
La soirée s’était terminée sur des banalités, du genre à ravir les amateurs de culture et de bonne compagnie. Le Prince Andre était allé se coucher tôt et son frère aîné n’avait pas tardé à prendre poliment congé à son tour, laissant aux soins de leur oncle et de Demitri Vol Mist la charge de représenter la maison Vol Drek.
Les Velsniens furent logés dans une suite située dans l’aile ouest, réservée aux invités de marque et qui, chose rare en Polkême, ne manquait d’absolument aucune des commodités modernes, jusqu’à une connexion internet haut débit, des téléviseurs câblés sur l’international et dans un grand frigo connecté toute une gamme de boissons et sodas importés de l’étranger. Sur un guéridon se trouvait un téléphone relié à une ligne interne au château et qui permettait, sur simple pression d’un bouton, de faire mander un valet « à toute heure ». Les lits étaient confortables, les matelas voluptueux, les baldaquins épais et les murs boisés étaient tout ornés de doreries.
― La nuit en Polkême est sombre et profonde, propice au repos, avait expliqué Vaclav Vol Lage en les accompagnant jusqu’à leurs chambres avant de leur souhaiter de bien dormir.
Si la nuit était noire, le matin était clair et l’absence de rideaux aux fenêtre éveilla le château à l’aube. On prévint les Velsniens qu’ils pouvaient descendre se substanter dès qu’ils le souhaiteraient et un valet se trouvait devant la porte de leur suite quand vint le moment de reprendre les négociations.
Le petit déjeuner avait été installé sur une terrasse couverte où, malgré le temps frisquet, les rayons du soleil entraient en biais et réchauffaient le sol, empêchant d'avoir vraiment froid. On pouvait même se payer le luxe de se retrousser les manches à condition de ne pas être trop frileux. Autant le château était de pierre de taille, autant, la terrasse était en bois, construite comme une excroissance dans le vide pour gagner de la place et ouvrir une citadelle qui, autrefois conçue pour la guerre, souffrait d'être peu lumineuse et provoquait un vague effet de claustrophobie. Sur le roc qu'était le château des Vol Drek avaient, avec la paix, poussé des balcons, des ponts et des terrasses suspendues où les habitants pouvaient échapper à l'enfermement des murs épais. A l'image de la chambre à coucher, le travail d'ornementation du bois peint donnait à la terrasse l'aspect saisissant de se trouver au cœur d'un tableau. On comprenait d'un coup d’œil le "style" polk, à la fois naïf et chargé, moins porté sur la mode élégant, sobre et distinguée des cours aristocratiques d'Eurysie de l'ouest, que sur le plaisir de la décoration pour elle même qui donnait immédiatement l'impression de pénétrer dans une pièce chaleureuse, où les meubles et les peintures avaient été travaillés dans l'optique simple de susciter la joie.
En contrebas, le balcon ouvrait sur Volvoda et pour la première fois les Velsniens purent la contempler en pleine lumière. C'était une ville vaste car toute en largeur : les maisons dépassaient rarement les deux étages sinon par leurs fines tourelles pointues qui abritaient traditionnellement une chambre d'enfants, qu'on transformait en bureau une fois ceux-ci partis. Volvoda était jardins, parcs, canaux, marchés ouverts, places pavées, fontaines chantantes, façades couvertes de lierre et toits pentus en ardoises verts de mousses. A part le vert, les couleurs étaient omniprésentes, mais presque toujours délavées par le soleil et des teintures produites par l'industrie locale qui se passait autant que faire se peut de produits chimiques et de pigments de synthèse. Il y avait des draps, des fanions, de larges tentures tendues au dessus de certaines passages pour les garder à l'ombre et vu d'en haut l'on se serait presque cru dans un de ces vastes marchés aux draps comme il s'en tient dans la steppe brann. Il en remontait un lointain parfum de fleur auquel se mêlait des fragrances plus humaines et animales, les deux se mariant à l'image de la ville dans un mélange sucré-salé assez saisissant.
Les mêmes protagonistes que la veille étaient présents, à l’exception de Vlastimil et Andre Vol Drek que Pol Vol Kan excusa en laissant sous-entendre que les deux avaient école. Vaclav Vol Lage semblait de bonne humeur et discutait à mi-voix avec Albert Poláček, Szilveszter Vol Drek voulu savoir si les Velsniens avaient confortablement dormi et Pol Vol Kan achevait de séparer la table à manger entre la partie dédiée au petit déjeuner et celle, couverte de classeurs et d’une grande carte de l’Eurysie, où l’on discuterait des détails du contrat. Demitri Vol Mist, quant à lui, se tenait accoudé aux barrières en bois sculpté du balcon, le nez penché dans le vide. Il salua les Velsniens de loin et se remit à contempler la ville sans leur prêter davantage d’attention.
Le petit déjeuner était familier : du pain épais, des fruits, du beurre et du fromage, du lait de vache et de ces grandes chèvres que l’on élève dans les montagnes au nord, des noix, noisettes et fruits à coques, des épices de fleur, beaucoup de miel, des légumes caramélisés et quelques produits exotiques : cacao en poudre, confiseries des îles et de tous petits poissons salés qui se mariaient bien avec le sucre.
Chacun déjeuna à sa manière. Pol Vol Kan fut un hôte agréable et Szilveszter Vol Drek commenta la pitance avec de nombreux détails, fier que tout soit « frais et sain, pas comme la nourriture en conserve qui vient de l’est » et ils échangèrent rapidement avec Albert Poláček sur la supériorité de la gastronomie polk sur celle du Drovolski et des steppes de manière générale, les tatares étant suspectés de n’aimer que la viande de cheval, particulièrement coriace à moins de la faire mijoter des heures.
On sentait que tout le monde avait hâte d’entrer dans le vif du sujet et dès qu’il en eut l’occasion sans paraitre impoli, Pol Vol Kan proposa qu’on se déporte vers le bout de la table pour conclure enfin le traité.
― Distinguons d’ores et déjà l’officiel du dissimulé. Il me semble qu’en apparence les liens entre nos deux pays seront principalement commerciaux, nous vous livrons le bois de nos forêts. Souhaitez-vous convenir d’un nombre de steres annuels fixe, ou simplement d’une convention ouvrant notre marché intérieur à vos marchands qui y feront leurs courses ?
― Le marché intérieur du bois seulement, cru bon de rappeler Albert Poláček et Pol Vol Kan lui adressa un regard entendu où l'on ne décelait presque aucune pointe d’agacement.
― Afin de faire bonne figure nous vous offrons le mouillage dans nos ports, ceux de Port Ponant sont en mesure d’accueillir et de réparer les bâtiments de guerre, dans la limite de nos compétences bien entendu. Cela devrait donner l’apparence que votre visite chez nous a été fructueuse, tout en réaffirmant l’autonomie de la Polkême en matières économiques.
Les Polk hochèrent la tête sauf Demitri Vol Mist qui scrutait toujours Volvoda dans son coin.
― Ces closes publiques vous conviennent-elles ? Par ailleurs nous proclamerons notre amitié mutuelle et tout le plaisir que nous avons eu à nous rencontrer.