14/09/2016
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[RP] Le Consulat d'Azur à Gurapest - Page 2

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Amr scrute le fond des yeux de Jan, n'y lisant qu'un mélange d'angoisse et d'incertitudes. Donc tu obéis bien à quelqu'un, note l'Azuréen en lui-même. Il desserre sa poigne et relâche l'adolescent.

― Ibn Samt, que faites vous...

― Rashid, Hakim, debout.

Hakim entend son nom et passe la tête à l'intérieur de la maison. Rashid se lève péniblement. Amr prononce ses ordres dans leur langue arabe.

― Retournez au Consulat avant le lever du jour. Vous donnerez ceci au consul Ogodeyi.

Il ouvre une des poches de sa ceinture et en sort, sous la forme d'un petit cylindre de métal noir, l'enregistreur qui y était dissimulé.

― Il saura quoi faire. Allez-y vite pour ne pas attirer l'attention sur vous.

― Et vous, Ibn Samt ?

― Je m'occupe de ces deux là.

Il baissa les yeux vers l'aveugle et le garçon.

Dominul Preda, je ne vous veux aucun mal.

Il reporta à nouveau son attention sur Jan. Il y a pas que de la peur. Il y a autre chose. Les yeux du jeune Pal oscillent entre la porte de la maison et l'arme que porte Amr à la ceinture. L'agent les toise pendant que les deux autres s'affairent à remonter sur leurs chevaux, là-dehors. Le garçon est une taupe, songe-t-il. Le vieux n'a pas confiance.

― Jan, j'ai besoin que tu traduises. Tant que tu restes avec moi, il ne t'arriveras rien.

Il s'accroupit au niveau des deux Pal.

Dominul Preda, professeur, c'est une affaire très importante. S'il vous plaît, dites m'en plus sur vos travaux, à défaut de savoir comment les trouver.

La nuit est sombre et glaciale. Amr sent l'obscurité noircir jusqu'aux flammes timides de l'âtre. Il sent en lui une tension depuis que Preda s'est emporté et emmuré dans son refus, répétant le nom de ce Grand-Duc. Soudain il se sent très loin de chez lui, et entouré d'êtres suspects. Jan ne l'a pas amené là par hasard, ni pour lui rendre service. Et ce que les deux Pals se disent reste abstrait, incompréhensible. J'ai la situation sous contrôle, se dit-il en caressant l'angle froid de son pistolet semi-automatique. Ce ne serait pas la première fois. Les nerfs en alerte, les sens éveillés par l'excitation d'un danger invisible et prégnant, il songe à tout ce qu'il a fait pour le Bureau des Enquêtes, qui, malgré le parfum de bibliothèque que son nom évoque, n'hésite pas à recourir aux pires méthodes. Faire disparaître les espions et les traces, se volatiliser, c'est possible. Mais il faut d'abord obtenir des réponses. Le Calife les attend. Amr pense à toute vitesse. Coupé de la civilisation, perdu loin du consulat dans la steppe noire, peut-être n'a-t-il plus exactement le contrôle de la situation. Qu'ils coopèrent, prie-t-il. La nuit est sombre et glaciale.
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L’atmosphère s’était très rapidement tendue à l’intérieure de la maison. La défiance furieuse de Dragomir Preda venait s’ajouter à l’agitation des Azuréens et de Jan qui ne semblait rien moins vouloir qu’être là où il était. Le garçon semblait à mi-chemin entre éclater en sanglot ou se jeter sur le poignard d’Amr pour lui taillader le visage. Il se contenta seulement de le foudroyer du regard lorsqu’il lui demanda de traduire. Il se tourna vers Preda de mauvaise grâce.

― Ils insistent pour connaitre vos travaux, ils veulent savoir pourquoi on vous a crevé les yeux.

Le vieil universitaire siffla entre ses dents, comme un serpent, ou un chaton.

― Allez au diable, cracha-t-il, vous et vos manigancez à tiroirs. Ils sauront et le Grand-Duc saura, et la terre entière saura ou bien personne si vous êtes venus jusqu’ici me tuer, qu’est-ce que j’en ai à foutre au bout du compte ?? Je suis lassé de ce tissu de complot et de vous autres !

― Il va coopérer, traduisit sobrement Jan.

― J’étais archéologue, commença Preda d’un ton plus calme en se saisissant de la main d’Amr. J’ai fouillé sous la Pal et j’en ai exhumé ce que tout le monde sait qui s’y trouve : des traces de passage. Dix mille ans de civilisations qui s’entrechoquent et se mélangent dans ce couloir au milieu de tout.

― Il dit qu’il était archéologue, qu’il a fait des fouilles qu’il a trouvé des traces de plusieurs civilisations en Pal ponantaise.

― Bien sûr les faits contredisent leur fantasme d’un sang blêmien pur, leur empire transcontinentale c’est de la merde, mais qui est surpris ? Tout ça ça n’a jamais été qu’un roman pour imbéciles…

Jan paru mal à l’aise.

― Il dit que ça entre en contradiction avec ce que disent les Transblêmiens, sur le sang blême et tout… qu’on ne se serait pas mélangé avec les autres peuples.

