

Cet espoir a été pulvérisé en l'espace de quelques secondes. D'abord, la plainte stridente et inhumaine des sirènes d'alerte. Puis le ciel s'est déchiré. Une pluie de feu et d'acier s'est abattue sur les pistes et les terminaux, un déluge orchestré depuis les pas de tir de l'Hotsaline et de Teyla. La première explosion a soufflé les promesses et les prières. Une onde de choc a balayé le terminal, transformant les immenses baies vitrées en un nuage de projectiles. Puis d'autre, touchant directement les zones bondées, comme pour achever les survivants. Le bruit assourdissant des impacts a laissé place à un silence irréel, aussitôt percé par les hurlements de douleur et de terreur.
Hier, la Mährenie a perdu l'illusion que son miracle économique pouvait la protéger de la barbarie. Le cœur battant de notre modernité est devenu un tombeau.

Le bilan, tragique, est toujours provisoire. Il donne déjà le vertige et la nausée. Les estimations les plus prudentes font état de 700 à 900 morts et de plus de 1200 blessés. Ce temple voué à notre renaissance économique, édifié par les capitaux internationaux et les meilleurs architectes de leur génération, n'est plus qu'un charnier. "On ne comptait plus les corps, on marchait sur les débris de vies", nous a confié, la voix brisée, le citoyen Kaiser, un des premiers membres de la Protection Civile arrivé sur les lieux. "Il y avait des jouets d'enfants à côté de mallettes d'affaires éventrées, des passeports baignaient dans le sang et le verre pilé. C'était l'enfer." Un enfer qui s'est prolongé toute la nuit dans les couloirs de l'Hôpital Central. "Nous sommes en médecine de guerre," a déclaré la Docteure Robin Blumberg, cheffe du service des urgences, lors d'un point presse improvisé à l'aube. "Nos services sont submergés. Nous n'avons jamais vu un tel afflux de blessures de cette gravité, même lors des incidents de 2012."
Car ce ne sont pas seulement des Mähreniens qui ont péri hier soir. C'est le monde, celui qui avait cru en nous, qui a été fauché. Des dizaines d'expatriés, de diplomates et d'investisseurs ont trouvé la mort alors même qu'ils cherchaient à fuir le conflit. Parmi eux, de nombreux partenaires et amis. Des ingénieurs, des managers et leurs familles de la Shihai Keiretsu, ces camarades kah-tanais qui furent les architectes de notre essor industriel. Des dizaines de cadres et techniciens du Drovolski. Et cette famille loduarienne, dont les noms s'ajoutent à une liste funeste qui n'en finit pas de s'allonger. Des Estaliens, des Illiréens, d'autres que l'on peine encore à identifier : des citoyens de nations qui pensaient, comme nous, que les aéroports étaient des sanctuaires et non des cibles.
Face à l'ampleur internationale du carnage, le conseil des commissaire a réagi avec fermeté. Ce matin il a annoncé, en lien étroit avec la capitaine-inquisitrice Godeliève Thiers, la création d'une "Commission Spéciale d'Identification des Victimes Étrangères". Sa mission est double : identifier chaque ressortissant étranger tué ou blessé afin d'informer leurs familles et leurs ambassades, mais aussi et surtout, de rassembler les preuves matérielles qui permettront de qualifier sans aucune équivoque cette attaque de crime de guerre. "Que nul n'en doute", a déclaré le Commissaire Georg Haller. "Cette attaque est un massacre délibéré de civils. Nous identifierons chaque victime, nous documenterons chaque crime, et nous poursuivrons les responsables, qu'ils se cachent dans les bureaux de Troïtsiv ou qu'ils tirent les ficelles depuis Manticore. Nous le ferons devant toute la communauté internationale."
Alors que les enquêteurs de l'Égide et de nos propres forces armées s'affairent déjà à analyser les fragments de missiles extraits des cratères, une certitude a émergé en même temps que le soleil du petit matin : l'attaque était coordonnée. Les trajectoires balistiques ne mentent pas. Les projectiles provenaient à la fois de l'Hotsaline et du territoire teylais. Face à cette évidence écrasante, le silence des autorités de Teyla ne peut servir de bouclier. S'ils n'ont pas encore eu l'indécence de nier, ils n'ont pas eu non plus le courage d'assumer. On devine déjà la ligne de défense qui se dessine dans les chancelleries : une distinction cynique, une dérobade morale tentant de séparer d'éventuelles frappes "propres" sur des cibles militaires du carnage perpétré par leur allié.
Qu'ils ne s'y trompent pas : personne ici n'est dupe.
Dans un aéroport international comme celui de Sankt Josef, surpeuplé et en pleine crise d'évacuation, vouloir distinguer une piste militaire d'un terminal civil distant de quelques centaines de mètres est une fiction macabre. Une déviation minime, un éclat projeté par le souffle de l'explosion, et la cible "légitime" se transforme en massacre. Pour les familles qui pleurent leurs proches, déchiquetés par la mitraille d'acier et de verre, cette distinction est une obscénité. Peut-être aurait-il était utile de déclarer formellement la guerre à la Confédération, et de l'avertir des cibles des tirs de missiles, pour rendre possible l'évacuation des civils.
Mais nous avons déjà observé, avec l'attaque de l'Altrecht, que nos ennemis ne déclarent pas les guerres. Ils préfèrent les déclencher.
La culpabilité de Teyla est plus profonde, plus stratégique, et infiniment plus vile. En se joignant à l'assaut, Teyla a fourni l'élément clé qui a rendu le massacre inévitable : la saturation de nos défenses. "Nos systèmes anti-aériens sont performants, mais ils ne sont pas invincibles," nous a confié, sous couvert d'anonymat, un officier supérieur de la Garde Confédérale. "Face à la vague hotsalienne nous aurions intercepté une part significative des menaces. Mais en lançant leurs propres missiles simultanément, les Teylais ont délibérément submergé nos capacités. Chaque missile teylais, même s'il visait une antenne radar isolée, a agi comme un leurre. Il a forcé une de nos batteries à le prendre pour cible, laissant ainsi le champ libre à un projectile hotsalien qui, lui, fonçait droit sur le terminal bondé. C'était une exécution planifiée à deux, une manœuvre de tenaille. Si vous voulez, Teyla a tenu la Mährenie à la gorge pendant que l'Hotsaline portait le coup de grâce."
Au-delà du bilan humain, aussi effroyable soit-il, c'est l'entièreté de notre nation qui a été mutilée. L'attaque de la nuit dernière a, en pratique, décapité notre infrastructure aérienne, avec pour effet immédiat de nous couper du monde. L'Aéroport International de Sankt Josef, qui jouait jusqu'à peu le rôle d'un symbole de notre modernisation réussie, est désormais un amas de ruines fumantes. L'aéroport de Laschborn, notre second poumon économique, a été réduit au silence. Les aérodromes de Walschar et d'Ustarine, ces artères vitales qui reliaient nos régions, sont désormais des champs de débris. Et la base aérienne militaire au sud de la capitale, le cœur de notre souveraineté et de notre défense, a été éventrée. En une seule nuit, l'alliance Hotsaline-Teyla a transformé la Mährenie en une île au cœur de l'Eurysie, une prison à ciel ouvert d'où nul ne peut plus sortir par la voie des airs.

