
Les observateurs du monde entier auraient dû avoir les yeux rivés sur Ibishima : la plus grande ville du monde venait de déclarer son autonomie selon les principes du mouvement communaliste. Pourtant, personne ne disait rien. C’était comme si cet acte potentiellement fondateur de la nouvelle Aleucie n'avait aucune importance. Un arbre tombant dans la forêt, le fracas du silence.
Aux commandes de son Kuntur, Joyce serra les poings sur les manettes, une chaleur désagréable montait dans sa poitrine. La frustration. Voilà ce que c'était. Ce silence des médias mondiaux était pire qu'une condamnation. C'était du mépris. Elle s'attendait aux accusations habituelles, aux gros titres pointant du doigt l’Union et son nid de rebelles d'Axis Mundis. Une pirouette facile, presque réconfortante dans sa prévisibilité. Le tic toc de l’horloge, le bruit attendu de validation, qui confirme qu’une même action amène toujours aux mêmes conséquences. Mais rien. Pas même un commentaire de diplomate en marge des grands conflits d’Eurysie. Comme si cinquante millions d'âmes décidant de leur propre avenir n'étaient qu'une note de bas de page dans le grand livre des oligarques. « Ils doivent se chier dessus », pensa-t-elle avec une satisfaction amère. Bien sûr qu'ils avaient peur. Le Communalisme était déjà au gouvernement fédéral.
D’ailleurs la ville ne déclarait pas son indépendance, mais l’accélération de l’Histoire au sein d’un pays déjà brisé par la crise. La Fédération laissait faire. Sans moyen de communication, mieux valait accepter les excentricités des extrêmes que les pousser à la sécession. C'est du moins ce qu'avait expliqué Curao, le député en mission, lors du briefing.
Comme s’il lisait dans ses pensées, Craven − son copilote − grogna. Un son étouffé par son masque.
« Putain.
– Ouais.
– Sacrée ville.
– Oh que oui. »
Elle acquiesça. Depuis le porte-conteneur, ils ne devinaient que la silhouette lumineuse d'Ibishima. Des tours de béton et d'acier formant comme une muraille sous un ciel violacé. Les panneaux publicitaires et de nombreuses fenêtres réduits à une masse d’yeux crevés. Maintenant que le Kuntur prenait de l'altitude, les deux kah-tanais mesurèrent l'immensité de la métropole. Un miroir d'étoiles colorées, tungstène, néon, renvoyait l'image déformée d'un ciel voilé par la pollution. Un miroir qui semblait sans rivages.
« Des types vivent là-dedans », insista Craven. »
Elle acquiesça.
« T’as déjà mis les pieds à Heon-Kuang ?
– Je vois où tu veux en venir. T’inquiète. »
Elle rit. Ils venaient tous les deux des villes intermédiaires de l'Union, où les métropoles devenaient rarement des mondes en soi. Heon-Kuang, qui faisait exception, comptait dix millions d’habitants. Une plaisanterie face aux cinquante millions d'Ibishima.
Joyce poussa les manettes. Le Kuntur vibra, ses réacteurs latéraux se redressant dans un bruit de turbine hydraulique. La trajectoire verticale laissa place à une courbe élégante. Il s’élança en avant. Craven attrapa l’intercom.
« Tout va bien derrière ? »
Deux coups frappèrent la porte du cockpit. Il ricana et raccrocha le micro au plafond. Puis il jeta un coup d’œil à son tableau de bord. Manifestement la mission avait héritée d’un statut prioritaire : la constellation de satellites géostationnaires chargés de la surveillance en Aleucie faisaient directement parvenir des paquets d’information cryptée à l’ordinateur de bord, lequel les passait au broyeur et en extirpait des produits finis. Une carte satellite, des lectures spectrographiques indiquant les principaux attroupements, des informations sur les centres du nouveau pouvoir et la présence d’autres appareils dans le ciel. Tout était traité par un centre opérationnel intelligent, géré par leur opératrice de bord, et la technologie de pointe du Commissariat à la Paix.
Un doute terrible saisit Joyce, alors qu’elle faisait passer le transport au-dessus d’une première rangée d’immeubles.
« Tout leur système internet est down, c’est bien ça ?
– Pas down, mort », rectifia Craven. »
Elle fit contourner une tour particulièrement haute au Kuntur pendant que Craven arpentait la carte satellite à la recherche d’une place ou d’une avenue. Joyce secoua la tête.
« C’est lié à un virus ?
