Posté le : 18 juin 2025 à 18:27:59
10888
On pouvait désormais affirmer que les différents appels à un cessez-le-feu avaient été un échec.
Pour beaucoup au sein de l’Armée Démocratique ce n’était pas une surprise. Même pas un fait notable, et ils étaient peu à réellement penser aux implications de cet échec, à relativiser puisqu’il n’avait de toute façon jamais s’agit de leurs objectifs. Les pays étrangers qui s’étaient penché sur la situation Gondolaise, avec toute la bienveillance ou la sincérité qu’on pouvait leur prêter, avaient en fait suscité une méfiance qu’il est difficile de réellement appréhender sans chercher à comprendre la psychologie de ces combattants. Pour eux, les Accords d'Icemlet – totem sacré des pacifistes – étaient au mieux une mauvaise farce, où la volonté de restaurer la paix s’était en fait changé en volonté de restaurer « une paix », quelle qu’elle soit. Aussi insatisfaisante, impotente, inutile qu’elle puisse l’être. Personne ne souffrait plus que les gondolais des morts et destructions liées à la guerre, et cette souffrance les motivait à l’amener à sa conclusion la plus extrême. Que les morts et sacrifiés ne le soient pas pour un simple statu-quo. Que le gouvernement honnie soit bien chassé de Sainte-Loublance. Que l’adversaire Clovanien, qui avait refermé ses griffes sur le pays et en avait fait le jardin privé de son empereur, ne soit pas tant chassé qu’humilié, à jamais vacciné des tentations coloniales.
Imcelet et, à travers elle, toute l’action des modérés avait en fait sonné comme une forme de rupture entre les combattants de l’Armée Démocratique et une part importante de la communauté internationale. Celles et ceux qui venaient exiger la paix exigeaient en fait la survie du gouvernement ennemi. On menaçait à mots couverts – c’était ainsi que cela était perçu – les mouvements rebelles. On attendait d’eux une certaine passivité, qu’ils laissent le temps d’une respiration stratégique à un adversaire qui, pour sa part, ne s’arrêtait pas de combattre, et refusait explicitement de tempérer ses ardeurs. Comment ne pas le comprendre ? La communauté internationale s’était montrée particulièrement impotente, incapable de ne serait-ce que dénoncer la Clovanie. Cela n'avait cela dit rien de surprenant quand la missive exigeant le retour aux négociation provenait de nations ou ouvertement colonialistes, ou correspondants aux nombreux critères de l'autoritarisme moral, politique et religieux que les révolutionnaires haïssaient le plus profondément. Comment apporter le moindre crédit à un attelage aussi hétérogène ? Comment les mots de l'Althaj pouvaient porter, quand ils arrivaient avec ceux de Karty ou du Menkelt ?
Au fond, la lecture de l’Armée Démocratique était sans doute paranoïaque. En tout cas elle était idéologisée. Les appels à la paix passaient pour un appel à sauver le Régime. Et le Régime n’était pour sa part pas incarné par sa seule itération actuelle. Sainte-Loublance, sa présidence fantoche, ses élites oligarchiques, sa Clovanie prédatrice, tout ça n’était au fond qu’un symptôme dont on refusait de voir le mal traité. Ces gens, pour dire les choses, étaient pour la plupart des capitalistes ou leurs idiots utiles. C’est bien pour ça qu’ils parlaient de guerre civile et non de révolution. Guerre sémantique. Une guerre civile est par principe imbécile, et peut se régler autour de nouvelles règles creuse, en partageant le gâteau, en donnant sa part à chaque oligarque en devenir. Et le peuple, lui, retourne à la passivité stupéfiée des masses privées de destin. Une révolution, elle, ne s’arrête pas. Elle vainc, ou elle meurt. Dans la lecture de l’Armée Démocratique, ce soudain regain d’intérêt de la communauté internationale pour le sort du Gondo ne pouvait être lié qu’à l’approche de sa victoire. On désirait tuer la révolution. Comment ne pas le comprendre, comment ne pas voir les signes.
Alors il n’y aurait pas de paix. Jamais. Pas après ces élections, véritable mauvaise blague qui ne faisait que témoigner une fois encore de la nature profonde du régime. Pas après l’assaut de la Clovanie contre les « camarades » du M.L.L, politiquement encombrants mais de plus en plus isolés sur tous les autres plans. Puisque la communauté internationale voulait un retour à la paix, elle n’aurait qu’à observer la suite, et voir à quel point on pouvait vite l’obtenir, une fois les ennemis soumis au joug de l’acier.
