11/05/2017
16:06:06
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[RP interne] Activités intérieures d'Estalie - Page 2

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La tristesse souriante :

Je me pensais fou mais j'étais en vérité lucide. La véritable folie était ailleurs, chez les Lucifériens et les sacrifiés de Molok.




"Vous avez entendu ce qui s'est passé en Aleucie ?
- Le génocide d'Estham, ouais. C'est terrifiant.
- Que fait le gouvernement ? C'est pas notre rôle de purger ces enfoirés normalement ?
- Je sais pas ce qu'ils foutent.
"

Sidération, horreur, torture, langueur, anéantissement. Il n'y avait pas de mots pour décrire ce qui s'était passé outre-mer. Une ville de plusieurs millions d'habitants, Estham, avait été éviscérée de la carte par une des attaques balistiques les plus puissantes de l'Histoire humaine, tuant en l'espace de quelques heures plus de deux millions de personnes innocentes. Un crime. Non...pire que ça...une atrocité, un sacrilège à la vie humaine elle-même, le summum de l'horreur moderne, la preuve irréfutable que l'Homme est capable de façonner des armes toujours pus efficaces pour tuer ses semblables dans une forme de dépravation glauque et obscène qui ferait glousser le plus aguerri des tueurs en série ou le plus discipliné des soldats. Carnavale n'avait pas juste abandonné sa boussole morale, Carnavale avait plutôt décidé de nier par décret le droit de vivre de millions d'individus pour un bénéfice nul. Il n'y avait pas de cause à défendre derrière tous ces morts, il n'y avait aucune volonté idéologique, politique ou même religieuse qui justifiait un tel génocide, les grandes familles carnavalaises ne proposaient aucun avenir à l'Humanité si ce n'est l'esclavage pur et simple, l'aliénation ultime, la dépravation divinisée d'une oligarchie qui n'avait d'humains que le nom. De véritables monstres lucifériens qui avaient décidés d'abandonner leur humanité, non pas pour une cause plus grande, mais seulement pour répondre à leurs instincts les plus bas, les plus primitifs. La haine, le désir malsain et masochiste de faire du mal à autrui, le sentiment de domination sur les plus faibles.

L'horreur s'exporta à l'international comme une traînée de poudre et le public estalien ne fut en aucun cas épargné par la vision horrifique de ce qu'était devenu Estham. Les premières images de la capitale nordiste, autrefois reluisante, avaient choqués toute l'Estalie, indépendamment des camps politiques et des factions. Des silhouettes calcinées sur les quais de la gare centrale de la ville, des enfants figés dans l'instant par la pluie chimique, agonisant au sol. La peau de ces enfants nordistes avait fondue sur les os comme de la cire sur une poupée de chiffon, les yeux grands ouverts, vides, implorant un secours qui n'est jamais venu. Le sol de l'ancienne capitale était maculé de liquides corporels bouillis par moments, de viscères éclatés, de lambeaux de chair qui fumaient encore dans un air acide. Plus loin, dans les couloirs du métro d'Estham, les secours filmaient en silence des amas de corps fusionnés par la chaleur écrasante des explosions et des incendies ravageurs qui ont émergés dans toute la ville après les frappes, de véritables millefeuilles humains où l'on distinguait à peine les visages tordus dans des rictus de douleur extrême, les mains agrippées aux parois métalliques comme si elles avaient tenté de s'arracher au néant lui-même. Certains cadavres avaient perdu toute forme humaine, réduis à des silhouettes molles et détrempées, des sacs de peau déchirés par les gaz et la pression, collés contre les murs comme des fresques façonnées par la Faucheuse elle-même. L'air était contaminé, il ne restait rien de vivant, rien de digne, rien d'humain. Juste une ville vidée de son âme, éventrée comme un animal sacrifié par une main sadique ; la main luciférienne de Carnavale.