– De ce qu’on sait. »
Elle cligna des yeux, plusieurs fois. Un tic nerveux associé chez elle à un certain niveau de nervosité. Elle se sentait soudain à l’étroit dans sa combinaison.
« Et si le truc s’infiltre dans nos systèmes ?
– On a pris des mesures contre.
– Mais si elles ne suffisent pas ? »
– Qu’est-ce que tu proposes ?
– On devrait couper la liaison satellite, déjà. »
Craven mis quelques secondes pour réfléchir à sa proposition. Il secoua la tête.
« Je pense que si c’était un risque les grosses têtes nous auraient briefés en conséquence.
– Ben, je sais bien... »
Pour autant, ça ne lui semblait pas des plus prudents. Elle jeta un œil à son copilote. Son front s'était plissé. Il partageait maintenant son malaise. Sentant peut-être son regard, il se força à sourire, tapotant les outils de navigation du bout des doigts avant de pointer la carte satellite de la ville.
« On a un candidat pas mal, quinze kilomètres à une heure.
– Fais voir ? » Elle jeta un coup d’œil à sa propre interface, où venait de se matérialiser l'image d'un terrain vague entouré de hauts murs. Elle acquiesça. « Bath. Guides-moi. »
Répondant à ses gestes comme une extension de son corps, le Kuntur s’orienta dans le ciel de la métropole et accéléra en direction du nord.
À l'arrière, dans le compartiment de transport, le citoyen Curao regardait les mêmes immeubles défiler par un hublot épais. Il voyait déjà les cicatrices de la révolution. C’est vrai, Ibishima avait souffert, bien que les violences locales n'eut rien à voir avec celles matérialisées dans les pays d’Eurysie centrale où l’on pratiquait la révolution comme un sport de masse, et la guerre civile comme son corollaire naturel. C’était plutôt l’un de ces évènements exceptionnels, durant lesquels la population arrivait à prendre les choses en main avec suffisamment d’efficacité pour éviter un conflit prolongé. Les kah-tanais avaient peu d’information sur les détails des évènements, évidemment. C’était même l’une des raisons de cette mission. Cependant, ils avaient de l’expérience, et pouvaient ainsi former une image mentale assez précise de la façon dont tout avait eu lieu. Même un évènement aussi exceptionnel que la formation d’une commune de cinquante millions d’âme répondait à certaines réalités historiques et matérielles.
Et, évidemment, la diffusion sur les réseaux sociaux d’autant d’images que le shutdown des communications le permettait y était pour quelque chose.
C’était aussi pour ça que le citoyen Curao avait refusé de parler de révolution modèle lorsqu’on lui avait demandé de défendre son projet de partir pour l’Aleucie au sein d’une mission de contact semi-officielle. « Une révolution peut être modèle en pratique, si nous la désignons comme telle nous risquons de heurter la sensibilité de nos amis libéraux. »
En somme les têtes coupées de l’oligarchie locale, placée sur des pics le long des principales voies praticables, représentait un symbole totalement incompréhensible pour la bonne société bourgeoise. Il fallait la comprendre. Celle-là n’avait, au fond, jamais connu de risque existentiel. Elle passait une vie fainéante à maximiser ses profits et cultiver ses contacts, à se complaire dans une prospérité modérée ou totale, avec des préoccupations parfois sincères, mais très rarement rares. L’irruption de la mort dans leur quotidien tenait de l’accident, ou carrément de l’injure.
Ces gens étaient incapables, tout à fait incapables, d’imaginer la vie d’un prolétaire. D’imaginer celles et ceux pour qui tout avait une nature si sensiblement existentielle. Des têtes sur des pics. Choquant ? Peut-être. Mais parmi les décapités, combien avaient facilités, par leur action, leur inaction, leurs ordres, leurs consignes, la mort lente et rapide de millions d’autres ? Les blessures au travail, la maladie, la misère, la faim, la destruction rapide des corps, consommés, jetés dans le grand brasier productiviste. On avait pendant des siècles utilisé les travailleurs comme le charbon de bois de la grande expérience productiviste. Et maintenant on prétend de découvrir que le feu brûlait.
Il était grand temps de tout incendier.
Mais tout de même, ces têtes empêchaient de parler franchement. Parce que rien n’existait dans le vide, et qu’il fallait rendre la révolution acceptable – jusqu’à un certain degré – pour permettre sa survie, il ne fallait pas qualifier les violences autrement qu’en tant que telles. Ergo, Ibishima n’était pas une Révolution Modèle. Aucune révolution ne pouvait l’être. Le public de cette mascarade était opposé au principe même de Révolution. Tout l’enjeu était de lui faire croire qu’une révolution pouvait ne pas en être une.
