21/02/2015
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Activités étrangères au Wanmiri - Page 3

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TomaTo corps

La TomaTo Corps, entreprise de longue durée, affiche encore une fois des résultats exceptionnels à Wanmiri. Cette entreprise agricole très florissante prévoit en effet une nouvelle procédure d'embouche et la coopération avec des énergéticiens internationaux pour son approvisionnement en gaz. Déjà très dominante dans le secteur de la tomate, l'entreprise voit ses bénéfices grimper, grâce en partie à de nouvelles méthodes d'exploitation et à des extensions sur les exploitations agricoles sous conventions. En signe de gratitude et de prestige pour Wanmiri, TomaTo Corps ouvre un nouveau bâtiment dédié aux relations internationales de l'entreprise, ouvrant ainsi la voie à des emplois qualifiés à Wanmiri.

Dans son programme d'investissement, TomaTo Corps évalue la possibilité d'acquérir de nouvelles concessions à Wanmiri, un territoire si fertile qu'on y prévoit une augmentation de 23 % de la production d'ici 2 ans. Dans sa stratégie de spécialisation, l'entreprise propose de nouveaux produits, comme du triple concentré de tomates.
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1.

À tout point de vue, on pouvait considérer Raden comme une radicale. Elle-même, du reste, ne rejetait pas le terme et aimait y trouver une certaine noblesse. Il y avait fort à faire pour cela, et si la révolution avait décomplexé la pensée majoritaire, des reliquats du passé, encore bien alimentés par l’influence jashurienne et onédienne, tentaient de remettre le diable dans sa boîte. La révolution était faite, disaient-ils, mimant les tons et affects associés à la sagesse dans la culture commune. Il convenait maintenant de savoir l’arrêter. Pour ces gens, cette masse conservatrice, il fallait surtout éviter qu’elle n’arrive à sa conclusion logique. Comment leur en vouloir, chacun voyait midi à sa porte, et protégeait ses intérêts.

Raden, elle, était une femme du peuple, et assumait pleinement que ses intérêts étaient ceux de la majorité. Peut-être était elle aussi un peu cynique, de ne pas pouvoir s’empêcher de voir les autres, les ennemis de classe, de la façon dont eux-même se voyaient. Beaucoup de ses camarades ne les considéraient même pas. Il n’y avait bien que les théoriciens pour se pencher sur la question. Comprends ton ennemi, qu’ils disaient...

Oui. Il fallait bien le comprendre pour l’éliminer. Ou dans le cas présent, pour l’empêcher de nuire. Car partout où son regard se posait, elle voyait la possibilité de cette nuisance, qui rampait à travers le pays. Modération politique. C’était le terme aimable qu’on avait trouvé pour les qualifier. Modération. Il n’y avait rien de modérer à négocier avec le capital. Rien de modérer à substituer une forme de domination à une autre. Ces gens voulaient la révolution, mais celle qui tue dans les usines, dans les bidonvilles, celle qui tue de mort lente. C’était à pleurer, l’ignorance de ceux qui se rangeaient derrière eux. Ou la lâcheté. Elle ne pouvait cependant pas accuser la moitié du pays, et le savait mieux que quiconque : ceux mourant lente ont l’espoir de s’en sortir. Au fond ils ne voient pas le problème. Naître c’est commencer à vieillir. Vivre c’est aller à sa mort. Sans doute, sans doute. Alors on pouvait bien accepter la logique du système en cours.

Pas elle, évidemment.

Ses parents avaient été des partisans durant le conflit. Peut-être que leur influence y était pour quelque chose, mais lorsqu’elle avait commencé à se politiser, elle l’avait fait plus vite que tout ses proches. Elle apprenait, avidement, l’histoire, la théorie, la mécanique des choses. Le pays était une friche. Elle voulait comprendre pourquoi, et voulait plus que tout l’aider à aller mieux.

