clair". Une petite pique pour l'occupant actuel de la fonction, contre lequel montent des critiques à peine dissimulées. "Il faut faire un choix", lance-t-on en off ; "soit les imams, soit la prospérité économique". Mais ces questions politiciennes devraient être traitées lors du Congrès du Parti de la Renaissance Islamique, qui se tiendra cette année.

En attendant, les délégués du Sérail, qui ont convoqué la Ministre du Développement sur des affaires d'ordre économique, n'entendent pas perdre la main sur le dossier de la croissance économique. Interrogée sur les options dont dispose le Diwan à court terme, Son Excellence Lubna Sharim al-Qasîmi a tracé plusieurs hypothèses. D'abord l'adoption du Plan Gazier par un vote de confiance préalable, ce qui était sa proposition, mais qui est peu probable au regard du scepticisme du pouvoir religieux. Ensuite, l'hypothèse d'un dégel provisoire de certains actifs du Fonds Califal Souverain, abondé ces dernières années par une croissance positive et qui pourrait permettre de répondre à certains besoins d'investissements à court terme ; cette hypothèse est cependant suspendue à la volonté du Calife, qui n'a, pour l'heure, pas été saisi de la question ; on sait que la classe politique rechigne à requérir l'intervention de Son Altesse Sémillante pour des questions trivialement circonstancielles. D'autres options, parmi celles qui seraient réalistes, sont, selon elle, "l'adoption de réformes et de plans d'investissement dès la fin du Congrès de la Nahda" et après la nomination d'un nouveau Grand Vizir. Là, pourraient être abordées des questions "non seulement de court-terme, mais de moyen-terme et de long-terme, comme la diversification de l'économie, et la recherche de nouveaux gisements de croissance".

En définitive, c'est là la clé, selon le Professeur Beçarköy, docteur en économie du développement. "L'enjeu, c'est de dépenser l'argent de l'Etat de manière judicieuse" ; la loi prévient de toutes façons le recours à la planche à billets ou aux emprunts à intérêts pour financer la politique économique, ce qui rend la pertinence des investissements publics essentielle pour relancer la machine. "En ciblant le secteur gazier, al-Qasîmi et Beylan Pasha ont misé sur la valeur sûre : les hydrocarbures", une commodité dont la demande internationale ne cesse de croître et sur laquelle l'Azur a un atout considérable en termes de réserves géologiques. "Mais c'est un secteur historique dont le pays est déjà dépendant ; une partie de la population n'est plus prête à avancer dans ce sens", comme le montrent les mobilisations de protestation qui se déploient dans tout le pays. "A mon sens, la difficulté du prochain Grand Vizir sera de trouver les futurs gisements de croissance, et de réussir une transition à long-terme pour transformer notre économie". Une hypothèse bien lointaine, reconnaît le professeur ; "en l'état, 2016 s'annonce vraiment comme une année difficile".

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TÉMOIGNAGE : « Pour nous, le Plan Gazier est une question de dignité »
Posté par Baskar Mrakh le 15.04.2016 à 09h25

Au gazoduc 8-8" de Kuzeybeylik, Karahisar.

Sa photo de profil Wasl'App affiche un visage souriant. Derrière lui, un fond indistinct de travaux sur lesquels il opère. "Ça, c'est un raccordement de tuyaux", explique-t-il en nous décrivant la photo. "C'est une opération délicate quand on remplace des pièces usées ; il faut que l'entièreté du conduit soit parfaitement étanche, quand on replace le gazoduc". Il montre des doigts, en swipant sur son téléphone, une vidéo cette fois ; il filme les étincelles de soudure lors du collage entre les deux cylindres d'acier renforcé. "Ça se règle au centième de millimètre près", nous apprend-il.

Kahil est technicien de terrain à PETRAZUR, l'ancienne Compagnie Nationale des Pétroles. Installé à Kuzeybeylik, à la frontière nord de la province d'Asarbeylik, il travaille depuis sa sortie des études dans le secteur gazier. "J'ai fait un certificat professionnel à la sortie du collège", déclare-t-il, "puis un apprentissage. Je suis autonome dans la boîte depuis mes dix-huit ans". Âgé de trente-et-un ans, le jeune homme parle avec plaisir de son métier. Il met en scène son travail avec des collègues sur les réseaux sociaux. "J'ai toujours eu la fibre sociale", dit-il en souriant. "J'aime raconter mon métier, montrer ce que je fais". Il est suivi par plus de dix mille personnes sur la plateforme Wasl'App. "Ça intéresse les gens".

Kahil poste régulièrement des shorts, des petites vidéos dans un format de quelques secondes ou quelques minutes, avec de la musique et des animations. "On popularise notre activité". Interrogé sur ce qui l'a amené à dégainer la caméra de son téléphone pour capturer des instants de la vie au travail dans le terminal gazier de Kuzeybeylik-3, l'un des centres d'expédition du gaz naturel vers le marché banairais, il met en avant son goût pour la pédagogie. "Mon patron m'a encouragé à continuer". Le petit succès des séquences filmées de soudure, de creusage, de paramétrage du réseau, ou encore de la pause déjeuner est plutôt bien vu par ses supérieurs. "Avec les ingénieurs, on forme comme une grande équipe". Partout, l'étoile noire du logo de PETRAZUR s'affiche ; sur les véhicules à bord desquels il se filme, sur le matériel. "Depuis l'arrivée de Bashir Sabarian à la tête du réseau, la compagnie favorise les initiatives pour communiquer auprès du grand public".

Le soir, après la journée de huit heures de travail, Kahil nous invite chez lui. C'est une maison de plein pied dans la banlieue de Kuzeybeylik, avec un petit jardin ; depuis la cuisine, aménagée dans un confort moderne, on voit l'arrosage automatique. "Mon épouse et moi-même avons planté des arbres fruitiers", explique-t-il. "Des grenadiers, pistachiers... Et un palmier-dattier !". Il nous montre le jeune arbre, promis à une croissance rapide qui le portera à trente, quarante mètres. "Ma femme est de Bascra. En tant qu'oasienne, elle ne s'imaginait pas de vivre loin d'un palmier", plaisante le jeune propriétaire, en référence à la fonction tutélaire du dattier dans le paysage de nombreuses régions de l'Azur, qui caractérise les vergers ombragés de l'agriculture traditionnelle.

Djemila pose devant nous, pour nous accueillir, un plateau de thé et de café, de tulumbas et surtout de kadayifs, fourrés au sirop et aux pistaches. "Tout est fait maison", déclare-t-elle. Dans le plaisir de la dégustation, le jeune couple nous explique qu'il s'est installé dans cette région, celle des parents de Kahil, à la fois pour des raisons personnelles et professionnelles. "Je compte faire toute ma carrière dans le secteur gazier", promet le jeune homme.

Cette maison, ce jardin, et la voiture de fonction que lui prête la compagnie nationale, ainsi que la place à la crèche pour les enfants et encore d'autres avantages, sont directement liés à sa profession. "PETRAZUR est sans doute la meilleure entreprise du pays", confirme Kahil. "Les syndicats fonctionnent bien en interne et avec la direction. On est très soutenus" par le comité exécutif de la compagnie, dont le Directeur-Général, Bashir Sabarian, assume la conduite. "Il est très engagé pour nous", confirme Kahil en assistant à une rediffusion télévisée d'une interview de son patron, donnée à un média national. À travers l'écran, le chef de la compagnie défend et argumente le projet gouvernemental, le Plan National de Développement Stratégique du Secteur Gazier, P.N.D.S.S.G., résumé en "Plan Gazier".

"On est des soutiens actifs. On est allés à plusieurs rallyes", annonce Kahil, qui nous en montre des photographies. On y voit une foule réunie avec des petits drapeaux, dans des grandes salles réservées par les soutiens du gouvernement. Des banderoles affichent des slogans, et le visage du Grand Vizir, Beylan Pasha, apparaît au premier plan. Parmi les invités, certains se succèdent sur une scène où ils tiennent quelques discours. Il y a aussi de la musique et, bien sûr, à boire et à manger.

"Tout est fait dans une bonne ambiance". À l'inverse de certains rassemblements écologistes, sur lesquels Kahil se montre critique : "je sais que dans certains cas, il y a eu des dégradations, comme des grilles défoncées et des voitures taguées". Il fait référence aux mobilisations d'opposants au Plan Gazier, qui se sont multipliées ces dernières semaines. "Il y a des gens qui sont contre le Plan Gazier, c'est incontestable. Mais il y a une majorité silencieuse qui le soutient". Il se compte dedans.