Une pensée qui le laissa songeur. Assez pour qu'il murmure pour lui-même :
« Tout de même... »
Il ne parlait à personne en particulier. D’ailleurs les soldats qui l’entouraient ne réagirent pas. Ils parlaient entre eux. Une douzaine d’hommes et femmes en uniforme noir, lourdement harnachés, préparé à mener un combat qui n’aurait pas lieu. C’était l’une des premières choses qu’ils lui avaient demandées lorsqu’il s’était présenté à eux sur le pont du Cargo.
« Hey, citoyen ! Vous pensez vraiment que c’est nécessaire ?
– Non.
– Mais on va quand même venir.
– La Révolution est jeune, et pour être honnête on ne sait pas encore bien si elle est stabilisée. Ça pourrait être dangereux. »
Une autre était intervenue à ce moment. Curao se souvenait très bien de son expression. Sérieuse, un peu incrédule. Essayant d’être aussi respectueux que possible. Elle avait des tatouages qui remontaient de sa nuque jusqu’à son front.
« Mais vous êtes sûr de vouloir nous accompagner, dans ce cas ? »
"Dans ce cas". Elle aurait aussi bien pu dire "comme ça" : la tenue des représentants en mission n’était pas des plus sobres. En fait rien, chez Curao, n’était adapté à une mission à haut risque. Il n’avait même pas pris part aux entraînements de la protection civile. C’était un individu plutôt non-violent.
Ce qui ne l’avait pas empêché d’acquiescer.
« Les communes m’envoient. Nous envoient. »
Et ça leur avait suffi.
Une unique note synthétique émergea du plafond, précédent les messages des pilotes. La voix de Craven – il semblait à Curao que c’était le nom du citoyen – retentit dans l’habitacle, légèrement déformée par l’enceinte.
« On a trouvé un lieu convenable, atterrissage d’ici trois minutes. »
Il y eut quelques rires, Curao entendit distinctement l’un des gardes répéter le mot « convenable ». Une autre se pencha dans sa direction.
« La dernière fois ils nous ont plantés au milieu d'un marais. À leur décharge des Loduariens nous tiraient dessus.
– Je vois. Je doute qu’on en trouve ici. »
Elle sembla hésiter, ce qui ne le rassura pas. Il lui semblait cependant improbable que la République Communiste, en proie à ses propres démons, ait trouvé le temps de déployer qui que ce soit dans ce qui était encore une actualité très fraîche. Le Grand Kah lui-même ne pouvait traverser le détroit qu’en vertu de sa proximité régionale. Et il allait sans dire qu’on agissait avec une prudence extrême dès lors qu’il fallait faire transiter des hommes ou des moyens dans la région.
Un écran au mur s’alluma, présentant un schéma dont Curao ne comprit qu’une part très superficielle des tenants et aboutissants. Un terrain plan, ceinturé de murs et de monticules de terre ou de gravats. Un bâtiment en chantier juste au nord, et des immeubles de bureau ou d’habitation sur la droite. Zone à densité de peuplement intermédiaire. Des icônes triangulaires oranges semblaient représenter des zones d’intérêt. Les soldats s’étaient rassemblés devant l’écran, se tenant aux barres au plafond. Ils pointaient le schéma, le commentaient.
« Pas de signature thermique à moins de cinquante mètres, pas mal. Sauf ça, ce sont des habitants ou des squatteurs ?
– Rien qui ressemble à un poste de garde ou de sniper, ça devrait être sûr.
– C’est quoi ce truc à quatre heures, on dirait un transformateur électrique mais c’est trop chaud.
– Un incendie ?
– Faudra checker. »
Celle avec les tatouages, qui avait interrogé Curao sur le pont du cargo, avança jusqu’à la porte séparant le cockpit de la soute, et donna plusieurs coups.
« Joyce, vous restez en soutien ?
– Pourquoi, bichette, t’as peur que je te pique ton fun ?
– Be my fucking guest. »
« Bichette » s’appelait en fait Becky, pour Rebecca Black, et venait de Reaving. Elle avait un accent anglais impeccable, quoi que chargé d’un lourd passif en disant déjà pas mal sur elle. Fille de pêcheur ou de marin, cette façon de parler comme on avale du gruau. Quelque chose d’épais, mais de vrai.