Quand on est jeune, ensuite, on a les idées larges. On aime voir en grand, on se surestime. Ou peut-être qu’on sous-estime la taille du monde. Il est immense. Tout est inaccessible. Ce qu’on apprend bien souvent trop tard. Alors elle s’était imaginée, très jeune, pouvoir tout faire. Et elle avait cherché des solutions à la hauteur de ses attentes. L’ordre des choses était révolutionnaire, non ? Alors quel mal y avait-il à penser révolution ? Mais déjà à l’époque, elle était méthodique. C’est ainsi qu’elle obtint une bourse d’étude auprès d’une organisation internationale. Ainsi qu’elle fit le trajet jusqu’au Grand Kah. Une contrée qu’elle avait beaucoup fantasmée, aussi. Le réel ne fut pas nécessairement à la hauteur des attentes, mais encore, elle pouvait vivre avec. Au moins le pays était ce qu’elle pouvait espérer pour le sien. Prospère, égalitaire, propre, éduqué. S’il chaque rue n’était pas, comme elle l’avait pensée, un agglomérat de salon où des guérilleros-lettrés discutaient théorie en planifiant les prochaines révolutions, il se trouvait tout de même quelques espaces de cet ordre, et assez d’assemblée publique pour assouvir son besoin d’expression. Le kah l’accueilli comme l’une des siennes. Et si elle-même ne se sentit jamais autre-chose que nazumis, elle accepta cette adoption. Un accord tacite entre elle et cette Union qui prétendait représenter le monde. Il n’y avait pas de mal à ça. De plus, quand il fut temps de rentrer au pays, elle garda d’excellents contacts avec ses nouveaux frères, et ceux-là, en leur temps, s’intéressèrent à leur tour à son pays. Ils écrivirent après les éruptions, vinrent, pour certain. Leur ambition de transformer le pays se heurta au réel de sa situation. Loin de juger la tâche insoluble, ils se prirent au défi, et les kah-tanais qui n’étaient que quelques-uns, se firent légion.

Très vite, elle décida de s’associer à leurs efforts. C’était logique, en somme. Ils travaillaient vers un but commun. Du moins c’est ainsi qu’elle se plaisait à le dire, et aimer le penser. De toute façon – et l’aspect cynique reprenait le dessus – ils avaient plus de moyens qu’elle et ses pairs. Que pouvait-on y faire. Seulement, même si elle ne l’avouerait jamais, il y avait des formes d’impérialisme qu’elle jugeait acceptable.

En fait, beaucoup de choses avaient changées entre son départ pour le Grand Kah et son retour. Pas suffisamment pour que le pays lui devienne étranger, mais assez pour lui imposer de revoir le détail de ses plans. Elle-même avait évoluée, était devenue adulte. C’était peut-être le plus grand drame, bien qu’elle ait gardée l’énergie de sa politisation, cette capacité à naïvement la dépenser.

Le pays avait changé, oui. Pas qu’en bien, d’ailleurs. Et parfois il lui arrivait de regretter le temps des rues vides et pauvres, des bidons-villes, de la misère et de la liberté ; Quand elle voyait un affichage publicitaire imposer à tous une égérie Jashurienne, parler des efforts de l’OND dans la région, quand elle voyait des produits étrangers, le plus souvent inutiles, se déployer sur les étales, quand elle voyait ses pairs, ses frères et sœurs, ses concitoyens parler de richesse, d’achat de propriété, s’attendre, peut-être, à créer une fortune en travaillant dur et bien pour les nouveaux patrons...

Comme un goût de vomis, juste là, derrière ses molaires.

Et cette colère, si juste, si saine, qui avait animée ses parents avant elle. On aurait pu la qualifier de pathétique, cette rage. Les centristes ne s’en privaient pas. Rage impuissante. Qu’allait-elle faire, elle et les siens ? Taguer une banque ? Casser la vitrine d’un fast-food, peut-être. Ils rabaissaient l’ennemi, logique. Ils oubliaient qu’ici, la rage avait déjà pris forme, pris acte, et ravagée jusqu’au dernier noble. Ils oubliaient qu’on avait tué, avidement, pour nourri une fosse sans faim. Que les corps de leurs ancêtres fertilisaient le sol, celui-là qu’ils veulent privatiser. Imbéciles à la mémoire courte.

Ils verraient. On en arriverait pas là, de toute façon. Personne ne voulait d’une seconde guerre. Ce pourquoi il faudrait les faire plier par d’autres moyens. Et elle en connaissant de nombreux.




2.

La salle de réunion sentait bon la vanille et les arômes frais. Elle était adossée au potager communautaire et la grande fenêtre qui séparait les deux avait été aménagée par l’un des garçons pour accueillir plusieurs pots. Les plantes grandissaient bien, à l’abri du temps, profitant du soleil et de l’eau. Pour Raden c’était un bel endroit ou en tout cas un endroit où elle se sentait bien. C’était dans la salle de réunion que naissaient les rêves. Elle le savait bien.