Quand on lui demande ce qui motive son engagement en faveur du projet, il répond immédiatement. "Je suis fier d'être gazier". Il désigne ses collègues, des "camarades". "Nous sommes le premier employeur industriel dans le pays", argumente-t-il en s'incluant à la compagnie qui l'emploie. "On est un leader économique et technologique. On est un symbole de l'Azur !" D'autres techniciens, interrogés plus tard, renchérissent. "C'est le secteur du gaz qui a tiré l'économie vers le haut depuis vingt ans. Il y a une reconnaissance à avoir pour les hommes et les femmes qui ont fait ça. Pour nous, adopter le Plan Gazier, c'est aussi une question de dignité".

"On voit que les chiffres de l'économie ne sont pas bons", continue Kahil ; "alors qu'on a un potentiel. Moi je dis, il faut y aller ! Je ne comprends pas que les politiciens soient aussi timorés" ; il fait référence à la décision du Sérail, sur demande du Conseil des Oulémas, d'accorder encore de longs mois de débats avant le vote du programme, qui se tiendra finalement en janvier 2017. "Pendant ce temps, on gèle des crédits budgétaires parce que l'économie n'avance plus aussi bien. Moi je comprend pas cette logique", dit-il à l'intention de ceux qu'il appelle "les écologistes radicaux", "de vouloir en permanence bloquer et rouspéter sur des projets qui servent l'intérêt général".

"J'ai toujours voté pour la Nahda", précise-t-il, "pour les élections générales. Aux syndicales je vote plutôt travailliste ou libéral, ça dépend", illustrant le flottement relatif des préférences corporatistes entre des partis d'opposition pour mieux faire entendre leur voix au Sérail. "J'ai un énorme respect pour Beylan Pasha. C'est lui qui nous soutient", confie-t-il en parlant du Grand Vizir, bientôt démissionnaire, et qui sera remplacé. Rashid Beylan al-Beylani devrait ainsi quitter son poste avant le vote du projet qu'il a élaboré. "C'est dommage, on aurait eu besoin de lui". Et qu'attend Kahil du prochain Congrès du Parti ? À cette occasion, un prochain Grand Vizir sera désigné. "Qu'on y voie plus clair", répond-il ; "en ce moment il y a une incertitude, un flottement". "Il faut adopter le Plan en l'état. Il est bien construit, bien pensé, on a de bons ingénieurs, les meilleurs au monde". Interrogé sur le profil qui a sa préférence, il botte en touche : "je ne suis pas adhérent, je ne connais pas bien les candidats possibles". "Je soutiendrais celui qui nous soutiendra !" Il éclate de rire.

En le saluant avant le dîner, il nous offre un paquets de petits bonbons uniques au terroir. L'Asarbeylik se déploie sur la route qui nous ramène en centre-ville ; au loin, les installations gazières luisent dans le couchant du soleil. Comme beaucoup ici, Kahil et sa famille dépendent entièrement de PETRAZUR, qui leur fait bénéficier d'un régime d'avantages unique en Azur. Fortement syndiqués, les ouvriers de la compagnie nationale disposent en particulier de droits de perception sur les bénéfices réalisées par l'entreprise, à travers ce qu'on appelle la prime Karagöz. Ce supplément au salaire, indexé sur les performances financières de la compagnie, a été mis en place dans les années 1995 par un ancien Grand Vizir, à la demande des syndicats et pour renforcer l'attractivité du métier. "La plupart des techniciens peuvent aujourd'hui se permettre un certain confort de vie grâce à cette prime", nous confie un haut cadre de PETRAZUR. "C'est un élément essentiel qui assure le maintien des compétences dans l'entreprise, ainsi que son prestige auprès du public". PETRAZUR serait ainsi, en comptant la prime Karagöz, "l'une des entreprises les plus redistributives d'Afarée". L'ingénieur nous indique que c'est là, peut-être, la raison du soutien apporté au Plan Gazier, de manière transverse à tous les camps politiques ; "c'est un fleuron national, peut-être une des seules valeurs que des travaillistes, des libéraux, des conservateurs ou des islamo-démocrates peuvent avoir en commun". "Si l'on ajoute à cela les arguments économiques, vraiment, défendre l'abandon du Plan Gazier devient un non-sens, une absurdité pour beaucoup de monde". Comme Kahil, ce haut cadre veut croire en l'existence d'une "majorité silencieuse" qui, d'ici 2017, saura faire valoir ses arguments pour l'avenir du projet.

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CONGRÈS DE LA NAHDA : Le conclave du parti califal commence aujourd'hui
Posté par Ali-Rezan Kahdan le 17.06.2016

majles chambre consultative

C'est en ce mois de Râmadan 1437 A.H. que devait se tenir le XXIIème Congrès ordinaire du Parti de la Renaissance Islamique, la Nahda ; un événement politique de première importance, très attendu par les observateurs politiques comme par la population, au regard des enjeux qui se présentent. C'est donc ce vendredi 17 juin 2016 que sont attendus à Agatharchidès les délégués des sections provinciales du Parti. Après avoir assisté à la prière dirigée par Son Altesse lui-même, les adhérents cadres se retrouveront au siège de la formation pour y tenir les discussions appelées par l'ordre du jour ; dans ce palais fermé aux regards, ils prendront les décisions cruciales sur lesquelles le Congrès est très attendu.

Quatre mille six-cent sept ; c'est le nombre de délégués qui devraient participer à la session de cette année. Représentant aussi bien les collectivités que les groupes locaux de militants, ils comptent également en leur sein des membres honoraires tels que les meneurs des principales confréries soufies du « Pacte Qadirien », liant depuis la Révolution de Safran les membres des associations spirituelles aux militants pour un régime politique islamique en Azur. L'ensemble de ces émérites personnages, dont une grande partie fait déjà partie des institutions (que ce soit par leur qualité d'élu dans les chambres régionales, de juriste reconnu, de député au Sérail ou d'ouléma membre du Majlis), sera réuni autour d'une procédure de consultation (shûra, selon le vocable coranique) pour faire émerger les meilleures décisions, résultant nécessairement de compromis bâtis à l'abri des pollutions que sont la médiatisation des questions conflictuelles et les influences numériques et médiatiques, trop souvent la norme dans bien d'autres pays à direction collégiale.

"La collégialité est dans l'acide désoxyribo-nucléique du Parti", rappelle Uthman Sheiri al-Anasi, porte-parole de la Nahda au sein du dernier Bureau politique. "Les décisions seront prises au consensus et devraient aboutir à une solution pérenne et durable, selon les méthodes d'analyse, de discernement et de méditation de notre tradition réflexive". De fait, la Nahda, ancrée dans les pratiques et l'histoire des mouvements soufis, intègre des mécanismes de raisonnement et d'interrogation des choix collectifs qui ont permis sa remarquable longévité à travers l'histoire. "Nous sommes le seul mouvement politique organisé qui fonctionne depuis plus d'un siècle et demi sans interruption", déclare al-Anasi, "et qui a l'expérience du pouvoir autant que de la dissidence contre la dictature". Une histoire qui fait la fierté des militants, rassemblés à Agatharchidès pour soutenir le processus du Congrès ; "la Nahda demeure la bonne voie pour l'Azur", estime Zayneb Mecerahi, qui représente une section de la composante jeunesse du Parti. "Nous avons la sagesse de l'Histoire, la piété en Dieu et en Ses Commandements, et le regard tourné vers l'avenir".

Qui sera le prochain Grand Vizir ?

Difficile cependant pour les adhérents de lire à travers les lignes, l'élite de la Nahda conservant jalousement le secret quant aux débats qui se tiendront en son sein pour désigner le prochain Grand Vizir. Quatre candidats sont sur la sellette : le Sheikh Nouri Takyeddin Bin Bayyah, un ouléma membre de la confrérie soufie Naqshbandiyya très implantée dans d'autres pays musulmans ; le Sheikh Ali Osman al-Idrisi, figure du petit parti ultraconservateur A.I.P.P. (Association Islamique pour la Paix et le Progrès) membre de la coalition gouvernementale de la Nahda ; Habib Taşdemir, actuel ministre de l'Intérieur et maire de Sijilmassa ; et enfin Jamal al-Dîn al-Afaghani, actuel ministre des Affaires étrangères.