― Le Grand-Duc m’a énucléé pour ça. Pour une banalité. Mais j'imagine que cela a suffit pour calmer tout le monde et on n’a plus fouillé derrière moi. Ce secret de polichinelle restera enfoui sous des kilos de gravats et de tourbe.

― Il dit que c’est pour ça qu’il est aveugle.

Dragomir Preda pointa du doigt en direction d’Amr, semblant s’enflammer de nouveau.

― Sklavinois hein ? Ils ont causé ma perte. Le plus grand marché au esclave de la région sous nos pieds. Des milliers de Blêmes vendus à travers le monde pendant des temps immémoriaux, abâtardis avec les populations indigènes, fondus dans trois continents si ce n’est plus. Il a belle allure leur « sang pur », la vérité est que nous sommes plus cosmopolites encore que les Fortunéens. De chacun des deux pôles, la terre est arrosée de sang blême.

― Il dit… il dit qu’on a vendu les Blêmes en esclavage, partout dans le monde, qu’il y a du sang blême sur la terre entière… mais c’est impossible…

― Toi ! (il s’adressait maintenant à Jan) Traduis lui ça : il y avait autre chose sous les marchés aux esclaves, des choses plus profondes, qui n’ont pas été excavées encore…

― Il dit qu’il y a autre chose… en dessous des fouilles…

― Le véritable secret de Blême, ce qu’Anton Puscas a cherché à faire disparaitre : les traces d’une civilisation plus ancienne encore, qui remonterait à plus de trois-mille ans avant notre ère… qui aurait pu servir de matrice à celles d’Eurysie, du Nazum et d’Afarée peut-être ? Un berceau insoupçonné de l’humanité sur le pourtour de la mer…

― Je ne comprends pas tout, s’excusa Jan, il dit qu’ils ont trouvé des choses plus anciennes qui remonteraient à moins trois-mille, que la Pal est peut-être un berceau de la civilisation autour de la mer Blême. Que c’est ça qu’Anton Puscas voulait cacher.
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— Vous lisez encore, O Calife.

— Te voilà.

— Quel accueil ! Vous aurais-je manqué, Ô Altesse, Seigneur Commandeur des Fidèles ?

— Ha ha. Viens t'asseoir près de moi.

— "Les êtres sensibles ont l'impression que leur propres perceptions embrassent toute l'existence, et qu'il n'est rien de réel au-dehors..."... Les Muqaddima, encore ?

— Ce livre est plein de sagesse.

— "La réalité est pourtant au delà, et bien différente".

— Tu devrais t'y intéresser, toi aussi.
Tu aurais dû.

— Hm.

— C'est dans l'histoire que se trouve la vérité des choses. Ibn Khaldun l'a écrit il y a sept siècles. Ni essences, ni éternités, mais les constructions patientes du temps.

— La vérité de ce soleil me dit que je ferais bien une sieste, là, sur la dalle. Ah, avec la fontaine, c'est parfait. Dis donc, on est pas bien, là ? Elle est pas bien cette mosquée califale ? Tu m'étonnes que tu ne la quittes jamais. La douceur d'un jardin clos au soleil, les grandes élévations spirituelles, loin de cette populace qui grouille, là, dehors, hein, Kubilay ?

— Tes sarcasmes ne me manquent pas.

— Euphémisme, ha ha !

— Mais oui, cette fontaine est agréable, et cette tranquillité me repose. Tu préférerais me voir dehors, sur les tribunes, à déclamer des sentences ?

— Tu n'en serais pas capable. Tu n'es pas un politicien.

— Hé, non.

— Tu n'es fait que pour les livres et les jardins. Tu es comme lui.
Tu es devenu lui.

— Tout s'apprend. Tout s'enseigne. C'est aussi ça que dit Ibn Khaldun.

— Je sais. Je l'ai lu, comme toi.
J'y ai bien été obligé.

— C'était un bon enseignement. Que tu ne le perçoive pas ne signifie pas qu'il ne t'a pas profité. Certains bienfaits de ta vie resteront toujours cachés par ta conscience.

— Il ne reste pas grand-chose de ma vie.

— Dis-tu en fermant les yeux, allongé dans le soleil, dans le plus beau jardin du monde.

— Pourquoi as-tu repris les Muqaddima ?

— Va savoir. J'en ressentais le besoin. Voilà des années que je n'ai pas posé les mains sur ces pages. L'entendre me décrire les processus de l'histoire, les lois des récoltes et des impôts, la succession des califes et des sultans, cela m'apaise. Nous ne sommes que peu de choses. Je ne suis que l'un de ces noms qui ornent les capitales, avant d'être oubliés par la fuite des jours. Un simple maillon d'une longue chaîne, un seul grain d'un sablier.

— Hm. Je prendrais bien un verre de vin, là, on est trop bien.

— Il n'y a pas d'alcool ici, et tu le sais bien.

— Oh... Tu ne sais pas ce que tu rates. Enfin... et tes recherches, elles en sont où ? Elles avancent ? Tu l'as trouvé, oui ou non, ce fin mot de l'histoire ?

— Elles débutent à peine.