Avant son départ c’était un salon de coiffure. Il avait fermé et le propriétaire n’avait pas trouvé d’acheteur. Il avait accepté de prêter les locaux au groupement jusqu’à ce qu’ils puissent payer, ce qui avait pu se faire assez rapidement grâce à un apport financier kah-tanais. On avait aussi acheté quelques bâtiments adjacents, qu’on avait rénové. Puis pour faire accepter ça aux gens du quartier, on en avait embauiché un certain nombre pour tenir des petits postes au sein de la structure. Entretien, secrétaire, accueil. Dans les faits elle fonctionnait selon un modèle coopératif ce qui voulait dire que tous ceux qui y travaillaient étaient aussi membres de son comité directeur. Les gens du quartier, soudain, s’étaient impliqué dans le mouvement. Ils y avaient pris goût et avaient fait preuve d’une grande imagination et d’un bon esprit politique. Après tout ils avaient l’habitude de la débrouille, et la politique, à leur niveau, n’était rien de plus qu’une continuation de la débrouille.

Raden était arrivée tôt, plus tôt que ses camarades, de façon à installer les lieux. Il y avait toujours des problèmes avec le matériel, alors elle avait commencé par vérifier que le routeur satellite prêté par les kah-tanais fonctionnait bien, ainsi que l’ordinateur, le vidéo-projecteur, les enceintes. Puis elle avait fait du café et du thé, installée des tasses et des assiettes de biscuit stratégiquement, aérée les lieux et relu une partie de ses notes de la veille. Le sujet du jour était l’extension des opérations de recrutement et d’éducation populaire. Plus spécifiquement, on lui avait demandé de travailler à un programme de « reradicalisation de l’opinion concernant les nouveaux défis que doit dépasser le pays ». Une façon fort longue de dire qu’il fallait propager une parole de gauche tant que tout se reconstruisait. L’image mentale qu’on voulait propager était celle déjà présente dans l’esprit des militants : un pays à jamais coincé dans sa situation actuelle. Illettrisme, famines, misère, des bidonvilles à perte de vu et des habitants réduits à l’état d’ouvriers, esclaves d’un grand capital étranger. En fait ils étaient protectionnistes, modernisateurs, futuriste. Leurs ambitions politiques étaient claires, et issues de craintes profondément ancrées. Leur existence, leur militantisme, leur conception du monde était viscérale, artérielle, bâtait dans leur être comme le sang dans leurs veines.

Cela-dit leurs méthodes avaient la douceur suave des salons kah-tanais les plus modérés. Parfois Raden pensait que ses parents n’auraient rien compris à cette nouvelle génération. Peut-être pas, non. Mais les temps changeaient, on ne se battait plus au fusil et à la grande – pour l’heure.

Les différents membres de la cellule d’action arrivèrent tous plus ou moins à l’heure, à l’exception de Sukarn, qui avait de toute façon prévenu que son bus était bloqué dans les légendaires bouchons de la cinquième. Seon, qui était son ex, avait plusieurs fois tentées de le convertir à la moto, sans grand succès. On ne se formalisa pas de ce retard.

Comme à l’accoutumée, tout se fit dans une ambiance à la fois studieuse et bon enfant. Malgré les différences – parfois importantes – d’avis concernant les détails techniques et stratégiques de ce qui se planifiait en ces murs, les militants avaient appris à se respecter et à adopter un modèle de communication basé sur l’écoute active et la mesure de chaque phrase. On avait établi un système horizontal et travaillé à limiter au maximum l’impact de l’égo des uns et des autres sur la prise de décision. Raden en était très fière. La professionnalisation du militantisme était la démonstration de sa capacité de croissance. Avec des camarades comme ça, se disait-elle, il allait être possible de faire les choses en grand. De faire les choses comme elles doivent se faire.

Bien entendu cela ne serait pas simple, mais au moins sa cellule faisait office de cellule modèle, au sein du mouvement.

Autour d’elle, les questions s’enchaînaient. On cherchait des solutions à des problèmes que l’on avait déjà du mal à qualifier.

« Peut-on vraiment mobiliser la population autour de ces projets ? Elle n’a pas les bases, la théorie.
– Il faut que ça soit graduel, évidemment, mais...
– Graduel ? Quoi, un droit après l’autre ?
– Et pourquoi pas ? Nous avons un parlement. »

Puis on souriait.