"Al-Idrisi a beaucoup de qualités", concède un délégué, "mais il appartient à une autre formation politique, l'A.I.P.P. Ce sont nos alliés mais ils n'ont pas les mêmes orientations politiques que celles qui sont historiquement les nôtres". De fait, l'Association Islamique pour la Paix et le Progrès, née en 1981 d'une scission interne à la Nahda provoquée par une différence d'approche sur les questions sociétales et démocratiques, prône régulièrement une politique bien moins tolérante à l'égard des minorités confessionnelles. Le petit parti était d'ailleurs relégué à l'opposition jusqu'en 1997 ; "c'est le Calife lui-même qui a souhaité que la Nahda fasse à nouveau un pas vers les ultra-conservateurs". Néanmoins, c'est aussi l'un des enjeux du Congrès ; la ligne politique sera-t-elle infléchie ? "Le Calife veut tenir une position hégémonique sur l'ensemble des musulmans, dans une grande alliance réunissant réformateurs et conservateurs ; mais les adhérents pourraient cette année exprimer une voix différente". Ce qui est l'occasion de rappeler certains principes ; "la Nahda est un parti de doctrine sunnite, et en ce sens, aucun savant, même le Calife, n'est considéré comme infaillible. C'est la consultation des musulmans qui prime sur la volonté d'un seul, quand bien même il serait investi comme chef de la communauté". Le Congrès ira-t-il à l'encontre du projet califal de « grande alliance de tous les musulmans » ?

"Je pense que le Sheikh Takyeddin Bin Bayyah a le profil idéal pour Son Altesse", estime une élue du Mirobansar, venue à Agatharchidès pour participer à la session. "Mais bien sûr ça sera au Calife et au Congrès d'en convenir". Bin Bayyah, ouléma soufi de la Naqshbandiyya, est un des membres les plus estimés du Conseil des Oulémas, et qui fait l'unanimité de ses pairs ; "c'est un vrai spirituel, qui a les pieds ancrés dans la réalité du monde". "Il a un réseau particulièrement fort avec les musulmans de l'étranger, et il porte une voix sans conflictualité", ce qui pourrait lui attirer les faveurs du Congrès. Néanmoins, l'on tempère aussi la crédibilité de cette hypothèse ; "il est très lisse, on ne sait pas bien ce qu'il porterait politiquement". Par exemple, que penserait-il du Plan Gazier, ou encore de la liberté d'internet ? "Sur les questions concrètes, qui sont le coeur du métier de Grand Vizir, on attend moins un religieux qu'un politique". Les deux autres candidats retiennent davantage l'attention.


Vers un match Afaghani contre Taşdemir ?

"Nous ne sommes pas dans une compétition de football, de basket ou de je ne sais quoi, de curling canin ?" s'exclame avec humour Uthman Sheiri al-Anasi. "C'est une décision collégiale, qui vise à bâtir un consensus. Ce n'est pas un duel". Quoi qu'il en soit, les médias étrangers et les observateurs s'attendent quand même à de fortes discussions entre les deux profils hétéroclites qu'offrent Jamal al-Dîn al-Afaghani, réformateur et visage progressiste d'une part, et Habib Taşdemir, leader populaire aux accents conservateurs. Les deux hommes ont le mérite de bien connaître la réalité de la politique ; ils sont, l'un comme l'autre, membres du gouvernement sortant de Beylan Pasha.

"Afaghani est soutenu par le mouvement progressiste qui veut aller plus loin dans la libéralisation des moeurs et des règlements civiques", explique Fatima bint Faysal al-Mûr, doyenne de l'assemblée provinciale de Dariane, l'une des rares mais influentes femmes présentes au Congrès. "Il défendait, en 2008, un élargissement de l'alliance gouvernementale avec les Hindous de Nand Sangh". La question de l'ouverture aux Hindous est depuis longtemps un point d'achoppement au sein du mouvement islamique ; cette religion, qui ne fait pas du tout partie de la tradition abrahamique, est, selon certains opposants, "marginalisée" et "discriminée". Depuis les années 2000, le parti de la secte Sâti, hindouiste et millénariste, rafle la majorité des voix de la communauté essentiellement concentrée dans les grandes villes de la grande province du Mirobansar. "Afaghani veut leur tendre la main". Serait-ce une bonne idée ? "D'un point de vue électoral, ce serait, je pense, souhaitable. Mais il faut s'assurer que notre doctrine est toujours fidèle aux enseignements du Coran, qui ne reconnaît qu'un seul Dieu, celui d'Ibrahim". "Afaghani espère faire avec les Hindous ce qui a été réussi avec les Chrétiens et les Juifs ; les intégrer au mouvement national". Une question qui, loin de faire l'unanimité, pourrait compromettre ses chances.

"Contrairement à Taşdemir, Afaghani a une position lisible sur la question du Plan Gazier" qui préoccupe l'opinion, selon un observateur. "Dans les années 90, il a beaucoup écrit sur les questions environnementales, et l'écologie est pour lui un sujet majeur". En argument de cette supposition, il rappelle que le Ministre des Affaires étrangères est à l'origine d'une doctrine maritime azuréenne qui intègre les préoccupations pour la biodiversité et la durabilité de l'exploitation des ressources. Cependant, il n'a jamais pris position officiellement sur le Plan Gazier...

"Taşdemir est aussi embarrassé que les autres sur cette question", contre-attaque une jeune militante qui espère voir Afaghani plébiscité par la Nahda. "Depuis que les oulémas ont mis un coup d'arrêt aux ambitions gazières de PETRAZUR, personne ne sait plus sur quel pied danser". Un soutien du maire de Sijilmassa tempère ces propos : "Contrairement à Afaghani, Taşdemir sait parler au peuple" ; de fait, c'est le seul des quatre candidats éligibles qui occupe actuellement un mandat électoral, et c'est le seul qui se soit soumis au suffrage des urnes dans sa carrière. "Sa force de caractère donnerait un élan formidable au parti dans les échéances électorales qui s'annoncent". De fait, les élections municipales et provinciales qui arrivent l'année prochaine seront l'occasion de tester la résilience du Parti de la Renaissance Islamique. "L'objectif, c'est de contrôler toutes les provinces". Un Grand Vizir soutenu par une majorité d'électeurs azuréens renforcerait également la solidité et la pérennité des politiques qu'il mettrait en oeuvre.

Au-delà des personnes, le projet de la Nahda est à redéfinir

"La Nahda doit évoluer", explique Son Excellence le Vénérable Sheikh Murad Hama al-Kaysari, le Président du Conseil des Oulémas, dans son propos introductif du Congrès avant le début des discussions en tables rondes qui seront fermées à la presse. "Les décisions que nous devons prendre doivent être ancrées dans la réalité qu'expérimentent les musulmans, que traverse l'islam". De fait, le possible successeur de Kubilay al-Marwâni Ibn Sayyid à la fonction califale (c'est du moins la rumeur qui se tient régulièrement) appelle les membres du Congrès à "élargir le spectre de leur vision et de leur entendement" au-delà d'une simple bataille politicienne. Il adresse les grands sujets de préoccupation qui sont à l'ordre du jour, insistant sur "la pérennité de l'ordre social islamique", challengée par les nouvelles idées ultra-progressistes comme par "le risque d'une brisure entre les composantes de la société", attisée par "des idéologies étrangères à l'islam et à l'Azur" ; citant "l'ultra-productivisme industriel aux dépends de la collectivité" et "l'hyper-individualisme contre l'intérêt de la Oumma", il fait le voeu que le Congrès aboutisse à une réactualisation des principes de base du Parti. "Renforcer l'unité" et "hisser les forces collectives à un niveau plus haut" sont selon lui les priorités du prochain gouvernement.

"On s'attend notamment à une redéfinition de la doctrine de défense", concrétise un expert. "L'Azur a aujourd'hui une force de frappe et de dissuasion qui doit être insérée avec prudence et astuce dans le système de souveraineté". Sur un autre plan, il est question de l'économie. "De toutes évidences, c'est le chantier principal du prochain Grand Vizir". Pour cet observateur, "c'est une question complexe qui n'est pas sans lien avec les dossiers diplomatiques et stratégiques". Le Congrès devrait être l'occasion de "passer en revue les alliances et les partenariats de notre pays" pour adapter la politique internationale à la politique intérieure ; "il faut harmoniser le discours qu'on tient à l'extérieur avec celui qu'on tient aux acteurs internes". Sans quoi, selon certains, "la Nahda risquerait de traîner des difficultés pour plusieurs années."

