
La forêt sombre
Le paradoxe de Fermi est une énigme connue qui agite l'imagination de tous les passionnés d'astronomie, tant ses implications sont démentielles pour l'entendement humain. Sa formulation, très simple, est la suivante : « S'il y avait des civilisations extraterrestres, compte tenu de l'âge de l'univers et de notre galaxie, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? »
En effet, l'humanité est une civilisation très récente : 7 000 ans au mieux si l'on estime le début de son existence avec l'apparition de l'écriture en Nazum occidental. La vie sur Terre elle-même est assez récente, puisque le système solaire est lui-même assez jeune avec moins de cinq milliards d'années, soit un tiers de la vie de l'univers. Dès alors, considérant la vitesse de développement et de progrès de la civilisation humaine qui n'est apparue en tant qu'espèce qu'il y a 300 000 ans et prenant en compte que la vitesse de son développement technologie croit de manière exponentielle - les hommes sont passées du premier vol à l'exploration spatiale en moins de 65 ans - et qu'une multitude d'étoile dans la galaxie, et même au voisinage de la notre, sont nettement plus vieilles, comment expliquer que nous n'ayons à date jamais découvert de traces d'une civilisation extra-terrestre ? C'est cette question paradoxale très simple à laquelle l'humanité cherche une réponse depuis sa formulation il y a presque 100 ans.
Un service spécial de l'APES a même été constitué afin d'y répondre, au moyen de l'étude et de l'exploration spatiale, mais aussi via la construction de modèles mathématiques sur les possibilités d'expansions, via l'étude de schémas sociologiques à l'échelle galactique afin d'en déterminer des axioms. La première réponse à laquelle ce service s'est efforcé de donner une réponse est la suivante : une civilisation cherche-t-elle à quitter sa planète ? En effet si une civilisation, aussi avancée soit-elle, ne cherche pas à s'étendre, il n'y a aucune raison que nous puissions la détecter.
Un des postulats de base de l'étude est la survie. Tout organisme cherche à survivre. Dès lors, à travers les processus évolutifs classiques déjà démontrés, la vie à propension à occuper toute niche écologique possible. Intrinsèquement, la vie s'étend, et cherche à couvrir l'ensemble de la surface de sa planète (ou sa lune). Les ressources de leur planétoïde étant par définition finies, toute espèce devenue dominante sur sa planète sera contrainte à termes par le manque de ressources de s'étendre au sein de son système planétaire afin de ne pas s'éteindre, ce qu'elle cherchera à faire par instinct de survie. Puis, selon la même logique, elle sera contrainte à un termes plus lointain, toujours pour assurer sa survie, de quitter son système solaire au fur et à mesure de l'avancement de l'âge de son étoile (à titre d'exemple, l'humanité n'a plus à sa disposition que 800 millions d'années grand maximum, alors que la vie en a déjà consommé 3 milliards : on a déjà brûlé les trois quart de la chandelle !). Dès lors, selon la logique implacable de la survie, une civilisation est contrainte à s'étendre. Dès lors, pourquoi n'en avons pas encore repéré ?
Il existe une multitude de théories concurrentes, chacune aussi loin d'être validée que la suivante. J'aimerai cependant que nous nous penchions sur deux théories prépondérantes, qui devraient nous rendre plus circonspect et mesuré dans notre appétit de grands espaces cosmiques.
La théorie des grands filtres : Ou comment découvrir des traces de vie extra-terrestre annoncerait potentiellement notre mort future :
La théorie des grands filtres est l'une des plus effrayantes qui soit concernant les explications du paradoxe de Fermi. Elle part de l'observation empirique qu'à date il n'existe aucune preuve qui suggère que notre galaxie ait été colonisée par une civilisation extraterrestre. On peut donc en déduire qu'il semble peu probable qu'un processus évolutif menant à une civilisation passant le stade II sur l'échelle de Kardashev - c'est à dire quittant son système solaire - ait pu se produire dans notre galaxie. Or, à l'instant T, rien ne semble empêcher l'humanité d'atteindre théoriquement ce stade.