« On leur promet monts et merveilles. Ils n’ont rien. Ils vont bien finir par s’en rendre compte. Il faut capter cette colère quand elle arrivera.
– Nous pourrions l’inciter, aussi.
– Si on est trop violent ils prendront ça comme une attaque. L’ONC, l’OND, tous ces machins libéraux nous bombarderaient plutôt que de perdre leurs usines.
– T’es sûr ? C’est ce qu’ils disent pour tenir nos camarades tranquilles, mais...
– De toute façon nous sommes loin, très loin d’y être. Nous ne sommes pas assez nombreux. Il faut recruter, il faut radicaliser, et il faut que nos doléances...
– Ne soient pas les nôtres mais celles de nos concitoyens. »

La réunion avait durée une petite heure. Comme à l’accoutumée on s’était dispersé en considérations diverses sur l’avenir du pays et les projets au long-terme du mouvement. On avait tout de même réussi à prendre des décisions concrètes sur la façon dont devraient être menées les actions de lobbying et celles de recrutement. D’autres cellules existaient partout dans le pays. Rattachées à aucune sphère politique précise, elles militaient toutes pour des questions avant tout locales, travaillant sur des problématiques concernant directement celles et ceux auprès desquels elles prêchaient. Pour autant, leur coordination nationale avait une base idéologique très marquée : progressisme, anti-impérialisme, gauche économique, extension de la démocratie... C’était ce dernier point qui justifiait le mode de fonctionnement du mouvement : créer des zones locales de démocratie visant d’abord à accompagner l’opinion, à l’éduquer politiquement puis, enfin, à lui laisser le pouvoir de décider.

Et puis il y avait aussi l’action directe, évidemment.

Tractage, affichage, éducation populaire par le fait ou par la lettre. Peut-être, à terme, si cela venait à s’acérer nécessaire, utile, souhaitable, la grève, l’émeute. On ne préparait pas la révolution, pour le mouvement elle était déjà en cours. On se préparait seulement à assurer sa continuité.
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Un terreau fertile


Quelques milliers d'individus, c'est tout ce qu'il nous faut pour en soulever des millions. Quelques milliers d’individus…

Cette formule, un genre d’aphorisme révolutionnaire lu dans de la littérature du siècle dernier, tournait et retournait dans l’esprit de Purnama. Il avait fait partie de ces quelques milliers de mécontents, pour la plupart issus du monde rural, qui s’était levé des mois plus tôt contre les investissements de certaines monarchies Eurysiennes ; Il faisait partie de cette masse d’émotion qui s’était dressée seule, pour tenter d’alerter le pays. Il était de ceux-là, oui, qu’on avait finalement ignoré. Leur voix avait à peine porté dans la presse, trop soucieuse de défendre la politique gouvernementale. Et évidemment, leur voix n’avait pas porté jusqu’à la chambre nationale, là où on se tenait entre gens raisonnable, où l’on discutait à voix basse de l’avenir du pays en considérant des chiffres, des faits, en se montrant génialement raisonnable, tout à fait au service de la raison. Impossible qu’une voix émotive, une voix de colère, porte jusque là-bas. Ce n’était plus de temps où l’on écoutait le peuple. La représentative s’était installée, et le peuple était devenue une donnée comme les autres.

Et Purnama le savait au même titre que ses pairs. Il le savait instinctivement, d’abord, parce qu’il n’était pas idiot et avait des yeux pour voir. Il le savait par l’esprit, enfin, parce qu’il était raisonnable, renseigné, et faisait de son mieux pour comprendre le monde dans lequel il vivait. Le pays avait besoin d’argent ; D’énormément d’argent. Il avait besoin de moyens immenses. Des milliards et des milliards, pour loger et nourrir, pour employer et soigner, pour éduquer et enrichir ces millions et millions de citoyens. Cette masse glaise, encore informe, qu’on peinait à tirer de la misère et qui s’entassait dans les bidonvilles ou les cités dortoir flambant-neuves, qui bossait dans les champs ou les petits ateliers, qui commençait à apprendre qu’il existait des usines, du travail à la chaîne. C’était logique, peut-être. C’était raisonnable, de laisser tomber la misère pour l’aliénation. C’était sans doute mieux pour faire du pays autre chose qu’une grande terre en friche.

C’était surtout une vision comptable. Il fallait bien s’en rendre compte. Le réalisaient-ils seulement ? Peut-être qu’ils s’en moquaient. Il avait lu quelque part que la moitié des députés, au moins, avaient été éduqués au Jashuria. Cette pensée lui donnait la nausée. Le Jashuria ! Comme s’il faisait bon vivre, là-bas. Il avait vu leurs lois sur le travail, il avait vu celles de tout les pays de l’ONC. Elles ne faisaient pas rêver.