Le plan de bataille avait été préparé avec soin, méthode et – il est vrai – une dose importante de cynisme. On avait en effet rapidement réalisé que les efforts Clovaniens se tourneraient vers une victoire facile. La perte de Cap-Franc avait ébranlé le régime et son armée, qui n’avaient jusque-là par vu une forte opposition à leur invasion du territoire, de telle manière qu’il leur fallait désormais retourner aux fondamentaux et s’offrir un peu de gloire à peu de frais. Le M.L.L représentait cette victoire gratuite. Isolé politiquement, on savait qu’il avait été soutenu par quelques-uns des grands pacifistes de la déclaration internationale, certains y voyant une vraie solution politiques pour le Gondo, d’autres souhaitant simplement le morceler pour y établir leurs fiefs économiques. Ces garants n’avaient cependant jamais pris la peine de réellement équiper leurs protégés de telle manière qu’ils manquaient cruellement de tout et ne pouvaient opposer une résistance digne de ce nom à l’armée impériale. Alternativement, M.L.L pouvait se disperser dans la nature et abandonner son territoire, ce qui lui permettrait de survivre, mais lui retirerait par la même toute forme de légitimité politique et d’existence au sein de la coalition rebelle. En d’autres termes, il faudrait tenir le front – ou donner l’impression de le tenir – et espérer que la guerre se terminerait d’ici-là. Le mouvement avait choisi une mort lente plutôt que rapide et, se faisant, offrait à ses ennemis la rassurante impression qu’ils pouvaient encore gagner ce conflit.
Pour l’Armée Démocratique, cet acharnement avait surtout été l’occasion d’un regroupement et redéploiement de ses forces nouvellement équipées et formées autour de quelques points clefs, et d’une préparation rapide mais minutieuse de la prochaine étape de la guerre : il était temps de traverser le fleuve Gonda, et de menacer le régime de façon un peu plus existentielle.
Pour les stratèges de l’Armée Démocratique, il était très probable que la survie du régime ne soit plus liée à des impératifs pragmatiques. En d’autres termes il semblait qu’une situation de défaite militaire ou de privation de capitaux matériel ne suffirait pas, comme par le passé, à renverser le gouvernement. Le soutien Clovanien avait changé le statut de Sainte-Loublance de telle façon qu’elle ne dépendait plus du bon vouloir d’oligarques, pour qui la question aurait été de savoir s’ils avaient plus à perdre ou à gagner en permettant la survie du gouvernement, que d’impératifs impérialistes notamment liés à des questions d’honneur. La Clovanie avait largement investi la région et espérait sans doute en fait le point central d’un nouvel empire sur le continent. Cette vision coloniale s’accompagnait de fait d’un certain sentiment de supériorité typique, d’aucuns diront racisme, qui l’empêchait de lire clairement l’équilibre des forces. Il faudrait faire abandonner le territoire à la Clovanie, et pour se faire, il faudrait l’humilier, broyer ses troupes, provoquer un choc des consciences suffisamment violent pour briser l’illusion coloniale. Ce « choc des consciences » devait jouer sur des facteurs psychologiques qui, dans les faits, accompagneraient mécaniquement toute campagne militaire bien menée. Imposer le rythme du conflit, faire s’enchaîner les défaites, briser quelques symboles en détruisant des installations clefs – tout en évitant de créer des martyrs en assassinant des officiers un peu trop gradés.
C’est autour de cette base de réflexion que le plan de l’Armée Démocratique fut édifié. Les objectifs fixés ne furent cette fois pas des villes, on souhaitait éviter les guerres urbaines, jugées coûteuses et meurtrières, mais l’ensemble de l’arrière-pays. Les jungles, les plaines, et les territoires où se trouvait en fait le véritable poumon économique du pays : grandes exploitations agricoles, bassins miniers. Officiellement on parlait de « mettre un terme au pillage », dans les faits il s’agissait surtout de créer une situation de débâcle isolant les grandes aires urbaines et permettant à l’Armée Démocratie d’ouvrir des négociations. On voulait éviter au maximum le développement d’une crise humanitaire qui aurait immanquablement accompagné une attaque frontale de la capitale sans préparation adéquate du terrain et réduction drastique des capacités militaires ennemies.