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POLITIQUE : Afaghani nommé Grand Vizir à l'issue du Congrès
Posté par Cemil Sanli le 05.08.2016 à 19h35

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« C'est une nouvelle ère qui s'ouvre. » Dithyrambiques, les soutiens du candidat réformateur au vizirat ont accueilli l'annonce de la nomination de leur champion, faite en direct à la télévision, avec une joie débordante. En fin d'après-midi, le Secrétariat Général du Calife, s'exprimant depuis la résidence califale de la Mosquée des Etoiles, a annoncé dans une déclaration « la décision de Son Altesse de nommer Son Excellence le Ministre des Affaires Etrangères à venir exercer, auprès de lui, la conduite du Diwan. » Conformément à la procédure de la théocratie constitutionnelle, cette décision a été justifiée par « la confiance du Parti de la Renaissance Islamique qu'a recueilli Jamal al-Dîn al-Afaghani. » Dans une prise de parole clôturant le XVIIème Congrès de la Nahda, le Président du Conseil des Oulémas, Murad Hama al-Kaysari, a même tenu à « féliciter Son Excellence le candidat officiel du Parti pour son investiture. »

L'heureux titulaire du précieux sésame s'apprête donc à devenir, ce mois-ci, le nouveau Grand Vizir de l'Azur. Il succède à Rashid Beylan al-Beylani Pasha, à la tête de la Porte depuis 2008. « De très fortes attentes pèseront sur les épaules du prochain chef du gouvernement », confirme Aran al-Masîr, un conseiller et très proche de Jamal al-Dîn al-Afaghani. « Son Excellence en a tout à fait conscience, et il y répondra à travers son discours de politique générale. » Interrogé sur les prochaines annonces, le conseiller a cependant préféré garder la surprise. « Il est trop tôt pour dire ce que le prochain Diwan mènera comme action concrète », juge-t-on à la Nahda, bien que des résolutions importantes aient été prises à l'occasion du XVIIème Congrès.

La diplomatie, plus que jamais au coeur du programme gouvernemental ?

En tant que Ministre des Affaires étrangères, poste qu'il a occupé sans discontinuité depuis 2001, le nouveau titulaire du vizirat a indéniablement une fibre diplomatique inédite pour la fonction. « Beylan Pasha n'était pas très intéressé par les affaires internationales », reconnaît un délégué de la Nahda au Sérail, fin connaisseur de la politique gouvernementale depuis plusieurs années. « Sur une série de sujets, comme le pan-afaréisme, le pan-islamisme ou l'anti-colonialisme, les lignes devraient considérablement bouger. » « Beylan Pasha modérait régulièrement les aspirations charismatiques de son ministre », observe Alisha Morsadeg, politologue spécialisée dans l'étude des régimes d'Afarée orientale. « En tant que représentant du centre du Parti, il préférait une orientation plus consensuelle au sujet des relations internationales. » Une politique de modération, essentiellement cantonnée à « un dialogue somme toute superficiel » avec d'autres Etats de tous continents et de toute idéologie, comme le critique Selma Osmanzade, présidente du parti d'opposition de gauche écologiste Les Verts, et de fait leader de l'opposition parlementaire représentée par l'Alliance démocratique. « Il est probable que la neutralité affichée par l'Azur sur une série de sujets va changer », estime un délégué du Parti libéral ; « et sans doute radicalement. »

Vers une ère de réformes ?

« Le mandat de Beylan Pasha s'est achevé dans le doute et les incertitudes », rapporte un membre de la Nahda, le parti islamo-constitutionnel au pouvoir. De fait, faisant face à un recul de la croissance économique datant de plusieurs années, le Diwan avait pris l'initiative d'une relance par le développement de la production d'hydrocarbures, en particulier du gaz de schiste ; une initiative retoquée face au scepticisme des parlementaires, et surtout des oulémas, qui avaient manifesté leurs doutes sur le projet. « Le Plan Gazier est vraiment sur la sellette », nous explique un fonctionnaire sortant du Ministère du Développement ; « des conclusions très dures à l'égard du programme ont été adoptées par le XVIIème Congrès de la Nahda. » Si le projet d'extractions d'hydrocarbures est suspendu, comment Jamal al-Dîn al-Afaghani fera-t-il face à la situation économique ? « Afaghani s'est souvent illustré en mettant en avant des thèmes comme l'écologie ou l'économie maritime. » Jugé proche de certains acteurs comme le Grand Kah, on soupçonne aussi sa volonté d'« imiter une certaine frénésie économique » kah-tanaise par l'investissement dans des secteurs inédits. Mais dans tous les cas, « l'enjeu actuel, c'est de trouver des capitaux. »

Le nouveau Grand Vizir inaugurera-t-il une politique radicalement différente de celle de son prédécesseur ? On le savait critique d'un certain nombre de « fixations obsessionnelles » et de l'« inertie maladive » du Califat constitutionnel, dénoncées dans les années quatre-vingt-dix ; ces critiques lui avaient à l'époque attiré l'inimité de l'aile conservatrice du Parti. Pourra-t-il changer les lignes sur un certain nombre de sujets ? « Pour développer les technologies numériques, les médias, et la liberté d'expression, certains pas ont déjà été franchis », rappelle un observateur politique proche de Beylan Pasha, mentionnant notamment l'autorisation du réseau social Wasl'App en Azur, aujourd'hui utilisé par plus de vingt millions d'internautes. « Des attentes existent aussi dans certaines communautés, chez les Hindous, les Perses ou les membres des minorités sexuelles. » Ces groupes sociaux, traditionnellement acquis à l'aile réformiste de la classe politique, verront-ils leurs espoirs confirmés par de prochaines annonces gouvernementales ?

Le vrai pouvoir appartient toujours au Calife

« Afaghani a été nommé », rappelle un ouléma influent au Majlis. « Un gouvernant, ça se congédie aussi facilement. » On met déjà en avant, dans certains milieux conservateurs, que si le candidat progressiste a effectivement obtenu l'investiture des adhérents du Parti, c'est « la seule confiance du Calife qui fonde sa légitimité à gouverner. Perdre sa confiance, ce sera perdre toute légitimité » selon ces tenants d'une ligne dure favorable à une application plus stricte de la loi religieuse et de l'ordre social. Interrogés sur une possible ouverture du Commandeur des Croyants à l'égard du mouvement réformateur, ces militants balaient l'hypothèse : « Si Son Altesse l'a choisi, ce n'est pas pour mettre fin à l'ordre islamique. » Les relations entre les deux hommes seront à suivre de près : elles conditionneront les marges de manoeuvre sur lesquelles celui qu'il faut désormais appeler Afaghani Pasha pourra compter durant son temps au vizirat.

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ENTRETIEN AVEC S.E. AFAGHANI PASHA : « Je veux une grande réforme sociale »
Posté par Hafiz Hadan le 24.09.2016

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Tout juste nommé à la tête de la Porte Splendide, le nouveau Grand Vizir nous fait l'honneur d'accepter un entretien avec Le Lien Sans Failles. Après un Congrès riche en échanges, l'ex-Ministre des Affaires étrangères et chef de file des réformateurs a obtenu la confiance du Calife ; un événement qui n'a pas manqué d'alimenter conjectures et débats. Pour la première fois depuis 1997, l'aile gauche du Parti de la Renaissance Islamique obtient en Jamal al-Dîn al-Afaghani Pasha son retour aux affaires, et l'opportunité d'avancer ses idées. C'est en effet que les attentes sont grandes. Le meneur du Diwan doit affronter une situation intérieure tendue par l'arrivée l'année dernière de la stagnation économique, et enflammée par la dispute au sujet du Plan Gazier qu'avait défendu dans ces pages son prédécesseur, Beylan Pasha. Comment le nouveau chef du gouvernement fera-t-il face à l'exigence de renouer avec la croissance économique ? Saura-t-il éviter la dangereuse stagflation redoutée par les économistes ? Celui qui assumait le portefeuille de la diplomatie saura-t-il également surmonter les défis internationaux qui s'annoncent, avec la crise ouwanlindaise et la recomposition géopolitique en cours ? C'est à ces questions que nous chercheront à répondre avec notre invité.