Pas plus que celles de pays de l’OND. Quels choix avait-on, si l’on naissait citoyen de cette alliance ? Les monarchies d’Eurysie et de Paltoterra ? Les semaines de travail à cinquante heures ? Plus heures ? Il préférait mourir que ça. De toute façon, ça, c’était aussi mourir un peu. Ce pourquoi on avait manifesté. Son espoir pas si secret, c’est qu’on manifesterait encore. Et Purnama n’était pas idiot. On manifesterait encore. L’occasion ne s’était pas présentée alors de faire gagner le mouvement en intensité, mais elle se présenterait bientôt. Les temps changeaient. Pas pour le mieux, pas nécessairement en tout cas, mais ils changeaient. Ce qui voulait dire que les conditions d’action changeraient aussi. Qu’une nouvelle opportunité se présenterait bien assez tôt.

La question de l’opportunité était centrale. Ça aussi il l’avait lu dans ces vieux textes. L’opportunité du reste, pouvait être émergente (c’est-à-dire en fait dépendre d’un contexte et de l’action d’autres acteurs ne cherchant pas nécessairement son avènement, par exemple des capitalistes industrialisant un pays et amenant à la création d’une classe prolétarienne en mesure de développer une conscience politique) ou construite (par l’action, par exemple, de professionnels de la révolution, militants, journalistes, informateurs, dénonciateurs, politisant une classe préexistante ou démontrant la possibilité et la nécessité d’agir, voir en amenant à la création d’un contexte favorable à l’activité révolutionnaire). Bien entendu le second cas cohabitant fréquemment avec le premier cas et, dans l’idéal, il était préférable d’avoir des structures en mesure de saisir les opportunités. Celles-là étaient souvent les mêmes qui les avaient construites.

Sans trop s’en rendre compte à l’époque, il avait lui-même rejoint une telle structure des mois plus tôt, au moment des premières manifestations.

À l’époque il n’y avait bien entendu aucun réel objectif d’organisation. C’était spontané. Un appel lancé, qui se répandait par le bouche-à-oreille, faisait le tour des villages et des communautés rurales. Puis des paysans, qui faisaient leur sac, prenaient de quoi se payer une nuit à l’hôtel, traversaient un pays sans routes modernes, sans voitures, sans rail de train, et allaient difficilement représenter la colère des leurs en ville. On avait sobrement titré qu’ils étaient « quelques milliers », en ignorant volontairement qu’ils étaient quelques milliers à pouvoir se permettre le déplacement. Combien d’autres ressentaient la même chose mais ne comprenaient, ne voulaient pas, n’avait pas les moyens de le dire ? La démocratie représentative qui oublie qu’eux-mêmes étaient, en fait, des représentants.

Qu’importe. On s’était rencontré, sur les ronds-points. Une amitié tenace, forgée dans la chaleur usante de l’été indien, sous les torrents d’eau ou la fournaise des rues bondées. On avait compris qu’on ne serait pas écouté, alors on avait cessé de parler aux autres pour se parler entre-nous. Des listes de nom avaient été bricolées. Untel, untel, untel : partisans et amis. Puis on s’était dispersé, après encore quelques manifestations, quelques ronds-points. De nouveaux noms. On avait jeté les bases d’une organisation, sans trop s’en rendre compte.

Les gens de la ville oubliaient souvent que la campagne aussi avait fait la révolution. Ils l’oubliaient parce qu’ils ont besoin de sentir leur propre supériorité, et doivent pour se faire mépriser ce qui n’est pas eux. Dans leur esprit le campagnard est rustre, manque d’éducation. Il est un échelon au-dessus de l’animal, un en dessous de l’être humain. Il ne pense pas, ou peu, ou mal. Il est politiquement imbécile, éloigné de ses propres besoins, ne respecte pas la nature. Ne sait pas travailler. Pour eux, enfin, l’homme de la campagne n’a pas fait la révolution.

Ils oublient que c’est le Nazum. Que ce sont bien souvent les travailleurs des champs et des rizières, ceux exploités par les serfs et les oligarques, qui détournant la faux de son usage, passent la serpe sous la gorge des oppresseurs. Ils oublient parce que ce n’est pas assez héroïque pour eux. Ils sont libéraux par défaut, veulent croire qu’il y a de grands hommes qui guident des foules entières. L’un n’empêche pas l’autre. La foule s’est soulevée, les grands hommes, surpris, on suivit. La foule venait des champs, en grande partie.

Bien entendu on avait rangé les serpes et les faux, les armes et la colère, à la fin de la guerre civile. On avait considéré la bataille gagnée et pensé qu’il n’y aurait plus d’exploitant et plus d’exploité. Que des hommes et femmes libres de travailler la terre pour leur propre compte, et de vivre correctement. Puis on s’était rendu compte que c’était faux. Que le marché asservissait aussi bien qu’un roi, qu’un empereur, qu’un chatelin. Et le gouvernement avait besoin d’argents, alors on faisait aussi entrer les étrangers, avec leurs modèles de société contre-révolutionnaires. Purnama s’était politisé, on avait marché, et...