Aussi personne ne fut vraiment surpris quand elle donna un dernier coup sur la porte, avant d’ajouter :
« Si tu manœuvres sans te planter je t’invite bouffer. »
Car vraisemblablement, elle le pensait. Son regard croisa d’abord celui du sergent Hollow, qui rappelait les consignes de sécurité au reste de l’équipe, puis celui du député Curao. Curao avait deux qualités qu’elle appréciait. Il était mignon, de pas tout à fait stupide. Elle leva un pouce approbateur dans sa direction.
« Tu te sens comment ?
– J’ai hâte de poser le pied au sol.
– Tu as déjà fait ça, citoyen ? Dropper sur une cible ?
– Dropper ? Ah ! Non, non jamais. »
Il eut un rire très franc. Rebecca souffla du nez, amusée. Elle détailla sa tenue. Avec son chapeau à plumes et ses écussons tape-à-l'œil, il était aussi discret qu'un nez de clown. Les coutures rouges de son manteau traçaient des sillons sur le tissu bleu profond, comme un improbable système sanguin exposé à la vue de tous.
« Curieux qu’ils t’aient envoyés.
– J’ai demandé à venir. »
Elle fronça les sourcils.
« Pourquoi ?
– Je suis en charge de l’Aleucie dans la commission inter de la Convention.
– Donc tu te sentais responsable ?
– Pourquoi avoir choisi cette mission ? »
Elle avait horreur qu’on réponde à une question par une autre, et la sienne eut pour effet de la faire grimacer. Mais pas longtemps. Le sens de la remarque ne lui échappait pas : oui, elle avait aussi choisi cette mission parmi les assignations proposées. Pourquoi ? Pour voir du pays, pour visiter une expérience sociale et révolutionnaire unique. Pour voir si elle pouvait aider un peuple frère. Rebecca sourit.
« Pour voir du pays, rencontrer des gens intéressant.
– Jolie formule. »
Elle inclina la tête, un brin ironique. Puis elle fit un geste du menton, en direction du fond du compartiment. Harnachée au sol, une bâche plastique blanche, couvrant la silhouette compacte d’une caisse.
« Et le cadeau qu’on leur amène ? »
Il suivit son regard.
« Je trouvais ça amusant.
– C’est un peu glauque, non ?
– Oh oui. » Et il pivota dans sa direction. « Oui, ça l’est ! »
Il lui rendit un sourire si honnête qu’elle ne sut pas quoi répondre. Un peu mignon, de pas tout à fait stupide et, elle décida de l’ajouter à la liste, manifestement dérangé. Pas de toute, Curao était un kah-tanais de la capitale.
Hollow donna plusieurs coups contre le plafond de la cabine et haussa le ton.
« Citoyens ! On touche sol, pas de contact confirmé par les capteurs, mais on reste sur nos gardes. Équipe Anarchie, vous prenez la gauche, déployez en éventail et établissez le périmètre. Bastille, vous couvrez la droite, cordon de sécurité immédiat. Commune, avec moi : trois hommes vers le bâtiment à deux heures, on a une signature thermique suspecte. Restez compacts, pas d’exposition inutile. Le reste, verrouillez le secteur et tenez la ligne. Allez, on bouge ! »
Rebecca sourit.
« À plus, citoyens.
– Eh bien bon courage. »
Il la regarda s’éloigner. L’arrière de la soute s’ouvrit dans un bruit mécanique, révélant la terre meuble du terrain vague, s’étendant jusqu’à un monticule d’électroménager abandonnés. Carcasses blanches de réfrigérateurs, machines à laver, télévisions, ordinateurs, les ossements blancs de la consommation. Derrière s’étendait les silhouette muettes des bureaux vides. Les militaires sautèrent les uns après les autres et se déployèrent selon les consignes données par leur leader. Le Kuntur, lui, repris son envol. S’il y avait une fusillade il devait être en mesure d’éliminer immédiatement toute forme de menace.
Les ingénieurs avaient beaucoup discuté, lorsqu’il avait été question de donner un petit nom à ce modèle dernière génération d’appareil. C’était il y a longtemps, maintenant, et on venait à peine d’abandonner les nomenclatures strictement techniques des années 80. Kuntur. Condor. Ce nom avait fait débat. Voulait-on donner le nom d’un charognard à ce qui devait, alors, représenter les progrès techniques de l’Union ? Les arguments pour avaient finalement triomphé sur la base seule du les Condors vivaient dans des terrains particulièrement escarpés, et pouvaient transporter des carcasses particulièrement lourdes.
