― Ibn Samt, que faites vous...
― Rashid, Hakim, debout.
Hakim entend son nom et passe la tête à l'intérieur de la maison. Rashid se lève péniblement. Amr prononce ses ordres dans leur langue arabe.
― Retournez au Consulat avant le lever du jour. Vous donnerez ceci au consul Ogodeyi.
Il ouvre une des poches de sa ceinture et en sort, sous la forme d'un petit cylindre de métal noir, l'enregistreur qui y était dissimulé.
― Il saura quoi faire. Allez-y vite pour ne pas attirer l'attention sur vous.
― Et vous, Ibn Samt ?
― Je m'occupe de ces deux là.
Il baissa les yeux vers l'aveugle et le garçon.
― Dominul Preda, je ne vous veux aucun mal.
Il reporta à nouveau son attention sur Jan. Il y a pas que de la peur. Il y a autre chose. Les yeux du jeune Pal oscillent entre la porte de la maison et l'arme que porte Amr à la ceinture. L'agent les toise pendant que les deux autres s'affairent à remonter sur leurs chevaux, là-dehors. Le garçon est une taupe, songe-t-il. Le vieux n'a pas confiance.
― Jan, j'ai besoin que tu traduises. Tant que tu restes avec moi, il ne t'arriveras rien.
Il s'accroupit au niveau des deux Pal.
― Dominul Preda, professeur, c'est une affaire très importante. S'il vous plaît, dites m'en plus sur vos travaux, à défaut de savoir comment les trouver.
La nuit est sombre et glaciale. Amr sent l'obscurité noircir jusqu'aux flammes timides de l'âtre. Il sent en lui une tension depuis que Preda s'est emporté et emmuré dans son refus, répétant le nom de ce Grand-Duc. Soudain il se sent très loin de chez lui, et entouré d'êtres suspects. Jan ne l'a pas amené là par hasard, ni pour lui rendre service. Et ce que les deux Pals se disent reste abstrait, incompréhensible. J'ai la situation sous contrôle, se dit-il en caressant l'angle froid de son pistolet semi-automatique. Ce ne serait pas la première fois. Les nerfs en alerte, les sens éveillés par l'excitation d'un danger invisible et prégnant, il songe à tout ce qu'il a fait pour le Bureau des Enquêtes, qui, malgré le parfum de bibliothèque que son nom évoque, n'hésite pas à recourir aux pires méthodes. Faire disparaître les espions et les traces, se volatiliser, c'est possible. Mais il faut d'abord obtenir des réponses. Le Calife les attend. Amr pense à toute vitesse. Coupé de la civilisation, perdu loin du consulat dans la steppe noire, peut-être n'a-t-il plus exactement le contrôle de la situation. Qu'ils coopèrent, prie-t-il. La nuit est sombre et glaciale.