Le département de cherche extraterrestre de l'APES et divers astronomes amateurs et universitaires - dont je fais partie - ont donc développé la théorie du Grand Filtre. Les filtres ont été définis comme une suite de barrières évolutives qui nuisent à l'émergence d'une civilisation extraterrestre durable dans le temps et en capacité de dépasser ce fameux stade II. Ce Grand Filtre pourrait intervenir lors de l'une ou de plusieurs des 9 étapes évolutives, identifiées par l'équipe du professeur Ansone, d'une civilisation colonisatrice de galaxie (Les étapes évolutives passées sont basées sur l'expérience de la vie sur Terre, et les bons évolutifs observés, tandis que la neuvième pourra éventuellement être découpée en fonction des bons évolutifs qui seront observés dans le futur de l'humanité) :
- Le bon système planétaire (incluant des composés organiques ainsi que des planètes habitables et étoile suffisamment stable et dans le temps, et dans son activité solaire)
- Des molécules reproductrices (comme l'ARN)
- Des organisme unicellulaire simple (sans noyau, tels les cellules procaryotes)
- Des organisme unicellulaire complexe (avec noyau et mitochondries, tels les cellules eucaryotes)
- La reproduction sexuée
- Les organisme multicellulaire
- les animaux utilisant des outils avec des cerveaux développés
- L'état actuel de notre civilisation permettant d'envisager la colonisation stellaire
- L'expansion de la colonisation
Toute la question, maintenant, est de savoir où est ce fameux Grand Filtre. S'il est dans le passé, cela veut dire qu'au moins une des étapes numérotées de 1 à 8 est extrêmement peu probable, et que l'humanité telle qu'elle est aujourd'hui est une des très rares forme de vie, peut-être même l'unique, à avoir atteint cette étape de son processus évolutif. Après tout, le passage de la cellule procaryote à la cellule eucaryote a pris près de 2 milliards d'année sur Terre. C'est le scénario positif.
Si en revanche c'est l'étape 9 (ou tout autre étapes inconnues mais devant nous) et non pas une étape passée, alors il est possible qu'atteindre l'étape 8 soit aisée et que la difficulté reste à franchir. Cette difficulté peut être par exemple l'épuisement des ressources planétaire avant de pouvoir exploiter celle du système planétaire dans son ensemble, ou un effondrement écologique total du type climat Vénusien en essayant de le faire. Et dans ce cas la, nos chances sont infinitésimales et l'humanité est probablement condamnée à s'éteindre avant de pouvoir atteindre ce fameux stade II, au même titre que beaucoup d'autres formes de vie avant nous.
Ainsi, la découverte de vie multicellulaire sur une autre planète ou satellite de notre système solaire serait catastrophique, puisque cela impliquerait que les étapes 2 à 6 seraient extrêmement communes, augmentant drastiquement la probabilité que le grand filtre reste devant nous afin d'expliquer l'absence de civilisation galactique. Pour le bien de l'humanité, elle doit être seul. De ce fait, la recherche de traces de vie extraterrestre consiste dans une certaine mesure selon cette théorie à savoir si nous avons passé le jour du jugement dernier, ou s'il nous attend encore, implacable.
La théorie de la forêt sombre : Ou comment découvrir des traces de vie extra-terrestre signerait notre arrêt de mort :
Après la théorie des grands filtres voici une autre explication du paradoxe de Fermi particulièrement angoissante : la forêt sombre. Cette théorie, développée par le Professeur Luigi Cino, fait de la galaxie un environnement particulièrement hostile. La première étape de cette théorie repose sur le développement d'axiomes inhérents à la vie et qui restent applicables quelque soit la civilisation. Ces axiomes sont les suivants :
- Toute forme de vie cherche à survire
- Les lois de la physique sont définitive et immuables, notamment celle concernant la vitesse de la lumière
Se basant sur ces axiomes, quelle est la seule façon de procéder logique d'une civilisation en découvrant une autre : la contacter, ne rien faire ou la détruire préventivement ? Appelons la civilisation découvreuse A et la civilisation découverte B.