Le Lien Sans Failles (L.L.S.F.) : Excellence Afaghani Pasha, bienvenue dans nos colonnes. Vous avez pris vos fonctions il y a à peine un mois, quand vous avez fait votre déclaration de politique générale qui a été très suivie. Ce qui a marqué, c'est la structure de votre discours. Vous avez en effet inscrit votre action dans le cadre des Maqasid, ces « finalités ultimes » de la Shari'a telles qu'elles ont été interprétées par les plus grands théologiens médiévaux tels qu'Abu Hamid ibn Muhammad al-Ghâzâli ou encore, plus près de nous, Muhammad Ibn Ashûr. Ces concepts théologiques insistent sur la préservation des cinq universaux communs à toute l'Humanité. Ce sont des références religieuses traditionnelles. En vous inscrivant dans la tradition la plus classique, ne risquez-vous pas d'atténuer la réputation de réformateur qui vous précède ?

Son Excellence Afaghani Pasha : Merci pour cet accueil et pour cette question. Vous avez été bien attentif. (rires.) Comme vous l'avez souligné, j'inscris effectivement la politique que je compte mener dans une certaine continuité. En cela, au risque de décevoir certains, je vous confirme que je ne suis pas un révolutionnaire ! Je crois en effet que la révolution dont nous avons besoin en notre temps s'est déjà produite. La Révolution qadirienne de 1876 nous a en effet apporté le renouveau nécessaire à la pensée islamique qui s'était laissée endormir par la tyrannie. Depuis 1876, l'Azur s'est doté d'une Constitution et s'est réapproprié les outils théoriques qui permettent de réinterpréter la Loi de Dieu à la lumière non seulement du présent, mais surtout des finalités ultimes que Dieu a voulu pour l'Humanité en édictant sa Loi. Ces outils existaient déjà dans l'islam. En réalité, les grands penseurs de l'âge d'or du monde musulman en avaient déjà fixé les lignes directrices, et vous avez judicieusement mentionné al-Ghâzâli qui, contrairement à ce qu'on veut bien raconter, n'était pas un prédicateur intransigeant, ni un innovateur divaguant dans son coin, mais bien un authentique connaisseur des textes. C'est lui qui nous a parlé des finalités de la Shari'a, qui existent au-delà d'une approche intuitive ou suiviste des textes. C'est la poursuite de ces finalités qui compte pour un musulman, et qui doivent encadrer un bon gouvernement islamique. Et ces finalités, qui touchent à l'universel, doivent être respectées par les souverains à toutes les époques. Il n'y a pas d'attentisme qui soit conforme à la Sharia, ni même de conservatisme, oserais-je dire, dans le sens de la passivité politique plutôt que de l'action et de l'esprit de réforme. Ce que la Shari'a commande, ce n'est certainement pas de s'endormir ! Nous avons du travail pour continuer la poursuite des cinq universaux : la protection de la religion, de la personne humaine (et de la vie en général), de l'esprit, des biens communs, et de la filiation. En effet, tandis que ces principes sont immuables, les conditions du monde, elles, changent. Elles changent, que cela vous plaise ou non ! Notre économie change, les technologies changent, les habitudes de consommation et les façons de penser changent elles aussi. Nous devons nous y adapter pour défendre les principes de la Loi Divine ! C'est en tous cas l'essence même de la pensée réformatrice. Nous cherchons dans le présent les solutions qui font prévaloir la Loi de Dieu. Pour répondre à votre question, je dirais donc au contraire que s'inscrire dans les Maqasid al-Shari'a réaffirme la position politique que j'ai tenue toute ma vie, d'une façon plus claire et plus forte : celle d'un partisan de la réforme. La réforme, c'est adapter nos systèmes et nos lois à l'époque dans le sens de l'islam. Ce qui est vrai, et je vous remercie pour votre question car elle me permet de le rappeler, c'est qu'en tant que réformateurs, nous sommes avant tout des musulmans. Et ceux qui s'attendaient à autre chose devront être déçus sur ce point, bien qu'à mon avis, ils étaient peu nombreux.

L.L.S.F. : C'est entendu. La réforme, donc, semble encore à l'ordre du jour. Mais quelle en sera la portée ? Dans votre discours de politique générale, vous avez cité plusieurs sujets spécifiques à traiter : des circulaires plus favorables à la santé féminine, à la santé des « corps frappés d'inversion. » Ces éléments semblent indiquer que vous seriez favorable à une remise en cause du statut légal de l'avortement, de l'homosexualité ou du transgenrisme...

S.E. Afaghani Pasha: Il n'y a là rien de surprenant car c'est une position que j'ai pu détailler à de maintes reprises. Je me suis entretenu avec Son Altesse le Calife à ce sujet. Oui, je souhaite que le droit avance pour permettre aux femmes de pratiquer la meilleure décision en matière d'interruption de grossesse. Sur ce sujet très sensible il faut avancer sans esprit de polémique. Tout d'abord vous savez que l'interruption de grossesse est déjà légale dans certains cas, parce que le droit ne reconnaît pas un foetus non doué d'âme comme une personne humaine ; l'accusation excessive de meurtre est donc caduque. Que ceux qui s'opposent systématiquement à l'avortement de grossesse méditent donc un peu de fîqh ! Aujourd'hui, la question est en suspens ; il y a consensus entre les oulémas pour dire qu'au-delà de 120 jours, l'avortement n'est plus permissible car l'âme est descendue sur le foetus ; mais avant 120 jours, il y a débat. Les savants des écoles malékites et hanbalites par exemple ont une position très conservatrice, mais il faut rappeler que leur position est justifiée par une méthode d'analyse du droit musulman qui leur est propre. Je suis désolé d'être aussi technique, mais il faut que cela se sache, car à l'inverse, les hanafites et les chaféites établissent que l'avortement est possible, et certains recommandent même de ne pas l'interdire quelles qu'en soient les motivations... En tout état de cause, la loi califale ne peut être ambivalente à ce sujet. C'est d'ailleurs une question de plus en plus fréquente qui est posée aux Cadis, qui jugent en se référant à une fatwa qui date de 1972 à l'époque où les Califes étaient en exil. A cette époque, l'on a jugé qu'une condition possible pour l'avortement était l'existence d'un risque mortel ou très grave pour la mère et l'enfant, et que certaines conditions rendaient impossibles le recours à l'avortement, mais la science a fait des progrès et des failles se sont ouvertes dans cette législation. Aujourd'hui, l'on voit bien que cela pose des limites, lorsque la mère est trop jeune pour porter un enfant, ou bien que les parents se trouvent dans une situation physique ou mentale qui ne leur permet pas d'assurer le minimum de vie à l'enfant. La question d'un foetus venant d'un viol ou d'un inceste ne peut pas non plus être négligée. Nous savons que la préservation de la vie passe par la préservation de la santé physique et mentale autant que par la capacité à assurer la couverture des besoins de subsistance. Les conditions sont donc multiples pour qu'un avortement soit licite. Les Cadis sont donc de moins en moins équipés à statuer sur la licéité d'un avortement quand les écoles juridiques s'opposent à ce sujet et que la loi califale se contente d'une approche trop laconique... J'ai donc proposé, effectivement, de réformer le statut du droit pour permettre d'instaurer un dispositif sécurisant pour les femmes. Ce que je propose, c'est de s'en remettre au discernement individuel, al-Firâsâ, en proposant un appui religieux aux femmes qui souhaitent avorter. Ainsi, les Cadis se verraient allégés de la charge d'avoir à trancher sur cette question. Ce dispositif pourra être annulé quand les écoles juridiques se seront accordées, ou quand la loi califale précisera une nouvelle législation infaillible.

L.L.S.F. : Vous dites en avoir discuté avec Son Altesse le Calife, partage-t-il vos vues à ce sujet ?

S.E. Afaghani Pasha : Son Altesse partage le constat que la législation actuelle n'offre pas de réponse satisfaisante parce que les failles qu'elle induit engendre une inégalité de traitement. Elle s'interroge aussi sur les maladies que la science d'aujourd'hui ne connaît que mal, qui impactent la santé du foetus et le bon déroulement de la grossesse, ce qui ne crée pas les conditions pour un changement de la loi califale à ce stade. Etant donné qu'il faut bien permettre aux Cadis de prendre une décision, l'idée d'une solution temporaire telle que je la propose requiert un soutien au-delà même des seuls réformateurs.

L.L.S.F. : Quant au transgenrisme...