Dans la foulée des capitaux étrangers étaient arrivés d’étranges individus, venus de l’autre côté du monde. Pas d’Eurysie, cette fois. D’un continent plus proche mais plus éloigné aussi, car il n’avait pas pratiqué la colonisation. Il était du rang, du club, de ceux que l’on avait colonisé. Riche d’un traumatisme commun, encore que ses pays étaient moins peuplés de natifs libérés que de descendants d’envahisseur. Situation pardonnable, il n’y avait pas d’échelle des douleurs, à ce qu’on disait. Les paltoterrans étaient très différents des eurysiens. Au moins aux yeux paysans, qui avaient appris à très profondément mépriser Teyla, et par son biais un peu tous les autres.

Le paltoterran n’est pas blanc. Pas exclusivement. Il a toutes les ethnies, mais bien souvent, celle-là n’est pas proprement eurysienne. Il parle diverses langues mais fait toujours l’effort d’avoir une formation dans celle du pays. Il ne dort pas à l’hôtel mais chez l’habitant, à qui il ne parle pas avec paternalisme mais curiosité. Il apporte des fonds mais vient apprendre. Il ne se balade pas avec une équipe de seize ou vingt autres blancs pour faire « des mesures » ou « observer », il travaille avec des gens du pays, formés parfois à l’étranger, mais toujours originaires d’ici. Il ne dit pas « Ils n’ont rien, ici, mais ils ont le cœur sur la main » en croyant que ça le rend compréhensif ou grand seigneur il ne dit pas non-plus qu’il « déteste la nourriture locale » quand il croit qu’on ne l’écoute pas. Le paltoterran est aussi très excentrique. Il écoute de la musique bizarre, a un humour un peu étrange, a des aspects maladroits, et prétends que tout les humains sont des frères et des sœurs, et que deux pays révolutionnaires se comprennent. Enfin, le paltoterran a un regard positif sur la campagne, et croit dur comme fer que les villes, trop grandes, tuent les pays. Soi-disant qu’elles servent de cité-dortoir aux capitalistes.

Le paltoterran n’aime pas beaucoup les capitalistes. Il est trop respectueux pour dire quoi que ce soit, mais il organise des projections de film sur son temps libre, ou autre le maire d’un village à monter une petite bibliothèque ou une boite à livre, il laisse le cinéma et la littérature le faire à sa place. Elle parle bien, mieux que lui sans doute. Le paltoterran a du mal à expliquer ses théories dans la langue du pays. Très complexes. Mais on l’a fait à sa place, bien avant sa naissance, et en termes très clairs. Le paltoterran apporte une importance capitale aux livres, à la culture, et veut tout désacraliser, pour que tout soit accessible.

Enfin, après quelques mois, quand il est pris par la fatigue d’un concert de musiciens locaux, et a un peu bu, il prononce un mot nouveau.

« Communalisme. »

Le mot avait pris racine chez certaines et certains. Il semblait fait pour les champs. Il reconnaissait quelques règles tacites du monde rural. Des règles ancestrales, que le gouvernement voulait effacer, ou plutôt tendait à effacer. Parce que c’est dans l’ordre des choses. Parce que sa politique économique impose des sacrifices, notamment celui de la communauté.

On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. (On oublie souvent qu’en général il faut plutôt toutes les femmes d’un village, les hommes s’en souciant assez peu, mais Purnama n’était pas tout à fait familier avec ces notions de féminisme, qu’il comprenait tout en les trouvant parfois trop étranges). En fait, ce n’est même pas culturelle, ou historique, c’est biologique. Les animaux tendent à se partager la garde de leurs progénitures. Les humains, pour leur part, ne sont pas en mesure d’élever leurs enfants seuls. Dans la nature la communauté mettait en commun l’éducation et la garde, pour la simple et bonne raison que c’était la mécanique de survie la plus optimale, et que l’intelligence humaine, sa capacité à coopérer et travailler en commun, s’y prêtait.