Dans les rues estaliennes, la réaction ne se fit pas attendre. D'abord, le silence. Un silence inhumain, saturé d'incompréhension, comme si l'air lui-même refusait de vibrer après l'annonce. Les écrans publics de Mistohir diffusaient en boucle les premières images d'Estham et attiraient des foules muettes, collées les unes aux autres, l'œil rivé à ces visions dystopiques de fin du monde. Certains s'étaient évanouis, d'autres hurlaient d'un cri de terreur qui tranchait l'atmosphère comme un coup de hache. La sidération avait marqué les esprits. Une sidération qui avait infecté l'esprit estalien dans une direction inattendue : la haine. La faute à Carnavale, la faute aux financiers, la faute à cette amas luciférien dépravé et décadent qui n'avait aucun autre objectif que d'éradiquer ce qui avait de plus beau et pur sur Terre : la vie. La vie humaine en l'occurrence. Ce que venait de faire les Carnavalais n'était pas une simple attaque envers l'Empire du Nord, encore moins envers l'OND, c'était une déclaration de guerre envers le genre humain à part entière. Il n'y avait aucune idéologie chez Carnavale qui méritait d'être défendue, les Carnavalais tuaient pour le plaisir, tels des prédateurs, pour assouvir leurs instincts dans une ultime catharsis, un déchaînement de violence d'ampleur biblique qui ne s'arrêterait le jour où l'Humanité acceptera de succomber et de laisser place au règne de Molok, sacrifiant tout ce qu'ils ont d'humain pour l'appât du gain, du pouvoir.


Enfer et Damnation. Et pourtant, aucune Condamnation. Dieu ne nous aime pas.

Pourtant, c'était le silence dans les institutions. Les rues estaliennes bouillonnaient comme elles n'avaient bouillonnées depuis la Révolution, jamais les foules n'avaient étés aussi haineuses envers un ennemi spécifique et ce mouvement était surprenamment très consensuel. Anarchistes, husakistes, communalistes ou simples eurycommunistes avaient tous vus les mêmes images et en avaient déduits la même conclusion : Carnavale doit disparaître à son tour, pour le bien de l'espèce humaine. Jamais le peuple estalien n'avait autant souhaité la guerre qu'à ce moment précis et pourtant, la Fédération était silencieuse. La Commission aux Relations Extérieures n'avait convoqué aucune conférence de presse, aucune annonce ; le Congrès International des Travailleurs n'avait pas délibéré au sujet de Carnavale et le Président de la Fédération laissait lettre morte à toutes les questions en lien avec Carnavale. D'où provenait ce silence ? Ce pouvoir libertaire, qui avait passé plus de trois ans à répéter sous toutes ses formes un discours belliciste, agressif, militariste au possible, prônant la voie armée et la lutte contre l'oppression, qui avait passé toutes ces années à convaincre le peuple estalien que le seul moyen de préserver la Révolution était de se battre, voilà que ce même pouvoir avait décidé de fermer les yeux au moment le plus fatidique. Pourquoi ? Même le Grand Kah avait réagi, malgré son silence initial, à l'ignominie dont avait fait preuve Carnavale à Estham. Etait-ce une volonté du gouvernement ? Avaient-ils étés contraints au silence ? C'était peu probable aux yeux de la population : comment leur gouvernement, si transparent d'habitude, avait décidé de devenir soudainement aussi opaque qu'une salle insonorisée sur la question carnavalaise ? Quelque chose clochait.

"Camarade Président, vous faites foncièrement erreur."
Husak releva la tête. Dans la petite salle où il se situait, la Commissaire aux Relations Extérieures; Kristianya Volkiava, lui faisait face. Son visage présentait le même état de sidération que la plupart des gens que Husak avait pu apercevoir dans la rue. Tous attendaient la même chose. Husak pensait sincèrement que Volkiava agirait autrement, elle qui était si pragmatique dans sa façon d'analyser la situation géopolitique, ce n'est pas pour rien que l'actuelle Commissaire était particulièrement populaire. Mais en privé, il arrivait parfois que ce masque professionnel s'effondre pour laisser place à l'émotivité. Argh, non, Husak ne devait pas céder. C'était ce qui avait de bon à faire. Husak regarda un instant Volkiava puis se tourna vers un autre homme dans la salle : mince, plutôt maigre, de nature discrète et pourtant, c'était cet homme qui représentait ce qui avait de plus puissant en Estalie. Le SRR écoutait à travers les oreilles de cet homme.

