
Une Manifestation contre le Progressisme dégénère : six morts In les amis de l'Autel, le 3/03/17
La foule haranguée par M.Lefranc, président de la Ligue de Protection de la Traditions (LPT) se mue en émeutiers furieux et incendie un manoir.
2 mars au soir, banlieue éloignée de Fondation. Une foule manifeste devant le manoir Poulin, où Mlle Poulin hébergeait depuis plusieurs semaines Mlle Dalila et ses proches. Cependant, le ton de la manifestation ne tarde pas à monter et les manifestants à se muer en émeutiers. La foule pénètre alors dans l’habitation ; plusieurs coups de feu sont tirés, et Mlles Poulin, Dalila et quelques autres parviennent à s’enfuir en abattant des assaillants, tandis que le manoir est incendié. M. Lefranc, membre de la Chambre des Opinions et organisateur de cette manifestation, condamne la mise à sac d'un monument historique mais déclare comprendre l’émotion des manifestants. Nous allons revenir en détail sur les événements de cette soirée.
Un peu de contexte
En bordure d’une vaste propriété de la banlieue lointaine de la ville de Fondation, on trouve le Manoir Poulin. Inauguré en 1866, ce vaste bâtiment très élégant est classé à notre liste des monuments historiques depuis plus de vingt ans. Il est le symbole d’une gloire passée indéniable, mais aujourd’hui lamentablement déchue. Depuis la date de construction de cette résidence somptueuse, les Poulin, grande famille de ranchers très respectée de Fondation, connurent un déclin continu jusqu’à connaître aujourd’hui une quasi-extinction. Mlle Philomène Poulin, 42 ans, est la dernière représentante de cette lignée prestigieuse. Fille de feu M. Antoine Poulin, orateur de la Chambre Censitaire durant des décennies avant qu’un arrêt cardiaque ne l’emporte, Mlle Philomène — femme musculeuse et hommasse, à la dégaine disgracieuse et aux toilettes négligées, quand elle ne se travestit pas tout simplement — avait plusieurs fois défrayé la chronique à cause de ses frasques contre-nature et inverties, et des nombreux scandales qu’elles avaient provoqués, notamment vis-à-vis de la Police des Mœurs de Fondation et de Sainte-Régine.
Administrant les biens familiaux comme un véritable entrepreneur, Mlle Poulin est parvenue à augmenter substan-tiellement ses revenus, ce qui lui a permis de financer le Parti Progressiste, dont elle est l’un des principaux bailleurs de fonds. Depuis quelques semaines, la virago hébergeait Mlle Dalila et ses gardes du corps dans l’une des ailes de sa vaste demeure, et le Manoir Poulin était devenu, de fait, le siège du Parti Progressiste. C’est pour cette raison que l’endroit fut choisi par Monsieur Lefranc et sa ligue pour y manifester. La ligue en question, qui se nomme Ligue de Protection des Traditions (LPT), est l’une des principales ligues du Makota, non seulement en termes de nombre de représentants à la Chambre des Opinions, mais encore en termes de nombre d’adhérents. C’est un groupe politique et associatif principalement orienté vers la protection du mode de vie authentique du peuple makotan. Ses principales actions politiques sont d’empêcher la construction de supermarchés et de centres commerciaux, la destruction des bordels qui ne respectent pas la stricte discrétion légale, d’interrompre la distribution de produits d’importation illégaux ou immoraux, et de réprimer la pratique publique des mauvaises mœurs sous tous leurs aspects. C’est sur ce dernier point — associé à la notoriété des personnes en question — que Monsieur Lefranc a justifié sa manifestation, car il se dit que Mlle Poulin entretiendrait Mlle Dalila en tant que courtisane et amante, hors la loi makotane ne permet pas de faire demeurer chez soi une prostituée (bien que, dans les faits, la courtisanerie soit très largement tolérée) à plus forte raison dans le cadre d'une relation homosexuelle, lesquelles sont illégales (bien que tolérée, là aussi, dans les bordels spécialisés).
Une soirée qui avait commencé comme d’habitude
L’horloge de la vaste salle à manger du manoir sonne bruyamment 19 h lorsque Mlles Poulin et Dalila se mettent à table.
Chez Mlle Poulin, on dîne tous les soirs à 19 h, invariablement, et globalement tout est soumis à un règlement strict. La tenue de maison est rigoureuse, contrairement à la toilette et aux mœurs de la maîtresse des lieux. Mlle Alberte Pommard, 16 ans, qui est la ser-vante de service ce soir-là, nous narre la soirée — et nous dira d’ailleurs bien d’autres choses qui ne manqueront pas de nous servir pour de futurs articles. Une fois qu’elles sont attablées, Alberte sert consciencieusement la soupe de ces demoiselles, tandis que le silence règne. Après avoir servi le vin — car ces demoiselles en boivent beaucoup, et l’une comme l’autre se saoulent fréquemment — elle vient se placer en retrait dans un coin de la pièce, à côté de son chariot, attendant les ordres. Ce soir-là, Mlle Poulin est mécontente des chiffres de sa fabrique de liquéfaction de charbon. Elle se plaint qu'elle ne rapporte pas assez, et que l’accord avec l’Everia, ainsi que les entrées de pétrole qui devraient suivre, rendront bientôt la liquéfaction impossible à rentabiliser.