S.E. Afaghani Pasha : La transidentité est un fait social. Les médecins peuvent le relater. Il est arrivé qu'un citoyen azuréen se présente à un médecin gynécologue alors qu'il était un homme. Cependant, ayant selon lui été formé dans un corps de femme bien qu'il fût un homme, il s'était plaint de douleurs requérant des soins gynécologiques. Vous voyez bien qu'en ce cas précis, que le Cadi juge qu'il doive être lapidé ou simplement réservé au jugement de Dieu dans l'au-delà (c'est la divergence en ce cas précis), le transgenre est manifeste. La poursuite de la préservation de la vie nous invite à la prudence en la matière. N'avons-nous pas interdit les tortures sur cette base ? Comment pourrait-on dès lors appliquer la torture à ces personnes ? Il faut les laisser au jugement de Dieu. Par ailleurs, il existe des savants musulmans qui estiment que les opérations de changement de sexe sont licites et font partie des soins physiques éligibles au remboursement par les mutuelles et les assurances de santé. Tout cela existe. Je crois que la préservation de la vie des personnes, et le respect de la Sunna qui distingue les hommes des femmes, invite à tenir la transidentité comme un fait pleinement acceptable de la dichotomie sexuelle naturelle. Là encore, je propose de tenir le discernement individuel, l'al-Firâsâ, comme une solution face à ce problème éthique qui se pose non seulement aux médecins et aux responsables des assurances de santé, mais surtout aux personnes elles-mêmes.

L.L.S.F. : Vous ouvririez donc la voie à la liberté de genre en Azur.

S.E. Afaghani Pasha : Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par là. La liberté de genre est un concept forgé par la philosophie occidentale que je ne connais pas. Les termes que j'ai employé sont assez précis pour ne pas avoir besoin de se comparer à la philosophie occidentale. J'ai parlé de dichotomie sexuelle naturelle et de discernement individuel. Ce sont des concepts enracinés dans l'islam. Vous êtes libres de les interpréter comme vous voulez, mais leur caractère authentiquement islamique n'est pas discutable.

L.L.S.F. : Ce serait néanmoins un changement majeur dans la politique qui prévalait jusque là. A présent, j'aimerais que nous nous intéressions aux profils que vous avez choisi pour vous entourer au Diwan. Bien que la liste n'en soit pas encore tout à fait finalisée, vous avez décidé de vous entourer de femmes ; trois, pour être précis, ce qui fait de votre gouvernement le plus féminin depuis 1978. Est-ce le prolongement de ce que vous venez indiquer au sujet de votre intention de faciliter les soins particuliers des femmes ?

S.E. Afaghani Pasha : Vous avez raison de dire que c'est inédit. J'ai toujours été favorable à la parité en politique. Cependant, j'ai d'abord choisi mes ministres sur la base de leurs compétences personnelles. En cela, je crois que Mesdames Ben-el-Telja, Bint Yaghlan et Al-Qasîmi représentent bien, chacune à sa manière, les compétences sur lesquelles le Diwan s'appuiera pour mener la politique qui sera la nôtre.

L.L.S.F. : Vous faites référence à Houria Ben-el-Telja, aux Affaires étrangères ; à Butheina Bint Yaghlan, à l'Intérieur ; et à Lubna bint Adel Sharim al-Qasîmi, qui conserve le portefeuille du Développement qu'elle occupe depuis 2010, alors même que certains membres de l'opposition l'accusent d'être en partie responsable de la crise économique...

S.E. Afaghani Pasha : Je récuse complètement cette affirmation infondée, Madame Al-Qasîmi est une ministre extrêmement compétente, qui a la confiance du Calife, de mon prédécesseur Beylan Pasha ainsi que du Parti, et de moi-même bien sûr. Sa rigueur nous a au contraire beaucoup profité par le passé, et même si j'ai avec elle des divergences mineures, je sais qu'elle est le meilleur profil à ce poste, c'est pourquoi je lui ai proposé d'y demeurer. Que les choses soient claires, Madame Al-Qasîmi n'a pas à rougir de son bilan ; c'est elle qui a coordonné les mesures d'urgence que nous avons mis en place dès notre arrivée face au risque de stagnation de l'économie, et nous préparons avec elle un grand plan de relance, qui passe avant tout par d'importantes réformes sur les volets sociaux.

L.L.S.F. : Quelles réformes entendez-vous par là ?

S.E. Afaghani Pasha : Nous avons abordé ensemble les réformes sociétales liées à la grossesse et à la transidentité, qui ne sont qu'une petite partie des changements que je souhaite opérer durant mon vizirat. En effet, pour revenir à la situation économique, vous n'aurez pas manqué d'apercevoir que les études et les experts pointent avant tout le ralentissement de la croissance comme étant le fruit non pas d'un ministre incompétent ou d'erreurs gouvernementales, mais comme étant le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs. D'abord, et c'était l'une des raisons principales avancées par mon prédécesseur Beylan Pasha, un vieillissement des infrastructures doublé d'une saturation de la capacité d'exportation d'hydrocarbures qui fait pourtant une part essentielle de la richesse nationale. En arrivant à un palier, que le Plan Gazier prétendait surpasser, notre industrie pétrogazière ralentit le reste de l'économie. D'une manière générale, nous avons donc besoin d'investissements dans les infrastructures mais surtout de nouveaux pivots économiques en substitution aux hydrocarbures. Nous ne pouvons pas baser notre avenir sur la dilapidation de celui de nos enfants, c'est pourquoi nous devons radicalement adresser le fond du problème en développant de nouvelles productions sur notre territoire. Ce sera l'objet d'une politique assidue mais pour cela nous devons affronter en face la donnée sociale. Comme vous le savez, il n'y a pas de production sans travailleurs, c'est le B-A-BA de la pensée économique. Si nous voulons passer à un mode de production moderne et écologique, basé sur les énergies renouvelables et les nouvelles technologies, nous allons avoir besoin de réorienter notre appareil de formation technique pour que les ouvriers, les techniciens, les ingénieurs puissent répondre présent. D'une manière générale, nous sommes surtout un pays confronté à la troisième révolution industrielle.

L.L.S.F. : La « troisième révolution industrielle » est un concept de science économique. Pour nos lecteurs qui s'interrogeraient, pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là et les implications que vous en tirez ? C'est un constat particulièrement crucial que vous posez là.

S.E. Afaghani Pasha : Naturellement. Pour être clair, il faut rappeler qu'on distingue dans l'histoire deux périodes ; celle de l'Ancien Régime, qui précède en gros tout le XIXème siècle, et celle de la Modernité, qui arrive au XIXème siècle. Autour des années 1800, l'utilisation de la machine à vapeur alimentée par le charbon provoque une démultiplication de la production industrielle qui renverse les équilibres économiques et politiques de l'époque. Ceux qui en profitent construisent de grands empires et des flottes redoutables, tandis que ceux qui s'en tiennent éloignés sont soumis par une puissance de feu supérieure, c'est l'âge colonial. Une deuxième révolution technique, souvent moins identifiée comme telle, se produit aux alentours de 1900. Elle est liée au développement de la science expérimentale moderne et des technologies du pétrole, de l'électricité et de la chimie, ce qui permet par exemple de construire des navires encore plus rapides et autonomes, de fabriquer des engrais azotés de synthèse, ou encore d'utiliser les antibiotiques pour diviser par plusieurs entiers la mortalité infantile. Toutes ces innovations apportent de considérables bénéfices aux sociétés, le premier d'entre eux étant l'accroissement de la population et de l'espérance de vie, et la hausse du niveau de vie avec l'émergence des classes moyennes. Dans les pays impériaux comme dans les pays colonisés, les effets certes inégaux de la deuxième révolution industrielle produisent les conditions propices à l'épanouissement des idéologies démocratiques et notamment anti-impérialistes, d'où vient l'ère des indépendances. C'est aussi le moment où certains pays colonisés peuvent tirer leur avantage dans la compétition mondiale, en se spécialisant dans l'agriculture ou la manufacture. Nous arrivons alors aux années 1980, et à notre propre changement de régime en Azur, avec le retour du Califat. Bien qu'il ait complètement modifié les institutions nationales en abolissant la dictature républicaine laïque et en la remplaçant par une démocratie confessionnelle islamique, le retour du Califat n'a pour autant rien retiré à la structure de l'économie telle qu'elle avait été développée sous la République. En particulier, la production d'énergie pétrolière et gazière a gardé son rôle central dans notre économie, et elle s'est même multipliée. Dans les années 1990 et 2000, c'est même devenu le coeur de notre moteur économique, passant au-dessus de l'agriculture. Cependant, dans les mêmes années, la plupart des grands pays industriels ont déjà fait le choix de la troisième révolution industrielle, qui est celle à laquelle nous faisons face aujourd'hui. Cette troisième révolution industrielle provient encore une fois du progrès technique. En l'occurrence, elle est alimentée par l'essor des technologies de l'information, des communications, du traitement des données, qui permettent de robotiser la production manufacturière et de faire des pas de géants dans l'électronique, l'aérospatial, la génomique ; parmi les produits issus de cette troisième révolution, les organismes génétiquement modifiés, les satellites optiques et radar, ou encore l'intelligence artificielle.