"J'ai pris ma décision, Volkiava.
- Camarade président, c'est absurde ! Comment pouvez-vous fermer les yeux sur ce massacre ?!
- Je ne ferme pas les yeux. Ceci dit, nous avons plus important à faire que de condamner Carnavale pour ses actes.
- Comment ça, plus important ?! Qu'est qui peut être plus important que de s'ériger en rempart contre ces monstres ?! Nous devons riposter, nous aussi !
- Vous débloquez, camarade commissaire. Avec quoi vous voulez combattre Carnavale ? Et puis même, quand bien même je déciderais d'intervenir, croyez-vous que nous avons les moyens de faire autre chose que jacasser ?!
- Bien sûr ! Demandez à l'Armée de l'Air Rouge de frapper Carnavale ! Je suis sûr que le Commissaire à la Guerre sera d'acc-
- J'en ai déjà discuté avec l'état-major. Ils sont catégoriques : c'est trop risqué.
- Alors quoi, vous allez rien dire sous prétexte que nous sommes impuissants ?
- Ce n'est pas ce que j'ai dis.
- Alors qu'est que vous attendez, nom d'un chien ?!
"

Volkiava frappa du poing sur le bureau du Président, elle était devenue visiblement furieuse et Husak comprenait pourquoi. Elle se laissait submerger par ses émotions. Il comprenait, d'une certaine manière et ne pouvait pas lui en vouloir d'être vulgaire à cette occasion. Mais le Président ne pouvait se permettre cela, il devait rester non seulement stoïque mais de surcroît garder son calme malgré la furie qui lui faisait face. L'Histoire lui pardonnera peut-être, n'est-ce pas ? Pas vrai ?

"Calmez-vous, Volkiava. A l'heure actuelle, il n'est pas bon de condamner Carnavale pour la simple et bonne raison qu'elle irait dans le sens de l'OND.
- Au diable cela ! Ce n'est pas un concours de rhétorique, on parle de vies humaines là !
- Laissez-moi expliquer. Actuellement, le SRR mène des opérations dans certains pays de l'OND. Je ne peux vous dire lesquels. Si nous menons une condamnation des Carnavalais, cela donnera un signe à nos agents et à nos contacts dans les pays onédiens de s'unir contre la menace carnavalaise. Or, ce n'est pas le but. Vous le savez comme moi, l'OND est une organisation ennemie. Bien sûr, ni eux ni nous ne portons un discours d'antagonisme viscéral mais en coulisses, tout le monde sait. Ils savent que nous ne faisons qu'attendre notre heure, que nous attendons le bon moment et que nous ne négocions que pour temporiser. L'OND est un ennemi, au même titre que Carnavale est notre ennemi, et je ne fais aucune hiérarchie parmi mes adversaires, tous méritent la disparition.
- On ne parle pas de s'allier à l'OND non plus, je vous demande seulement de condamner leurs actions ! Pourquoi vous vous obstinez ?!
- Car cela risquerait de compromettre les opérations du SRR. Le timing n'est pas bon, camarade Commissaire.
"

Le visage de la Commissaire fut épris de stupeur. Husak sentait que sa colère avait redescendu : peut-être a-t-elle interprété cela comme une possible condamnation dans le futur ? Peut-être. C'est un gage que Husak n'est pas sûr de pouvoir tenir. La Commissaire soupira d'exaspération, elle se tourna vers l'agent du SRR derrière elle, son visage désormais marqué par une colère froide :

"Vous n'êtes qu'une bande de parasites sadiques. J'espère pour vous que vous en avez conscience."
Dit-elle avant de sortir de la salle et de claquer la porte derrière elle. L'agent du SRR soupira à son tour, probablement soulagé que la furie de Volkiava soit passée et que l'ambiance s'était maintenant calmée. Néanmoins, l'air restait lourd ; l'agent du SRR le sentait lui-même, le Président n'avait pas accepté les demandes du SRR parce qu'il est dans leur camp, uniquement par réalisme politique. L'auteur du Manifeste de l'Anarchisme Renouvelé avait toujours été fougueux, profondément incisif et honnête quand il s'agissait de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Alors si Husak avait décidé de jouer de son poids politique pour forcer le gouvernement fédéral à ne rien dire sur Estham, ce n'était pas par adhésion au machiavélisme froid du SRR mais par réalisme.