Pour le reste, le vol stationnaire de l’avion n’avait pas grand-chose à voir avec les élégants cercles que formaient les rapaces lorsqu’ils planaient autour d’une source particulière de nourriture. On pouvait au moins arguer que les deux mouvements avaient une qualité intrinsèquement inquiétante, d’autant plus que le Kuntur kah-tanais était bardé de systèmes d’armes et assez blindé pour résister aux éventuels tirs d’une infanterie ou DCA traditionnelle. Un véritable char volant, pratiquement inutile dans la plupart des cas, évidemment.
En tout cas ça ne semblait pas décourager les locaux, c’est ce que voyait Curao : un attroupement commençait à prendre forme dans les pourtours du terrain vague. Une masse compacte et diverse qui déboulait des rues adjacentes, sortait des bâtiments situés hors du périmètre, se rassemblaient, discutaient, pointaient du doigt l’appareil, les militaires.
Le représentant en mission était resté dans l’appareil le temps qu’on lui déclare la zone comme sûre. Une précaution qu’il avait concédée à ses accompagnateurs militaires, sans chercher à cacher l’irritation qu’elle lui inspirait. Une précaution qu’il commençait doucement à regretter.
En bas, la semblait impossible à désigner. Jeune mais vieille, populaire et branchée, elle comptait autant de guérilleros tout droit sortit du narcotrafic que de jeunes adultes qui n’auraient pas dépareillé dans les raves les plus en vue de la côte d’Or du Paltoterra. Et les civils, évidemment. Leur présence seule annonçait la couleur. Quelqu’un chez les kah-tanais eu la présence d’esprit de se rappeler qu’on était en terrain ami, et aucun fusil ne fut pointé dans la direction des icamiens.
Plus tard, il sembla rétrospectivement qu’on aurait pu s’attendre à ce résultat. Ibishima ne dormait jamais, cette mission n’avait de toute façon pas l’ambition d’être discrète.
Mais sur le moment Curao redoutait surtout qu’une fusillade n’éclate. Il se mit à frapper contre la porte du cockpit.
« Citoyens, faites poser cet avion ! »
Puis, car les choses ne se faisaient pas assez vitre à son goût :
« Au nom du comité et de la Convention, posez-nous ! Je dois leur parler ! »
– Oui oui, laissez-nous deux secondes, on doit juste se positionner.
– Bon sang ! Bon sang ! »
Il martelait la porte du cockpit, des scénarios catastrophes se bousculant dans son esprit. Un soldat kah-tanais trop nerveux. Un révolutionnaire icamien trop zélé. Un seul coup de feu, un seul malentendu, et son geste de solidarité historique se transformerait en un massacre absurde, une note de bas de page sanglante dans le grand livre des malentendus fâcheux.
Le Kuntur arriva finalement à se poser au milieu du terrain vague, entouré du cordon de militaires et d’une foule désormais épaisse. La porte de l’appareil s’ouvrit et Curao en bondit aussitôt. La rencontre au sol semblait très éloignée de ses inquiétudes. La garde Black semblait en train de comparer son fusil d’assaut avec celui d’un jeune homme en short, portant une arme manifestement faite main, les autres échangeaient des mondanités et des blagues dans un listonien approximatif. Peu à peu, les regards s’orientèrent en direction du représentant en mission, et le silence se fit.
« Citoyens, je pense qu’on peut sortir notre cadeau. »
Le sergent Hollow acquiesça, et fit signe à trois des gardes de l’accompagner alors qu’il retournait à l’intérieur du Kuntur. Curao se racla la gorge. Son listonien à lui était parfait.
« Chers amis, camarades ! Nous sommes le Grand Kah ! »
Dans son dos, les gardes avaient fini de détacher les harnais et de retirer la bâche blanche. Il poussa la caisse située en dessous jusqu’à l’extérieur. Elle tomba sur la terre meuble et s’enfonça un peu. Curao continua.
« Et le Grand Kah vient en ami ! »
Hollow appuya sur un bouton situé sur un panneau de contrôle, sur le côté de la caisse. Il y eut un déclic sourd, un bruit de mécanisme, et elle se déploya comme une fleure éclosant en quelques secondes. En un instant, la caisse avait laissé place au fameux cadeau.
Curao pivota vers la Guillotine pliable, et écarta les bras.
« Vive l’Humanité ! »