Mlle Dominique Dalila fait semblant d’écouter et complimente plusieurs fois son hôte sur la perspicacité qu’elle manifeste dans ses affaires.C’est alors que le silence est troublé par des bruits venant de l’extérieur, vers la rue. Mlle Alberte Pommard est envoyée se renseigner. Elle rapporte qu’elle a vu un début de rassemblement devant la grande entrée.C’est alors le branle-bas de combat dans le manoir : la troupe interlope de Mlle Dalila est rassemblée devant la salle à manger, armée de fusils et de revolvers, tandis que ces demoiselles continuent de dîner — car Mlle Poulin ne veut pas changer ses habitudes de vie millimétrées.Le dîner se poursuit donc, tandis que les bruits de la foule se font de plus en plus entendre. Enfin, tandis que Mlle Pommard sert la viande — il s’agit d’une pièce de bœuf saignante, Mlle Poulin raffolant des viandes rouges — une première pierre vient frapper une vitre de la salle à manger, qu’elle brise.Mlle Dalila hurle et panique, tandis que Mlle Poulin sort un revolver de sous sa robe, fixé à l’une de ses jarretelles. On ne songe plus, alors, à manger, et l’on organise la fuite.Pour ce faire, Mlle Poulin ordonne que l’on fasse sceller les chevaux pour s’enfuir par le parc vers la prairie. Mlle Pommard, qui pour son honneur s’est toujours refusée aux avances de Mlle Poulin et a repoussé ses gestes déplacés, ne sera pas ménagée. Du reste, en fille honnête, elle ne sait pas chevaucher.
La manifestation grandit et se tend rapidement
Du côté des manifestants, le rassemblement ne cesse de croître.
Monsieur Lefranc constate que les membres de sa Ligue sont venus en grand nombre, et qu’ils sont rejoints par de nombreuses autres personnes venues de la plupart des autres Ligues. C’est une
La manifestation avait été préparée bien en amont sur le plan de la communication, et c’est pour cette raison que l’on trouvait tant de monde, venu de tout le spectre politique et civil des Ligues.À mesure que la soirée avançait, on disposait des feux de fortune à plusieurs endroits devant la maison, notamment devant la grande entrée. Il s’agissait de compenser l’absence totale d’éclairage public, lequel existe peu en ville, mais est totalement inexistant en dehors des agglomérations. La police, alertée à plusieurs reprises par le personnel de maison du manoir Poulin, finit par se rendre sur place. Le shérif de la municipalité et ses adjoints sécurisent autant que possible l’entrée du manoir, mais la police du Comté tarde à venir : on ne la verra arriver qu’après la fin de la manifestation.
Cependant, le ton monte encore et toujours, et bientôt, on lance d’abord des pieds de chaise, puis les pierres sont remplacées par des coups de feu. Enfin, c’est un commando de fortune, composé d’une vingtaine de vachers armés de revolvers, qui entre de force dans le manoir, non sans avoir légèrement blessé un adjoint du shérif. Ils scandent qu’ils vont purifier Montplane (ndlr : c’est le nom de la municipalité) de la présence de « l’Ourse-garou infâme ». L’Ourse-garou est en effet le surnom que l’on donne à Mlle Poulin dans le coin, et qui a d’ailleurs été transposé ensuite à son surnom dans le monde des affaires. Cela vient de la propension à la violence dont est capable de faire preuve la demoiselle si l’on ne lui obéit pas.Ce terme, qui dans la bouche de ceux qui l’emploient n’a jamais la prétention d’être une description objective, se trouve tout d’un coup pourvu d’un sens tout à fait littéral : c’est bien dans un esprit de chasse à l’Ourse-garou — ou Ghural, comme l’on dit au Makota — que ce commando se lance.Mal leur en a pris : arrivés aux abords de la salle à manger, ils sont reçus par une volée de balles qui en tuera trois sur le coup, et trois autres seront abattus dans la foulée quand ces dames opéreront une audacieuse sortie vers leurs chevaux, avant de disparaître dans la prairie en laissant le manoir en proie aux flammes d’un incendie allumé par les émeutiers.
Les demoiselles font une communication dans la nuit
Retranchées en sûreté dans un lieu qu’elles n’ont pas voulu communiquer mais dont on peut penser qu'il doit s'agir d'une des nombreuses propriétés de Mlle Poulin, Mlle Dalila a prononcé un discours à la hâte, par lequel elle condamne les agissements de M. Lefranc et de ses affidés, qui ont une fois de plus, selon elle : « tenté de me supprimer, et y ont encore lamentablement échoué. » Tandis que Mlle Poulin pleurait visiblement dans le fauteuil à coté. Au milieu de la communication, les deux femmes furent rejointes par Mlle Saint-Paul qui, au nom de son association, l’APLAM, se déclara plus solidaire que jamais du Parti Progressiste. De son côté, Mlle Dalila attaqua une fois de plus les forces de police, et plus précisément le shérif de la municipalité pour son incompétence, et le shérif du Comté pour sa complaisance vis-à-vis des émeutiers. Elle a indiqué, en outre, que sa « détermination n’a jamais été aussi forte », et qu’elle ne cesserait de combattre tant qu’il restera, au Makota, une seule ligue s’occupant d’autre chose que des collectes pour les pauvres ou de la kermesse de l’école du coin.