"Vous avez pris la bonne décision, camarade Président.
- Je n'en suis pas sûr de ça. Je suppose que ça arrange vos affaires.
- Je sais que nous avons une réputation...particulière. Mais je vous assure, camarade Président, que nous faisons ce qu'il faut pour la Révolution, pour la Fédération ou pour nos camarades étrangers. Nous ne vous décevrons pas.
- Pourquoi ne pas faire une déclaration similaire au Grand Kah ?
- Car les Kah-tanais n'ont probablement pas les mêmes objectifs que nous et n'ont probablement pas des opérations actuellement sur le feu qui nécessiteraient le silence. Nous appuyer sur leur réaction n'est pas judicieux ; si l'Estalie condamne Carnavale, elle favorisera implicitement l'establishment onédien dans les pays de l'OND et défavorisera au contraire nos propres proxys locaux. Les pouvoirs actuels vont profiter de la crise pour rallier l'opinion publique, comme rempart anti-carnavalais. C'est un bras de fer, ni plus ni moins. Il faut profiter de cette occasion unique pour faire avancer nos pions.
- Pourquoi...vous souriez ?
"

L'agent du SRR écarquilla les yeux. Il avait été surpris en train de sourire.

"Pour vous, si j'ai bien compris...la mort de tous ces gens, ce n'est qu'une..."occasion unique" ? C'est bien cela ?
- Je me suis mal exprimé, camarade Président.
- Quittez cette salle avant que je vous tabasse moi-même.
"
14003
Animal-roi du désastre :

La Bête parmi les Hommes.




Il était une fois Carnavale. Une cité singulière, s'il en est, de part le vice total dont elle est la porte-étendard. La corruption de Carnavale n'a rien de nouveau, elle n'est que l'extrapolation de tous les vices auxquels l’Homme a pu succomber qu'importe l’époque, la culture ou le peuple. Quiconque est dégoûtée par Carnavale reconnaît au fond la part corruptrice que l’Homme cache au fond de lui-même, cette tentation irrésistible que celui-ci possède pour les actes les plus immoraux qui soient mais dont la plus grande partie de la population est inhibée, pour son propre bien, à travers les limites imposées par la vie commune en société. C'est l'obligation pour les hommes de coexister et d'imposer des normes morales qui protègent en partie l'humanité de tomber dans le vice complet et pour cela, les hommes sont très doués pour justifier sous plusieurs formes différentes la limite morale imposée aux individus : la religion, la tradition, la culture, la nation, la philosophie. L’Homme a en vérité en horreur l'état de nature vers lequel il tend lorsqu'il est isolé ; pourtant, il crie à qui veut l'entendre qu'il veut être libre, qu'il souhaite la liberté plus que tout mais dans le même temps, il serait incapable de consentir cette liberté aux autres sur sa propre personne. Est-ce de l'égoïsme ? Un désir de domination mal assumé ? Ou un simple fantasme peut-être ? Les philosophes vous donneront beaucoup de réponses à cela, vous n'avez que l'embarras du choix. La liberté existe-t-elle ? Suis-je vraiment libre de mes décisions ? Suis-je condamné à une forme d'individualisme mal placé ? Ou au contraire, suis-je un animal politique comme le disait Aristote ? Chacun se fera son avis sur la question. La seule vérité est qu'au-delà de l'existence hypothétique d'une forme de liberté quelconque, l’Homme confond liberté et impunité. C'est d'autant plus vrai dans le monde moderne car la chute des structures traditionnelles telle que l’Église, la monarchie ou les communautés locales confronte l'individu à l'angoisse de se déterminer seul et cette angoisse, expérience métaphysique de part les possibilités qu'offre la liberté, lui est si insupportable que beaucoup préfèrent fuir la liberté en désespoir de cause, préférant se soumettre à des idéologies, une autorité quelconque ou à des conformismes sociaux. L’on confond alors trop souvent liberté négative (liberté vis-à-vis d'une autorité) qui a été remporter par l'homme moderne avec la liberté positive (celle d'être soi-même, de se réaliser) que notre époque ne sait ni construire, ni même visualiser de manière concrète en dehors de la logique marchande que nous offre le modèle libéral. Pour échapper à ce vide, l'individu se réfugie alors dans trois mécanismes récurrents : l'autoritarisme, la destructivité et la conformité automatique. Les Carnavalais sont des êtres libres dans le sens le plus extrême du terme : pas de Dieu, pas de loi, pas de morale ; mais paradoxalement, ils ont également fui la liberté véritable par leur abandon au vice, au plaisir et à l'anonymat des foules. Leur rejet de toute norme n'est pas un acte de puissance mais de terreur devant la véritable autonomie offerte par la liberté. Ils ne veulent pas choisir, ils veulent jouir et s'ils se perdent, c'est parce qu'ils n'ont jamais souhaité se posséder eux-mêmes. Comme le disait finalement Fromm, l’Homme préféré se détruire plutôt que d'assumer sa liberté. C'est le premier drame de Carnavale, avant toute chose.