Sans aller jusqu’à dire que l’état de nature de l’homme et coopératif, il y avait quelque chose d’intrinsèquement pervers à vouloir désolidariser les individus, les pousser à élever leurs enfants seuls, en quelque sorte. Le communalisme, lui, insistait. Il faut de l’aide mutuelle. Il faut mettre les problèmes en communs, de même que les accomplissements. Parce qu’on vit en communauté. Parce que les actions des uns impacte la vie des autres. C’est peut-être pour ça que le paltoterran n’aime pas beaucoup la ville : tout y est fait pour que l’on s’oublie. Pour que l’animal social devienne solitaire, esseulé. Vulnérable, aurait-il dit. L’union fait la force. Ils le pensent. Non, le savent. Ils en font plus qu’un aphorisme, ils en font une véritable doctrine. Ils incitent les campagnes à garder cet état d’esprit. Pire encore, à le renforcer, autant que possible, autant que possible.

En fait, les campagnes étaient en train de se repolitiser. Cette fois aussi c’était par colère, mais une colère moins existentielle que la première. On allait pas mettre la tête des rois eurysiens au un pic. Ils étaient loin, de toute façon, et ne régnaient pas sur le pays. On allait pas non-plus le faire avec les députés ou le gouvernement. Les députés étaient méprisables, mais ils étaient nombreux. Il y en avait des biens, dans leur rang, et il fallait reconnaître qu’ils faisaient au mieux avec la situation du pays. Mais il fallait signifier que les choses n’allaient pas dans le bon sens. Peut-être qu’ils ne s’en rendaient tout simplement pas compte ? Peut-être que les débats, les détails techniques des lois et de leurs amendements, leur vie dans la capitale les empêchait tout simplement de réaliser ce qui était en train de se passer sur le terrain ? C’était tout à fait envisageable. Qui s’occupait de les informer de la situation ? Lisaient-ils les journaux ? Y avait-il seulement des journaux qu’ils puissent lire, capable de leur faire comprendre qu’on allait gâcher la révolution et gaspiller ses acquis ? On avait envie de les prendre par les épaules et de hurler « Réveillez-vous ! Regardez ce que vous faites du pays ! » on allait pas faire ici comme en eurysie, travailler quarante heures, cinquante heures, pour avoir droit de mourir jeune. Pas quand un autre modèle existait. Communalisme signifiait le pouvoir aux communes. La commune, c’était la société en petits villages voisins. On pouvait monter des communes rurales. Peut-être qu’il le fallait. En tout cas c’était de l’ordre du possible, et partant de là il fallait au moins essayer.

Les livres donnaient des solutions et des conseils. Il n’y avait pas de recette universelle, mais des méthodes, comme autant d’outils dans une boîte, servant à adapter l’idée « au contexte régional et matériel ». Le contexte, ici, c’était l’infâme pauvreté, les investissements étrangers qui menaçaient à tout moment de voler le pays à soi-même. Le contexte, ici, c’était la triste terreur d’un pays qui avait l’occasion de se retrouver, de devenir démocratie véritable et de donner à chacun le droit à une vie saine, mais qui devait se construire. Au nom de cette construction on proposait de sacrifier tout le monde. Sacrifier tout le monde au nom du pays. Voilà qui ressemblait beaucoup à ce que faisaient les rois, en leur temps. Voilà bien une idée eurysienne, au fond.

On s’était organisé. C’était l’idée. On avait appris qu’il y avait des mouvements, en ville. Des cellules de jeunes gens, surtout. Politisés, théorisant de grandes choses et s’agitant dans les campus et les usines. Ici c’était différent, et s’il viendrait l’heure de faire la liaison avec eux, la logique était différente. On avait d’abord ressorti la liste des amis du rond-point. Celles et ceux avec qui on avait manifesté en vain. Quelques milliers. Il ne fallait que quelques milliers d’individus. On s’était retrouvé, et on avait parlé. Qui dans ton village, ton hameau, qui dans ton entourage, chez ta famille, dans tes amis, a des choses à dire ? Pas forcément de la colère, mais un problème. Le prix du pain n’est pas le bon. Les grandes surfaces achètent la production pour trop peu. Pourquoi n’y a-t-il pas de route, d’eau potable, de ramassage des ordures ? On notait ces problèmes, et on discutait à voix basse d’options locales pour y remédier si les braves gens de la députation nationale ne proposaient pas une solution. Peut-être que la campagne pouvait se sauver elle-même. Mais si elle se soustrayait au gouvernement, alors il faudrait qu’il l’accepte, ou accepte de remplir ses responsabilités.

De fil-en-aiguille on en revint au sujet de base. La colère contre les uns et les autres. Le sentiment d’invasion, de dépossession, les manifestations ignorées d’il y a quelques mois, dont on fit un acte presque légendaire, ou au moins séminal. La source de grandes choses promises, pouvant amener à la floraison du pays. Le vocabulaire du jardin s’était infiltré dans le débat rural. Il faudrait manifester à nouveau, et en étant plus nombreux. Peut-être mieux se coordonner. En ville, dans les usines, ils avaient un mot pour ça. Association. Syndicat. Il fallait travailler en commun, étendre l’aide mutuelle au domaine de la revendication pour obtenir gain de cause.