— Tu seras crevé avant d'en connaître la vérité, Kubilay. Ha ha ha !

— Des hommes de ma discrétion ont accumulé des progrès importants, là-bas dans la mer du nord.

— Eh bien ?

— Il y a bien quelque chose sous la steppe. Ainsi qu'il l'avait prévu.

— Sans doute les tombes de ces pauvres Sklavinoi qui l'obsédaient.

— Peut-être. Les messages que je reçois ne sont pas assez clairs. Mais l'endroit est étrange, et habité par des fous. A l'évidence, nous sommes sur la bonne piste. Nous connaîtrons la vérité, je t'en assure.

— Je n'en crois pas un mot. Tout cela n'est que foutaises. Toi, comme lui, fuyez dans l'au-delà des livres la réalité que vous ne savez pas vivre.

— Nous avons cependant fait un progrès notable. Rappelle toi que sans lui, je ne t'aurais jamais retrouvé, au milieu de ces étrangers, de ces créatures dont tu partageais la couche, comme un bey de la steppe.

— Non.
Tu ne m'as jamais retrouvé.

— Hé, tu te lèves ? Déjà ? Tu viens à peine de...

— Oh, lâche moi. Tu es morbide. Tu es obsédé.

— Non. C'est toi qui ne sais pas vivre la réalité. Ce n'est pas de ma faute. C'est le destin. Tu voulais y échapper mais tu ne le pouvais pas, c'est ton histoire, c'est ce que Dieu a voulu pour toi, pour nous tous. N'est-ce pas merveilleux ? N'est-il pas le Parfait Créateur ?

— Je n'ai rien à voir avec Dieu, ni avec tous ces livres, ces sabres et ces palais d'esclavagistes. Je n'ai rien à voir avec ton histoire à la con, ni avec lui, ni avec toi.

— Ce sont les esclaves qui ont bâti ce palais, le savais-tu ? Enfin, l'aile des femmes, le minaret et la cour principale sont postérieurs. Mais le portique nord et la petite cour sont de leur fait. Ils ont pavé les dalles du jardin. Ils t'ont porté dans leurs bras. Ce sont eux qui t'ont appris à marcher, et c'est parmi eux que...

— Tu mélanges tout ! Je n'ai jamais eu d'esclaves ! J'en ai assez, je me casse.

— Tu as tort de rejeter l'histoire.

— Adieu.

— C'est de la méconnaître qui t'as perdu. Mais va, puisque ce soleil t'appelle, et que l'air est bon ce matin. Il souffle au-dessus de ma tête et caresse les pierres comme un gant de soie. Les oiseaux et la fontaine me tiendront compagnie, pendant que tu seras dans les vaguelettes du lac, les pollutions de la ville, les pentes des montagnes. Je penserai à toi. C'est à toi, et à lui, que je pense. Je sais que tu n'aimes pas mes livres. Je sais que tu en rejettes les théories solennelles. Ibn Khaldun, je crois, n'est pas fait pour te plaire. C'est qu'il a dédié sa vie à comprendre de quoi notre vie humaine est faite. Notre vie sociale, je veux dire. Celle des sultans comme celle des mendiants. En me fustigeant, tu t'inscris dans la même veine. Tu me reproches d'agir en tyran, en autocrate, reclus dans ma forteresse dorée, au milieu des fleurs et des souvenirs. Et là, quand tes traits se déforment de colère et de rage, et qu'éclatent tes paroles vindicatives contre moi, ton propre sang, contre nos pères, contre notre domaine et notre mémoire, je te reconnais, fils de beys, prince, commandeur d'esclaves, et je vois dans ton ombre les contours de ceux d'avant toi. Ceux qui ont gouverné la folie des hommes, qui ont bâti cette nation, qui ont fait couler le sang des esclaves. Drapé dans ta fureur, n'oublie pas que tu es un loup comme les autres. Va, je ne t'en veux pas. Tu n'as pas choisi ton histoire ; elle s'est imposée à toi. C'est la volonté de Dieu, Qu'il Soit Exaucé. Mais fuir ? Ce chemin est une impasse. Que chercherais-tu dans les ombres ? Pourquoi disparaître ? C'est pour toi que j'ai entamé mes recherches. Ou plutôt, que j'ai repris les siennes. Pour comprendre. Pour savoir. Pour mieux savoir qui nous sommes, d'où nous venons, où est notre puissance, et quelle sera notre fin.

Au milieu de l'année 2015, la Mosquée des Etoiles, résidence du Calife de l'Azur, reçut un message crypté provenant d'une masure du centre-bourg de Gurapest, une petite ville perdue à la lisière de la steppe. Son émetteur, un vieil homme qui se faisait appeler consul, urgeait quelqu'un à la Mosquée de prendre note de ce qu'il avait à dire. Il était sans nouvelle de trois de ses hommes, et s'inquiétait autant pour la poursuite de sa propre mission que pour sa propre vie. Il recommandait que l'Azur le transfère sans attendre à Volvoda, en Polkême, pour établir sans attendre une ambassade officielle auprès des suzerains de la steppe, à rebours des ordres qui lui avaient été donnés.
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