Thomas d’Aquin disait que l'homme est naturellement social. Mais si cette sociabilité se retournait comme l'esprit collectif humain ? C'est tout le propre de Carnavale : la sociabilité de l’Homme a été renversée à contre-sens, dévoyée à des fins macabres. En somme, Carnavale a renversé le Contrat Social, la ville a réussi à créer une communauté qui ne base pas son fonctionnement sur l'entraide mais sur la complicité criminelle. Et cette société trouve ses racines très concrètement si on analyse l'histoire carnavalaise. Ce fut d'abord dans le pur péché de l'avarice que provoque la marchandisation totale d'une société vouée à pousser le capitalisme jusqu'à sa logique la plus brute et la plus sauvage qui soit, puis progressivement dans un objectif de délivrance gnostique, une sorte d'idéal commun des Carnavalais tournant à la fascination autour de la mort, du sens qu'elle apporte aux vies humaines et surtout du plaisir que la mort elle-même peut procurer car lorsque vous avez tout essayé, que vous avez succombé à tous les plaisirs de la vie terrestre, la mort figure comme ultime expérience. Lorsque vous n'avez aucune certitude que le paradis céleste existe, la mort devient la seule expérience tangible qui puisse apporter un peu de plaisir. Or, le caractère irréversible de la mort, au-delà de provoquer une peur naturelle issue de notre instinct primitif, poussa les Carnavalais à admirer la mort chez ceux dont ce n'était pas le souhait. Le désespoir dans les yeux des citoyens d’Estham, l'aliénation ultime des femmes de Kabalie tenant leur progéniture liquéfiée par le gaz dans leurs bras ; ce sont des images qui ne font pas seulement office de spectacle mais comme d'un prémisse, d'une révélation pour les Carnavalais, comme une projection de soi envers les populations massacrées : "J'aimerais être à leur place.". Ces gens ne font que projeter leurs propres souhaits autodestructeurs sur autrui pour pouvoir admirer le spectacle de ce salut inversé qu'ils recherchent tant dans la contemplation de la souffrance humaine. C'est l'expérience ultime à laquelle ils ne peuvent accéder, bien trop attachés à préserver leur état d'euphorie complète, donc ils préfèrent la voler aux peuples qui ne partagent pas cette vision, d'où la recherche permanente de cibler les populations civiles des pays étrangers.

Mais attendez…Carnavale, c'est nous en fait, non ?

Pourquoi je vois mon propre reflet dans cet espace de débauche ?