Mais même dans les décombres de cette prison, la Mährenie refuse de se soumettre. La résilience est une vertu que nos ennemis ont manifestement sous-estimée. Bien que les sirènes des ambulances n'ont pas encore fini de hurler et que les équipes de secours s'affairent toujours à extraire les corps des ruines, le génie de la Garde Confédérale est déjà à pied d'œuvre. Sur des terrains réquisitionnés en urgence, loin des cratères encore fumants, une course contre la montre a commencé. Des bulldozers et des niveleuses s'activent dans un ballet incessant pour graver dans la terre même les premiers signes de notre réponse. L'objectif, dicté par l'état-major, est double et urgent. D'abord, établir en quelques jours à peine des pistes sommaires capables d'accueillir les hélicoptères et les avions légers pour les évacuations sanitaires les plus critiques et l'acheminement de l'aide humanitaire. Ensuite, et en parallèle, débuter les travaux titanesques pour aménager, d'ici deux à trois semaines, des pistes tactiques en terre compactée et renforcée, assez robustes pour permettre l'atterrissage des avions de transport lourd de nos alliés.
"Chaque heure compte," nous a confié un citoyen-capitaine du corps du génie sur l'un des chantiers. "Nous devons immédiatement briser cet isolement. Ces pistes seront essentielles pour que la confédération puisse respirer, se soigner, et se préparer à la suite."
La fumée se dissipe à peine sur les décombres de Sankt Josef, mais déjà une certitude émerge de la douleur : la Mährenie pleure ses morts. La Mährenie se bat. Et elle ne pardonnera pas.