L.L.S.F. : ... Et vous dites, pour que ce soit très clair, que l'Azur n'est « pas encore entré » dans cette « troisième révolution industrielle » ?

S.E. Afaghani Pasha : Plus encore, je dis que l'Azur a refusé d'y entrer. Nous avons fait le choix de renforcer notre dépendance aux hydrocarbures, cette ressource facile à extraire et facile à vendre, plutôt que de rechercher des alternatives et d'engager des transformations plus longues. Nous étions en quelque sorte grisés par les profits du pétrole et du gaz. Aujourd'hui, on constate la fin de l'ivresse, à la manière d'une gueule de bois.

L.L.S.F. : Êtes-vous en train d'accuser les gouvernements précédents d'avoir manqué de discernement ?

S.E. Afaghani Pasha : Non, ce n'est pas ce que je dis. Personne ne pouvait prédire le moment exact où la production extractive ralentirait. De plus, ce n'était pas un choix conscient. Moi-même, je ne voyais pas le problème, considérant qu'être pour ou contre le gaz était surtout une question éthique liée aux conséquences écologiques de cette industrie. En réalité, nous nous trompions. Pourquoi l'Azur a-t-il tardé à investir dans la mutation technique inévitable qui se dessinait devant lui ? C'est cela la vraie question. C'est à cela qu'il faut répondre. C'est cela mon programme de gouvernement.

L.L.S.F. : Alors, dites-nous s'il vous plaît ce que vous entendez par là, et le lien que vous faites avec la situation actuelle.

S.E. Afaghani Pasha : J'y viens, j'y viens. Comme vous le pressentez, j'ai une vision globale de toutes ces choses. Nous avons commencé par les questions sociétales qui sont d'une certaine manière liées aux questions sociales, lesquelles sont liées aux questions économiques. C'est un tout. Il faut le gérer de façon cohérente. Voilà ce qui fera, à tort ou à raison, la marque de fabrique de mon vizirat. Nous avons trop longtemps été habitué à gérer les choses de façon ponctuelle, hermétique. Par exemple avec le Plan Gazier. Je ne remets la compétence de personne en question : je pointe notre défaut collectif de vision global. Beylan Pasha faisait à juste titre le constat d'un ralentissement de l'économie. Il a donc appliqué la même recette que ses prédécesseurs : pour développer l'économie, développer les hydrocarbures. Sauf que les conséquences écologiques d'une telle décision ne sont plus supportables aujourd'hui, ce qui a suscité de grands débats, et qui a amené les Oulémas à se prononcer contre le projet. Finalement, Beylan Pasha n'a pas pu mener son programme de relance à son terme. J'hérite aujourd'hui de cette situation, où d'un côté notre secteur gazier est en crise, et d'un autre côté notre économie est en crise et l'inflation menace. Comment sortir de l'ornière ? Voilà la question que m'ont posé les membres du Congrès. La vérité, c'est que je suis le seul à pouvoir y répondre, car la pensée conservatrice, habituée à ne rien changer, n'avait plus de solution facile à y opposer.

L.L.S.F. : Comment, donc, sortir de l'ornière économique ?

S.E. Afaghani Pasha : En embrassant la troisième révolution industrielle, c'est-à-dire en changeant notre fusil d'épaule. Nous ne devons plus miser sur le secteur gazier mais sur les secteurs d'avenir, que sont la mer, le numérique et l'espace. Nos réserves de croissance se trouvent là. Pourquoi n'y a-t-on pas investi plus tôt ? J'ai enfin trouvé la réponse : parce que cela est plus difficile et moins rentable à court terme. Le gaz, c'est pratique, on peut le vendre à un prix acceptable à n'importe quel instant car la demande mondiale est insatiable. Mais les nouvelles technologies demandent de lourds investissements. Comment investir beaucoup avec plusieurs décennies d'avance quand on est un pays structurellement faible économiquement ? Contrairement à l'Eurysie ou au Paltoterra, l'Azur n'a pas d'espace impérial qui puisse lui offrir un marché sécurisé. Nous avons dû être très prudents avec nos investissements. Pour faire une comparaison, c'est comme si vous deviez aller chercher des oeufs pour faire une omelette mais que vous n'aviez pas de panier, juste vos deux mains. Achèteriez-vous des oeufs de poule ou d'autruche ? De poule, bien sûr, que vous essaierez de ramener tant bien que mal à la maison, occasionnant des pertes éventuelles, mais avec la certitude de ramener quelque chose. Vous n'auriez aucune raison de choisir l'oeuf d'autruche qui est énorme et lourd, qui risquerait donc de se casser facilement, vous laissant démuni. Voilà pourquoi personne n'a choisi d'investir dans les nouvelles technologies. A présent, il n'y a plus d'oeufs de poule sur le marché, nous sommes tenus de saisir l'oeuf d'autruche à pleines mains. Nous allons devoir faire des investissements considérables qui ne seront pas rentables tout de suite. Nous allons notamment devoir revoir de fond en comble nos programmes professionnels.

L.L.S.F. : C'est un programme très ambitieux. En effet, si vous planifiez la sortie du pétrole et du gaz vers d'autres productions à haute intensité technologique, il faudra trouver la main-d'oeuvre qualifiée pour le faire...

S.E. Afaghani Pasha : Vous touchez exactement le coeur de mon propos. Oui, nous avons des changements à faire ! D'abord, il faut réformer les caisses d'assurances sociales, qui sont aujourd'hui éparpillées en fonction des confessions ou des métiers. Les musulmans ont leurs caisses, les chrétiens ont leurs caisses, les juifs ont leurs caisses... Même les chiites ont leurs caisses spéciales ! Certaines professions, et c'est en particulier le cas des employés du secteur gazier, ont leurs propres statuts pour définir la pension de retraite ou les indemnités médicales ou de chômage. Toutes les professions ne sont pas égales à ce sujet. En particulier, les professions intermédiaires et certaines professions à haut niveau de qualification n'ont pas de termes aussi avantageux. Ce qui explique aussi le tropisme gazier de certains politiciens... Il est plus facile de promettre aux uns la conservation de leurs avantages qu'aux autres la conquête de l'égalité. En ce sens, nous avons du travail pour donner du sens à la génération de travailleurs qui arrive. Veulent-ils à leur tour alimenter une machine économique extractive et polluante ? Veulent-ils au contraire nous rejoindre dans une aventure enthousiasmante pour développer les biotechnologies marines, les énergies renouvelables, un programme spatial ? Pour cela il faudra réformer l'enseignement technique, mais surtout offrir des opportunités réelles, en matière de salaires et de conditions sociales. Il y a donc un grand chantier à faire sur le terrain social. Ce que je veux, c'est une grande réforme qui puisse profondément transformer notre paysage pour donner une grande impulsion vers l'avenir, vers notre jeunesse, vers les secteurs de pointe ; ce sera une relance économique autant qu'un rebond politique et collectif.

L.L.S.F. : Pourriez-vous apporter des précisions sur cette réforme sociale que vous appelez de vos voeux ?

S.E. Afaghani Pasha : J'ai déjà brassé l'essentiel. Réforme de l'éducation supérieure, obligatoire. Réforme des assurances sociales et refonte des caisses communautaires vers un seul grand régime universel commun à tous les Azuréens, incontournable. Il nous le faut pour renforcer l'équité entre les corporations professionnelles et inciter les jeunes diplômés à s'orienter vers les filières d'avenir. Réformes pour introduire les nouvelles technologies dans notre société. J'avais été un pionnier à l'époque en militant pour la licéité d'internet dès les années 1990 ; nous devons aller plus loin sur les sujets d'intelligence artificielle par exemple. Nous devrons avancer sur ces outils en gardant en mémoire ce que j'ai dit au début de cet entretien ; la préservation des finalités de la Shari'a. Mais il y a du travail à faire ! Une réforme essentielle sera aussi le déverrouillage de notre économie à l'égard des investissements internationaux. Il est aujourd'hui possible mais malaisé à un investisseur étranger d'apporter son capital à nos entreprises, car beaucoup de réglementations religieuses limitent voire interdisent les banques étrangères. Pour cela il faudra passer par une réforme complète du système des Mudarabas.