Carnavale n'est pas née ex nihilo, c'est une ville qui est l'aboutissement d'un processus bien réel, celui de la généralisation de la logique marchande à tous les domaines de l'existence humaine, y compris les domaines de la pensée qui est, en temps normal, libres de toute contrainte matérielle. Cela rejoint les thèses marxistes initiales, bien sûr, les marxistes pointaient déjà au XIXe siècle que le capitalisme avait pour finalité de tout transformer en marchandise, y compris le travail humain, le temps, les relations et Mère Nature elle-même s'il le fallait. C'est l'aliénation la plus fondamentale, la plus aboutie de l’Histoire. Sauf que là où les nations libérales onédiennes cherchent à modérer cette aliénation en la rendant acceptable à des populations encore attachées à la maîtrise de leurs propres forces, Carnavale le fait sans aucun détour, elle assume son aliénation complète, elle assume chercher dans la perte de sa maîtrise de soi une forme de liberté sado-masochiste où ressentir est la seule variable qui compte aux yeux d’un individu dont les capteurs sensoriels sont sévèrement sevrés par l’hédonisme enivrant de la ville dans laquelle les habitants de ce pays vivent ainsi que par la colonisation massive du sensible en lien avec l’extension terminale de la logique marchande à la perception elle-même. La logique capitaliste atteint le bout du bout ; le mal, le crime, la mort deviennent des objets de consommation parmi tant d’autres. La valeur d’échange a remplacé toute autre forme de valeur traditionnelle ou morale, même l’atrocité a un prix, la souffrance est cotée et le vice est sponsorisé. On peut effectivement considérer de manière assez simpliste que la première cause de tout cela réside dans le pouvoir corrupteur de l’argent : Georg Simmel disait que l’argent dépersonnalise les relations humaines et homogénéiseait les valeurs en quantifiant absolument tout, en comparant absolument tout avec une seule et même valeur monétaire, effaçant la singularité de ces dites valeurs qui explique leur caractère unique et inviolable par moments pour le commun des mortels. Carnavale est au fond cette représentation d’une ville où l’argent est devenu en premier lieu un Dieu ; or, il est absurde, même pour l’esprit carnavalais, d’aduler de manière directe l’argent qui n’est plus alors un idéal porteur mais un simple cadavre que l’on agite, une religion du fétiche et cette non-croyance envers l’argent malgré tous les efforts des Carnavalais de mettre cet outil au centre de leur système de croyances dispose d’une raison très simple : Carnavale nage dans le pur cynisme post-idéologique caractéristique du XXIe siècle. La corruption de cette ville n’a jamais résidé profondément dans le mensonge comme on pouvait y croire, les Carnavalais ne faisaient pas que se mentir à eux-mêmes car pour se mentir à soi-même, encore faut-il croire en quelque chose. Or, c’est exactement l’inverse de Carnavale : cette ville ne croit en rien, la population fait semblant de croire, souvent par confort, ironie ou cynisme. Ce cynisme moderne, que Peter Sloterdijk avait tendance à nommer comme une forme de conscience faussement éclairée, ne rend pas les gens crédules ou dupes pour autant. Ils savent que leur société est monstrueuse mais ils préfèrent s’en amuser et s’en nourrir plutôt que d’avoir à remettre en question le système carnavalais, à se révolter contre lui ou même à le fuir purement et simplement ; c’est l’ultime expérience du conformisme social, l’art de faire adopter un schéma de pensée spécifique à des dizaines de millions d’individus alors que celui-ci est manifestement malsain et ne vise que l’autodestruction de l'Être. C’est en somme une bonne représentation de l’époque post-idéologique que laissait déjà entendre Zizek, la forme idéologique ultra-capitaliste qu’a pris Carnavale a été elle-même vidée de sa substance idéologique pour ne devenir qu’une coquille vide, un prétexte pour maintenir les rapports de domination à l’intérieur de la cité. Carnavale a abandonné cette honte prométhéenne qui infecte l’Homme depuis le début de la révolution industrielle, elle nie le décalage entre ce que nous sommes capables de faire technologiquement et ce que nous pouvons penser moralement pour ne laisser derrière qu’un désir génocidaire assumé afin d’assouvir un hédonisme de masse adulé, extrapolé et présenté comme un modèle de société tangible parmi tant d’autres, où la thanatopolitique de Foucault devient un modèle de société avec une mort présentée sur l’autel de la plus grandes des libertés humaines et comme un centre de plaisir pour le monde vivant. Le gaz qui s’abattit sur la Kabalie et Estham n’était pas une arme aux yeux des Carnavalais mais un orgasme collectif, une communion dans la ruine. Cherchant à titiller dans le désir humain l’interdit, la violence et la mort, Carnavale pousse le désir à la transgression extrême avec la mort pour ultime frontière, faute d’avoir autre chose dont on peut effectivement jouir.