Si la civilisation B est hostile et qu'elle a les moyens de détruire la civilisation A, elle le fera. C'est donc signer son arrêt de mort pour la civilisation A que de la contacter. La civilisation B a beau être, au moment de la découverte, potentiellement primitive et ne pas avoir les moyens de nuire à A, rien ne dit qu'elle ne pourra pas un jour en capacité de le faire. En effet, il n'y a aucune preuve que le progrès technologique soit linéaire, et il n'est pas dit qu'une civilisation en retard puisse le rattraper et prendre de l'avance. Et donc de découvrir elle-même A à l'avenir. C'est donc un signature d'arrêt de mort pour la civilisation A de laisser exister une civilisation potentiellement hostile, et le seul raisonnement logique est de procéder à son anéantissement préventif.
Si la civilisation B est pacifique et que A est en mesure de s'en assurer au moment de la prise de contact, alors il n'en reste pas moins que les distances immenses entre les deux civilisations et les différences potentiellement fortes entre les formes de vie rendront les contacts et l'observation très difficile, amenant nécessairement les deux civilisations à voir l'autre comme suspectes sur le long terme. Du fait des distances galactiques, aucune des deux ne peut avoir l'assurance que l'autre ne deviendra pas hostile et aucune ne dispose des moyens de le vérifier du fait de l'impossibilité d'observer de manière efficace l'autre, de part les limitations induites par la vitesse de la lumière comme borne supérieure. L'observation de la civilisation opposée repose sur ce que la lumière peut convoyer comme information. Une attaque à l'aide d'un objet propulsé à vitesse relativistique par exemple ne serait découvert que quelques temps avant l'impact, rendant impossible toute contre-mesure.
De fait, la suspicion sera la normale. En effet, la civilisation B peut penser que A ment sur ses intentions car il n'est pas possible de vérifier ses dires du fait de l'impossibilité de voir ce qu'elle fait. La civilisation A peut penser que c'est ce que la civilisation B pense et frapper de manière préventive. La civilisation B peut penser que A tient ce raisonnement et frapper, et ainsi de suite. Dès lors, peut importe l'état initial des relations puisque sur le temps long, l'hostilité présumée ou avérée de l'autre deviendra la norme et l'une devra détruire l'autre pour assurer sa survie car il lui sera impossible de s'assurer que sa propre destruction n'est pas en route. Dès lors, sur le temps long, B finira nécessairement hostile et détruira A. Ainsi, quelque quoi soit l'attitude diplomatique et le niveau technologique de la civilisation contactée, elle finira par détruire le découvreur.
La décision de ne pas prendre contact ne fait que repousser le dilemme ci-dessus car elle s'expose au risque d'être elle-même découverte et détruite de manière préventive par la civilisation préalablement découverte. Dès lors, le seul choix logique lors de la découverte d'une civilisation est de la détruire, puisque tout autre décision mènera inéluctablement à sa propre destruction. L'équilibre de la terreur ayant prévalu et prévenu le monde de la destruction durant la guerre froide n'est dans ce contexte pas applicable compte tenu des distances, qui permettent à l'un des protagonistes d'agir dans l'ignorance de l'autre, par simple limitation due aux lois de la physique.
Ainsi, la seule façon logique de procéder pour une civilisation intelligente s'il elle souhaite survivre dans l'univers est de cacher sa présence à la galaxie et de détruire dans l’œuf toute civilisation qu'elle identifierait si elle en avait la capacité, ce qui est une explication parfaitement plausible mais particulièrement sinistre du paradoxe de Fermi. Et quand on sait que la Terre émet des ondes radios à foison depuis 150 ans (qui ont donc atteint une distance de 150 années lumières), il ne reste qu'à espérer qu'on soit effectivement seul dans notre coin galaxie ou que personne n'ait les oreilles trop sensibles.
Valère Malleval, professeur d’astrophysique à l'Université de Busatto.