Division des Forces pour l'Offensive "Lutte Finale"
Pour se faire, la force d’assaut de l’Armée Démocratique fut divisée en deux corps ; une décision murmurée dans les coursives du quartier général de Port-en-Truite, là où les cartes d'état-major se couvraient de flèches et de cercles tracés à la hâte, sous le regard approbateur des conseillers des Brigades Internationales. Les détails exacts de cette partition restaient nimbés du secret propre aux grandes manœuvres, mais les mouvements logistiques observés ces derniers jours ne laissaient guère de place au doute : l'offensive, baptisée en interne "Lutte Finale", serait massive et coordonnée.
Au sud, le tableau était brutal, ouvertement menaçant. C'est là que le "Marteau" devait Frapper. Les vastes étendues agricoles, grenier à blé (et à problèmes) du Gondo, et les plaines menant aux marais côtiers, allaient devenir le théâtre d'un affrontement plus conventionnel, mais non moins décisif. Ici, la masse des troupes de l'ADG, conscrits et réservistes encadrés par des professionnels, formait le fer de lance. Les rumeurs persistantes évoquaient une concentration impressionnante de blindés lourds – les nouveaux chars d'assaut fournis par le Grand Kah, épaulés par une myriade de véhicules de combat d'infanterie et de transports de troupes modernisés. L'artillerie, disait-on, y serait reine : des batteries de canons automoteurs et de lance-roquettes multiples, capables de saturer des kilomètres carrés sous un déluge d'acier. Et dans le ciel, le ballet incessant des aéronefs des Brigades Internationales – chasseurs pour la suprématie aérienne, bombardiers pour l'appui au sol – laissait présager une volonté d'écraser toute résistance avant qu'elle n'ait pu s'organiser. L'objectif semblait clair : prendre le contrôle des poumons économiques du pays, couper les lignes de ravitaillement principales vers la côte, et isoler les grandes villes, peut-être même Sainte-Loublance elle-même, sans pour autant s'engager immédiatement dans le piège sanglant des combats urbains. Les ponts mobiles et les engins de déminage, aperçus dans les convois, suggéraient une avancée méthodique.
Plus au nord, là où les contreforts montagneux s'effilochaient en une jungle impénétrable que les clovaniens avaient déjà effleurés au début du conflit, un premier flux d'hommes et de matériel avait là aussi commencé à s'ébranler. Les vétérans des campagnes précédentes parlaient à voix basse d'une "Faucille", corps expéditionnaire taillé pour l'infiltration et les coups de main. On y devinait la présence des chars légers "Ocelot", ces prédateurs mécaniques venus du Grand Kah, conçus pour la traque en terrain clos. À leurs côtés, une infanterie nombreuse, où se mêlaient les professionnels aguerris de l'ADG, formés aux tactiques de contre-insurrection dans les centres d'excellence kah-tanais, et les internationalistes des Brigades, dont la réputation de combattants des forêts n'était plus à faire. Des échos fragmentaires faisaient état de mortiers légers, d'armes antichars portatives en grand nombre, et d'un va-et-vient discret d'hélicoptères – des machines polyvalentes et des appareils d'attaque – suggérant une volonté de frapper vite et fort, là où l'ennemi s'y attendrait le moins, peut-être vers ces zones minières isolées qui alimentaient encore les coffres vides du régime, ou le long des pistes oubliées servant au ravitaillement de leurs garnisons septentrionales.
Ce qui transpirait de ces préparatifs fébriles, c'était une coordination nouvelle, une échelle d'opération inédite pour l'ADG. Les systèmes de communication et de renseignement kah-tanais semblaient irriguer l'ensemble du dispositif, promettant une synchronisation redoutable entre ces deux mâchoires d'acier se refermant sur le régime. Le brouillard de la guerre était épais, certes, mais les contours d'une tempête se dessinaient avec une netteté effrayante pour qui se trouverait sur son chemin. La traversée du Gonda n'était plus une question de "si", mais de "quand", et surtout, de "comment" le régime et ses protecteurs clovanniens allaient décider d'y faire face.
Message secretInformation secrète réservée aux personnes autorisées