Il ne faut cependant pas se tromper. Carnavale est un miroir, déformant juste assez la réalité pour qu'on ait la tentation au fond de nous de dire "non, ce n'est pas moi" mais Carnavale est indubitablement fidèle dans la structure, les désirs et les renoncements de l'Homme et des plus profondes abysses de son âme, cette ville ne fait que nous tendre une image extrême de ce que nous devenons quand nous cessons de croire. Quand on cesse d'aimer, de penser, de résister ; on devient Carnavalais et cette part de débauche et de cynisme extrême est dans le coeur des Hommes, bien avant l'époque moderne. Carnavale n'est pas un autre monde ; c'est le nôtre, poussé à son incandescence logique, à sa combustion lente, c'est notre monde sans filtre, sans mensonge, sans refoulement. Nous vivons tous à mi-chemin de Carnavale, dans cet entre-deux fragile où la morale est encore présente même si elle ne sert la plupart du temps qu'à décorer et à acheter une paix sociale par le divertissement et la diversion des foules par les gouvernements de tous pays ; l'éthique, quant à elle, a purement et simplement disparu des processus de décision avec l'apparition de l'Etat-nation moderne, l'éthique n'est que le synonyme des intérêts éminemment supérieurs des idéologies, des nations, des races et des cultures, elles-mêmes des causes dont la substance intellectuelle a été profondément altérée puis vidée pour ne devenir que des mots creux pleins de démagogie. On peut se moquer de Carnavale car c'est bien le seul moyen de ne pas voir à quel point cette cité nous ressemble, nous la disons folle pour oublier qu'elle est, peut-être, juste un peu plus lucide que nous. Les hommes préfèrent croire aux apparences que voir la vérité nue, Carnavale s'inscrit dans la révélation de la vérité nue du capitalisme tardif, celui qui approche à grands pas et que l'on refuse néanmoins de voir. Et si Carnavale était la vérité de notre liberté ? L'aboutissement final d'un tel principe dont l'existence nous semble toujours aussi abstraite encore aujourd'hui. L'Homme ne désire peut-être pas la liberté pour créer ou aimer mais pour jouir sans limite, dominer sans frein et consommer jusqu'à sa propre mort. L'humanité n'a pas été forcée. Elle a voulu. Elle a désiré le mal. Carnavale n'est donc pas une anomalie mais une conclusion, une extrapolation logique, presque mathématique, de notre modèle social. Elle ne nous choque pas parce qu'elle est différente, elle nous choque parce qu'elle nous ressemble, parce qu'elle est notre vérité débarrassée de ses costumes ; le rire, l'ironie, le vice, la violence, tout y est admis non parce que les Carnavalais sont fous mais parce qu'ils sont allés au bout du contrat social qui leur promettait la liberté totale et le plaisir absolu. Carnavale est ce que devient une civilisation qui ne croit plus en rien, sauf en elle-même. Le feu qu'elle projette ensuite sur les autres peuples n'est qu'un miroir de celui que nous allumons chaque jour en silence dans nos propres cœurs.


Carnavale ne veut pas être sauvée.

L'Ultime Révolte contre l'Etre Divin, l'Alpha et l'Oméga.

Carnavale ne croit pas à la rédemption, elle n'attend pas un Christ, elle ne cherche pas à restaurer un ordre juste. Elle prend l'idée gnostique, la retourne puis l'assume jusqu'au bout, assumant que le monde est un mensonge mais qu'au lieu de le fuir, la cité préfère célébrer cet état de fait. Le démiurge est un tyran alors on lui répond par le blasphème, le vice et la perversion, il n'y a plus d'étincelle divine à sauver mais peut-être une vérité à révéler dans le néant lui-même. La chute n'est donc pas à éviter pour Carnavale car c'est sa seule voie de libération possible, non plus vers Dieu mais vers le fond du gouffre où le mensonge est censée cesser. C'est une forme pure de thanatognose, une connaissance de la mort, par la mort, une sagesse du désespoir. Vu sous cette lumière, le gazage final de la population prévue par les grandes familles n'est pas un crime de guerre mais un sacrifice, un acte liturgique, un orgasme eschatologique. Ils ont tout vu, tout pris, tout profané et maintenant, il ne leur reste plus qu'à descendre ensemble en Enfer et y trouver enfin la soi-disante clarté. C'est l'acte le plus pur de liberté selon les Carnavalais : refuser la rédemption, refuser de survivre, se donner la mort avec une joie quasi-rituelle comme une parodie sacrilège de la messe chrétienne dans une forme d'anti-christianisme absolu via une imitation inversée. Un moyen comme un autre de trouver la liberté. Et Satan devient, par ailleurs, le libérateur de toute cette trame historique car Carnavale est persuadée que son sort ne réside plus entre les mains de Dieu qui cherche à imposer son autorité morale et divine sur l'Homme, empiétant naturellement sur son libre arbitre pour son soi-disant bien. Or, qui fut le premier à clamer haut et fort sa rébellion et son émancipation de Dieu dans le récit chrétien ? Lucifer. Le premier des révoltés, le premier des penseurs libres de l'Univers et donc le plus à même de donner la liberté finale à Carnavale et à son sort terrestre qui est celui de succomber aux bombes onédiennes et à la satellisation extérieure.

Permettez-moi d'achever mon propos sur Dieu et l'Etat de Bakounine. Celui-ci dit :

"Il voulait donc que l'homme, privé de toute conscience de lui-même, restât une bête éternelle, toujours à quatre pattes devant le Dieu "vivant", son créateur et son maître. Mais voici que vient Satan, l'éternel révolté, le premier libre penseur et l’émancipateur des mondes. Il fait honte à l'homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l’émancipe et imprimé sur son front le sceau de la liberté et de l'humanité en le poussant à désobéir et à manger du fruit de la science"
Dieu est l'ennemi de la liberté.
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