Les objectifs n’étaient pas très clairs, à vrai dire, mais on commençait à comprendre la méthode. Progressivement, de réunion en réunion, la colère devint matière utile, et commença à se répandre. Teyla, toujours, était l’exemple qui suscitait le plus de rage. On ne se faisait pas d’illusions : leurs investissements visaient certaines villes, celles qu’ils pouvaient le plus aisément capturer, mettre dans leurs poches. Les gens du coin. Les maires, les fonctionnaires, où avaient-ils été éduqués, d’ailleurs ? Certains des plus remontés commençaient à parler d’un complot étranger. Le consensus était cependant plus modéré que ça. Il ne fallait pas les laisser approcher des campagnes, et il fallait rapidement se coordonner avec les groupes dans la ville. Le pays pouvait devenir une terre de partage. Déjà, on commençait à avoir accès aux soins et à l’éducation. Les cliniques et les écoles kah-tanaises aussi avaient fleuries. Des gens du coin y avaient été recrutés, pour remplacer les humanitaires des premiers jours. Certains étaient restés, cependant, et observaient tout ce qui faisait d’un plutôt bon œil. Ils ne disaient rien, mais s’amusaient beaucoup.

« Vous savez ce n’est pas la même chose en ville », disaient-ils. Puis ils se reprenaient. « Chez les autres ».

Ils voulaient dire dans les structures des autres pays, ceux qui suivaient un autre modèle. Quand on leur demandait de détailler ils haussaient les épaules. L’organisation du travail, c’était de ça qu’ils parlaient. On construisait des pyramides, au Grand Kah à une époque lointaine. Maintenant tout était plat, horizontal, accessible. Les autres pays avaient continué de construire des pyramides, jusque dans leurs systèmes hiérarchiques. Ils n’avaient pas eu de révolution.

Mais que pouvait-on vraiment faire pour éviter d’en arriver là ? Des coopératives. C’était l’évidence, pour eux. C’était aussi ce que disait la théorie. Mettre en commun. Être exploité seul, c’était être réduit à l’esclavage. Être exploité ensemble, c’était pouvoir dire non. Qui allait travailler pour le patron, vendre au grossiste qui achète le riz pour trop peu, alimenter la ville qui manque de respect si tout le monde s’y refusait en même temps ? Il n’y aurait personne pour remplacer la masse unifiée. Le refus sortait du cadre individuel et devenait non-plus un caprice, mais un fait existentiel. La campagne retrouvait sa dignité en même temps que son poids, le pays ne pouvait plus détourner les yeux de sa terre glaise. Puisqu’il avait refusé de la construire, et s’orientait vers un modèle de société individualiste et urbain, la ruralité se construirait seule, et obligerait le reste à s’adapter.

On peut toujours rêver.
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GKD

TomaTo prospère au Wanmiri : la multinationale agricole enregistre des bénéfices records cette année. Les dividendes versés à la Bourse, après conversion monétaire au Wanmiri, seront entièrement réinvestis dans ce pays. En effet, la compagnie, qui vient d’ouvrir une branche très rentable en Occident, voit ses bénéfices journaliers croître de façon exponentielle. C’est donc le moment idéal pour investir.

Tout d’abord, plusieurs fonctions de direction ont été transférées au Wanmiri, notamment les branches liées au commerce, à la croissance, à l’industrialisation, et à la gestion stratégique. Dans le même temps, l’actionnaire majoritaire a vendu une partie de ses parts : la GKD a cédé une portion de ses actions TomaTo à Bonsecours, qui semble s’intéresser à l’entreprise pour sa production de matières organiques. À suivre. Pour l’instant, GKD détient encore 12 % des parts, devant Bonsecours avec 2 % et MonGKD avec 1 %.

Les investissements devraient être principalement dirigés vers la modernisation des fermes et l’augmentation des capacités des usines du Wanmiri, qui devraient à terme représenter plus de 72 % de la production totale de l’entreprise. Cependant, en raison des contraintes économiques actuelles, la transformation des produits s’effectue toujours en Affarée pour bénéficier des infrastructures Beno-10 installées sur place, grâce au soutien d’Antegrad.

TomaTo prévoit également l’ouverture d’un nouveau complexe et d’une tour dans la capitale du Wanmiri, selon des informations divulguées mais non encore officielles.
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