L.L.S.F. : ... Ce qui implique une réforme de la Constitution. Envisagez-vous une réforme de la Constitution ?

S.E. Afaghani Pasha : (rires.) Je suis un réformateur, vous devriez être au courant !

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AFAGHANI : « Carnavale a brisé l'ordre naturel humain »
Posté par Amsa Jellal le 11.02.2017

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« Notre coeur est en deuil depuis le 7 octobre », déclare le Grand Vizir en introduction d'une conférence de presse marquée par la solennité et le silence. Mines graves composent les visages du côté du gouvernement comme de l'assistance. L'extraordinaire escalade de la violence de la Principauté de Carnavale est dans tous les esprits. Bombardements chimiques massifs dans le but de créer une colonie au Pays des Trois Lunes ; schisme à la suite du conclave de l'Eglise catholique ; provocations outrancières par des déclarations scandaleusement racistes ; et récemment, suite à une offensive dans les territoires maritimes de la Principauté menée par une coalition d'Etats, une réplique sauvage par le lancement d'un bouquet infini de missiles contre la ville d'Estham, l'une des plus anciennes et peuplées de l'Aleucie. Des coups de butoirs qui ébranlent la communauté internationale autant que les opinions publiques. Ancien diplomate, spécialiste des questions internationales, le Grand Vizir Afaghani Pasha arrivé au pouvoir en septembre 2016 en Azur se voulait porteur d'un idéal progressiste pour construire un ordre international pacifique et fondé sur le droit, le multilatéralisme et la négociation désarmée. L'année 2017 semble au contraire perdue pour ces idéaux, et nous ne sommes qu'en février.

« Le massacre des habitants du Pays des Trois Lunes est un génocide. C'est l'acte le plus abominable qu'il m'ait été donné de voir », poursuit-il avec lenteur. Autour de lui, les ministres du Diwan ont le visage barré par les rides d'une écoute sérieuse et attentive. Se refusant à égrener dans le détail les actes menés par la Principauté de Carnavale et ses entreprises, Afaghani Pasha a choisi un ton plus intime et profond pour cette conférence de presse, annoncée alors que l'espoir de bâtir un monde ordonné semble s'éloigner. « Il y a à Carnavale un profond mépris de l'humanité. » Il précise : « non seulement les actes terroristes intolérables, mais aussi le fonctionnement normal de ce pays se situent hors des frontières de ce que nous croyions possible » ; il prend alors la figure de Prométhée, un génie hellène auquel la tradition attribue le rôle de passeur-transgresseur de connaissance des Dieux vers les Hommes. « Dans le mythe eurysien, Prométhée est l'allié des humains », soumis à de mauvaises divinités qui en martyrisent les corps et les consciences. « Carnavale n'est le Prométhée de rien d'autre que de l'enfer. » Un langage théogonique qu'on connaît rarement au Grand Vizir, plutôt réputé pour faire valoir les valeurs empathiques de la religion. « Cet enfer, c'est celui de l'hubris d'hommes qui ont perdu pied avec Dieu. »

Le candidat carnavalais lors de l'élection papale était pourtant l'un des plus en vue pour succéder au chef de la communauté catholane mondiale, Pie XVI, dont l'abdication entraînait un conclave. Celui qui se fait désormais appeler « Justin l'Eternel », ayant échoué à s'emparer de la fonction, vient de mener un Schisme contre l'institution cléricale, qui est la plus grande branche du christianisme. « Nous félicitons Sa Sainteté le Pape Augustin », déclare Afaghani, « et souhaitons à nos frères catholiques qu'Allâh les guide dans cette nouvelle crise pour leur foi. » De manière inédite pour un promoteur du dialogue interreligieux et de la concorde entre les croyants abrahamiques, le Grand Vizir est ensuite ferme : « Il n'y a cependant rien d'étonnant à ce Schisme. De toute évidence les cardinaux carnavalais se sont détournés de la religion ! » Sans craindre de s'ingérer dans les débats internes à la communauté catholique, il persévère : « cette incongruité n'avait que trop duré, et il faudra en tirer toutes les conséquences. »

« Il n'y a pas d'endroit sur la Terre où la perversion est plus totale qu'à Carnavale. » Ses paroles résonnent dans la salle de conférence du Diwan. « Ils manipulent les plantes, les animaux, les êtres humains pour en faire des armes », « ils transforment la vie en une abomination. » Les images fréquemment relayées sur les réseaux sociaux des volutes rouges de la peste artificielle répandue au Pays des Trois Lunes passent dans tous les esprits. « Nous avons à présent des indications qui rapportent que leurs Laboratoires sont en mesure de réaliser le clonage d'êtres humains. » Une transgression biologique et spirituelle majeure, selon les oulémas unanimes. Le Grand Vizir, adoptant alors sa posture de théologien et juriste de la foi, rappelle le verset 30 de la Sourate Ar-Rûm. « Relève donc la tête pour te vouer au culte pur de l’Unique, selon la nature innée dont Allah a pourvu les hommes en les créant. Ce qu’Allah a créé ne saurait être modifié. Telle est la religion droite, mais la plupart des hommes n’en savent rien ! » Des murmures dans l'assistance concluent cette citation du Saint Coran par les formules traditionnelles.

« Tous ici le savent : l'Azur n'aura jamais cherché la guerre », reprend l'orateur. « Nous n'auront pas voulu de cette issue, et nous tâcherons éternellement de la préserver, afin qu'elle soit un recours ultime et désespéré. » Il tend la main vers un propos invisible : « face à Carnavale, c'est pourtant l'option qu'une coalition a choisie » ; faisant référence à l'opération Dreamland de l'Organisation des Nations Démocratiques, il qualifie cette offensive en cours au large des îles Saint-Marin : « nous retrouvons l'esprit de croisade d'un monde occidental qui a perdu foi dans le dialogue », un esprit validé à demi-mots par le Diwan lors de déclarations précédentes. Afaghani tend alors son autre main, paume ouverte : « d'autres ont choisi l'option de la soumission et de la complicité. » Sans les nommer, l'assistance entend une référence à des Etats comme le Churaynn, déplorable partenaire musulman du génocide au Pays des Trois Lunes, et d'autres. « Ceux qui ferment les yeux sur les agissements de Carnavale ont perdu leur honneur. » Et en Azur, gare à celui qui renonce à sa propre dignité. « Ceux qui s'en rendent complice perdront la vie. »

« Y a-t-il une troisième voie possible ? » Afaghani contemple l'assistance, qui ne répond rien. Un silence s'installe. Il referme ses paumes, et croise les mains. « L'avenir nous le dira. » Il laisse passer quelques instants : « nous devons cependant garder les yeux bien ouverts dans la nuit de notre siècle, et constater la seule chose qu'il y a à dire : Carnavale a brisé l'ordre naturel humain. » Quelqu'un réajuste sa posture dans la salle. « Ce que nous avons perdu ne sera jamais retrouvé. » D'une voix ténue, il explicite : « persévérer dans la recherche d'un monde en paix est désormais une illusion. » Il inspire l'air confiné de la salle.

« Allâh, grâce lui soit éternellement rendue pour ses bienfaits, a dit : "Quiconque fait un bien fût-ce du poids d’un atome, Dieu le verra, et quiconque fait un mal fût-ce du poids d’un atome, Dieu le verra." Sourate quatre-vingt-dix-neuf, versets sept et huit. » Un sourire énigmatique lui passe sur les lèvres. « Nous devons nous rapprocher du poids de l'atome. Nous devons faire à ce monde un bien atomique. » Il s'éclaircit la gorge pour préciser : « notre tâche sera désormais de rechercher non pas la réorganisation du monde, ou les grands pas, mais d'accomplir la volonté de Dieu à travers les actions les plus discrètes comme les plus sévères. » Il déclare dans la foulée que l'Azur consentira à un don massif pour la reconstruction d'Estham, « et de toutes les victimes passées et futures de l'entité carnavalesque. » Il annonce aussi que « face à la maladie, le travail du croyant est de chercher l'antidote. »

Signifiant que la conférence touche à son terme, il saisit un Coran qui se trouve près de lui, sur la table. Sans l'ouvrir, il cite, de mémoire, la deuxième sourate : « Quiconque transgresse contre vous, transgressez contre lui. » Et de conclure : « Dieu est avec les pieux. »


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