Rendu muets par la coupure de son micro, on pouvait aisément sentir toute l’énergie que consacrait Hymveri à remplacer l’absence de son pistolet par un regard meurtrier. La Chancelière du Lofoten aurait d'ailleurs sans doute fini le buste criblé de balles dès la première minute de son intervention s’il y était parvenu.
Contraint d'attendre son tour comme n’importe quel autre dignitaire pour répondre, la première Consule Damann eut le bon réflexe de couper l’herbe sous le pied d'Hymveri en prenant la parole immédiatement à la suite. Pour peu que cela soit possible s’agissant d’un pirate révolutionnaire n’ayant même pas atteint les vingt-cinq printemps, elle était la seule autorité qu’il était susceptible de reconnaitre dans cette pièce et il s’écarta d’un pas, bras croisé et visage fermé, pour écouter son discours.
Chose étonnante, les paroles de la Première Consule parvinrent quelque peu à apaiser les tics nerveux et l’agitation fébrile qui jusque là semblaient démanger ses doigts. Un an d’enfermement dans le Kauhea, à ne vivre que rivé au bouton de lancement des torpilles et à manger des pêches au sirop en conserve avaient laissé quelques traces chez Hymveri, à commencer par de sérieuses carences alimentaires et en vitamine D.
Il hocha la tête à plusieurs reprises tout en dardant sur l’assemblée un regard noir, la mettant visiblement au défi de contester le bon sens de la déclaration de la Première Consule.
Noirceur du regard qui s’intensifia lorsque l’impératrice francisquienne reprit la parole, passa sans le voir sur le fortunéen, méprisa ouvertement la chancelière lofotennoise lorsque celle-ci intervint et finit en manquant de s’étouffer d'indignation en entendant le doyen Makku demander une rétrocession du Kauhea. Les tics étaient de retour.
Il y eut des murmures côté pharois. On n’évoquait pas les Etats Généraux de la piraterie en public. Ceux qui s’y risquaient ne vivaient pas vieux, c’était une règle connue de tous et Hymveri, ivre d’idéologie et de confiance, semblait l’avoir oubliée. Heureusement le jeune homme semblait plus préoccupé par le sort de son sous-marin que par le dévoilement des secrets d’Etat du Syndikaali.
Puis il se tourna vers la Chancelière du Lofoten.
Vous m’avez demandé quelle était ma nation tout à l’heure ? Voilà votre réponse : les prolétaires n’ont pas de nation, et les pirates encore moins. Sous ces deux étiquettes je suis doublement apatride ce qui me procure une légitimité infiniment plus grande que la vôtre. Quand vous parlez, c’est l’Etat Lofotenois qui s’exprime. Quand je parle, c’est votre peuple qui parle par ma bouche. La voix de ceux que vous avez rendu muets, entrainés dans les délires impérialistes commandés par des machines froides ! Capitalisme. Etatisme. Voici vos maîtres. Les miens se nomment Humanité.
N’avez-vous donc rien compris ? Faut-il vraiment tout vous réexpliquer ?
Vous raisonnez encore en termes de pays. De nations. De drapeaux. Quel esprit étriqué dans une caboche si laide. Vous espérez soigner un mal nationaliste par un remède nationaliste ? Êtes vous conne comme un loir ? Ne voyez vous pas que ce sont des hommes et des femmes comme vous qui tuent aujourd’hui la Damannie ? Simplement ils agissent sous un autre nom, une autre bannière, Francisquien, Lofotenois, qu’est-ce que cela change ? Vous n’apportez que la mort et l'ordre et la paix que vous nous promettez, cela pue le charnier. »
Il désigna la salle d’un geste.
La Damanie n’a pas besoin de votre aide, elle a besoin de volontaires, que le peuple francisquien se soulève et mette à bas sa catin ! Qu'il abatte les statues de vos chanceliers nordiques et qu’il fasse fondre les dorures des palais des Doges ! Et vous Makku et Mainio, traitres à la piraterie qui vous dites libertaires ! Des impérialistes comme les autres, mais le Syndikaali n’a jamais supporté très longtemps les petits chefs et vous le savez, les mers ruent comme des chevaux contre ceux qui tentent d'en prendre le contrôle, il y a dans cette région des masses qui n'ont pas oublié leurs intérêts de classe et ne sont pas laissées endormir par vos fables identitaires et nationalistes... profitez des beaux jours, demain vous vous balancerez peut-être à un gibet ! »